« Pour rendre plus clairs les principes exprimés par Aristote et aussi pour résumer toutes les manières d’instituer les autres types de gouvernement, nous dirons que tout gouvernement s’exerce avec le consentement de sujets ou non. Le premier est le genre des gouvernements droits, le second le genre des gouvernements déviants. » (Defensor pacis, I, 9, §5)

Lorsque l’averroïsme, idéologie la plus avancée de la Falsafa arabo persane, pénétra en Europe, notamment à Paris, elle provoqua une grande crise dans l’Église catholique

La couche d’intellectuels formée par l’Église catholique, au cours des âges roman et gothique, avait en son sein de brillants penseurs, reconnaissant ou tendant au matérialisme radical affirmé par Averroès, dans le prolongement de l’interprétation d’Aristote par Avicenne et Al-Farabi.

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L’université de Paris devint le bastion du matérialisme dans la bataille contre l’Église et ses thèses idéalistes. Cependant, les penseurs de l’averroïsme latin ne disposaient pas d’une couche sociale progressiste pouvant porter leur conception.

Pour cette raison, l’averroïsme dans sa version la plus radicale fut principalement éliminée. Seule une poignée d’éléments radicaux subsistaient, de manière éparse.

Mais, en tant que concept, son affirmation avait été inébranlable : l’affirmation de la séparation du spirituel et du temporel avait eu un formidable écho au sein des couches cultivées.

Dans ce cadre, les forces féodales en contradiction avec l’Église dominante depuis l’âge gothique vont directement utiliser l’averroïsme politique.

Pour cette raison, Marsile de Padoue (vers 1280-1343), recteur de l’université de Paris en 1313, et Jean de Jandun (vers 1250-1328), professeur de la même université, avaient publié Defensor pacis en 1324.

Cette œuvre est un soutien direct à Louis de Bavière (Louis IV du Saint-Empire), en conflit total avec le pape. Louis de Bavière est par ailleurs salué de la manière suivante dans Defensor pacis :

« Comme ministre de Dieu, [tu] donneras à cette entreprise la fin qu’elle souhaite recevoir de l’extérieur, très illustre Louis, Empereur des Romains, en vertu du droit du sang antique et privilégié, non moins qu’eu égard à ta nature singulière et héroïque, et à ton éclatante vertu, toi qui es animé d’un zèle inné et inébranlable pour détruire les hérésies, imposer et maintenir la vraie doctrine catholique et toute autre doctrine savante, détruire les vices, propager l’ardeur pour la vertu, éteindre les litiges, répandre partout la paix et la tranquillité et la fortifier.»

Defensor pacis attribue une fonction civile, voire religieuse, essentielle à l’État, face à l’Église. En fait, deux idées dominaient ce manifeste. Tout d’abord l’idée que l’Église était subordonnée à l’État, celui-ci se fondant sur la légitimité populaire, en tant que république dans l’idéal. A cela s’ajoutait le refus de la hiérarchie au sein de l’Église.

L’ouvrage se fonde sur la philosophie d’Aristote, où l’être humain est un « animal social » qui recherche la paix. Pour cette raison, si l’Église s’affirme tel un corps extérieur, elle trouble la paix.

L’État issu du peuple est légitime, pas la théocratie religieuse. Dans Defensor pacis, on lit ainsi :

« Selon la vérité et l’opinion d’Aristote exprimée dans la Politique, livre III, chapitre 6, nous affirmerons que le législateur ou la cause efficiente et première de la loi est le peuple, c’est-à-dire le corps (universitas) des citoyens ou la partie prévalente (valentior pars) de ceux-ci, par le moyen de l’élection c’est-à-dire de la volonté exprimée dans l’assemblée générale des citoyens, prescrivant ou spécifiant ce qui doit être fait ou non concernant les actions civiles des hommes, soumis à la menace d’une peine ou d’une punition temporelle : je dis la partie prévalente, considérée comme quantité de personnes et selon leur qualité dans cette communauté politique pour laquelle a été promulguée une loi, soit que l’ait réalisé le corps entier des citoyens ou sa partie prévalente directement, soit que la tâche de la réaliser ait été donnée à une ou plusieurs personnes qui ne sont ni ne peuvent être le législateur au sens strict mais le sont en un sens relatif ou pour une certaine période de temps et par autorité du législateur premier. » (Defensor pacis, I, xii, §3)

La conception « familiale » de la paix sociale affirmée par Aristote est un prétexte à l’affirmation de la décentralisation :

« Car il n’y a pas la même nécessité à ce qu’il y ait un seul administrateur dans une seule famille et dans la cité tout entière ou dans plusieurs provinces, car ceux qui ne se trouvent pas dans la même famille domestique n’ont pas besoin de l’unité numérique d’un administrateur, du fait qu’ils ne partagent pas la nourriture et les autres nécessités de la vie (maison, lit, et le reste) et qu’ils ne s’associent pas en une telle unité, comme ceux qui font partie d’une même famille domestique.

Car cet argument amènerait à conclure qu’il faut également un seul administrateur en nombre pour le monde entier, ce qui n’est pas utile, ni vrai. En effet, les unités numériques des principats selon les provinces suffisent pour une vie humaine dans la tranquillité. » (Defensor pacis, I, 17, §10)

Pour cette raison, le pape est soumis au monde temporel :

« Il appartient au législateur humain ou au prince par son autorité, non seulement de porter décret coercitif touchant l’observance des décisions du Concile, mais aussi d’établir la forme et le mode d’établissement au siège apostolique romain, ou élection du pontife romain. » (Defensor pacis, II, 21, §5)

L’ouvrage aura un écho retentissant, porté par l’affrontement ouvert de Louis de Bavière avec le pape, avec même la tentative de mettre en avant un anti-pape.

Le 23 octobre 1327, l’Église condamnera naturellement fermement les thèses de Marsile de Padoue, dans la constitution Licet Iuxta Doctrinam :

« 2) Ces enfants de Bélial osent enseigner que le bienheureux apôtre Pierre ne fut pas plus chef de l’Eglise que chacun des autres apôtres ; qu’il n’eut pas plus d’autorité qu’eux; que Jésus-Christ n’en a fait aucun son vicaire ni chef de l’Eglise. (…)

3) Les mêmes imposteurs osent soutenir que c’est à l’empereur de corriger et de punir le Pape, de l’instituer et de le destituer. Ce qui est contre tout droit. (…)

4) [Ils affirment également que] Tous les prêtres, que ce soit le pape, un archevêque ou un simple prêtre ont, de par l’institution du Christ, une autorité et une juridiction égales.»

Mais la vague de l’averroïsme politique, prolongement de l’averroïsme philosophique, était lancée.


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