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Historiquement, la social-démocratie a été le mouvement ouvrier s’appuyant sur un Parti de cadres autour d’une idéologie bien précise : le socialisme scientifique.
Ce Parti dirige les luttes de classe, dans l’intégralité du processus ; la spontanéité est rejetée. Cette forme de Parti a été accepté par Lénine, lui-même un social-démocrate initialement ; dans Que faire ?, il souligne son accord avec Karl Kautsky sur ce point.
Ce qu’on appelle le gauchisme est la réfutation de ce type de Parti. Le gauchisme prétend mettre dos à dos la social-démocratie réformiste et la social-démocratie révolutionnaire développée par Lénine. Tous deux auraient une démarche positiviste et dogmatique, accordant à la théorie une importance centrale alors que ce serait le mouvement spontané des masses qui compterait.
Dans toute la littérature gauchiste, quel que soit son positionnement, on trouve de visés Karl Kautsky et Lénine, la notion de Parti dirigeant, le principe d’une idéologie comme guide. C’est là la clef absolue pour comprendre le gauchisme et saisir en quoi il est très proche, dans sa nature, sa démarche, ses fondements, du syndicalisme-révolutionnaire, de l’anarchisme, du trotskysme.
Le texte de Paul Mattick de 1939, Karl Kautsky : de Marx à Hitler, est exemplaire de l’approche gauchiste visant à refuser de voir toute différence entre la social-démocratie du début du XXe siècle et celle échouant à s’opposer à la première guerre mondiale impérialiste, ainsi qu’avec le léninisme.
Il y a d’ailleurs deux ouvrages philosophiques « marxistes », ayant un impact certain dans les milieux bourgeois, qui tentèrent d’intellectualiser cette opposition entre d’un côté la révolution comme processus prolétarien spontané, de l’autre l’orthodoxie de Karl Kautsky et Lénine, associée au réformisme.
Le premier est Histoire et conscience de classe, de Georg Lukàcs, publié en 1922 ; le second est Marxisme et philosophie, de Karl Korsch, publié en 1923. Tous deux rejettent la dialectique de la nature, accusant Karl Kautsky et Lénine d’être des positivistes, des matérialistes bourgeois.
Karl Korsch visera ensuite particulièrement Karl Kautsky dans ses études et le grand théoricien gauchiste Anton Pannekoek, lorsqu’il s’attaquera à Lénine, visera naturellement tout particulièrement Matérialisme et empiro-criticisme.
Ce qui est très intéressant ici, c’est que le gauchisme n’étant rien d’autre qu’une posture de gauche, il est né paradoxalement en s’imaginant que le léninisme consistait en ce gauchisme.
Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, la social-démocratie n’a pas été à la hauteur de ses propres engagements révolutionnaires, à part en Russie, avec Lénine.
Ce dernier, à la tête des bolchéviks (c’est-à-dire de la majorité) du Parti Ouvrier Social-Démocrate Révolutionnaire, fut en mesure de peser sur l’histoire russe, avec le soulèvement d’Octobre 1917.
Cependant, il existait également de nombreux courants, d’esprits syndicalistes-révolutionnaire, anarchistes, marxisants, qui s’opposaient depuis le début à la social-démocratie, notamment en France. Lorsque la révolution russe se produisit en 1917, ils s’imaginèrent pendant un certain temps que cela confirmait leurs propres idées.
Ils comprirent, plus ou moins rapidement (ce qui donna naissance aux différentes variantes de gauchisme), que les bolchéviks se situaient dans la tradition social-démocrate, que leurs positions s’opposaient radicalement aux leurs, ce que Lénine souligna formellement dans le document écrit à leur sujet : « Le gauchisme (la maladie infantile du communisme) ».
Ces courants gauchistes développèrent alors toute une théorie « anti-bureaucratique », considérant que les faits leur donnaient toujours raison, mais qu’ils étaient toujours victimes à la fois des capitalistes et des communistes « autoritaires ».
Les masses seraient aptes à faire la révolution de manière spontanée, mais les « partis » viendraient les parasiter et les empêcher de réaliser leur affirmation autonome.
Une liste sans fin de mythes fut alors diffusée, associant des lieux et des dates (Kronstadt 1921, Barcelone 1936, Budapest 1956, Prague 1968, etc.), témoignant du martyr des « véritables » révolutions par « en bas ».
Dans la foulée de mai 1968, le chef de file du spontanéisme, Daniel Cohn-Bendit publia un ouvrage représentatif de cette perspective : « Le gauchisme remède a la maladie sénile du communisme ».
En apparence, les variantes du gauchisme prétendent représenter les révolutionnaires les plus authentiques, les seuls désireux d’aller jusqu’au bout, les seuls qui seraient incorruptibles, les seuls qui sauraient se mettre au service des masses de manière dévouée. Tous les autres seraient des manipulateurs, des bureaucrates.
Pour certains gauchismes, il faut prouver qu’on a alors raison par le syndicalisme, un travail à la base uniquement économique comme garant de la « pureté » et comme refus conséquent de la théorie, pour d’autres il faut se mettre résolument à l’écart et se considérer comme uniquement la « phalange » du prolétariat insurrectionnel, ce qui signifie que le prolétariat est considéré comme entre-temps décomposé.
Dans tous les cas, le gauchisme est fondamentalement anti-démocratique. A ses yeux, les masses sont révolutionnaires ou ne sont pas. C’est la raison pour laquelle le gauchisme a toujours réfuté de manière absolue l’antifascisme, considéré comme un frein à la révolution.
Le gauchisme se pose ainsi, bien souvent, comme cinquième colonne de la réaction, happant des éléments vraiment révolutionnaires en les amenant vers une voie de garage « ultra » les coupant des masses et sabotant les progrès de celle-ci par des actions sur le mode du « coup de force ».
L’exemple le plus connu fut la tentative de « révolution » en Espagne, en pleine guerre civile. Le gouvernement républicain anti-franquiste devait être renversé et la « révolution » menée, en plein affrontement avec le général Francisco Franco et son armée.
Le gauchisme apparaît donc comme semblant le plus révolutionnaire, le plus radical en paroles, mais ses actes ne visent que le spectaculaire et sa structuration est toujours éphémère et éparse.
Le gauchisme prétend en faire, d’ailleurs, une qualité : cette dimension éphémère et dispersée est censée témoigner qu’il est issu de la « vague » révolutionnaire, qu’il forme le rassemblement des éléments les plus avancés, etc.
Dans tous les cas, aucune évaluation n’est possible, car le gauchisme le refuse par principes. Tout ce qui relève de la rationalité, de l’analyse, est rejeté comme dogmatique et organisé, c’est-à-dire en fin de compte social-démocrate.
Là est la clef du gauchisme. Il est directement issu de la critique syndicaliste-révolutionnaire et anarchiste de la social-démocratie et lorsqu’il dénonce le léninisme et le maoïsme, c’est en fait pour renouveler la critique fondamentale de la social-démocratie, c’est-à-dire du principe comme quoi un Parti fondé sur le socialisme scientifique doit diriger les masses.