Le système impérialiste mondial s’est développé sous l’hégémonie du capital américain, la politique extérieure des États-Unis en est la manifestation politico-militaire et l’armée américaine, l’instrument principal.

En 1945, les États-Unis ont créé trois états pour servir de bases opérationnelles à leur politique extérieure : l’Allemagne fédérale, la Corée du sud et le Vietnam du sud.

Pour l’impérialisme américain, ces états ont servi, et cela dès le début, de bases opérationnelles à deux titres :

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Pour l’armée américaine, dans la stratégie de l’encerclement et du roll-back final de l’union soviétique ou, plus justement, de l’Armée rouge.

Pour le capital U.S., pour soumettre aux intérêts du capital U.S., là-bas, les régions de l’Asie du sud-est et de l’est, ici, les régions de l’Europe de l’ouest.

L’histoire de la république fédérale nous intéresse pour deux raisons : d’abord pour l’histoire de la gauche traditionnelle, de la vieille gauche qui en 1966, au moment de l’entrée des sociaux-démocrates dans la grande coalition de Bonn, s’est fait récupérer en tant qu’opposition et donc s’est trouvée paralysée.

Et puis pour le rôle de la R.F.A. dans le système mondial du capital américain, point essentiel pour nous qui définissons la politique révolutionnaire par l’internationalisme prolétarien, d’Adenauer à Schmitt, la ligne est la même : anti-communisme, subordination de l’Europe de l’ouest à la politique extérieure américaine sur le plan politique, économique et militaire.

Autrement dit, l’orientation de la politique du gouvernement ouest-allemand d’Adenauer à Schmitt est fonction de la politique intérieure mondiale des États-Unis, c’est-à-dire : du rôle de police mondiale qu’exercent les États-Unis depuis 1945.

C’est une banalité de dire que la politique intérieure et extérieure de la Corée du sud et du Sud-Vietnam étaient directement dirigées par la C.I.A., étant donné la faiblesse économique de la bourgeoisie compradore dans les États néo-colonisés.

Un État qui a le potentiel économique de l’Allemagne fédérale et qui, depuis trente ans déjà, ne dispose pas de son propre pouvoir politique, rend particulièrement difficile une orientation politique radicale et, comme notre expérience nous l’a montré, la lutte anti-impérialiste ne peut être, dans ces conditions, qu’une lutte armée.

Nous ne connaissons pas d’autres pays où la gauche refuse aussi obstinément de prendre connaissance de sa propre histoire, de l’histoire de ses défaites, ce qui ne veut pas dire que les luttes qu’elle a menées n’étaient pas importantes et ne valaient pas la peine d’être étudiées, ce sont les italiens − et nous avons déjà eu recours à eux − qui ont produit les analyses les plus pertinentes de la politique social-démocrate, de sa fonction en faveur du capitalisme en Allemagne ; c’est de France que viennent les analyses réellement valables du fascisme allemand, de la politique économique du troisième Reich comme politique du capitalisme monopoliste d’état allemand.

Et pour ce qui est de la grande mobilisation anti-impérialiste qui a agité les métropoles en 1966-1967, il faut bien admettre que la gauche officielle a spéculé là-dessus et l’a monnayée, en souvenirs euphoriques directement consommables, mais elle n’a jamais fait l’effort de comprendre ce qui s’est passé réellement, d’où le mouvement étudiant prenait sa force explosive, la pertinence politique du facteur subjectif.

Il ne pouvait sans doute en être autrement; en tout cas, les expériences des révolutions anti-colonialistes, celle du peuple algérien par exemple, − telle que Fanon l’a fait connaître à la gauche révolutionnaire dans le débat international − peuvent être utilisées en Allemagne fédérale, du fait de son statut spécifique de colonie dans le système des états sous dépendance américaine.

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Il faudrait que, replacée dans le contexte de l’internationalisme prolétarien, l’histoire du peuple, celle du peuple allemand et donc notre histoire − dont nous avons honte − cesse d’être une histoire dont presque tous les communistes ont honte depuis 1933.

Car l’histoire des Allemands, celle du capital monopoliste, de la social-démocratie, des syndicats − c’est de n’avoir pas été capable d’empêcher deux guerres mondiales impérialistes et douze ans de fascisme, c’est de n’avoir pas su le combattre efficacement, telle est l’histoire du mouvement ouvrier allemand, réalité incontournable quand on veut donner une identité historique à la guérilla.

L’histoire de la gauche traditionnelle en Allemagne fédérale, c’est de s’être laissée transformer en instrument, vider de tout contenu de lutte par le parti communiste, simple appendice de la république démocratique allemande et de s’être laissé corrompre par la social-démocratie avec ses grandes « figures », plus exactement ses fantoches : (l’ex président) Heinemann et (le premier ministre) Brandt.

En fait, la gauche traditionnelle a fini par comprendre qui était Brandt en 1958, quand il passait dans toutes les grandes entreprises berlinoises avec son masque de maire de Berlin, directement manipulé par la C.I.A. comme tous les maires de Berlin. Tout en menant une violente campagne anti-communiste, il s’était mis à la tête du combat qui se déroulait à ce moment-là dans les entreprises contre le projet de Bonn d’équiper l’armée fédérale en bombes atomiques, dans l’unique but d’usurper, d’étouffer la lutte, et de lui imposer un caractère anti-communiste.

Depuis le début, le projet politique poursuivi par les États-Unis en tant que force d’occupation dominante dans les trois zones d’occupation occidentales − globalement réactif et défensif, offensif et prospectif dans son expression régionale, en accord avec le gouvernement allemand − n’avait aucune légitimité :

La restauration du capital monopoliste, la reconstitution du pouvoir économique et politique des vieilles élites, dans le but de perpétuer la dictature de la bourgeoisie désormais sous l’égide du capital américain, la remilitarisation et l’intégration des trois zones ouest dans le système politico-militaire de l’impérialisme américain, l’anti-communisme comme idéologie dominante, c’était le prix à payer pour sauvegarder l’unité nationale en tant qu’état, l’unité nationale n’étant rien d’autre que pur opportunisme.

« Le prolétariat comme masse manœuvrable », (c’est-à-dire en fait l’exclusion du prolétariat de la scène politique) − on ne peut vraiment pas dire que ce soit l’idéal.

Cette politique n’a bien sûr jamais été discutée, il n’y a pas eu de vote, tout s’est décidé à Washington, quand des élections ont enfin pu avoir lieu en 1949, après la fondation de l’Allemagne fédérale, la monnaie allemande était déjà intégrée dans le système du dollar, élaboré à Bretton Wood, le conseil parlementaire avait déjà élaboré une constitution d’après les projets des alliés, c’est-à-dire des États-Unis, cette constitution donne à une seule personne, le chancelier, le pouvoir de définir les grandes lignes politiques, si pour une fois on part de la réalité et de la pratique du gouvernement Adenauer et non pas des rationalisations du droit constitutionnel permettant de dire qu’on avait tiré les leçons de Weimar, il s’agit de constitution pour régime de marionnettes, à l’intérieur de la social-démocratie, les luttes de pouvoir s’étaient terminées par la victoire de la tendance anticommuniste de Schuhmacher − dorénavant financée par le capital américain, elle avait repris son vieux rôle de 1918, de rempart contre l’influence communiste et contre toute ébauche de construction d’un mouvement ouvrier autonome, dans les conseils fédéraux des syndicats et dans la fédération des syndicats (D.G.B.), tous les postes clefs étaient occupés par d’anciens fonctionnaires qui déjà, sous Weimar, s’étaient prononcés pour l’intégration de la lutte des classes dans la stratégie du capital, toute tentative de reconstruire les organisations du prolétariat à partir des groupes ayant, dans l’illégalité, dirigé la résistance sous le fascisme − chose qui paraissait évidente − était vouée à l’échec.

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La fonction propre à l’Allemagne au sein du bloc impérialiste américain et donc dans la stratégie du capital américain, résulte de son histoire, de sa position de couter-state mis en place par les États-Unis dans le conflit est-ouest, à partir de là, s’explique aussi quel rôle particulier prit la social-démocratie allemande dans la stratégie américaine, après la guerre du Vietnam.

Il faut prendre en compte la continuité de la politique fédérale depuis le troisième Reich et l’extrême agressivité qu’a toujours dû manifester le capital monopoliste allemand, vu sa position sur le marché mondial, c’est-à-dire son extrême dépendance par rapport à l’exportation, pour comprendre les racines historiques de son rôle de seconde puissance à l’O.T.A.N. et de sa conception de la politique impérialiste, la plus expansionniste après celle des U.S.A.

Quant aux conditions intérieures, qui ont fait de l’Allemagne fédérale l’instrument de la politique extérieure des États-Unis, les voici :

Dans les trois zones occidentales de l’après-guerre, c’est le capital américain, avec l’aide de la social-démocratie, vendue au capital américain, et des syndicats, financés et contrôlés par la C.I.A., qui organisa directement le prolétariat, depuis le début il s’agissait de dépolitiser les luttes de classes en Allemagne et de structurer, d’organiser dans la légalité, toute l’opposition politique, sur la base de l’anti-communisme.

C’est ainsi qu’il peut s’expliquer qu’aucun mouvement d’opposition ne se soit développé en R.F.A., jusqu’à l’époque du mouvement étudiant − tout mouvement d’opposition ayant été usurpé et étouffé par la social-démocratie.

A ce parti restera attachée l’infamie particulière d’avoir été, depuis toujours, le parti révisionniste du prolétariat et, en tant que tel, l’agent du capital au sein du prolétariat, depuis toujours, et tout à fait ouvertement aujourd’hui, il s’est plié aux directives de Clay à Berlin, de la C.I.A., du Pentagone, etc.

Et cette évolution, l’alignement de la ligne politique officielle du parti social-démocrate sur celle de la politique extérieure des États-Unis, et donc aussi sur celle du parti démocrate chrétien, s’accorde bien avec les efforts acharnés qu’il mena pour détruire les mouvements d’opposition qui existaient encore jusqu’en 1960 − mouvement contre la remilitarisation, contre l’infiltration fasciste dans les appareils d’état, contre l’intégration de l’Allemagne dans l’O.T.A.N., contre l’équipement atomique de l’armée fédérale − jusqu’au moment où Wehner, pour réaliser la « grande coalition », se prononça ouvertement, en 1960, pour l’intégration dans l’O.T.A.N., pour l’intégration de l’Allemagne fédérale dans l’Europe de l’ouest, et finalement pour la même « politique de l’est », que prônait Adenauer − le « roll-back », autrement dit, la prise à revers, pour la politique extérieure des États-Unis, ce fut bien le signe que la social-démocratie avait rempli son contrat d’après-guerre : écraser et détruire l’opposition légale en Allemagne.

Ce qui caractérise la dépendance spécifique de l’impérialisme ouest-allemand c’est qu’outre que l’état est obligé de s’adapter aux conditions de reproduction du capital hégémonique dans sa politique et ses institutions, dès l’instant où, comme tous les états sous la dépendance du système mondial américain, il est soumis à la totale hégémonie du capital américain, c’est que, dans cet état, le pouvoir politique n’a jamais été remis à ces propres organes constitutionnels. Ce qui signifie en clair : qu’il est un instrument de la politique.

D’emblée, d’ailleurs, il ne s’agissait pas uniquement de droits d’occupation, il s’agissait de stratégie institutionnelle ; autrement dit, après 1945, le capital américain a non seulement intégré la constitution de l’Allemagne fédérale dans ses éléments opératoires (une démocratie, dirigée par un chancelier; et un parlement, aux compétences restreintes par le fédéralisme ; l’intégration des fonctionnaires fascistes par l’appareil judiciaire et l’administration allemande) ; il a de plus mis la main sur toutes les autres instances de contrôle caractérisant l’État impérialiste (les partis, les organisations du patronat, les syndicats, les mass-média).

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On peut dire que jusqu’au mouvement étudiant, en Allemagne, les luttes de classe restaient factices, là où elles atteignaient une dimension politique, et étant donné leur méconnaissance des véritables rapports de force en Allemagne, restaient un pur théâtre d’ombres.

Prenons par exemple le mouvement anti-atomique, qui s’est développé à partir des débats parlementaires de mars 58.

En février, il y avait eu controverse entre Heinemann et Dehler, d’une part, et, de l’autre, Adenauer, mettant en cause sa politique de réconciliation, et les propositions faites par Staline en 1952-1955 d’autoriser, une fois l’Allemagne neutralisée, des élections en Allemagne démocratique sur le modèle des élections occidentales.

C’est lorsque le parlement décida d’équiper l’Allemagne fédérale d’avions pouvant transporter aussi des bombes atomiques que prit naissance ce mouvement, mais cette décision ne faisait que ratifier une décision prise à l’O.T.A.N., chose dont le mouvement n’avait pas pris conscience, voilà qui est bien exemplaire de la structure gouvernementale en pays vaincu et occupé : où toutes les décisions d’importance doivent s’intégrer dans une stratégie institutionnelle où il est exclu, ou risque d’être exclu, de permettre des élections réellement démocratiques (c’est-à-dire influant sur la vie du pays) dès l’instant où le militaire domine le productif, ce qui importe c’est que cet état n’a pu parvenir à la fonction qu’il a aujourd’hui pour le capital américain que grâce au rôle et à la fonction spécifique de la social-démocratie allemande.

Jusqu’en 1960, resta paralysée l’ancienne gauche extra-parlementaire, qui s’était opposée à tous les processus de division des deux Allemagnes, à la militarisation, à l’intégration dans l’O.T.A.N., à la politique de reconquête des prétendus territoires de l’est, quant à l’opposition au sein des syndicats, et surtout au sein du syndicat de la métallurgie, où la fraction du S.D.S. (Mouvement des étudiants socialistes), exclue du parti social-démocrate, avait encore trouvé une base politique, elle fut dissoute au cours des années suivantes, ou plutôt s’est laissée user et dissoudre, lors de l’adoption des lois d’urgence, malgré les protestations de la gauche démocratique, en se faisant le porte-parole permanent de la critique des projets de loi gouvernementaux, le parti social-démocrate a réussi à en dégrader le contenu (portant sur l’utilisation de l’armée pour la répression des grèves à l’intérieur du pays, la destitution du parlement, la mobilisation de la population en cas d’urgence), se cantonnant à des débats d’experts en droit constitutionnel, l’opposition a perdu sa base populaire, toujours grâce au même vieux tour de passe-passe de la social-démocratie, qui est d’institutionnaliser le débat, en l’occurrence, dans des colloques publics où on discute entre experts et où la question du pouvoir est exclue de l’ordre du jour.

Pour dire en un mot comment la social-démocratie s’est finalement qualifiée pour le service du capital américain, c’est par la démagogie.


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