saint_empire_romain_germanique.jpgPrenons un pays qui est très avancé à l’époque médiévale. Prenons ses classes sociales et considérons les toutes comme hautement combatives.

On a alors la situation en Bohême au début du 15e siècle : la royauté puissante luttant pour établir la monarchie absolue, la noblesse tentant d’arracher au clergé ses propriétés terriennes, la bourgeoisie essayant d’arracher des prérogatives aux patriciens par ailleurs puissants dans les villes, les artisans et commerçants bataillant pour s’affirmer…

Et, plus de 350 ans avant Gracchus Babeuf en France, une plèbe en quête d’une république sociale. Cela donna, il y a six cent ans de cela, des masses issues de tisserands, d’artisans, de paysans, pratiquant la guerre de guérilla pour établir l’égalité sociale la plus complète, dans le collectivisme.

C’est une période formidable, d’une importance historique capitale. D’ailleurs, la tempête hussite – terme venant de Jan Hus, prédicateur rejetant la hiérarchie au sein de l’Eglise, ainsi que l’intervention politique de celle-ci – pava directement la voie à Martin Luther.

À côté de Martin Luther, on trouvera également Thomas Müntzer, l’autre titan de la Réforme allemande, qui développait des thèmes collectivistes directement en référence à la révolution « taborite », du nom d’une colline de Bohême où les paysans en armes avaient établi une communauté égalitaire.

Friedrich Engels parle ainsi de ce siècle :

hussites_1.jpg« C’est l’époque qui commence avec la deuxième moitié du XVe siècle.

La royauté, s’appuyant sur les bourgeois des villes, a brisé la puissance de la noblesse féodale et créé les grandes monarchies, fondées essentiellement sur la nationalité, dans le cadre desquelles se sont développées les nations européennes modernes et la société bourgeoise moderne; et, tandis que la bourgeoisie et la noblesse étaient encore aux prises, la guerre des paysans d’Allemagne a annoncé prophétiquement les luttes de classes à venir, en portant sur la scène non seulement les paysans révoltés, – ce qui n’était plus une nouveauté, – mais encore, derrière eux, les précurseurs du prolétariat moderne, le drapeau rouge au poing et aux lèvres la revendication de la communauté des biens. »
(Engels, Dialectique de la Nature)

Naturellement, la complexité vient du fait que la religion a été utilisée comme drapeau servant aux intérêts des uns et des autres. L’averroïsme philosophique, ce matérialisme arabo-persan assumé par les meilleurs intellectuels européens médiévaux, s’est transformé en averroïsme politique, utilisé par la royauté et la noblesse pour réfuter la primauté du clergé.

L’exigence des deux vérités – une laïque, une religieuse – servant le matérialisme, s’est transformée en outil politique aristocrate face au clergé, mais également aux masses pour exiger le contrôle de la religion, rejetant catégoriquement le clergé.

L’averroïsme philosophique rejetant la religion est ainsi devenu, et c’est là le paradoxe, le détonateur de masses revendiquant leur propre interprétation de la religion. Friedrich Engels note cela de la manière suivante :

hussites.jpg« L’histoire du christianisme primitif offre de curieux points de contacts avec le mouvement ouvrier moderne.

Comme celui-ci, le christianisme était à l’origine le mouvement des opprimés. Il apparut tout d’abord comme la religion des esclaves et des affranchis, des pauvres et des hommes privés de droits, des peuples subjugués ou dispersés par Rome. Tous deux, le christianisme aussi bien que le socialisme ouvrier, prêchent une délivrance prochaine de la servitude et de la misère (…).

Déjà au moyen-âge le parallélisme des deux phénomènes s’impose lors des premiers soulèvements de paysans opprimés, et notamment, des plébéiens des villes. Ces soulèvements, ainsi, que tous les mouvements des masses au moyen-âge portèrent nécessairement un masque religieux, apparaissaient comme des restaurations du christianisme primitif à la suite d’une corruption envahissante, mais derrière l’exaltation religieuse se cachaient régulièrement de très positifs intérêts mondains.

Cela ressortait d’une manière grandiose dans l’organisation des Taborites de Bohème sous Jean Zizka, de glorieuse mémoire ; mais ce trait persiste à travers tout le moyen-âge, jusqu’à ce qu’il disparaît petit à petit, après la guerre des paysans en Allemagne, pour reparaître chez les ouvriers communistes après 1830.

Les communistes révolutionnaires français, de même que Weitling et ses adhérents, se réclamèrent du christianisme primitif, bien longtemps avant que Renan ait dit :  » Si vous voulez vous faire une idée des premières communautés chrétiennes, regardez une section locale de l’Association internationale des travailleurs ». »
(Engels, Contributions à l’Histoire du Christianisme primitif)

Avec l’averroïsme politique débouchant sur la tempête hussite et la révolution taborite s’ouvre la période moderne. Les contours du drapeau rouge commencent à se dessiner.


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