sur.jpgAyant maille à partir avec la police suisse soupçonneuse vis-à-vis des étrangers, Tristan Tzara s’installe à Paris en 1920, rejoignant le peintre Francis Picabia (1879-1953) qui lui avait rendu visite à Zurich ainsi que soutenu.

Il est alors l’invité « surprise » d’une matinée organisée par la revue Littérature publiée par André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault. Très vite il y a une matinée Dada, où la présence de Charlie Chaplin (censé avoir adhéré au mouvement) est faussement annoncé, et où les manifestes dada sont accueillis à coups de cris et de jets divers d’un public finissant par être évacué.

Il s’ensuit un bulletin Dada, une soirée Dada, l’ouverture d’une librairie-Salon appelé « Au Sans-Pareil », un « Festival Dada », un Salon Dada, etc.salon-dada.jpg

Le mouvement « Dada » n’est toutefois qu’un feu de paille. Une fois passée la surprise, malgré les provocations innombrables de Tristan Tzara, il n’y a pas de proposition culturelle réelle, ce qui ne peut que rentrer en contradiction avec les successeurs des symbolistes-décadentistes.

C’est alors André Breton (1896-1966) qui va mener une offensive anti-Dada. Tristan Tzara parvient à empêcher la tenue d’un « Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne » organisé par André Breton, mais ce dernier vient en juillet 1923 perturber la « La Soirée du Cœur à barbe », blessant un dadaïste d’un coup de canne alors que Tristan Tzara finit par appeler la police.

André Breton devient alors le chef de file de ceux qui vont s’appeler les « surréalistes », lui-même en étant le théoricien, l’idéologue. Il est quelqu’un qui assume entièrement la filiation avec les symbolistes-décadentistes, qu’il considérera souvent comme des « précurseurs » du surréalisme, terme inventé par ailleurs par Guillaume Apollinaire.

Voici comment André Breton raconte la visite, alors qu’il est adolescent, du musée Gustave Moreau, dans une préface à l’ouvrage de Ragnar Von Holten intitulé L’Art fantastique de Gustave Moreau, publié en 1960 :

« La découverte du musée Gustave Moreau, quand j’avais seize ans, a conditionné pour toujours ma façon d’aimer. La beauté, l’amour, c’est là que j’en ai eu la révélation à travers quelques visages, quelques poses de femmes.

Le “type” de ces femmes m’a probablement caché tous les autres : ç’a été l’envoûtement complet. Les mythes, ici réattisés comme nulle part ailleurs ont dû jouer. Cette femme qui, presque sans changer d’aspect, est tour à tour Salomé, Hélène, Dalila, la Chimère, Sémélé, s’impose comme leur incarnation indistincte. Elle tire d’eux son prestige et fixe ainsi ses traits dans l’éternel (…).

Ce musée, rien pour moi ne procède plus à la fois du temple tel qu’il devrait être et du,“mauvais lieu” tel… qu’il pourrait être aussi. J’ai toujours rêvé d’y entrer la nuit par effraction, avec une lanterne. Surprendre ainsi la Fée au griffon dans l’ombre, capter les intersignes qui volettent des Prétendants à l’Apparition, à mi-distance de l’œil extérieur et de l’œil intérieur porté à l’incandescence. »

Dans un article intitulé « Le merveilleux contre le mystère », André Breton précise en quoi il serait parvenu à prolonger le symbolisme pour en même temps le dépasser.

Breton par Man Ray

André Breton par Man Ray

Selon André Breton, le symbolisme cherchait le « mystère ». Il veut dire par là que le symbolisme cherchait un idéal et que celui-ci n’existe pas : André Breton est clairement un artiste bourgeois décadent par rapport aux artistes idéalistes du symbolisme.

Or, le symbolisme était un moyen de justifier la subjectivité et l’élitisme bourgeois : que peut alors défendre André Breton ? Il propose de remplacer le « mystère » par le « merveilleux » ; le surréalisme permettrait de faire se révéler le « merveilleux ».

Les symbolistes-décadentistes étaient portés par une société qu’ils refusaient pourtant en prétendant avoir une perspective suprêmement élitiste. Les surréalistes prétendent que l’idéal n’existe pas mais que le statut suprême de l’artiste ne disparaît pas pour autant : il suffit de se faire « voyant » comme Arthur Rimbaud, même si on ne croit en rien.

Tout est question d’expérimentation ; il faudrait donner libre-cours à son inconscient, à sa subjectivité complète, d’où la fameuse théorie de « l’écriture automatique » où la main deviendrait « libre », l’inconscient la contrôlant pour s’exprimer à sa manière.

André Breton justifie donc le caractère ultra-conservateur des symbolistes-décadentistes en disant qu’ils n’ont fait que se protéger, que les artistes de toute manière seraient le produit d’une « sublimation », concept repris à Sigmund Freud et faisant de l’apparition des artistes une sorte d’acte « magique ».

Voici ce que dit André Breton, développant le thème classiquement bourgeois selon lequel la psychologie de l’être humain se serait toujours davantage développé, jusqu’à se libérer complètement, etc.

« Sous prétexte que l’actualité exige de nous une prise de position plus terre à terre, rien ne serait plus injuste que de tourner en dérision les efforts des poètes du siècle dernier, tout entiers en proie à ce dilemme. Voilà pourtant à quoi une mode intellectuelle récente, d’inspiration soi-disant révolutionnaire, tente de nous induire.

C’est ainsi qu’il n’est question plus ou moins explicitement, dans les commentaires auxquels a donné lieu la commémoration du symbolisme, que de l’indifférence coupable de ceux qui s’en réclamèrent envers les problèmes spécifiques de leurs temps, de leur désertion devant la vie de tous les jours.

À mon sens, on rouvre par là très inutilement une querelle qui trouve tout apaisement dans la prise de conscience du mécanisme de sublimation chez certains êtres à l’exclusion des autres : dérivation et utilisation à des fins communes lointaines « d’excitations excessives découlant des différentes sources de la sexualité ».

De telles dispositions particulières supposent une défiance majeure à l’égard du réel ambiant qui peut aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à la négation totale de ce réel. L’enrichissement psychique indéniable qui, au cours des âges, peut être porté à l’actif du processus de sublimation devrait l’entourer de plus de compréhension et le mettre à l’abri socialement de toute nouvelle menace d’intolérance. »

Toutes ces justifications, André Breton les puise dans une conception « merveilleuse » de l’art, qu’il a formulé dans le « Manifeste du surréalisme ».


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