Documents sur la fondation du Parti Communiste de Belgique
Après avoir publié le rapport de la tendance Jacquemotte organisée en tant qu’aile gauche au sein du Parti Ouvrier Belge (autour du journal « L’Exploité »), nous présentons celui de la tendance Van Overstraeten (organe de presse « L’Ouvrier Communiste »), constituée en Parti communiste Belge depuis le 1er novembre 1920 et reconnu comme tel par le IIe congrès de l’Internationale communiste.
Outre une analyse de la situation en Belgique, les auteurs développent ici tout un argumentaire portant sur leur refus de voir adhérer sans délais le Parti de Jacquemotte à la IIIe Internationale.
RAPPORT DE LA DÉLÉGATION DU P.C.B. A L’EXÉCUTIF DE L’I.C.
Il n’est plus nécessaire de répéter, sans doute, qu’en Belgique la social-démocratie a érigé en système la collaboration avec la bourgeoisie. Avant la guerre déjà, le « positivisme » réformiste, l’ouvriérisme nationaliste uniquement préoccupés de réalisations immédiates, avaient tué dans le Parti Ouvrier Belge tout sentiment et toute pensée révolutionnaire.
Le « marxisme » de ses chefs, de Vandervelde et de Brouckère, n’était qu’une façade plus ou moins maquillée, derrière laquelle s’érigeait un vaste appareil oligarchique, tendant à faire de plus en plus, par ses syndicats et ses coopératives, de la classe ouvrière un élément d’équilibre dans le développement de l’économie nationale.
Nous devons encore insister sur la tradition de passivité, sur l’attachement persistant des travailleurs belges au réformisme, sur la puissance des illusions démocratiques qui pèsent, avec une incomparable lourdeur, sur la classe ouvrière. Le nationalisme de guerre, l’idolâtrie pour les chefs ministérialistes et ministres, le pénible et lourd éveil de l’action révolutionnaire, le combat difficile mené par les Communistes avec ses succès lents et indécis, tout cela est incompréhensible si l’on n’en tient pas compte à tout instant.
L’indécision de la faction oppositionnelle formée au sein du Parti même après l’armistice, son manque de directives révolutionnaires, son attachement, malgré son révolutionnarisme, aux vieilles méthodes démagogiques du vieux parti, tout cela aussi a sa source dans le passé d’un libéralisme ouvrier, conciliant et indécis en toute question de critique et de lutte.
L’on connaît les trahisons de guerre du P.O.B. Cependant, malgré leur horreur, elles semblent encore moins répugnantes que l’attitude de ce parti pendant la grande crise économique. Il a fallu attendre cette dernière pour découvrir bien des aspects de la vigilance raffinée que l’infâme clique de parlementaires, de meneurs met au service du capitalisme.
Alors que la crise progressait tous les jours, accentuait la paupérisation d’une grande partie du prolétariat, le grand-père du réformisme belge, Louis Bertrand, publiait dans « Le Peuple » une série d’articles intitulés : « Le capitalisme belge contre la nation. » Il y s’agissait tout simplement de marquer les « bénéfices exorbitants » et « vraiment insupportables » réalisés par le capitalisme.
Le vieux criminel formula, en conclusion de ses articles, un ridicule projet pour limiter le bénéfice permis au capital. « De cette façon, disait-il, le capitalisme serait quelque peu supportable et cesserait d’agir en ennemi de la Nation. »
Au sein du parti aucune protestation ne s’éleva contre l’attitude de Bertrand.
SITUATION ECONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Les bénéfices accumulés par le capital pendant l’année 1919, étaient en effet, vraiment respectables ! C’était l’époque où Albert Thomas citait partout en exemple la reconstruction de l’économie belge. Et Vandervelde lui-même, aimant à se baser sur « l’autorité de son éminent et grand ami », ne cessait d’affirmer que cette prospérité élevait une véritable oasis de paix et d’ordre dans le chaos mondial actuel.
Le fait est que pendant l’année 1919, la production avait dépassé celle de 1913.
Pendant l’année 1919, les grandes sociétés charbonnières ont accumulé des bénéfices atteignant de 70 % à 400 %.
Sur la base du rendement mensuel moyen atteint pendant les 8 premiers mois de 1920 (soit 1.856.545 T.), on peut déduire que les taux de production atteints correspondent à un rendement annuel de 22.273.550 T. En 1913, la production s’élevait à 22.846.000 T. On exporta pendant les 8 premiers mois de 1920, 22.846.000 T. de houille crue.
Dans l’industrie verrière, les bénéfices ne furent pas moindres. Ils allaient de 150 % à 600 %. Après la guerre, l’industrie verrière eut à répondre aux énormes besoins de la région dévastée de la Belgique, et aussi de l’étranger.
Pendant les 3 premiers trimestres de 1920, la production des verres à vitres atteint 63 % de la production de l’année 1913.
Pour les Glacières, la production, pendant la même période, atteint 98 1/2 % de la production d’avant-guerre. Pour la fabrication de bouteilles, de fioles, etc., la fabrication atteignait, pendant la même période encore, 105 % de la production de 1913.
Dans l’industrie métallurgique, le même phénomène édifiant des énormes bénéfices se réalisa.
Et alors qu’en juin 1913, le nombre d’ouvriers occupés dans l’industrie métallurgique était de 151.228, il était en juin 1920 de 128.895.
Sur les 54 hauts-fourneaux en action en 1913, 10 étaient rallumés au 1er janvier 1920 ; au 31 septembre 1920, 21 hauts-fourneaux étaient en marche ; entre le 1er juillet et le 1er septembre, 4 hauts-fourneaux ont été mis à feu. A cette date, la production journalière s’élevait à 31.169 tonnes, c’est-à-dire à 46 % de la production atteinte au Ier octobre 1913. Pour souligner cette activité, il faut faire remarquer qu’au moment de l’armistice, 51 hauts-fourneaux sur 54 avaient été démolis.
La production de la fonte atteint, en août 1920, 115.015 tonnes, c’est-à-dire 56 % de la production de 1913.
La production des fers fins en août 1920 atteint 16.075 tonnes ou 63 % de la production de 1913. La production des aciers atteint à la même époque 123.364 tonnes ou 60 % de la production de 1913.
Celle des aciers fins atteint 101.312 tonnes ou 65 % de la production de 1913. Celle du zinc brut atteint 71.656 tonnes ou 45 % de la production de 1913.
Dans le textile, l’accumulation des bénéfices est digne de celle produite dans les autres branches d’industrie. En août 1920, la production atteignait 86,40 % de celle de 1913.
Tels étaient les aspects de la reconstruction industrielle en Belgique.
Nous dirons plus loin comment la grande crise vint interrompre la quiétude des accumulateurs de bénéfices.
Les finances d’Etat faisaient pendant tout ce temps un contraste violent avec le succès des entreprises industrielles.
Dans son discours du 25 mai dernier, le ministre des finances 1 reconnaît, tout en voulant atténuer la profondeur de la crise, combien il redoute les problèmes devant lesquels se trouve le pays. Un chiffre total de dette de 40 milliards est en vue. Au début de l’année, la dette n’était encore que de 30 milliards. En regard de ces chiffres formidables, le ministre ne peut montrer qu’un faux enthousiasme pour le « courage fiscal des Belges ». Les recouvrements d’impôts directs et indirects, de taxes et de surtaxes se montrent bien impuissants à combler l’immense gouffre.
Depuis l’armistice, deux milliards trois cent quatre-vingts millions de francs ont été payés.
Il ressort du tableau lamentable que trace le ministre de la situation financière que seul son espoir en les réparations allemandes est marqué avec quelque vigueur. « Notre situation, dit-il, deviendrait horriblement grave, si pas désespérée, au cas où l’Allemagne ne payerait pas. » Les hommes d’Etat espèrent donc que l’accord de Londres sera le remède à tous les maux 2. Ils le commentent longuement, mais avec peine et confusion, pour combattre la profonde crise de méfiance et de scepticisme qui a brusquement succédé à la fin de l’année dernière, au fol optimisme de la bourgeoisie.
Il faut dire cependant que dans les tout derniers temps cette méfiance diminue.
Les subtiles ramifications de la crise financière se remarquent à la situation désastreuse des communes. Des propositions sont faites par les social-démocrates pour que l’Etat prenne à sa charge les dettes des communes. Le prélèvement de taxes nouvelles est envisagé.
La Belgique victorieuse est aussi profondément frappée par la grande crise que subissent tous les pays de l’ancienne Entente. Mais située entre les grandes nations frontières son sort sera, avant tout, réglé par l’avenir qu’y attend la grande finance et la grande industrie.
SITUATION DE LA CLASSE OUVRIÈRE
Le premier rapport signalait les conditions effroyables dans lesquelles se trouvaient avant la guerre les ouvriers du pays, que Marx baptisa de « Paradis du Capitalisme » 3.
En 1913, il y avait en Belgique 33 % du nombre total des travailleurs ne gagnant pas plus de 2 fr. par jour (pour 10 à 14 heures de travail) ; 33 % qui gagnaient de 2 à 4 fr. (pour 9 à 14 heures de travail) ; les autres plus de 4 fr.
Immédiatement après l’armistice, les syndicats augmentèrent leurs effectifs dans des proportions formidables.
Nos suppôts de l’Internationale jaune d’Amsterdam purent signaler avec orgueil leurs 700.000 syndiqués, et faire accroire à ceux-ci que leur embrigadement en grandes masses était une garantie pour de futures victoires.
Avant la guerre, en 1913, le nombre de syndiqués ne dépassait pas 160.000.
Les grandes corporations surtout mineurs, métallurgistes, ouvriers du textile, du bâtiment, cheminots, augmentèrent leurs effectifs. Il se créa également quelques faibles organisations locales d’ouvriers agricoles. Des corporations presqu’inorganisées avant la guerre : vêtements, chaussure, coiffeurs, personnel d’hôtel, virent leurs effectifs syndicaux enfler avec rapidité.
Tous ces travailleurs affluant brusquement dans les rangs des syndicats demandèrent des salaires plus hauts et de plus courtes journées de travail. D’autres revendications furent formulées, mais ne prirent jamais un caractère révolutionnaire (Voir chap. : Grèves et mouvements).
Depuis l’armistice le coût de la vie n’a cessé d’augmenter dans le paradis de M. Vandervelde, cette augmentation atteignait en décembre 1920, 468 % par rapport au coût de la vie en avril 1914 ; les chiffres officiels du ministère signalaient qu’ils avaient baissé en mai 1921 à 390 %.
Avec un sûr instinct, les agents social-démocrates et syndicalistes de la bourgeoisie, comprirent qu’il fallait canaliser, adapter aux besoins de la reconstruction nationale, les forces révolutionnaires encloses dans les grands syndicats. Ils s’attachèrent de toutes leurs forces à cette besogne de trahison.
Pour les cheminots, cette besogne ne coûta guère beaucoup de peines.
Groupement étroitement corporatif, répudiant la lutte de classes, autant dans son esprit que dans ses statuts, organisme de l’Etat bourgeois, garantissant sa fidélité à celui-ci (en Belgique le réseau des chemins de fer est exploité par l’Etat), dominé par des dirigeants réactionnaires et hostiles à tout esprit prolétarien révolutionnaire il mena toutes ses revendications dans un esprit de conciliation, d’étroite collaboration de classe.
La situation spéciale d’une grande quantité de cheminots peut montrer ce qui détermine leur esprit conservateur : la plupart habitent hors des grands centres, possèdent ou louent une maison avec jardin dans lequel ils se livrent à la petite culture. La hiérarchie professionnelle joue également son rôle, ainsi que la stabilité de l’emploi.
Dernièrement fut inauguré à Bruxelles, en plein centre, le local, propriété des cheminots : « La Maison des huit heures ». Il est constitué d’un vaste restaurant-café, plus luxueux que nos grands cafés des boulevards. Les étages supérieurs servent de refuge à l’innombrable bureaucratie qui ronge déjà le corps de cet organisme ouvrier. Ce dernier fait (exemple non isolé en Belgique) et qui confirme la réputation « pratique et réaliste » du gouvernement ouvrier belge, illustre avec force l’esprit petit-bourgeois de cette corporation.
Avec les mineurs, les manœuvres de la trahison demandèrent plus de tact. Cette vieille corporation renferme des masses parfois combatives, capables de sacrifices dans la lutte, souvent pénétrée de virils instincts de classe. Heureusement pour la réaction, les mineurs, dont la flamme de révolte fut souvent exploitée par les provocations électorales ouvriéristes, et par contrecoup, en faible partie, par l’imbécillité anarchiste, n’avaient jamais pu se débarrasser de leurs meneurs bureaucrates, bassement assujettis aux politiciens ministérialistes du social-patriotisme.
Les dirigeants des grandes centrales syndicales, dont plusieurs occupent des sièges de députés, devinrent les intermédiaires intéressés entre le gouvernement d’union démocratique et les masses groupées dans les syndicats.
Successivement on fit miroiter aux yeux des mineurs les « huit heures », des augmentations de salaire, une variation de salaire établie selon l’index de la vie, les pensions de vieillesse, le contrôle des bénéfices, une « nationalisation » des mines, présentée avec tous les camouflages que cette manœuvre bourgeoise comporte. Le fait très important que ces revendications figuraient depuis de longues années au programme des mineurs, facilita la besogne des meneurs.
Le manque absolu de militants révolutionnaires clairvoyants ne permettait pas aux mineurs de déjouer ces manœuvres, et la corporation tout entière fut fortement influencée par les faux appâts de la collaboration de classe.
Ce n’est que ces derniers mois que quelques rares mineurs, entrés au P.C. purent s’opposer à la propagande pour la « nationalisation », dont le ministre social-patriote Wauters s’est fait le champion. Ce dernier, ministre de l’Industrie, du Travail et du Ravitaillement, est le véritable dirigeant de la Centrale syndicale des mineurs, son influence est énorme. Il est, pour tout le mouvement prolétarien de ce pays, l’adversaire le plus redoutable, le plus intelligent et le plus travailleur.
Les métallurgistes et les ouvriers du bâtiment furent égarés par des agissements similaires. Toute l’opération visait à l’apaisement d’une aristocratie ouvrière (ouvriers qualifiés) pouvant faire tampon entre le « pouvoir politique bourgeois et les masses moins favorisées » ; il fallait intéresser par mille attraits fictifs cette aristocratie à la conservation de l’Etat bourgeois.
Les ouvriers du textile de Gand et de Verviers eurent à subir d’abord une période de demi-chômage, mais par la suite l’augmentation des salaires leur créa un relatif bien-être. Les prolétaires de Gand soumis à la férule du ministre socialiste Anseele marchent aveuglément sous ses ordres. Quelques éléments clairvoyants essaient d’y travailler, mais rencontrent d’énormes difficultés et l’hostilité brutale du milieu. A Verviers par contre le prolétariat est plus éveillé, a une certaine soif de recherches qui a pu être mise à contribution par les communistes. Mais là cependant encore le manque d’éléments pouvant donner une impulsion et une ligne politique claire est un sérieux obstacle.
Les anciens combattants, réunis au nombre de 150.000 dans la Fédération nationale des Anciens Combattants (F.N.A.C.) formulèrent des revendications toutes spéciales. Pensions pour les mutilés et invalides ; paiement à tout soldat d’une somme calculée parallèlement à son service de tranchées et qui atteignait jusque 10.000 francs. Les moyens propres à faire aboutir ces revendications créèrent une scission au sein de cette organisation. Quelques avocats en quête de réclame et de nouvelles situations préconisaient la participation aux élections ; ils furent combattus par quelques pantins du P.O.B. (candidats aux élections pour le P.O.B.) qui proposaient la neutralité.
Les scissionnaires créèrent alors une Fédération des Anciens Combattants socialistes qui groupe environ 20.000 affiliés. Ils se distinguèrent des autres par leurs proclamations pacifistes et leur opposition verbale et souvent des plus contradictoires au programme militaire du gouvernement et de la social-démocratie.
La F.N.A.C. compte deux députés au Parlement. Une manifestation organisée en juillet 1920 a abouti à l’occupation, pendant quelques instants, de la Chambre des Députés et quelques jours après à la reconnaissance partielle de leurs desiderata.
Ce groupement est forcément appelé à disparaître et ne survit que par la volonté de quelques arrivistes. Toujours, lorsque nous en avons eu l’occasion, nous avons fait ressortir que les intérêts propres des anciens soldats ne pouvaient en rien se séparer de ceux du prolétariat.
Dans la F.A.C.S. dirigée par des « minoritaires » du P.O.B. s’est fait jours ces derniers temps une proposition tendant à la création d’une coopérative pour la reconstruction de maisons ouvrières dont la propriété effective resterait à la Fédération. Ce projet fut baptisé de « communiste » par le Dr Marteaux, un des plus beaux ornements de l’opposition au sein du P.O.B.
La crise de chômage montra en réalité que la grande majorité de la classe ouvrière s’acheminait vers un paupérisme toujours plus épuisant. L’augmentation des salaires dépassa rarement (excepté dans les grandes corporations) 300 % par rapport aux salaires de 1914, alors que l’augmentation du coût de la vie atteignait presque 500 %.
LA CRISE
Mais bientôt le paradis de la reconstruction nationale allait être envahi par les vagues puissantes de la crise, qui déferlaient également dans ce pays.
La crise, ici comme partout en Occident, allait souligner autant que la guerre même, la trahison social-démocrate. Toutes les réformes par lesquelles on avait maintenu la classe ouvrière dans la passivité, allaient découvrir plus clairement que jamais leur duperie. Le chômage grandissant allait peser de tout son poids sur les châteaux de cartes du réformisme.
Les seigneurs du textile, pendant l’année 1919, avaient réalisé un bénéfice de 279 % sur le capital engagé. Les travailleurs du textile allaient être atteints les premiers, avec le plus de violence. Tous les grands centres de l’industrie textile (Gand, Alost, Verviers) subissaient la crise. Le nombre des chômeurs augmente tous les jours. De nombreuses usines diminuent les heures de travail. Dès le début de la crise, les industriels prononcèrent leurs manœuvres pour la diminution des salaires. Souvent, ils réussirent. Les ouvriers ne pouvant nullement s’appuyer sur l’appareil bureaucratique des syndicats, se trouvent acculés à la défaite.
L’industrie diamantaire subissant les conséquences de l’inquiétude capitaliste, semble dépérir entièrement.
A Anvers, 8.000 sur 12.000 diamantaires chôment sans espoir de retour au travail.
La construction navale, les travaux du port, l’industrie verrière sont frappés très lourdement.
Les industries métallurgiques et minières s’attendent à être atteintes plus lourdement chaque jour.
Aucune industrie n’est entièrement indemne. On ne peut établir en ce moment le nombre exact des chômeurs, mais ils sont certainement 150.000. En Flandre 80 % des ouvriers du textile chôment.
Dès les débuts de la crise, les caisses de chômage des syndicats, dont les finances sont toujours fortement éprouvées par de formidables besoins bureaucratiques, ne purent donner aux ouvriers qu’une aide dérisoire.
Péniblement, le P.O.B. élabora un programme devant solutionner la crise. On distingue dans ce programme 4 points principaux :
1) Augmentation de l’indemnité de chômage (avec intervention de l’Etat).
2) L’exécution des grands travaux publics projetés par le gouvernement d’union sacrée.
3) La réquisition des matières premières.
4) La réquisition éventuelle des usines et la mise sous contrôle gouvernemental de leur production.
Inutile de faire ressortir toute l’hypocrisie dont est pénétré ce programme. Mais ce qu’il convient de souligner, c’est l’approbation donnée par la gauche « révolutionnaire » à ce programme démocratique. Tout au plus émet-elle une critique sur la lenteur que l’on apporterait à sa réalisation.
Ce programme est entouré de quelque bruit, de quelque tapage.
Quelques appels révolutionnaires sont lancés. Mais, dans les coulisses, le jeu des tractations, des conciliations, des ententes « démocratiques » avec les industriels est poursuivi avec frénésie. Il est visible que secrètement, la diminution des salaires a le consentement des social-patriotes et des dirigeants des syndicats. Le ministre socialiste Wauters et la Commission Syndicale approuvent ouvertement cette diminution. Il est vrai qu’ils ajoutent qu’ils veulent d’abord les preuves que le coût de la vie diminue !
Pour le P.O.B. il reste pendant la crise comme pendant la guerre le gros espoir de la bourgeoisie. C’est au P.O.B. qu’elle compte tacitement confier la solution des difficultés mortelles dont la crise la menace. Le P.O.B. met toute son âme de traître à cette besogne.
Il semble, d’après les derniers renseignements que le nombre de sans-travail va en s’accentuant et a atteint ces derniers jours 200.000.
Le « Fonds national de crise » institué par le gouvernement d’union sacrée sur proposition de Wauters, avec le concours des conseillers techniques du P.O.B. et d’accord avec la bureaucratie syndicale, continue à assujettir les masses aux besoins et aux intérêts de la bourgeoisie 4.
Le secours-chômage distribué par l’Etat est augmenté en de nombreux endroits par les versements spéciaux des communes et des provinces. Les chômeurs sont soumis à un contrôle rigoureux. Ce contrôle et le paiement des indemnités sont effectués par la bureaucratie syndicale : seules les organisations ouvrières servent d’organes officiels pendant la crise.
Les secours ainsi obtenus ne correspondent évidemment pas aux taux des salaires. Aussi des protestations se font-elles jour. Mais la longue habitude, contractée pendant la guerre, de se soumettre à la mendicité officielle, pèse sur tous les gestes des travailleurs.
En un trimestre, une somme d’environ 42 millions de francs a été payée aux ouvriers sans travail. Pour juger de l’importance de cette somme nous signalons que pendant la même période, les exportations totales se sont montées à 918 millions de francs ; et que 70 millions de francs furent perçus en 4 mois comme bénéfices de guerre sur 480 recouvrables).
SITUATION SYNDICALE
Nous ne pouvons donner ici des détails sur l’organisation syndicale en Belgique. Elle diffère d’ailleurs souvent dans ses formes de région à région ; cependant partout elle est uniquement dirigée par une bureaucratie toute puissante. Cette dernière forme une véritable caste qui parle, décide de sa propre autorité, dirige, ordonne et contrôle tous les gestes du prolétariat.
Depuis l’armistice, l’action syndicale a été canalisée par la constitution de « commissions mixtes » de commissions paritaires, locales, régionales et nationales.
Toutes les corporations ont leur centrale nationale, et cette dernière année a été marquée par la fusion de diverses centrales corporatives en syndicats d’industrie.
Cette transformation ne revêtait qu’un caractère purement administratif, de centralisation mécanique et d’adaptation aux nécessités de la « reconstruction nationale » ; mais cela même ne fut pas compris par celui qui fait figure « d’opposition », au sein du mouvement syndical (Jacquemotte, secrétaire de la Centrale Nationale des Employés) qui a combattu le syndicat d’industrie en lui opposant le syndicat corporatif.
L’organe central des syndicats est la « Commission Syndicale ». Il groupe l’immense majorité des organisations ouvrières, et quoique se prétendant autonome, il est, en fait, absolument lié au P.O.B. D’ailleurs, en dehors des cheminots, typographes et tramwaymen, toutes les autres corporations sont affiliées directement au P.O.B.
Les syndicats et leur organe central, la C.S., sont devenus de véritables organisations de l’Etat bourgeois. Le secrétaire général de la C.S., Mertens, est conseiller technique gouvernemental et vice-président de l’Internationale d’Amsterdam. Les secrétaires des grandes centrales professionnelles sont presque tous conseillers gouvernementaux et toute la racaille de la bureaucratie siège avec les délégués nationaux et gouvernementaux dans les commissions mixtes.
Le ministre Wauters dirige le concert, tandis que de Brouckère est le grand conseiller de cette formidable trahison. Nous pouvons d’ailleurs affirmer que de Brouckère dirige, dans les coulisses, toute la politique de reconstruction de l’Internationale d’Amsterdam.
Comment fonctionnent toutes ces organisations ?
Hormis dans quelques rares syndicats les réunions générales sont rares. Ainsi les métallurgistes, soit à Liège, soit à Bruxelles, ne se réunissent que tous les 4 ou 5 mois, et même 1 fois l’an. Et là où les réunions sont plus fréquentes, l’on n’y trouve qu’un pourcentage ridicule de présence, comparativement au nombre d’inscrits.
Dans le bassin de Liège, où la base de l’organisation syndicale est le conseil d’usine, le sectionnaire seul a le droit de convoquer et de n’y faire discuter que les questions soumises par le comité central uniquement composé de bureaucrates entièrement dévoués à la bourgeoisie. Dans ces conditions, le « noyautage » pratiqué aux assemblées devient une véritable fiction.
Aussi les communistes n’ont-ils cessé d’indiquer l’utilité et la nécessité de la propagande à l’usine, au chantier et à la mine, directement.
D’un autre côté, la valetaille syndicaliste a pris d’habiles dispositions pour éviter les grèves et les mouvements spontanés. Aussitôt qu’un conflit surgit, les délégués ont pour devoir de rechercher le maximum d’entente possible avec le patronat, et si l’accord ne peut se faire, ils doivent avertir de suite le comité central qui lui seul négocie et donne, éventuellement, l’ordre de grève.
Les effets de ces manœuvres sont désastreux et nous voulons l’illustrer par un mouvement tout récent : à Ougrée-Marihaye éclate une grève partielle de métallurgistes, en accord avec la bureaucratie syndicale ; la « Ligue Civique » (garde blanche) intervient pour briser la grève, mais spontanément les autres prolétaires, fouettés par cette attaque, lâchent les outils et un mouvement général de solidarité se dessine rapidement dans les rangs des mineurs.
C’en était trop, et immédiatement les bureaucrates brisent tout le mouvement et vouent les travailleurs en lutte à un échec certain. Encore bien plus grave : ils font reposer toute la lutte sur la résistance financière du syndicat et en ce moment, la lutte qui englobe 8.000 ouvriers a perdu tout caractère combatif et toute perspective d’éducation révolutionnaire 5.
Il est donc facile de saisir que toutes les décisions prises soit par la C.S., soit par les Congrès, ne reflètent en rien la volonté des travailleurs. La C.S. ne réunit que les bureaucrates ; les Congrès de même ; ils y parlent, discutent et décident de leur propre volonté.
Au sein de la C.S., il n’y a guère d’opposition. Tout au plus y rencontre-t-on une vague critique, menée par Jacquemotte et un ou deux de ses amis concernant la lenteur apportée dans la réalisation des revendications.
Nous voulons souligner avec force les points suivants :
1) Le programme de reconstruction d’Amsterdam ne rencontra de la part de Jacquemotte aucune opposition.
2) Le programme élaboré par le P.O.B. et la C.S. pour solutionner la crise eut l’approbation de cette même « opposition » de bureaucrates représentée par Jacquemotte et Everling.
Ce programme est déjà signalé précédemment et il n’est pas nécessaire d’en faire ressortir le caractère démocratique, la volonté contre-révolutionnaire.
Nous avons indiqué également déjà le mouvement contre l’impôt sur les salaires et l’attitude centriste des opposants, en cette question. Il nous faudra cependant signaler que Jacquemotte en cette circonstance avait reçu mandat de son organisation de combattre toutes mesures fiscales de la bourgeoisie, mais il préféra s’acoquiner aux manœuvres conciliatrices du secrétaire général de la C.S. et trahir son mandat.
En d’autres circonstances : mouvement contre la vie chère, crise des logements, son attitude et celle de son groupe furent des plus ambiguës et souvent des plus ridicules.
La crise actuelle est marquée par l’attaque violente patronale contre les salaires. La classe ne fait qu’une très faible opposition.
Nous constatons que diverses commissions mixtes de différentes industries se sont mises d’accord pour une baisse systématique et coordonnée des salaires, spécialement dans la métallurgie.
Les cheminots qui menaçaient de la grève générale, se sont finalement contentés de déclarations ministérielles au Parlement. Chez les mineurs, la démagogie des chefs, l’exaltation de la reconstruction nationale et la baisse du coût de la vie semblent opérer avec grand succès ; nous ne pouvons juger en ce moment quelle opposition se manifeste parmi les mineurs.
En opposition à cela, nous trouvons de violentes déclarations de la C.S. qui masquent son inactivité et sa volonté hypocrite de se soumettre à tous les besoins du capitalisme.
Il y a environ 200.000 chômeurs, secourus par le « Fonds de crise » institué par le gouvernement. Les syndicats, organismes de l’Etat bourgeois, sont chargés du contrôle des sans travail. La note suivante explique mieux que tout commentaire le travail combiné des social-traitres et des valets syndicalistes.
« Lorsque des ouvriers refusent d’accepter le travail qui leur est offert, si le patron ne consent pas à leur permettre de se rendre au contrôle, ce dernier rendrait un signalé service au pays en faisant connaître immédiatement au Fonds National de crise le nom du délinquant. Celui-ci sera immédiatement rayé pour avoir refusé le travail qui lui est offert. »
« Les chômeurs qui bénéficient des allocations du Fonds National de crise sont tenus de se faire inscrire dans les Bourses officielles du Travail. Si un emploi répondant à leurs capacités et aux conditions fixées par les usages locaux est refusé par eux, les allocations leur seront retirées. »
Les Bourses officielles du Travail ont été installées par le ministre socialiste Wauters.
Ceci condamne sans appel la politique conciliatrice et verbalise des soi-disant révolutionnaires du P.O.B.
Il nous reste encore à signaler que la campagne entreprise par les communistes pour la transformation de l’organisation syndicale, pour l’éclosion de conseils d’usine fut combattue par Jacquemotte et ses amis. Il y a quelque trois mois, il sembla se rallier à leurs conceptions, mais ne fit effectivement que caricaturer leurs projets.
La question de la désaffiliation des syndicats du F.O.B. que Jacquemotte défendait avant la guerre, et qu’il avait abandonnée depuis deux ans, est reprise maintenant dans un but purement déterminé par des considérations momentanées, accidentelles, avec tapage et maladresse. Il est à craindre que dans ce pays, pourri de social-patriotisme et de démagogie, l’amour de l’action bruyante, de façade, que choisissent les minoritaires, n’amène de grandes difficultés pour l’action des révolutionnaires au sein des syndicats.
LES GRÈVES ET LES MOUVEMENTS
Malgré les manœuvres d’apaisement, de conciliation, du jeu sournois des contrats de travail des projets de nationalisation et de création de conseils d’industrie (forme Giolitti) 6, les grèves ne cessèrent d’éclater nombreuses mais fugitives, avec une force d’action révolutionnaire très minime.
Il y a eu au cours de l’année dernière 552 grèves et 11 lock-outs. 330.141 ouvriers ont participé aux grèves : 289.190 comme grévistes et 40.951 comme chômeurs forcés. Les Lock-out intéressaient 7.002 ouvriers. Les grèves ont affecté 2.329 entreprises et les lock-outs − 64.
Les industries les plus diverses furent frappées, mais c’est dans la métallurgie qu’il y eut le plus grand nombre de grèves 130 ; par contre, c’est dans les mines que se compte le plus grand nombre de participants 190.000 ; le vêtement, petite industrie, détient le record du nombre d’affiliés affectés : 344.
Les motifs des divers mouvements sont : augmentation de salaire, reconnaissance syndicale, réduction de la durée du travail et application de la journée de 8 heures, refus de travailler avec des non-syndiqués. Mais le plus généralement les demandes d’augmentation de salaire ont été la cause des grèves 366 ; 36 conflits seulement eurent pour cause la réduction des heures de travail.
Les lock-outs eurent pour causes, soit le refus patronal de se soumettre aux revendications ouvrières, soit les grèves elles-mêmes.
La durée des grèves est consignée dans le tableau suivant (il faut noter qu’il fait abstraction de 2 grèves de mineurs avec plus de 100.000 grévistes) :
47 avec 11.296 grévistes ont duré 1 jour
130 avec 65.335 grévistes ont duré 2 à 5 jours
94 avec 82.301 grévistes ont duré 6 à 10 jours
63 avec 81.089 grévistes ont duré 11 à 15 jours
36 avec 8.888 grévistes ont duré 16 à 20 jours
30 avec 13.234 grévistes ont duré 21 à 30 jours
86 avec 27.047 grévistes ont duré plus de 30 jours
Les statistiques signalent 167 grèves avec 89.492 grévistes terminées par une transaction, et 182 grèves avec 54.600 grévistes perdues.
De janvier à septembre-octobre, le nombre des chômeurs cessa de diminuer.
Par arrêté ministériel, en date du Ier septembre 1920, l’intervention de l’Etat dans le secours-chômage était supprimée après le 13 novembre 1920.
Le déroulement des événements voulait que novembre connût le commencement de la grande crise et de la recrudescence du chômage.
Parmi les dernières grandes grèves, il faut souligner la lutte de novembre menée par les mineurs de Charleroi (48.000 grévistes). Ils espéraient soulever un mouvement de solidarité dans les autres bassins houillers, mais la bureaucratie entra en jeu avec tout son appareil démagogique et divisa les bataillons ouvriers des régions minières.
Les mineurs de Charleroi revendiquaient une augmentation de salaire de 5 francs par jour. L’élan fut vigoureux, enflammé et découvrit un terrain fertile pour la propagande communiste. L’action des mineurs-communistes et une énergique agitation signala les communistes à la sympathie vivante des masses et parvint à discréditer la bureaucratie aux yeux des meilleurs éléments.
Dans la même région, les ouvriers, sous la menace d’un renvoi, occupèrent spontanément, il y a trois mois, deux usines. Bien que cette occupation fût faite sans directives précises, qu’elle ne fut qu’un signe fugitif de révolte spontanée contre les agissements brutaux du patronat, elle est dans ce pays de domination bureaucratique, infiniment précieuse.
Plus que toute propagande verbale ou écrite, de tels événements, aussi faibles soient-ils, contribuent à l’éveil de l’instinct de classe. Aussi cette action permit aux communistes d’en retirer non seulement une occasion d’accentuer et de préciser leur propagande, mais d’amener au Parti les ouvriers qui avaient guidé l’occupation.
Depuis, d’autres usines ont été occupées. La bureaucratie syndicale veillait à l’apaisement des conflits. Mais l’attention des ouvriers du pays entier est éveillée. Le mot d’ordre de l’occupation des usines, ici comme ailleurs en Occident, est peut-être destiné à devenir de plus en plus précieux dans la tactique générale.
En octobre-novembre 1920, un autre événement montre également le réveil de l’instinct de classe.
La Chambre législative venait de voter la loi de l’impôt sur les salaires 7. Toute la racaille parlementaire de la social-démocratie vota la loi. Cette brutale attitude réactionnaire vis-à-vis des salariés, dans un pays où le capital venait d’exploiter une plus-values formidable souleva une indignation profonde dans beaucoup de milieux ouvriers. Pour beaucoup d’entre eux, cette attitude de la social-démocratie révéla la vraie nature de celle-ci. Ils eurent le sentiment net que désormais le drapeau rouge ne faisait que camoufler le plus dangereux repaire de la bourgeoisie.
Mais également à cette occasion (comme en bien d’autres) nous eûmes à combattre avec brutalité et netteté contre la gauche du P.O.B. embourbée dans l’opportunisme pacifiste. Elle soutenait en cette matière : l’immunisation de l’impôt d’un salaire-minimum, l’augmentation de l’impôt sur le capital.
SITUATION POLITIQUE
A. Au cours de tous ces événements, le P.O.B. reste donc fidèle à son programme : reconstruction du capitalisme mondial.
Pour atteindre ses fins, il emploie surtout les mesures suivantes :
1. − Discréditer systématiquement toute influence de la Révolution russe, en particulier et de tout mouvement révolutionnaire en général.
2. − Pour l’intérieur, tout est mis en jeu pour la défense des réformes démocratiques. Dans les journaux, on allonge d’infinis commentaires concernant ces réformes ; souvent pour en masquer l’hypocrisie, on engage une polémique verbeuse avec les journaux bourgeois.
3. − La canalisation systématique de toutes les grèves par les valets syndicalistes, et de tous les mouvements, vers des fins démocratiques.
Au mois de mars au cours d’une discussion à la Chambre, se rapportant à la crise industrielle, M. Wauters déclara à ses confrères :
« N’oubliez pas en tous cas ceci : que vous le vouliez ou non, vous aurez toujours affaire en pareil cas aux associations ouvrières et dès lors, il vaut mieux faire appel à leur concours et donner au ministre plutôt qu’au gouvernement le droit d’accorder des dérogations ».
Cette déclaration illustre brutalement toute l’attitude social-démocrate.
B. Au cours de l’année, les minoritaires du P.O.B. ne se sont pas départis un seul instant de l’attitude flottante, ambiguë, qui fut la leur depuis l’armistice.
La tactique qu’ils s’étaient assignée sous le drapeau du centrisme a complètement avorté.
Ce qui fut possible aux longuettistes en France, ne leur fut pas possible ici. Ils furent déçus dans leur espoir de conquérir, de l’intérieur, la majorité du P.O.B.
Cependant, un congrès restreint du P.O.B. ayant décidé en novembre dernier la dissolution des groupes qui avaient pour but la diffusion de « L’EXPLOITE » (l’organe de la minorité) les minoritaires s’insurgèrent. Ils réclamèrent le maintien de leurs organismes de diffusion.
La majorité fit remarquer qu’ils dépassaient leurs droits en convoquant des congrès particuliers de leurs groupements, congrès qui devaient avoir pour but de créer une organisation politique nouvelle dans l’organisation politique du Parti. Ce conflit qui se prolongea pendant de nombreux mois, aboutit au congrès des minoritaires du 27 février.
Le congrès lui-même marqua un manque de clarté et beaucoup d’hésitation. Jacquemotte manifesta visiblement encore son intention de rester au parti, tandis que la majorité des éléments des divers groupes inclinèrent vers la rupture.
Le Congrès chargea une commission d’élaborer un programme d’action dans le but de le soumettre à un congrès ultérieur.
Pendant tout ce temps, au cours de toutes les luttes et de tous les événements politiques, le P.C.B. fut obligé de critiquer très âprement l’attitude des minoritaires. Voici quelques-unes des raisons qui nous obligeaient de veiller avec vigilance à la stigmatisation de la phraséologie révolutionnaire et des obscures manœuvres de tactique.
1. − L’absence, en ce pays, depuis bien longtemps de toute manifestation d’une tradition révolutionnaire. Il n’y eut, avant la guerre, qu’une très faible opposition théorique au réformisme (De Brouckère, De Man)
Une phraséologie sentimentale fut toujours le bagage intellectuel d’une nombreuse clique de meneurs prenant le Parti Ouvrier comme champ d’exploitation. Toute la structure de celui-ci a abouti à la consolidation d’un réformisme de collaboration entièrement assujetti aux intérêts nationalistes.
2. − Le réformisme politique trouvait un appui constant dans le pacifisme ouvriériste des syndicats et des coopératives. Le réalisme des organisations ouvrières permettait d’autant plus le chantage électoral que jamais il n’aurait pu entraîner la moindre conséquence révolutionnaire. Aussi usa-t-on abondamment, pendant quarante ans, de ce chantage.
Après la guerre, l’étroite union de l’opportunisme syndical et du réformisme politique, trouvait sa consécration symbolique : les dirigeants des grandes centrales syndicales (métallurgistes, mineurs) occupent un siège de député (Fallony, Van Walleghem, Lombard, Delvigne et d’autres). Cela montre combien le P.O.B. se rapproche, malgré les différences de forme, de l’esprit du labourisme anglais.
3. − Ce réformisme n’a pu tant dominer la classe ouvrière de Wallonie industrielle qu’à force de confusion et de démagogie. Cette classe ouvrière souvent ardente, capable d’élan et de sacrifices a à son actif une suite de révoltes et de luttes sanglantes (1886-1893-1902) montrant la force de ses impulsions 8. Les conditions effroyables du paupérisme, des salaires excessivement bas et de très longues journées de travail rencontrèrent, de la part des masses, de puissantes ripostes.
4. a) Les provocateurs électoraux que furent Destrée et ses fidèles, exploitèrent bassement, pendant 25 à 30 ans, les illusions démocratiques des masses. Quand des mouvements éclatèrent des leçons claires ne furent jamais tirées de leur déroulement. Le verbalisme de ces agents de la bourgeoisie grisa quelquefois les travailleurs, mais jamais on ne fit un effort sérieux pour éveiller en eux une claire conscience de classe 9.
b) Les pétarades de quelques imitateurs inconscients du syndicalisme révolutionnaire français 10 ne se distinguèrent des politiciens réformistes que par la suspicion sentimentale qu’ils jetèrent sur le parlementarisme.
c) Ces longues pratiques ont évidemment contribué fortement à créer une tendance tenace à la passivité, à la profession de la désillusion et souvent du désespoir. Elles ont laissé libre-champ aux aventuriers les moins scrupuleux, qui, à la faveur d’une éloquence affreusement « creuse », se sont emparés des postes de dirigeant. Les éléments bourgeois qui furent attirés par le mouvement ouvrier ne furent jamais pénétrés de cette ardeur désintéressée qui, souvent, dans le mouvement international, fit leur grandeur.
A ces observations générales sur l’état d’avant-guerre, se rattachent immédiatement celles que l’on peut faire sur les événements, les tendances et l’action d’après-guerre :
1) Les difficultés économiques, les destructions de guerre, la misère des masses faisaient couver la révolte. Le gros contingent des agents de la social-démocratie collaboratrice parvint, sans trop de difficulté, à canaliser cette révolte, à l’adapter aux visées de la reconstruction nationale. Le gouvernement d’union démocratique jeta les appâts de ses réformes et parvint à maintenir les grosses corporations à sa remorque. Le ministre Wauters par l’intermédiaire des dirigeants des centrales syndicales, directement assujetties à sa volonté, fit luire aux yeux des mineurs par exemple, les avantages de la nationalisation, des salaires réglementés selon l’index number, les huit heures, du contrôle des bénéfices patronaux.
Nous avons déjà dit que la manœuvre visait à la constitution d’une grosse aristocratie ouvrière faisant tampon entre les masses moins « avantagées » et le pouvoir politique bourgeois.
2) Cependant, l’opposition au ministérialisme ne tarda pas à surgir dans certains milieux. L’anti-ministérialisme fut le drapeau des minoritaires du P.O.B. et de leur journal « L’Exploité ». Ce journal et les groupements qui furent, par la suite, constitués pour le soutenir ne parvinrent jamais à préciser une directive révolutionnaire nette. Pendant deux ans ils agirent sans programme aucun. Il en résulta que l’opposition resta toujours trouble, chaotique, toujours exposée à la dérision et aux attaques, adroites parfois, des réformistes.
Aussi la crainte qui s’imposa fut que les agissements obscurs, contradictoires, perpétrés après l’armistice par les minoritaires n’aboutissent à un nouvel écumage de l’ardeur révolutionnaire qui pouvait se manifester dans les masses.
Les hommes qui prirent la direction du mouvement se confinèrent, tel Jacquemotte, dans un révolutionnarisme alimentateur, incapable de susciter parmi les travailleurs la claire vision des faits. Massart qui, quelquefois, fit exception, retomba aussitôt dans un doctrinarisme rigide de vieux social-démocrate d’avant-guerre.
Or, les circonstances demandaient une attitude des plus nettes, un démarquage systématique de toutes les méthodes démocratiques, poursuivi avec une dialectique révolutionnaire souple et claire.
Ce fut de l’aspiration à cette clarté que naquit le premier groupe communiste de Bruxelles, au mois de janvier 1920, et composé d’éléments anciens des Jeunes Gardes Socialistes.
Le confusionnisme des minoritaires rendait le travail et la propagande des communistes particulièrement difficile. Mais il y eut une grande quantité de cas concrets où l’idéologie et la tactique des communistes heurta de front les agissements des minoritaires. Ceci se présenta surtout au cours des luttes syndicales. Au sein du syndicat des employés, dont le chef de la minorité socialiste, Jacquemotte, est le secrétaire, le camarade Coenen dut constamment combattre le plus plat réformisme.
Les communistes qui avaient, certes, à redouter leur faiblesse numérique savaient, d’autre part, très bien que leur sortie du P.O.B. ne leur faisait pas perdre un seul instant le contact avec les masses, voici les raisons qu’ils émettaient pour expliquer cette assurance :
1. − Les Ligues ouvrières (groupes politiques locaux du P.O.B.) ont depuis longtemps cessé de manifester leur activité politique. La minime partie de petits-bourgeois qui y traînent leurs habitudes périmées sont à jamais perdus pour l’action. Et les ligues elles-mêmes n’ont aucun contact avec les masses.
2. − Bien que les Syndicats soient affiliés au P.O.B. nous y restons pour y démasquer le réformisme des majoritaires et des minoritaires. Nous y pratiquons le noyautage.
3. − Mais encore, nous ne nous faisons pas d’illusions sur les possibilités dans les Syndicats, d’une agitation fructueuse. Les assemblées syndicales réunissent un nombre dérisoire de membres par rapport au nombre total des inscrits. D’autre part, les assemblées sont rares. Dans la région de Liège, les sections des métallurgistes et des mineurs se réunissent tous les trois mois.
D’autres organismes sont mis en marche par le gouvernement bourgeois même ou le seront bientôt : conseils d’industrie, conseils des mines. Il faut agir et il faut toujours agir davantage dans ces organismes pour que le Capital n’en fasse pas les plus redoutables moyens de domination sur la classe ouvrière.
Le mouvement profond des Shop Stewards anglais 11 se mouvant dans les conditions les plus assimilables à celles qui nous entourent a montré la voie fructueuse de l’agitation directe dans les usines, les fabriques, dans tous les milieux de travail.
Au cours des événements, la confiance des communistes en leur tactique n’a cessé de se renforcer. Voici quelques raisons qui l’expliquent.
a) La conquête de la majorité dans les congrès du P.O.B., conquête qui était l’objectif des minoritaires, les conduisait visiblement à un échec. La tactique poursuivie par l’ancienne minorité longuettiste du P.S.F. ne pouvait être importée en Belgique avec succès.
Les manœuvres de congrès qui, successivement, furent possibles en France aux longuettistes et à la fraction Cachin-Froissard 12 avortèrent entièrement ici. Pour déterminer toute la fausseté de cette tactique d’imitation, il faudrait faire une caractéristique des traditions du P.S.F. en opposition avec les traditions du P.O.B.
Au congrès du 27 avril, Jacquemotte, déconcerté par le nombre minime des membres inscrits aux groupements minoritaires, s’écria :
« Pourrons-nous songer à une campagne électorale avec un parti qui ne comprendrait que 600 membres. »
Il révélait en même temps les préoccupations, avant tout, électorales de la minorité. Et il était caractéristique qu’en même temps, aucun regard ne fut jeté sur l’état intérieur de ces faibles groupements.
b) Pendant ce temps, des groupements communistes ont été formés dans les centres industriels, mais ils sont bien fragiles encore. La clarté de vue y manque encore souvent. Mais leur action s’est affirmée. Le sens de la nécessité de la lutte dans tous les cas concrets s’est développé avec une vivante discipline de parti.
Le contact avec les masses s’est toujours développé par la propagande révolutionnaire dans les syndicats, dans tous les lieux de travail où se trouvent les communistes. Le nombre des conférences et des assemblées a été sans cesse multiplié. Au cours de la dernière grande grève des mineurs, les communistes éveillèrent, par une agitation ardente, l’intérêt vif des masses pour leurs directives.
Pas un seul instant ne fut perdu de vue que tout en maintenant le contact avec les masses, il est de toute nécessité, pour démasquer nos ennemis social-démocrates, de stigmatiser sans équivoque, toutes les illusions démocratiques.
Ce combat impitoyable contre les duperies réformistes, contre les hésitations centristes ébranla fortement les meilleurs éléments de la minorité. Ils se tournèrent contre l’attitude ambiguë de leurs chefs et les menacèrent de rallier le parti communiste. D’autre part, un recrutement lent mais incessant s’opéra.
Le P.C.B. a toujours évité, étant donné l’état hétéroclite de la minorité du Parti Ouvrier de brusquer le rapprochement. Cette minorité avait toujours remplacé un langage révolutionnaire par un révolutionnarisme de phrases. Elle se montrait également hésitante et confusionniste dans la propagande et dans l’action. Pénétrée aussi de romantisme petit-bourgeois, elle remplaça la plupart du temps l’énergie des critiques par le bluff et la fanfaronnade.
Depuis le IIe Congrès de l’Internationale Communiste, le P.C.B. a tenu un congrès le 31 octobre et le 1er novembre dernier. Les thèses du IIe Congrès de la IIIe Internationale y furent adoptées, à l’exception de la thèse sur le parlementarisme. Pour ce qui concerne cette thèse, il fut proposé de soumettre la situation spéciale en Belgique au Comité Exécutif de la rue Internationale, de lui demander de trancher cette question. Il a aussi fallu quelques mois pour coordonner les groupements de la Fédération flamande 13.
L’éducation révolutionnaire pratique et théorique, poursuivie par le P.C. n’a pas cessé d’étendre ses résultats. L’agitation dans les syndicats et au cours de mouvements de grève a été intensifiée sans cesse.
Pour soutenir et étendre l’influence de l’organe du Parti « L’Ouvrier Communiste », la vente personnelle a été imposée aux membres des groupes. L’organe tire à 4.000 exemplaires. Il y a quelques semaines, le parti a également pu faire paraître un organe en langue flamande, « De Kommunistische Arbeider ». Le nombre de conférences et des réunions organisées par les groupes locaux du parti a pu être multiplié sans cesse. Leur assistance de plus en plus nombreuse marque le progrès de la pénétration des communistes dans la masse. Mais le parti lui-même ne compte encore que 500 membres.
Pendant les derniers mois le parti s’est, avant tout, préoccupé de la propagande dans les syndicats. Une commission spéciale fut mise à l’œuvre et chargée de déterminer une tactique souple et avertie, tenant compte de la complexité du problème syndical.
L’expérience des deux dernières années a confirmé qu’une attitude révolutionnaire ferme, dans la propagande et dans l’action, peut seule ébranler les masses chloroformées par le réformisme. S’il faut éviter le sectarisme de coterie, une claire expression de nos directives est nécessaire.
Il était visible qu’en Belgique où la pourriture opportuniste a pénétré dans toutes les branches de l’organisation ouvrière, ne pouvait surgir brusquement un organisme communiste de masses.
C’est au cours des luttes qu’il faut prévoir, vu les énormes difficultés économiques devant lesquelles se trouve le pays, que les rangs de l’organisation communiste grossiront. Il faut, avec cette perspective devant les yeux, consolider l’avant-garde afin qu’elle puisse conquérir les qualités d’impulsion et de clairvoyance nécessaires.
L’ancienne minorité du P.O.B. devant un échec de plus en plus évident, vient d’abandonner sa première tactique. Elle a renoncé à faire la conquête de la majorité au sein du P.O.B. Elle sort, avec une faible fraction, du vieux parti ouvrier. Pour expliquer cette sortie, elle reconnait les faits avec lesquels les communistes argumentent depuis deux ans. Cette scission provoquera, il faut prévoir, la fusion des communistes et des minoritaires.
Ceux-ci reconnaissent le programme de l’Internationale Communiste. Mais comme ils réunissent les éléments les plus confus, les plus hétéroclites, les communistes auront à livrer une dure bataille pour faire dominer la clarté.
Pour la délégation du P.C.B.
W. Van Overstraeten
Coenen Félix.