Forces murales (Louis Deltour, Edmond Dubrunfaut, Roger Somville)

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Documents sur la fondation du Parti Communiste de Belgique

Début juillet 1921, des délégations des deux partis communistes étaient présentes à Moscou pour discuter des problèmes belges avec le Comité exécutif de l’Internationale. La délégation de « l’aile gauche du P.O.B. » − appellation qui lui fut donnée à Moscou − était composée de Joseph Jacquemotte et Robert Poulet, celle du P.C.B. reconnu de War Van Overstraeten et Félix Coenen.

Un rapport rédigé par Jacquemotte fut remis le 13 juin au Comité exécutif. Un autre rapport portant les signatures des délégués du P.C.B. fut remis au même organisme. Ce dernier document reprenait, dans le contexte d’une analyse de la situation en Belgique, toutes les critiques (et parfois les insultes) lancées par le groupe contre le P.0.B. et les « centristes ». Il admettait toutefois la nécessité de la fusion.

C’est le 13 juillet que les deux délégations furent reçues par le Comité exécutif de l’I.C. Zinoviev, président du C.E., dirigea les débats. A ce stade des pourparlers, on était d’accord de part et d’autre sur le principe de la fusion, mais il subsistait des divergences sur les méthodes à employer.

Van Overstraeten présenta un projet de motion spécifiant que la fusion devait être réalisée dans les deux mois et préparée par une commission composée de quatre représentants de chaque parti. Toutefois, pour lui, le parti de Jacquemotte ne devait pas être admis à l’I.C. tant que la fusion ne serait pas accomplie et « L’Exploité » n’était pas désigné pour devenir l’organe du parti communiste unifié.

Jacquemotte accepta la création d’une commission mixte, tout en proposant d’étendre sa compétence à toutes les questions pendantes, notamment celle du journal. Il insista pour que son parti fût admis immédiatement à l’I.C.

Zinoviev déclara qu’il n’y avait aucun motif de retarder l’admission à l’I.C. du parti de Jacquemotte. « Ce sont des camarades qui nous appartiennent, dit-il, nous devons donc les accepter immédiatement. » A son avis, les divergences pouvaient être surmontées aisément par le congrès de fusion qui aurait à répondre lui-même à la proposition de Van Overstraeten de créer un Comité central et un comité de presse paritaires.

Le projet de motion fut amendé en conséquence.

Voici le rapport de J. Jacquemotte qui fut transmis le 13 juin 1921 au Comité Exécutif de l’I.C.

RAPPORT PRÉSENTÉ PAR LES DÉLÉGUÉS DE L’AILE GAUCHE DU PARTI OUVRIER BELGE A L’EXÉCUTIF DE L’I.C.

I. − LE MOUVEMENT OUVRIER EN BELGIQUE

L’Exécutif connaît la situation toute spéciale qu’occupe dans le prolétariat mondial, le socialisme belge, en ce qui concerne la forme d’organisation.

Le Parti Ouvrier Belge n’est pas à proprement parler et spécifiquement un parti politique, il est un agglomérat de groupes politiques, de syndicats, de coopératives, de mutualités (caisses de maladie), de groupes d’art, d’agrément, gymnastiques, choraux, etc.

Le nombre de membres du P.O.B. ne pourrait être déterminé avec exactitude ; les groupes paient la cotisation au Parti pour chaque adhérent et un même individu peut être affilié par plusieurs groupes à la fois (syndicats, coopérative de consommation, coopérative de production, ligue politique, etc.).

Le total des affiliations payées représente environ 600.000 membres, mais ce chiffre doit être réduit dans une proportion assez sérieuse en tenant compte de l’indication donnée au paragraphe précédent. Deux chiffres sont précis : c’est le nombre de syndiqués en Belgique et le nombre de membres des ligues politiques.

La Commission Syndicale de Belgique − qui groupe des syndicats affiliés au P.O.B. et des syndicats indépendants compte à l’heure actuelle 700.000 membres en chiffres ronds.

Le dernier rapport du P.O.B. signale l’existence de groupes politiques avec un total de 13.000 membres environ.

II. − LA SOCIAL-DÉMOCRATIE ET LA GUERRE MONDIALE

Nous n’avons nul besoin de dire que la Belgique vit, à l’occasion de la guerre impérialiste, les plus caractéristiques et les plus permanentes trahisons social-démocrates.

Citer les noms de Vandervelde (ex-Président de la IIe Internationale), C. Huysmans (secrétaire de la IIe Internationale), Anseele (membre du Bureau de la IIe), Destrée, de Brouckère, Hubin, etc., suffit, au regard du prolétariat révolutionnaire mondial, pour marquer la position extraordinairement arriérée du prolétariat belge, qui, trompé, abusé et trahi, supporte à sa tête de tels chefs indignes et contre-révolutionnaires.

Pendant la guerre, le travail politique fut rendu extrêmement difficile. Pourtant, c’est dans le groupe actuel de « L’Exploité » que se trouvent les hommes qui, malgré les difficultés incontestables, tant intérieures au Parti qu’extérieures à celui-ci (occupation, état complet de siège, interdiction des assemblées, suppression de la presse, etc.) menèrent auprès des travailleurs une action constante en vue du rétablissement des relations internationales 1.

III. − NOTRE ACTION APRES LA GUERRE

Au lendemain même de l’armistice, en novembre 1918, parut le premier numéro du journal « L’Exploité » qui, sans tarder, entama au sein du P.O.B. et dans le pays, une action continue en faveur de la défense de la Révolution prolétarienne russe ; une lutte active contre la politique de collaboration de classe à l’intérieur du pays, contre la IIe Internationale et ses chefs belges. Au début, cette action ne fut pas énergiquement combattue par les dirigeants réformistes du P.O.B. L’on peut admettre qu’ils avaient avantage, vis-à-vis de la bourgeoisie belge, à posséder dans le sein du P.O.B., une fraction avancée qui repoussait toute collaboration de classe.

Mais les progrès sérieux réalisés par l’aile gauche inquiétèrent les dirigeants social-patriotes, et ils entamèrent dans tout le pays, une contre-action de vaste envergure.

Au dernier Congrès du P.O.B., tenu les 11-12 décembre 1920, la question de la discipline au sein du Parti fut mise à l’ordre du jour et, après quelques vagues et pâles attaques contre les nationalistes purs et avérés, tels Destrée et Hubin, une charge à fond fut engagée contre la gauche et un ordre du jour fut voté à une forte majorité, chargeant le Conseil Général d’appliquer, en cas de récidive des « minoritaires », les dispositions statutaires prévoyant l’exclusion.

Il faut dire que le Conseil Général du P.O.B. ne se sentit jamais en force de prendre des sanctions directes contre la gauche. Il recourut à des moyens indirects : contre-propagande dans les centres où l’action de la gauche progressait, et refus par certaines coopératives, propriétaires des Maisons du Peuple, d’accorder des salles pour les réunions de nos groupes des « Amis de l’Exploité » et pour nos conférences.

A partir du 1er janvier 1921, « L’Exploité », qui tirait à 12.000 exemplaires (il y a en Belgique environ 3 millions et demi d’habitants de langue française) devint bi-hebdomadaire. Une librairie fut constituée qui répand dans le pays, à profusion, livres, brochures, tracts, toute la littérature communiste.

Malgré les interdictions formulées par le Congrès de décembre 1920, notre action de constitution des groupes d’Amis fut poursuivie avec ténacité et succès dans tous les centres. Dès les premiers jours d’ouverture de notre librairie, nous fûmes perquisitionnés par le Parquet (Vandervelde régnant !) et presque tous les livres et brochures nous furent enlevés. Après trois semaines, ils nous furent rendus. Il faut ajouter pour marquer l’extraordinaire duplicité et le confusionnisme effarant existant dans le P.O.B. qu’un ordre du jour de protestation fut voté à l’unanimité, par le Conseil Général du P.O.B., ministre de la Justice compris ! Celui-ci s’était retranché derrière la Séparation des Pouvoirs et la complète autonomie du Parquet !

Pendant le même temps, la contre-action des social-patriotes se renforçait. De plus en plus, les Maisons du Peuple étaient interdites pour les conférences des groupes d’Amis et, sur les injonctions officieuses du Secrétariat du Conseil Général, l’imprimerie coopérative où notre organe était imprimé, refusa de continuer l’édition.

IV. − NOTRE POSITION ACTUELLE

Mais nous avons hâte de marquer la position politique prise par les groupes d’Amis de l’Exploité (l’aile gauche du P.O.B.) dans ces derniers temps et à l’heure présente.

La brochure, éditée en vue du IIIe Congrès des « Amis de l’Exploité », nous permet, certes, de ne pas nous étendre, dans ce rapport succinct, sur les caractéristiques de notre mouvement. La lecture de cette brochure (dont nous joignons quelques exemplaires au présent rapport) fixera complètement à ce sujet 2.

Le troisième congrès des Amis de l’Exploité, réuni le 29 mai, a voté, à la quasi-unanimité, exactement par 713 voix contre 35 et 30 abstentions, la résolution présentée par la Commission spéciale désignée par le IIe congrès et, c’est à la suite de ce vote ainsi que de l’invitation adressée par l’Exécutif, à l’aile gauche du P.O.B., d’assister, à titre de groupe sympathisant et avec voix consultative, aux travaux du IIIe Congrès de l’Internationale Communiste, que nous sommes à Moscou.

Nous avons la mission précise de nous mettre en rapport avec l’Exécutif de l’Internationale Communiste. en vue de l’affiliation de notre Parti, constitué à la suite de la scission.

Cette demande d’affiliation pose la question : pourquoi l’aile gauche du P.O.B., réalisant la scission d’avec le P.O.B., n’a-t-elle pas adhéré purement et simplement au Parti communiste de Belgique (section belge de l’Internationale communiste) ?

Nous sommes d’avis qu’il n’existait pas, en réalité, en Belgique, de Parti communiste. Il y a des groupes communistes, quatre ou cinq, dont l’un est affilié à l’Internationale Communiste, mais certains des principes de ce groupe et certaines de ses actions, nous semblent en opposition formelle et en contradiction grave avec les thèses de l’Internationale Communiste.

Nous voulons parler des conceptions principalement antiparlementaristes, tranchons le mot, anarchisantes de ce groupe et de ses conceptions, à base individualiste, sur l’organisation des masses prolétariennes en Belgique.

Voici, à l’occasion du départ de l’aile gauche du P.O.B., ce qu’imprime « L’Ouvrier Communiste », sous le titre : « Ce qui nous, sépare » :

« Nous rejetons le parlementarisme, parce que ne pouvant que nuire à l’action révolutionnaire ; nous combattons la formation des partis de masses, parce que, inévitablement, ils sont condamnés tout comme la social-démocratie, au réformisme et à la trahison. »

D’autres faits, découlant de ces conceptions, pourraient être établis. Ce sont donc des différences profondes sur des questions essentielles (parlementarisme, parti organisé en vue du groupement et de l’action des masses) qui font que nous n’avons pas cru pouvoir entrer en relations, momentanément, avec le groupe communiste affilié à l’Internationale Communiste.

La question nous semble devoir être solutionnée, du point de vue des principes, par l’Exécutif même.

La question de savoir si nous avons bien ou mal agi en restant au P.O.B., en vue de militer dans son sein pour le socialisme marxiste, pour la Révolution Russe et pour la IIIe Internationale, jusqu’au moment où les désavantages de cette position balanceraient ou dépasseraient les avantages, est un point délicat.

Pour ce fait, les camarades dirigeants du Groupe communiste et « L’Ouvrier communiste » nous ont désigné comme des traîtres au prolétariat ou, tout au moins, des amis dangereux ! Nous estimons que la forme d’organisation du P.O.B. nous commandait d’agir pendant un certain temps au sein du P.O.B., aussi longtemps que nous en avions la large possibilité et jusqu’au moment où nous serions suffisamment forts pour agir et constituer un Parti communiste ayant, dès ses débuts, une influence sérieuse sur les masses prolétariennes.

Le prolétariat belge et, plus particulièrement, le prolétariat de la Wallonie industrielle a un profond instinct révolutionnaire. C’est en Belgique que se produisirent les premières grèves de masses avec des buts politiques. Mais cet instinct est comprimé et dénaturé par le réformisme le plus invétéré.

Un effort formidable doit être engagé par le communisme dans ce pays. Mais si l’on veut que cet effort aboutisse, il faut commencer par supprimer tous les obstacles d’ordre interne, et notamment, la possibilité d’une fausse interprétation des principes de l’Internationale Communiste.

Nous nous présentons à l’Internationale Communiste avec la conviction d’avoir dans le passé, agi en révolutionnaires sincères, passionnément et exclusivement attachés à la cause de la Révolution sociale.

Nous désirons apporter notre effort total, probe et dévoué à l’Internationale Communiste. Nous attendons d’elle un accueil fraternel.

Vive l’Internationale Communiste !

Vive la Révolution prolétarienne universelle !

Pour l’aile gauche du P.O.B., actuellement Parti communiste belge.

Les délégués,
R. POULET, J. JACQUEMOTTE.

P.S. Le P.O.B. groupe politiquement 13.000 membres.

Notre Parti a débuté avec un millier d’adhérents et les dernières nouvelles reçues du pays, indiquent un développement rapide.

  1. Allusion à l’action menée pendant la guerre pour une participation belge au congrès socialiste international de Stockholm.
  2. Il s’agit du « Programme de l’Action socialiste révolutionnaire » présenté au III congrès des « Amis de l’Exploité ».

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