Interview d’un représentant du Comité Central, novembre 1974

Question : Qu’en est-il du fascisme ? Ici, une partie de la presse semblait indiquer que cette question avait été réglée par le 25 avril.

Réponse : notre mouvement a toujours dit, il l’a même dit dès les premières heures du 25 avril, que ce coup militaire ne mettrait pas fin au fascisme, étant donné ses caractéristiques de classe.

Un coup issu des forces des monopoles et de l’impérialisme pour empêcher la révolution ne pourrait pas bousculer les bases économiques et sociales du fascisme.

C’est parce que le peuple est descendu dans la rue, qu’il a fait la chasse aux fascistes, aux Pides [les forces de la police secrète, la Polícia internacional e de defesa do estado], aux légionnaires, que la bourgeoisie a dû prendre des mesures comme la dissolution de certains des organismes policiers et fascistes du régime d’avant le 25 avril.

Mais nous avons toujours souligné que les monopoles et l’impérialisme poursuivaient leurs conspirations, leurs préparatifs pour abattre le mouvement populaire par la contre-révolution fasciste, dès que des conditions favorables se présenteraient.

En réalité, la bourgeoisie, les monopoles, les impérialistes utilisent le gouvernement provisoire et la junte militaire comme le rideau démocratique derrière lequel ils préparent la contre-révolution fasciste.

Avant le 28 septembre, ce n’est pas par hasard si les fascistes conspiraient ouvertement, formaient leurs partis politiques, publiaient leurs journaux, faisaient entrer des armes dans les pays par des points précis de la frontière, que le gouvernement connaissait, tandis que les marxistes-léninistes, notre mouvement, son journal, ses activités, son directeur étaient poursuivis. La bourgeoisie avait besoin de faire taire l’extrême-gauche et notre mouvement pendant qu’elle préparait activement la contre-révolution.

Il n’y a aucune contradiction entre l’existence d’un gouvernement provisoire, en apparence démocratique, et ces préparatifs. La bourgeoisie et les monopoles contrôlent le gouvernement provisoire et la junte. C’est une façon qu’a la bourgeoisie de s’emparer de l’Etat, de tromper les masses populaires ; un moyen de les désarmer et de préparer activement la contre-révolution armée.

Ce que nous disions s’est réalisé : les fascistes se sont organisés, ils ont déclenché leur campagne de presse, ils se sont armés, et ils préparaient pour le 28 septembre une première et importante manifestation de force. Ils n’avaient pas l’intention encore de faire un contre-coup d’Etat militaire ; ils préparaient seulement une grande manifestation, et le 28 septembre fut un premier choc entre les forces populaires et les forces de la contre-révolution.

Ce furent les masses qui descendirent dans la rue, qui organisèrent les barrages routiers, qui défilèrent par milliers dans les rues, à l’appel soit de notre mouvement, qui fut l’unique organisation à convoquer une contre-manifestation sur le lieu même où allait se dérouler la manifestation fasciste, soit de commissions de travailleurs, d’une façon spontanée, etc.

Donc, les marxistes-léninistes (avec notre mouvement en tête) et de larges masses populaires sont descendus par dizaines de milliers dans la rue, pour retirer aux fascistes le droit à la parole, le droit de réunion, le droit d’association. Il faut dire que le 28 septembre, les forces révisionnistes, celles des partis du gouvernement étaient tout à fait paralysées, parce que les masses populaires avaient compris que les M-L avaient eu raison de dire que la contre-révolution se préparait derrière le rideau du gouvernement.

Donc, ils furent complètement isolés, les masses populaires les ont dénoncés, ont compris leur complicité dans les préparatifs de la contre-révolution ; et pendant les premières heures, le 28 septembre, et même le 29, c’était la paralysie totale chez les partis de la bourgeoisie. Mais avec les révisionnistes en tête, ils ont tenté une grande manœuvre pour essayer de reprendre l’initiative, la direction du mouvement populaire qu’ils avaient entièrement perdue.

Tout au long des mois précédents, lors de la grève de la TAP (Transports aériens portugais), du Journal du Commerce, lors des grandes manifestations politiques des ouvriers de la Lisnave (Chantiers navals de Lisbonne), et dans toutes les principales luttes populaires qui s’étaient déroulées jusque-là, les masses populaires avaient eu le parti révisionniste comme principal ennemi, principal agent de la répression des ouvriers.

Dès le lendemain du 28 septembre, les révisionnistes annoncent qu’ils ont découvert un grand coup d’Etat militaire fasciste, une énorme conspiration, qui, en réalité, n’existait pas (pas encore à ce moment-là), et ils déclarent : « Les sauveurs du peuple, les héros de la nation, c’est nous, ce sont nos officiers patriotes qui ont empêché le fascisme de revenir. »

Et ils ont mené un véritable contre-coup, un véritable assaut des forces révisionnistes, à l’intérieur de l’appareil d’Etat, du MFA, de tous les organes de l’Etat, où ils ont renforcé leurs positions ; ils ont ainsi créé les bases matérielles d’un coup d’Etat social-fasciste.

En ce qui nous concerne nous avons dit : « Abandonnez vos illusions et préparez-vous à la lutte ; le 28 septembre a été un premier combat, mais non le combat principal. Quelques fascistes ont été mis en prison, quelques mesures ont été prises contre eux.

Les masses populaires ont imposé la fermeture de quelques-uns de leurs journaux, mais c’est une illusion de croire que le fascisme a disparu ; la base politique, sociale et économique du fascisme persiste, et ils ont fait le 28 septembre pour protéger les bases du fascisme, c’est-à-dire les patrons, les monopoles, l’impérialisme ; donc pour duper les masses avec quelques mesures superficielles, formelles, et pour que le mouvement populaire, démocratique, antifasciste ne puisse atteindre les racines, la base sociale, économique, du fascisme ; les monopoles et l’impérialisme continuent d’être maîtres dans notre pays, et préparent activement la contre-révolution. »

Ce qui s’est produit après le 28 septembre, confirme les analyses de notre mouvement.

En effet, peu de temps après, les membres des petits partis fascistes interdits après le 28 septembre, se sont regroupés dans un nouveau parti, le « Centre Démocratique et Social » (C.D.S.) dont un des dirigeants est un ancien collaborateur de Marcelo Caetano, théoricien du droit fasciste : Freitas do Amaral, également connu comme l’un des agents les plus actifs du fascisme dans la répression du mouvement étudiant.

Les autres cadres, ce sont d’anciens chefs de police, d’anciens légionnaires et des dirigeants des partis interdits. Ils ont changé un peu de tactique, ils ont monté un parti légal, un parti « social-démocratique », qui dit respecter le programme des Forces Armées, qui rassure. Derrière cette façade, ils préparent la contre-révolution.

Nous connaissons (elles sont de notoriété publique), les liaisons de ce parti avec la CIA, les chèques qu’il reçoit des banques américaines, et l’on sait aussi que des armes continuent à entrer au Portugal par des points de la frontière connus des Forces Armées.

Les fascistes préparent quelques milliers de mercenaires et d’agents entraînés par la CIA ; nous avons déjà des informations sur le fait qu’ils préparent des actions de commandos contre des « objectifs précis », comme ils disent. Les préparatifs de la contre-révolution sont donc de nouveau en marche : les événements du 4 novembre sont significatifs à cet égard.

Le 4 novembre, le CDS, après avoir fait une campagne prudente mais active, appuyée par l’une des principales agences de publicité américaines, a convoqué par l’intermédiaire de sa jeunesse « centriste », son premier meeting à Lisbonne dans le théâtre Saô Luis.

Notre mouvement a tout de suite dénoncé la signification de ce meeting : les fascistes relevaient la tête ; les fascistes, comme avant le 28 septembre, mesuraient leurs forces, essayaient de reprendre le droit à la parole, sous le drapeau du « Centre » et de la « Démocratie ».

Alors, les organisations de la jeunesse révolutionnaire et progressiste, les Comités Ribeiro Santos, groupés depuis quelques semaines dans la Fédération Révolutionnaire des Etudiants Portugais, ont appelé à une contre-manifestation pour leur retirer le droit à la parole.

Cette manifestation a rassemblé plusieurs milliers de personnes dans le centre de Lisbonne. Il y avait des banderoles avec le mot d’ordre « Mort au fascisme, le Peuple vaincra ». La foule s’est dirigée vers le lieu où se tenait la manifestation fasciste, et c’est alors que la police de choc, la police dont la dissolution avait été annoncée par le gouvernement, a chargé brutalement. Les policiers ont utilisé d’abord des bâtons, puis des dizaines de grenades lacrymogènes, et finalement ils ont ouvert le feu à coups de mitraillettes.

Cependant le 4 novembre eut un effet très Important : il a démontré la profondeur de la crise ainsi que la volonté de lutte et la combativité des masses. Celles-ci ont résisté avec un grand courage aux rafales de mitraillettes et aux gaz lacrymogènes ; pendant plusieurs heures, elles ont élevé des barricades dans les rues d’accès au théâtre où se déroulait le meeting fasciste ; elles se sont armées de pierres et de barres de fer, elfes ont fait face et résisté fermement à la brutalité de la police fasciste.

Au cours de cette lutte, la police a blessé plus de trente personnes, dont onze par balles.

Tandis que cette manifestation se déroulait, une partie de la foule, près d’un millier de personnes, a marché contre le siège du CDS qui se trouvait à environ 1 kilomètre de là. Les masses l’ont envahi, ont détruit le matériel de propagande, les archives et l’infrastructure matérielle de ce parti.

Au siège du CDS, ont été découvertes des choses inouïes, comme par exemple, du matériel d’impression, valant des dizaines de milliers d’escudos. On a découvert de la correspondance, la liste des visiteurs, et des preuves indéniables de liaisons étroites, conspiratrices entre le CDS, les fascistes, la CIA, etc. ; d’importants industriels portugais, des hommes étroitement liés aux monopoles portugais, versaient des sommes, quelques-unes évaluées à 700 000 escudos par mois, au CDS. D’ailleurs, la manifestation fut reçue par des mercenaires armés, des « gorilas » comme on dit au Portugal, qui ont ouvert le feu, et blessé deux camarades.

Le 4 novembre a montré que les masses populaires sont prêtes à passer à l’action violente. Il a aussi permis de démarquer clairement deux camps : d’un côté les fascistes, les libéraux, les réformistes et aussi les néo-révisionnistes ; de l’autre, les masses populaires et notre mouvement.

En effet, le 5 novembre, la bourgeoisie tenta de contre-attaquer, de profiter de la lutte qui s’était déroulée pour lancer une grande campagne contre notre mouvement, et pour essayer, au moment où la crise commence, d’abattre l’avant-garde de la classe ouvrière.

Le 5 novembre, on a assisté à un spectacle très significatif : à la télévision, à l’heure où il y a le plus d’écoute, vers 21 heures, on a vu défiler tout d’abord le porte-parole du gouvernement, suivi par le secrétaire général du CDS fasciste, puis le secrétaire général du PPD, le secrétaire général du PS, le deuxième secrétaire du parti révisionniste.

Ils étaient tous venus à la télévision pour condamner notre mouvement, pour appeler à la répression, pour défendre le CDS fasciste. Toute la contre-révolution s’est montrée unie pour étouffer le mouvement de masse. Les principales figures du gouvernement et des partis sont venues à la télévision pour dénoncer ce qu’ils appellent un groupuscule. Pas si groupuscule que ça puisqu’il les a obligés à se déplacer tous !

La répression s’est déclenchée au cours de la nuit. Il faut savoir qu’au ministère de la Justice, il y a un « grand défenseur des libertés individuelles », qui pendant le fascisme n’a cessé d’écrire des articles sur le droit des citoyens à ne pas voir leurs résidences saccagées pendant la nuit par les forces de la Pide.

Au cours de la nuit donc, les hommes du Copcon sont entrés chez les personnes dont ils connaissaient les noms parce que celles-ci avaient donné leur identité à l’hôpital. Ils ont emprisonné douze à treize personnes ; maintenant il en reste onze en prison, parce que deux d’entre elles n’étaient manifestement pas impliquées dans les événements ; sur ces onze personnes, dix camarades qui ont été mis dans une des pires prisons militaires du pays.

La camarade Maria José Morgado qui avait été emprisonnée sous le fascisme et sauvagement torturée et qui, sous la torture, avait eu un comportement héroïque, digne de notre mouvement et des communistes, avait de nouveau été mise en prison lors des manifestations du 8 août quand notre journal fut interdit.

Le 5 novembre, elle fut de nouveau emprisonnée, et on a voulu la mettre dans la cellule où se trouvaient les agents de la Pide qui l’avaient torturée.

Notre camarade a tout de suite fait dire au directeur de la prison que ce serait elle ou les femmes de la Pide qui sortiraient vivantes de cette cellule.

Puis elle a entamé une grève de la faim qui a bénéficié d’un grand soutien populaire, d’un grand mouvement de masse que nous avons déclenché. Au bout de trois jours de grève de la faim, elle a été transférée, mais elle est isolée.

Elle exige sa libération, ou tout au moins d’être mise près des autres camarades emprisonnés. Il y a eu aussi une autre grave provocation ; la police a dit que pendant les événements du 4 novembre, elle n’avait pas ouvert le feu, ou que c’était en l’air, ou même que c’était les manifestants qui avaient tiré contre la police.

C’est exactement le même argument que les fascistes utilisaient, que les « démocrates », appelons-les comme ça, avaient utilisé quand ils avaient assassiné Victor Bernardes, dans la manifestation du M.P.L.A., au mois d’août.

Ils rééditaient cet argument maintenant : ils n’avaient pas tiré, bien au contraire, c’était les manifestants qui avaient tiré sur eux, mais fait curieux, il y avait onze blessés par balles, et l’un des plus gravement blessés, le camarade Jose Abrantes, l’avait été d’une balle au ventre.

Il était encore en danger de mort quand les troupes du Copcon sont entrées dans l’hôpital, prétendant l’emmener.

Voilà les faits. Notre mouvement a déclenché un grand mouvement populaire, exigeant la libération immédiate des antifascistes en prison, appelant toutes les forces progressistes du Portugal à se solidariser contre cet emprisonnement.

Je profite de l’occasion pour renouveler ici cet appel que nous lançons à toutes les forces vraiment démocratiques et anti-fascistes et progressistes pour qu’elles joignent leurs efforts aux nôtres pour exiger l’immédiate libération des hommes et des femmes qui sont en prison, pour avoir lutté contre le fascisme.

Dans la situation présente, nous continuons à avertir le peuple : « N’ayez pas d’illusion ; derrière le rideau de la Junte et du gouvernement, c’est le fascisme qui s’arme, c’est la contre-révolution qui se prépare ; la bourgeoisie utilise le gouvernement et la Junte pour tromper le peuple, pour le démobiliser, pour le convaincre qu’il n’y a pas de problème. De cette façon ils espèrent, le moment venu, pouvoir juguler la crise en abattant sur le peuple une contre-révolution sanglante. Seul le développement de la lutte révolutionnaire pourra extirper le fascisme à la racine. La révolution populaire, c’est la seule force qui, dans notre pays, peut s’opposer à la contre-révolution qui se prépare. »

Question : votre mouvement a fait l’objet après le 4 novembre de tentatives d’interdiction et d’anéantissement de la part du gouvernement provisoire.

Face à cette offensive vous avez développé une riposte qui a connu un grand écho de masse. Est-ce que tu pourrais nous en parler ?

Réponse : toutes les forces de la réaction unies ont tenté de profiter de cette occasion pour interdire les activités légales de notre mouvement, fermer son journal et arrêter ses principaux dirigeants. C’est le parti révisionniste qui a pris l’initiative de cette campagne de répression.

Question : vous le savez de façon certaine ?

Réponse : nous possédons des informations absolument certaines et directes. Par la bouche de son secrétaire général le parti révisionniste a demandé au Conseil des ministres du 11 ou du 12 novembre l’interdiction de notre mouvement. Il l’a fait aussi par le truchement de ses officiers dans le Mouvement des Forces armées.

Notre organisation dans la caserne où est installée une des forces principales du Copcon nous a fait savoir par ailleurs que le soir de ce même 12 novembre une unité du Copcon le R.A.L. 1 (Régiment d’Artillerie Légère n°1) s’apprêtait à marcher sur le siège de « Luta Popular ».

Pourquoi la bourgeoisie ne l’a-t-elle pas fait ? Parce que l’appui populaire à notre mouvement, et tout particulièrement la popularité de l’action du 4 novembre, l’en ont empêché. Les néo-révisionnistes qui ont applaudi à la répression et qui ont dit de nous « ce sont des aventuriers », ces néo-révisionnistes prétendaient que notre action était isolée.

Cependant ce que nous avons vu, c’est l’énorme appui populaire qui s’est manifesté sous plusieurs formes. Des éléments des masses venaient à nos sièges pour nous féliciter, pour nous exprimer leur soutien. Notre mouvement, ses communiqués, les jours suivants, ses meetings réalisés dans les rues de Lisbonne, de Coimbra, de Porto, etc., la grande campagne de mobilisation qu’il a lancée, ont été appuyés par les masses. Nous avons appris que d’autres attaques populaires, spontanées, contre des sièges et des locaux du CDS s’étaient produites après le 4 novembre.

Cette campagne s’intègre dans la tactique de notre mouvement qui, au même moment, a convoqué une réunion élargie de son Comité Central, où il a défini la tactique à suivre par rapport aux élections pour la Constituante, a étudié la question de la fondation du Parti, a déclenché une forte mobilisation de masse pour le meeting à Lisbonne où ces décisions ont été annoncées.

Ce meeting a été en quelque sorte, le point culminant de ce processus. Il a réuni à Lisbonne dans le Palais des Sports une dizaine de milliers de personnes pour appuyer la politique de notre mouvement. Ce fut une riposte de masse qui a tout à fait bloqué l’offensive réactionnaire de la bourgeoisie. Ce meeting s’est tenu le vendredi 22 novembre. La presse bourgeoise elle-même a été obligée d’assurer une large couverture à ces événements.

Question : tu parlais tout à l’heure de coup d’Etat fasciste, ou de coup d’Etat social-fasciste. Pour vous, cela représente-t-il le même danger ?

Réponse : Oui, nous croyons qu’il y a deux dangers qui guettent le mouvement populaire au Portugal. L’un, c’est le coup d’Etat fasciste préparé par l’impérialisme américain et la fraction de la bourgeoisie portugaise liée à lui. L’impérialisme yankee prépare la contre-révolution fasciste contre nous en Espagne où Il entraîne ses brigades, aussi bien qu’au Portugal où il complote dans et au dehors de l’appareil d’Etat. Un autre danger, en un sens plus redoutable, est celui d’un coup d’Etat social-fasciste contre lequel les masses populaires seraient moins bien préparées à riposter.

Il peut arriver qu’en invoquant le prétexte d’une menace fasciste les social-fascistes s’emparent de l’appareil d’Etat. Cette éventualité suscite d’ailleurs une certaine inquiétude au sein des autres milieux et partis bourgeois. En ce qui nous concerne nous disons au peuple que le fascisme et le social-fascisme c’est pareil et que le second est une dictature encore pire à certains égards.

Question : tu as parlé tout à l’heure du 28 septembre, date de la grande manifestation dite « de la majorité silencieuse », appelée par Spinola. Quelle en était la signification dans la tactique de l’ex-chef d’Etat ?

Réponse : les forces qui ont appuyé cette manifestation étaient liées aux intérêts américains et à ceux de cette fraction de la bourgeoisie qui avait le plus pâti du coup d’Etat du 25 avril. Autrement dit, les fascistes alliés aux Américains. Ils avaient su gagner dès le 25 avril des appuis dans la Junte militaire elle-même.

On y trouvait des fascistes notoires soutenus par Spinola. Celui-ci espérait que cette manifestation lui permettrait de concentrer le pouvoir entre ses mains pour le mettre au service de la contre-révolution. Le 28 septembre devait fournir un soutien populaire au fascisme et préparer l’opinion publique à ce qui allait suivre.

Question : on a l’impression que le 28 septembre marque la fin d’une première période, celle du compromis passé au lendemain du 25 avril entre les différentes forces bourgeoises et révisionnistes. L’échec de l’opération du 28 septembre n’a-t-elle pas profité surtout aux révisionnistes, avec lesquels Spinola était en conflit ?

Réponse : le coup d’Etat militaire du 25 avril a été fait sur la base d’un programme commun à plusieurs forces bourgeoises intéressées à l’adoption de quelques mesures politiques, économiques indispensables pour empêcher le développement de la révolution et consolider la dictature de la bourgeoisie.

C’est le programme du MFA qui exprime cet accord. Il y a dans le bloc au pouvoir de fortes contradictions qui opposent les fractions de l’impérialisme qui se disputent notre patrie. Le 25 avril a consolidé les positions de l’impérialisme européen et ouvert la porte au social-impérialisme russe qui menace les intérêts jusque-là prépondérants des Etats-Unis. Il s’est ainsi créé un nouvel équilibre (instable) entre les forces impérialistes qui dominent notre pays et tentent de s’assurer la domination exclusive de l’appareil d’Etat.

Les crises successives sont dues au développement de la révolution à laquelle chaque fraction bourgeoise oppose son programme. On ne peut savoir d’avance quelle force s’adjugera la part du lion. Les vicissitudes de cette lutte aiguë sont une confirmation frappante de la loi du développement inégal de l’impérialisme.

Les détachements de la bourgeoisie ne s’unifient que lorsque la révolution monte. Il peut arriver aussi qu’au moment où la lutte populaire aura pris de l’ampleur, ces contradictions s’accentuent et jettent la confusion dans le camp de la bourgeoisie. Mais quand elle est sérieusement menacée (comme lors de la crise du 4 novembre) toutes ses tendances s’unissent sur l’essentiel, la répression du mouvement populaire.

A présent c’est au tour du social-impérialisme de profiter de la situation. Les forces européennes manœuvrent entre lui et l’impérialisme américain.

Question : depuis le 25 avril les luttes de classes se développent de façon ininterrompue. Peux-tu en retracer les grands moments et en définir les tendances actuelles ?

Réponse : ce que tu dis est vrai, mais la montée des luttes précède le 25 avril et le conditionne. Depuis octobre 1973 un énorme mouvement gréviste a balayé le pays. Environ douze cent mille personnes ont débrayé, notamment dans l’électronique et la métallurgie. Il y eut aussi la grève des verriers de Marinha Grande.

Ces luttes, économiques quant à leurs objectifs immédiats, étaient en même temps politiques, parce que sous le fascisme toute grève posait la question du pouvoir.

Le 25 avril est intervenu pour empêcher ce développement du mouvement ouvrier, évidemment sans résoudre les problèmes de la classe ouvrière et du peuple parce qu’il ne touchait pas aux racines du pouvoir de, classe. Aujourd’hui la révolution est à l’ordre du jour. De grande tempêtes révolutionnaires s’annoncent.

La bourgeoisie ne peut plus gouverner mais la classe ouvrière n’est pas encore en mesure de prendre la relève. La bourgeoisie n’arrive pas à imposer ses programmes. Les crises politiques et économiques se succèdent ; les luttes révolutionnaires se succèdent. Il y eut jusqu’à présent quatre grands assauts populaires :

− Le premier, au mois de mai, fut caractérisé fondamentalement par des revendications économiques. Les ouvriers croyaient que le gouvernement provisoire résoudrait leurs problèmes. Il y eut une puissante vague de grèves. Les questions politiques étaient évidemment présentes mais la classe ouvrière réclamait plus d’argent, moins d’heures de travail, la fin de l’esclavage fasciste. li n’a pas été difficile à la bourgeoisie de résorber cette crise avec l’aide du parti révisionniste. li est le moyen ultime auquel a recours la bourgeoisie en difficulté.

Par son entremise et grâce aux illusions qui existaient après le 25 avril, la bourgeoisie a pu faire face à la situation. C’était le temps où les révisionnistes disaient : « Camarades, il faut avoir de la patience, tout ça va se résoudre, c’est une question de temps, maintenant le fascisme c’est terminé, il faut attendre ; il ne faut pas demander le ciel, il faut être prudent, la réaction guette ; exiger trop, c’est faire le jeu de la réaction. »

Cette propagande a freiné cette première vague d’assaut. La caractéristique fondamentale de cette période fut la multiplication des luttes, mais politiquement, leur niveau était peu avancé.

La lutte s’est développée pratiquement dans tout le pays, toutes les usines sont entrées en grève pas simultanément, mais pratiquement toutes à un moment ou à un autre. li serait intéressant de demander aux groupes néo-révisionnistes ce que devenait leur thèse selon laquelle la révolution au Portugal était en reflux.

Pratiquement toute la classe ouvrière s’est engagée dans des luttes, et d’autres couches populaires aussi. Nous avons dit alors : c’est la première crise, mais d’autres lui feront suite. Chacune sera plus profonde et sapera plus gravement les fondements de l’Etat bourgeois ; la classe ouvrière approfondit son expérience, apprend à distinguer ses ennemis de ses amis, à connaître ses adversaires.

− La deuxième crise fut clairement politique ; elle s’est terminée par la démission du premier gouvernement provisoire. Devant la situation qui ne montrait aucun signe d’amélioration, devant la crise économique, la classe ouvrière s’est mise à lutter de nouveau. Et pas seulement la classe ouvrière. Cette deuxième crise s’ouvre fin mai-début juin. La question coloniale y est posée, avec l’exigence unanime de la fin de la guerre.

Il y eut des luttes très significatives où le parti révisionniste est apparu comme le flic, l’agent principal de la répression. Des grèves comme celle des transports de la Garris, à Lisbonne, celle des boulangers et surtout celle du CTT (Postes, Télégraphes, Téléphone) ont été les premiers grands chocs qui ont permis à des secteurs entiers du peuple travailleur de connaître la vraie nature du révisionnisme.

Question : est-il vrai que le parti révisionniste a tenté d’organiser la population contre les grévistes du CTT ?

Réponse : c’est vrai. Pas dans les grands centres urbains où les grévistes pouvaient compter sur un soutien populaire important principalement organisé par notre mouvement, mais dans des centres plus petits comme Marinha Grande.

Les révisionnistes ont non seulement organisé des meetings contre les postiers mais ont en outre lancé contre eux des expéditions de commando social-fascistes. Par la radio et la presse ils ont appelé la population à se dresser contre les grévistes. Leur mot d’ordre central était : « La grève fait le jeu de la réaction. »

Les grévistes ont tenu tant qu’ils ont pu. Ils ont même jeté hors de leurs locaux des dirigeants révisionnistes venus pour, disons, les « conseiller ».

Cette deuxième crise prit fin avec la démission du premier gouvernement provisoire. La paix cependant a duré peu de temps. Ce deuxième gouvernement provisoire renforça les positions des révisionnistes en portant au poste de Premier ministre un officier (Vasco Gonçalves) dont les sympathies pour les révisionnistes sont notoires. Des illusions se sont répandues et la bourgeoisie obtint une petite trêve, mais voilà que les mois d’août et de septembre une nouvelle crise éclate.

Le mouvement anti-colonial s’affirme alors autour des mots d’ordre : « Totale indépendance et complète séparation pour les peuples des colonies, c’est le seul chemin vers la paix », et « pas un seul embarquement de plus pour les colonies ! », « retour des soldats ! ». Le pouvoir bourgeois fut contraint de reconnaître en toute hâte l’indépendance des colonies. Ceci quelques jours avant une grande manifestation de masse convoquée pour les derniers jours de juillet.

Ce grand mouvement populaire anticolonialiste a démasqué les manœuvres démagogiques de la bourgeoisie (proclamer le droit à l’indépendance des colonies, annoncer que la guerre allait finir, que tout était fini).

Notre mouvement et le mouvement populaire anticolonial (MPAC) ont organisé la lutte contre la guerre, pour la complète indépendance des colonies, pour le retour des soldats, contre les embarquements. Dix mille personnes se sont mobilisées à leur appel le 30 juillet à Lisbonne. Ce fut une victoire Importante.

En même temps le mouvement démocratique prenait aussi son essor en riposte au développement de la conspiration fasciste. Ce mouvement se fixait comme but d’arracher le fascisme par les racines et pour cela d’abattre le pouvoir des monopoles et de l’impérialisme. La plupart des luttes ouvrières de cette période ne sont pas pour l’essentiel de nature revendicative mais ont des cibles antifascistes.

C’est le cas de la grève de la TAP en août-septembre. Les ouvriers exigeaient le départ de l’entreprise des fascistes responsables de la répression du 12 juillet 1973 qui fit un mort. Ils présentaient aussi des revendications économiques mais les objectifs politiques étaient principaux. Les grévistes du « Journal du Commerce » ont mis en tête de leurs revendications la démission d’un fasciste.

De même à la Lisnave des milliers d’ouvriers sont descendus dans la rue pour exiger l’expulsion des fascistes de l’entreprise. Les luttes les plus significatives comportaient aussi une connotation anti-impérialiste. Par exemple les ouvrières de la Sogontal se sont battues contre les licenciements décidés par cette multinationale française. Ces luttes ont opposé la classe ouvrière à l’Etat bourgeois et au parti révisionniste dont les cellules locales ont boycotté toutes ces grèves.

Cette période a été marquée aussi en septembre par la mobilisation des paysans. Ils exigeaient la restitution des « baldios », terres communales expropriées sous le fascisme par l’Etat, surtout là où il y avait des forêts pour mettre celles-ci à la disposition des monopoles de la cellulose. Au sud du Tage, une zone où les salariés agricoles sont nombreux, ceux-ci sont également entrés en lutte.

Face à ce grand mouvement populaire qui posait les questions de la paix, de la terre, de la lutte conséquente contre le fascisme, le gouvernement provisoire a tenté de riposter en interdisant notre journal (qui a reparu dans la clandestinité) et en promulguant une série de lois antipopulaires. Celle sur la presse est identique à la loi élaborée par Caetano mais qu’il n’avait pu imposer.

Le 28 septembre mit fin à cette crise. La fraction impérialiste-fasciste de la bourgeoisie voulut prendre en main la situation en organisant un coup d’Etat dont le 28 septembre était la préparation. Quelques jours auparavant nous avions dit : « De grands affrontements de classes, de grandes luttes populaires se préparent ! La révolution et la contre-révolution vont connaître leur premier affrontement. »

C’est ce qui s’est produit le 28 septembre et la crise fut en apparence dénouée. Les révisionnistes ont affirmé que le fascisme avait été vaincu, qu’une nouvelle époque allait s’ouvrir. Une certaine trêve est intervenue à nouveau mais elle non plus n’a pas duré longtemps. Toutes les mesures prises par le gouvernement étaient formelles.

Les monopoles et les intérêts impérialistes n’ont pas été touchés. Le gouvernement provisoire continue à vendre notre pays à toutes les fractions de l’impérialisme qui se le disputent. La situation politique, économique et sociale n’a connu aucun changement profond.

En ce moment nous sommes en pleine quatrième crise. Elle est conditionnée par la crise du capitalisme mondial. Le chômage massif agit comme détonateur. Officiellement, il y a 150 000 chômeurs. Ils seront deux fois plus nombreux à la fin de l’année. Il y a des licenciements dans des branches entières comme le bâtiment, le textile, l’électronique. La classe ouvrière s’y oppose par des grèves et des occupations conformément à nos mots d’ordre. Les chômeurs commencent aussi à s’organiser.

Parallèlement, l’inflation est énorme. Le caractère démagogique du salaire minimum accordé par les révisionnistes, au mois de mai, apparaît clairement à la classe ouvrière. Ce salaire minimum a été tout à fait mangé par la hausse des prix. Il y a aussi la question des horaires de travail qui devient une question politique : la lutte pour les 40 heures, c’est la principale arme que possèdent les ouvriers, les licenciés, les chômeurs.

On enregistre des mouvements d’occupation de maisons à Lisbonne, dans la dernière semaine ; un peu partout, les masses qui habitent dans les bidonvilles ont marché sur la ville et ont occupé plusieurs maisons, d’où elles ont été expulsées par les forces du Copcon. Voici donc la situation dans ses traits généraux, avec, encore, le mouvement paysan qui, lui, n’a pas connu de trêve au moment du 28 septembre.

Le chômage dans la paysannerie est dramatique. La lutte pour les « baldios » [les terres d’usage commun] et la lutte salariale restent tout à fait à l’ordre du jour.

Une crise importante se prépare donc. Elle se caractérise par une lutte aiguë au sein de l’appareil d’Etat et de l’appareil militaire entre les fractions de la bourgeoisie et leurs partis.

Partout c’est la division, les démentis publics se multiplient. Au moment où je parle, la classe ouvrière commence à se ranger aux côtés de notre mouvement, à lui apporter son appui en venant discuter dans nos sièges de ses problèmes, en démasquant l’intersyndicale.

Au cours d’une lutte importante menée par les dockers à Lisbonne, un délégué de l’intersyndicale a été mis à la porte avec cette insulte : « Intersyndicaliste, taille-toi ! »

Question : les lois contre la presse, la loi anti-grève, peux-tu nous en donner le contenu ?

Réponse : en apparence, la loi sur la presse dit : « Nous sommes en démocratie, la censure préalable est finie. » Mais en fait, ils ont constitué une commission « ad hoc» de militaires (les « colonels censeurs ») qui a tout pouvoir d’infliger des amendes et de suspendre tout journal coupable d’avoir écrit quelque chose d’hostile à ce qu’ils désignent sous le terme vague de « programme des Forces Armées ».

Exprime-toi d’un point de vue révolutionnaire, marxiste-léniniste, hostile au gouvernement provisoire, au mouvement des Forces Armées, popularise les luttes menées par les soldats et les marins dans les casernes, tu verras ton journal suspendu pour un, deux, trois mois ou frappé d’une amende payable en vingt-quatre heures pouvant aller jusqu’à 500 000 écus. Impossible de faire appel.

Pour ce qui est de la loi anti-grève, l’article premier autorise bien la grève mais il est suivi de l’énumération de tous les cas où celle-ci n’est pas permise et des conditions dans lesquelles s’applique l’autorisation. D’abord, il faut l’accord de l’Intersyndicale avec un préavis de trente jours.

La grève est interdite dans les secteurs fondamentaux de l’économie. Elle n’est possible qu’après plusieurs jours de négociation obligatoires. Il s’ensuit qu’on ne peut presque jamais entrer en grève. D’ailleurs la classe ouvrière n’a jamais accepté cette loi : pratiquement toutes les grèves qui ont éclaté après sa promulgation l’ont violée. Enfin on ne peut pas faire grève avec occupation. Par contre le lock-out est permis.

Les lois sur le droit de réunion et d’association exigent que des responsables soient nommés et qu’une demande préalable soit déposée avant toute manifestation. Elles accordent aux autorités le droit d’interdire toute réunion quand « les intérêts généraux » sont de quelque façon « menacés ».

Question : tu as fait allusion aux luttes des marins et des soldats. Comment se sont-elles développées ces derniers mois ?

Réponse : les paysans, les ouvriers, mobilisés de force dans l’armée colonialiste ont mené, même sous le fascisme, des luttes contre la guerre, les embarquements, la discipline militariste. Les désertions ont été très nombreuses, vous le savez bien en France. Après le 25 avril notre mouvement s’est maintenu à la tête de cette lutte. Le MFA se dit un mouvement de toute l’armée. En réalité il ne représente que les officiers du cadre permanent.

Aussi n’a-t-il rien changé à la discipline et à la hiérarchie militariste. Dans les casernes il y a eu des dizaines de luttes férocement réprimées. Elles ont été dirigées par notre organisation clandestine au sein de l’armée « la Résistance Populaire Anticoloniale » (RPAC). Deux camarades accusés d’appartenir à cette organisation sont actuellement en prison. Le camarade Etelvino a été arrêté à son retour à la caserne après la manifestation du 4 novembre.

Ils ont découvert qu’il était blessé et l’ont enfermé au fort d’Elvas. L’autre camarade a été dénoncé par des officiers révisionnistes qui l’ont reconnu dans une photographie prise au cours d’une manifestation anti-colonialiste.

Nous incitons les soldats à refuser de partir pour le Mozambique ou l’Angola. Nous sommes décidés à poursuivre cette lutte et nous en acceptons les risques. D’ailleurs elle nous a gagné la sympathie des soldats.

Quand notre journal « Luta Popular » a été frappé d’une amende de 50 000 écus, parmi les premières personnes accourues à notre siège pour donner les quelques écus collectés autour d’elles, il y eut de nombreux groupes de soldats. Ils nous disaient : « Camarades, nous ne nous connaissons pas, mais votre journal c’est notre journal. »

Dans nos meetings, en dépit des risques, nous faisons une question de principe d’avoir parmi les orateurs des camarades de l’armée en uniforme. Seuls s’y opposent les révisionnistes qui sont unis aux officiers mais pas aux soldats, et aussi les néo-révisionnistes qui ont peur. Ces derniers sont d’ailleurs presque tous partisans du MFA.

Question : que représentent les quatre étapes du mouvement ouvrier dont tu as parlé du point de vue de la progression des formes de conscience et d’organisation du prolétariat et des masses populaires ?

Réponse : dans notre pays la petite bourgeoisie a un poids et une influence idéologique considérables encore renforcés par le fait que la classe ouvrière a été dirigée durant cinquante ans par le parti révisionniste qui l’a désarmée politiquement et idéologiquement.

Aujourd’hui une partie croissante des éléments avancés de la classe ouvrière commence à perdre ses illusions et, constatant le comportement des révisionnistes, elle se met graduellement à suivre nos mots d’ordre, à soutenir les positions des marxistes-léninistes.

Des luttes comme celles du CTT, de la TAP et de la Lisnave furent des écoles de conscience politique pour beaucoup de nos cadres actuels. Le développement de la crise, le fait que le révisionnisme apparaît comme une force contre-révolutionnaire et l’expérience faite par les masses dans leurs luttes des positions des divers partis, ont été les facteurs déterminants de l’évolution de la conscience politique.

Jusqu’à présent beaucoup de travailleurs, en particulier petits-bourgeois, oscillaient. La crise venant, ils soutenaient notre mouvement ; la crise s’éloignant ils soutenaient le pouvoir en place. Avec le mûrissement des conditions révolutionnaires cette oscillation commence à se stabiliser. Les travailleurs choisissent leur camp et s’y tiennent.

Les progrès de la conscience de ce qu’est la nature du révisionnisme et du pouvoir d’Etat apparaissent clairement quand on compare le 25 avril et le 28 septembre. Le 25 avril c’était une fête. Le peuple était dans la rue ; c’était la liberté, le fascisme était vaincu, une nouvelle société allait naître. Nombreux étaient ceux qui se faisaient des illusions. Le 28 septembre cette grande joie n’existait plus.

Les manifestations étaient fortement encadrées par les révisionnistes et les larges masses disaient : « Rien n’a changé pour l’essentiel. Les bas salaires, le chômage, tel est notre lot. » On l’a bien vu le 1er octobre quand l’Intersyndicale a organisé un meeting pour soutenir « l’action des forces démocratiques victorieuses le 28 septembre ».

Ce fut un échec car ce meeting n’a réuni que quelques milliers de personnes. Cette prise de conscience des masses s’est faite sur la base de leur propre expérience. Elles ont pu vérifier ce que nous disions.

En ce qui concerne les organisations, la position définie par la première conférence nationale du MRPP au début du mois de mai, est toujours actuelle. Quand il s’agit de faire descendre dans la rue, en un temps relativement court, des milliers de personnes, on doit pouvoir compter sur les liaisons.

Celles-ci sont assurées par les organisations de la volonté populaire : les commissions ouvrières, les commissions de quartiers, les associations de paysans. Il est significatif qu’aucune des grandes luttes qui ont eu lieu depuis le 25 avril (à la TAP, à la CTT, à la Lisnave) n’a été dirigée par l’intersyndicale mais par les travailleurs eux-mêmes organisés par leur avant-garde.

Par ailleurs nous insistons également sur la nécessité de militer dans les syndicats. Les masses y accourent car elles se font encore des illusions à leur sujet. Elles se rendent compte il est vrai que l’intersyndicale est un appareil bureaucratique répressif. Néanmoins, pour résoudre leurs problèmes, les masses adhèrent aux syndicats. Aussi devons-nous y être présents.

Nous ne négligeons pas pour autant notre travail dans les commissions ouvrières qui se sont créées spontanément dans presque toutes les usines. Nous nous efforçons de mettre à leur tête des ouvriers combatifs, nos camarades, parce qu’elles constituent un lien de masse et qu’il est vital que l’avant-garde soit à la tête des organisations ouvrières dans une situation où la révolution est à l’ordre du jour.

Question : quels sont les rapports entre les commissions ouvrières et les structures syndicales ?

Réponse : il n’y en a pas. Dans les usines les ouvriers élisent à la proportionnelle leur commission. Elle peut prendre en main toutes les affaires de l’usine. C’est un organe de leur volonté. L’intersyndicale se bat pour mettre dans les usines ses délégués mais les ouvriers s’y opposent. Nous luttons pour imposer que les délégués soient élus à l’usine, par la base.

Question : il faut souligner le caractère particulier de l’expérience syndicale de la classe ouvrière portugaise. Jusqu’au 25 avril il existait des syndicats fascistes, corporatistes, auxquels participaient les révisionnistes. Après le 25 avril la question syndicale ne se pose pas dans les mêmes termes que dans d’autres pays n’ayant pas la même histoire.

Réponse : oui, auparavant les syndicats étaient fascistes-révisionnistes. Les révisionnistes y occupaient déjà des positions très fortes. Les masses, par contre, n’y avaient aucune confiance.

Elles n’y allaient qu’à des moments précis comme par exemple la révision des contrats de travail. Pour elles c’était un organisme de vendus. En ce temps notre tactique était de ne pas adhérer au syndicat et d’en démasquer le caractère fasciste-révisionniste. Nous incitions les masses à renforcer les commissions ouvrières.

Après le 25 avril les syndicats transformés sont devenus « libéraux révisionnistes ». Il y a désormais liberté syndicale mais les révisionnistes, profitant de leur forte implantation antérieure se sont emparé de la direction de !’Intersyndicale. Ils en ont fait une bureaucratie social-fasciste au service de l’Etat bourgeois et des patrons.

Cependant les masses rejoignent les syndicats car elles nourrissent des illusions quant à la possibilité de résoudre leurs problèmes avec leur aide. Nous devons y intervenir, y organiser des noyaux marxistes-léninistes pour les transformer d’organes de la contre-révolution en organes de la révolution. C’est une possibilité réelle chez nous.

Question : quand le Mouvement pour la Réorganisation du Parti du Prolétariat (M.R.P.P.) a-t-il été fondé ?

Réponse : le M.R.P.P. a été fondé le 18 septembre 1970, à l’intérieur du Portugal, dans la plus stricte clandestinité. C’est un mouvement marxiste-léniniste-maoïste, dans le sens qu’il suit les positions politiques, idéologiques, théoriques des grands éducateurs du prolétariat mondial, Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Tsé-toung ; nous considérons les enseignements de la GRCP (la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne) et la contribution du camarade Mao Tsé-toung à la théorie de la révolution comme des apports créateurs.

Pour nous, le maoïsme est le marxisme-léninisme de notre époque. Notre mouvement s’est fondé en opposition à toutes les initiatives antérieures, opportunistes, néo-révisionnistes, de rupture avec le révisionnisme. Nous considérons que le parti révisionniste, le dénommé P.C.P. n’a jamais été un parti communiste. A ses débuts, il était anarcho-syndicaliste ; dans les années trente il s’est transformé en parti opportuniste de droite et révisionniste. Les tentatives faites en 1964 pour rompre avec le révisionnisme ne firent que reproduire le révisionnisme sous de nouvelles formes.

Les groupuscules qui sont apparus, particulièrement dans l’émigration, après 1963 étaient néo-révisionnistes. Notre mouvement a pour but d’appliquer de façon créatrice les principes du marxisme-léninisme-maoïsme à la situation concrète de la lutte des classes au Portugal, de fondre le socialisme avec le mouvement ouvrier de notre pays. Sa fondation représente une étape nouvelle dans la lutte de la classe ouvrière portugaise pour son émancipation.

Question : votre Mouvement s’appelle « Mouvement pour La Réorganisation du Parti du Prolétariat », il se fixe donc pour tâche la réalisation des conditions pour la fondation du Pari ?

Réponse : nous considérons que la fondation du Parti est la tâche première des communistes portugais. Mais dans les conditions propres du mouvement ouvrier portugais, où il existe un parti révisionniste qui pendant plus de cinquante ans a désarmé, a trompé la classe ouvrière, fonder un nouveau parti au moyen d’une scission intervenant au sein du parti « communiste » portugais conduirait à reproduire ce parti.

C’est ce qui s’est passé en 1963 et après, avec l’apparition de groupuscules néo-révisionnistes dont plusieurs déclaraient avoir constitué le Parti. Nous pensons que celui-ci ne peut être fondé par décret mais dans la lutte de classe par la fusion de la théorie marxiste-léniniste et de la pratique du mouvement ouvrier.

Ce Parti se forgera dans les flammes de la lutte de classe au cours d’une pratique prolongée, à partir d’un noyau marxiste-léniniste enraciné dans les masses. Il devra réaliser les conditions politiques, organisationnelles et idéologiques nécessaires et suffisantes pour la fondation du Parti.

Nous parlons de fonder le Parti parce que nous ne voulons pas reprendre les traditions, les « héros », les pratiques des révisionnistes. Ça ne peut présenter aucun intérêt, sauf comme exemple négatif. Il s’agit de fonder un parti de type nouveau. Cela ne pourra se faire par une décision prise par quatre ou cinq personnes dans les quatre murs d’une chambre.

Question : quelles sont les conditions pour la fondation du Parti ?

Réponse : elles ont été formulées au cours d’une réunion du Comité Central en octobre 1972.

1° avoir mis au point un programme minimum et un programme maximum ainsi que les statuts. Le programme cependant ne peut être élaboré en chambre par une demi-douzaine de spécialistes. Il doit naître de la lutte des classes et répondre à ses besoins. Nous avons réalisé cette condition pour l’essentiel et préparons un projet de programme pour la fin de cette année. Nous publierons en même temps les statuts.

2° Avoir tracé une ligne de démarcation entre les marxistes-léninistes et les révisionnistes d’un côté, les marxistes-léninistes et les néo-révisionnistes de l’autre. Nous avons mené une importante lutte idéologique dans notre pays contre les faux communistes. Nous avons en particulier caractérisé politiquement et idéologiquement le néo-révisionnisme, phénomène qui est apparu aussi pensons-nous dans d’autres pays.

3° En troisième lieu, nous posons la condition d’avoir une position claire, nette et ferme sur la question coloniale et sur la question de l’indépendance nationale de notre patrie. Notre mouvement a été le seul qui ait adopté des positions internationalistes prolétariennes, en lançant le mot d’ordre « Guerre du Peuple à la Guerre coloniale ! », transformation de la guerre coloniale en guerre civile révolutionnaire.

Il a mené à l’intérieur du pays dans les dures conditions de la clandestinité, une grande lutte de masse contre la guerre et pour l’indépendance nationale des peuples frères des colonies. Nous avons par ailleurs caractérisé notre pays comme une néo-colonie de l’impérialisme américain, et désigné celui-ci comme l’ennemi principal du peuple portugais.

4° La quatrième condition, c’est d’avoir des noyaux forts dans les principaux centres ouvriers et dans quelques centres paysans. Notre mouvement a désormais des noyaux forts, stables, fermes, dans les principaux centres industriels et urbains de notre pays. Par contre notre pénétration dans la paysannerie est encore insuffisante. Nous devons faire des efforts importants pour que cette condition soit complètement remplie.

5° La cinquième condition, c’est la reconnaissance de notre mouvement par l’ennemi, comme étant son ennemi principal, et la reconnaissance des masses populaires à l’égard de notre mouvement comme leur avant-garde. Il est aussi nécessaire, bien que ce ne soit pas une condition essentielle que le mouvement communiste international ait une compréhension au moins implicite du rôle de notre mouvement. En ce qui concerne les deux premiers points, nous considérons ces conditions comme suffisamment remplies.

En ce qui concerne l’attitude du mouvement communiste international, notre mouvement s’efforce en ce moment de faire connaître sa position. Nous avons déclenché récemment un mouvement d’étude et de rectification des cadres et de mobilisation en vue de la fondation du Parti. Ce moment historique de la lutte des classes au Portugal n’est plus éloigné.

Question : est-ce que tu pourrais nous parler des organisations de masse créées à l’initiative du MRPP ?

Réponse : notre mouvement a constitué ou soutenu la mise sur pied de plusieurs organisations politiques de masse, presque toutes sous le fascisme.

− Le « Mouvement Populaire Anti Colonial » (MPAC) qui a lancé t l’intérieur comme parmi les émigrés une vaste action contre le colonialisme et la guerre, pour l’indépendance complète des peuples frères des colonies.

− La Résistance Populaire Anti Coloniale (RPAC), qui regroupe les soldats et les marins anticolonialistes et antimilitaristes dans la lutte contre le colonialisme et la guerre et contre la discipline militaire fasciste. Leur mot d’ordre est de retourner les armes contre la bourgeoisie. La RPAC, apparue tout de suite après notre mouvement, est la première organisation de masse que nous ayons fondée ; elle correspondait à une profonde nécessité du travail politique pour mobiliser les forces anti-colonialistes dans l’armée.

Le MPAC et la RPAC ont chacun leur journal central, l’« Anticolonialiste » pour le premier, « La Résistance » pour la seconde. Ces derniers sont toujours dans la clandestinité.

Il y a aussi, fondée récemment, la Fédération Révolutionnaire des Etudiants Portugais. La FREP rassemble un grand nombre de comités Ribeiro Santos. C’est une organisation de la jeunesse révolutionnaire et progressiste. Les comités Ribeiro Santos existent aussi dans la jeunesse non étudiante.

Mais les comités Ribeiro Santos des étudiants sont réunis dans la FREP. A la dernière séance de son congrès de fondation, le 7 novembre, assistaient 80 délégués de tout le pays. La FREP publie un journal légal : « le 12 Octobre ».

C’est la date à laquelle a été assassiné en 1972 notre camarade Ribeiro Santos par la Pide avec l’aide des révisionnistes. Son exemple a inspiré notre organisation de la jeunesse révolutionnaire et progressiste. C’est surtout parmi les jeunes étudiants et lycéens que sont actuellement réunies les conditions pour un regroupement dans une vaste organisation politique de masse. La FREP a en ce moment des milliers d’adhérents.

C’est une organisation très populaire. Dans toutes les villes du pays il y a aujourd’hui des comités Ribeiro Santos qui se développent rapidement car ils répondent aux besoins d’organisation de la jeunesse révolutionnaire et progressiste.

Question : dans quelles conditions a été assassiné Ribeiro Santos ?

Réponse : ce fut lors d’un meeting contre la répression fasciste à l’Institut Supérieur d’Economie de Lisbonne. Beaucoup d’étudiants avalent été emprisonnés et torturés. Ce meeting a réuni plusieurs centaines d’étudiants.

Peu avant qu’il ne commence, les étudiants ont découvert près de la salle un agent de la légion portugaise et de la Pide. Ils l’ont reconnu et l’ont conduit devant l’assemblée coiffé d’un sac et les mains liées derrière le dos ; ils se préparaient à faire un jugement populaire de cet assassin.

Paniqués, les révisionnistes qui dirigeaient à l’époque l’association des étudiants de l’Institut d’Economie sont allés trouver le secrétaire de la Faculté (qui était lui-même un informateur de la Pide) pour qu’il appelle la Pide afin qu’elle dise s’il s’agissait bien d’un de ses agents. Les étudiants, eux, l’avaient déjà identifié.

Les révisionnistes firent, peu après leur entrée dans la salle, suivis de deux agents de la Pide. Les masses ont dénoncé la présence des Pides et les ont attaqués pour leur infliger un juste châtiment. A la tête des jeunes se trouvait notre camarade Ribeiro Santos, militant de la Fédération des Etudiants Marxistes-Léninistes.

Quand il se précipita contre les Pides, les révisionnistes l’ont retenu en criant : « Du calme, du calme ! » et ont donné le temps aux agents de la Pide d’armer leurs fusils et d’ouvrir le feu. Il est mort d’une balle dans les poumons.

Un autre camarade a échappé au meurtre en empoignant le Pide, en l’obligeant à baisser le fusil. Il a reçu plusieurs balles de fusil dans la jambe. Puis il fut emprisonné et torturé. L’esprit du camarade Ribeiro Santos, l’esprit de servir le peuple et de se mettre à la tête des masses, a inspiré le travail de tout notre mouvement et celui de nos organisations de jeunesse en particulier.

Quand le 13 juin 1973 la police de choc a tué un ouvrier de la TAP lors d’une grève de cette entreprise, la jeunesse étudiante de Lisbonne a décidé de s’organiser en comité Ribeiro Santos pour soutenir les ouvriers de la TAP. En dépit des conditions de la clandestinité, cette initiative eut un grand retentissement. Beaucoup de jeunes ouvriers et de travailleurs d’autres zones du pays se sont organisés pareillement.

Il y a aussi les comités du 8 mars qui regroupent les travailleuses antifascistes. Ces comités n’ont pas encore d’organisation centralisée. Ils sont implantés dans les quartiers et les usines sous la direction des femmes les plus avancées. Elles organisent la lutte des femmes pour les revendications locales, contre la vie chère, le chômage, la surexploitation à laquelle elles sont soumises dans leur travail, etc.

C’est un mouvement différent du MLF. Nous pensons que la libération de la femme est inséparable de l’émancipation de la classe ouvrière. Les femmes font un magnifique travail d’agitation-propagande contre la guerre. Elles ont regroupé les mères, les épouses, les fiancées des soldats dans de grandes manifestations après le 25 avril, exigeant le retour immédiat des soldats et s’opposant aux embarquements.

Nous avons en outre appelé à former des commissions ouvrières. Avant le 25 avril elles existaient dans la clandestinité. Aujourd’hui elles fonctionnent dans toutes les usines comme organismes largement démocratiques élus par la classe ouvrière.

Les associations paysannes ne sont apparues que dans quelques endroits. Nous déployons actuellement de grands efforts sur ce front. Les salariés agricoles, les paysans pauvres se regroupent dans ces associations pour exiger l’expropriation des gros propriétaires et la distribution de la terre. Ils mettent aussi en avant des revendications relatives aux salaires, aux prix des produits, à celui de la terre, etc.

Il existe aussi une organisation construite autour du journal « Yenan ». Elle regroupe les intellectuels, les artistes révolutionnaires sous la direction du prolétariat. Leur tâche est de produire la culture nouvelle, la culture de la révolution au service du peuple. Le journal « Yenan » clandestin avant le 25 avril, paraît aujourd’hui légalement.

A ces organisations viennent s’en ajouter d’autres non intégrées dans notre mouvement mais liées à lui. Par exemple la Fédération des Etudiants Marxistes-Léninistes. Ce fut la première organisation communiste que nous ayons créée.

Elle a pris la tête de plusieurs grandes luttes étudiantes au cours des dernières années. Ses cadres se sont trempés dans les luttes de masse et sous la torture. Elle publie un journal légal : « Garde Rouge ».

Notre mouvement vient de lancer à l’extérieur du pays une organisation périphérique aussi pour les émigrés afin qu’ils soutiennent le peuple portugais et qu’ils élèvent leur conscience politique au cours des luttes auxquelles ils participent à l’étranger.

Question : pourrais-tu nous parler des grands mots d’ordre du MRPP ?

Réponse : la révolution au Portugal connaîtra deux étapes : la première sera démocratique et portera au pouvoir une dictature démocratique populaire, nouveau type d’Etat dirigé par la classe ouvrière en alliance avec la paysannerie et toutes les classes et couches de la population exploitées par l’impérialisme et le capitalisme monopoliste.

C’est le rôle important de la paysannerie pauvre dans la révolution qui rend nécessaire cette étape de révolution démocratique et populaire. Cette première étape réalisera les conditions du passage à la seconde, la révolution socialiste.

Quelques grands objectifs résument le programme de la révolution démocratique et populaire :

le pain, c’est-à-dire la fin de l’exploitation par le capital monopoliste et l’impérialisme, la remise à la classe ouvrière des moyens de production ;

la terre, c’est-à-dire l’expropriation des latifundia et leur distribution aux paysans pauvres ;

la paix qui passe par la reconnaissance totale du droit à l’indépendance des peuples des colonies. Il reste encore de grandes tâches à accomplir dans ce domaine. En effet, le peuple du Mozambique a remporté une grande victoire avec la signature des accords de Lusaka, mais une nouvelle provocation de la part du colonialisme portugais et de l’impérialisme est toujours possible.

Ils préparent un complot pour empêcher le peuple angolais d’accéder à l’indépendance totale. Au Timor, le colonialisme portugais veut maintenir sa domination avec l’appui de l’impérialisme américain qui voudrait faire du Portugal un gendarme protégeant ses intérêts dans cette zone de l’Orient.

Aux îles du Cap Vert, le gouvernement portugais s’efforce de faire obstacle à la libre décision du peuple de s’unir avec la Guinée. A Sao Tomé et Principe, le colonialisme s’oppose à l’indépendance au moyen de la manœuvre néo-colonialiste du référendum, de l’assemblée constituante, etc., comme en Angola.

Nous dénonçons aussi les provocations dont le ministre de la dénommée « cour des nations inter-territoriales portugaises » s’est rendu coupable en considérant Macao comme partie intégrante de l’Etat portugais. Macao fait partie intégrante de la République Populaire de Chine, et seule, celle-ci décidera du moment où ce territoire sortira de la domination portugaise ;

l’indépendance nationale. Elle suppose que notre patrie soit libre de toute emprise impérialiste ou social-impérialiste. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous atteindrons ce but quand le prolétariat et le peuple exproprieront les biens des impérialistes et qu’ils expulseront les agences impérialistes et social-impérialiste.

la démocratie, la liberté. Elles doivent bénéficier au peuple qui exercera la plus ferme dictature sur les exploiteurs. Nous aurons une « démocratie nouvelle » fondée sur l’alliance de la paysannerie et de la classe ouvrière avec toutes les classes exploitées sous la direction du prolétariat.

Le pain, la paix, la terre, la démocratie, la liberté, l’indépendance pour les colonies et pour le Portugal, tels sont les six objectifs de notre programme.

Question : vous êtes actuellement dans la phase de révolution démocratique et populaire caractérisée par ces six mots d’ordre. Avec le renversement de l’Etat capitaliste monopoliste, cette phase prend fin, et s’ouvre l’étape suivante, celle de la révolution socialiste, n’est-ce pas ?

Réponse : oui, la révolution populaire armée établira un Etat de type nouveau, démocratique et populaire. Ce pouvoir doit être dirigé par la classe ouvrière. C’est une condition pour qu’on puisse passer à l’étape du socialisme, à la transformation de l’Etat démocratique et populaire en un Etat socialiste.

Question : avec un programme adéquat à cette nouvelle étape ?

Réponse : c’est cela, un programme socialiste.

Question : que représente la Constituante dans la stratégie de la bourgeoisie ?

Réponse : la politique bourgeoise obéit en ce moment à deux nécessités : la première est d’empêcher par la répression que les marxistes-léninistes puissent conquérir la direction des luttes ; la seconde est de mettre fin à la crise en imposant une trêve dans la lutte des classes au moyen des élections pour l’Assemblée Constituante.

Que ces élections aient lieu ou non cela dépend d’événements à venir. La Révolution est à l’ordre du jour. La bourgeoisie ne peut plus gouverner, la classe ouvrière s’y prépare.

Nous devons être prêts à faire face à tous développements futurs, qu’ils viennent de la contre-révolution ou des masses populaires. Il est néanmoins vrai que les élections entraîneront une trêve sociale. Elles sont une manœuvre de la bourgeoisie pour enrayer le mouvement populaire. Stratégiquement, la position des marxistes-léninistes est que cette Assemblée aussi bien que l’Etat, doivent être détruits.

C’est pourquoi nous travaillons au développement de la lutte révolutionnaire, à l’approfondissement de la crise. Ceci dit, tactiquement nous devons tenir compte des illusions que nourrissent les masses en ce qui concerne l’Assemblée Constituante.

Elles s’intéresseront aux élections si elles ont lieu. Notre devoir est d’y participer, de profiter de toutes les tribunes pour présenter notre programme, démasquer la manœuvre des élections, élever la conscience des masses. Ce serait les abandonner à l’influence de la bourgeoisie que de ne pas participer à la campagne.

Il faut dire que les nouvelles lois qui réglementent les élections et les partis sont aussi antipopulaires et scélérates que les précédentes. Elles sont conçues pour éliminer les marxistes-léninistes. Même si un parti obtient la majorité dans une, deux ou trois circonscriptions, il ne peut être représenté à l’Assemblée s’il n’a obtenu 5% des voix dans tout le pays.

De plus, la bourgeoisie a fabriqué une loi qui oblige les partis politiques à donner cinq mille noms à la police pour s’inscrire aux élections. Mais les masses populaires s’offriront pour donner ces cinq mille signatures et même plus. Notre parti pourra ainsi protéger son épine dorsale, son appareil politique central, contre les tentatives de la bourgeoisie pour le connaître afin de le détruire.

La question de la légalisation juridique de notre mouvement ou du parti (au cas où celui-ci existerait à ce moment) n’a rien à voir avec la question de la fondation du parti.

Cette dernière est une question politique qui sera tranchée par la classe ouvrière et n’est pas soumise aux conditions de la bourgeoisie. Notre mouvement se transformera en Parti quand les conditions politiques établies par son C.C. seront réunies.

Question : parle-nous de la campagne que vous avez lancée pour réunir les signatures nécessaires à la légalisation de votre mouvement.

Réponse : nous avons entamé cette campagne d’adhésions populaires dans un grand meeting de masse le vendredi 22 novembre au Pavillon des Sports à Lisbonne. Après avoir expliqué notre politique devant plus de dix mille personnes nous leur avons demandé de souscrire des bulletins d’adhésion que nous avions mis à leur disposition. Il y eut plus de deux mille adhésions. Nous sommes sûrs de pouvoir réunir bien plus que les cinq mille signatures nécessaires au cours des réunions qui auront lieu dans tout le pays.

Question : tu as parlé de l’insurrection populaire et des préparatifs de contre-révolution armée. Les révisionnistes font un grand battage en comparant la situation portugaise et la situation chilienne. Qu’en est-il de la violence révolutionnaire de masse, dès l’étape actuelle au Portugal ?

Réponse : avec le développement de la révolution apparaîtra la nécessité d’armer le peuple et d’organiser sa violence. Nous envisageons le moment où la révolution cessera de se développer pacifiquement. A ce moment les marxistes-léninistes devront être prêts à prendre la tête d’une armée populaire. Au Portugal la révolution ne l’emportera pas dans des délais courts comme en Russie. Nous aurons une guerre populaire prolongée, principalement parce qu’à cette phase l’intervention de l’impérialisme est Inévitable.

Question : que penses-tu de la lutte des deux superpuissances pour le Portugal ?

Réponse : un nouveau Munich se prépare à la suite de la conférence de « Sécurité européenne ». Le développement de la révolution dans des pays dominés jusque-là sans partage par les Etats-Unis (Grèce, Espagne, Portugal) a fait reculer leur influence alors que se renforçait celle du social-impérialisme.

Le danger d’un coup d’Etat impérialiste ou social-impérialiste guette notre peuple. Les deux superpuissances sont unies pour empêcher la révolution tout en se disputant notre patrie. Kissinger a menacé le président de la Junte militaire de lui tirer le tapis sous les pieds. Il a déclaré à des dirigeants européens que les Etats-Unis interviendraient « au cas où la situation deviendrait très grave ».

Si une telle éventualité se matérialisait, le peuple portugais aurait besoin du soutien le plus total des autres peuples européens dans sa lutte patriotique. D’ores et déjà celle-ci revêt la plus haute importance.

Question : vous avez émis l’hypothèse que cette agression pourrait venir de forces militaires espagnoles ?

Réponse : oui. Nous ne pouvons savoir comment cette intervention sera déclenchée concrètement. Une chose est sûre, pour défendre « les intérêts et les citoyens américains », il y a plusieurs moyens d’intervenir : débarquer des marines, bombarder, envahir avec des mercenaires portugais, etc.

Les agents de la CIA préparent et arment en ce moment en Espagne des milliers d’agents de la Pide qui s’entraînent près de la frontière conjointement avec des mercenaires d’autres pays. Ils bénéficient de la complicité des autorités espagnoles. La possibilité d’une invasion venue d’Espagne avec l’aide de l’armée fasciste, ou son intervention directe, ne doit pas être exclue.

Question : face à cette situation quel soutien internationaliste attendez-vous de la part des progressistes, des révolutionnaires, des marxistes-léninistes européens ?

Réponse : la tempête révolutionnaire s’approche en Europe où éclatent constamment des révoltes contre l’exploitation capitaliste, l’impérialisme américain, le social-impérialisme.

L’ampleur de ces luttes, fruit de la crise générale de l’impérialisme, ira croissant. Notre pays occupe une place particulière dans cette situation parce que la révolution y est à l’ordre du jour. La lutte des classes y est arrivée à un stade très aigu où la classe ouvrière doit envisager de pouvoir gouverner alors que la bourgeoisie n’est plus en état de le faire.

Notre combat peut comporter des enseignements pour l’ensemble du mouvement ouvrier européen. L’issue des batailles décisives qui seront livrées au Portugal affectera la lutte des classes en Europe. Depuis la création de notre mouvement, la classe ouvrière portugaise a su accomplir ses devoirs internationalistes et a la ferme intention de continuer à le faire.

En retour, nous sommes sûrs de pouvoir compter sur le soutien de la classe ouvrière et sur celui des marxistes-léninistes qui dirigent ses luttes en Europe. Ce soutien sera de la plus haute importance pour la révolution au Portugal. A son tour la victoire de cette révolution apportera une grande contribution au développement de la révolution prolétarienne en Europe et dans les autres parties du monde.


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