elysia_chlorotica-_la_limace_de_mer_photosynthetique.jpgDans l’article précédent, nous avons vu que le moteur de la symbiogenèse était la contradiction qui existe entre deux organismes entrant en relation.

Au premier abord, on pourrait croire que la lutte de ces organismes est finalement similaire à une vision néo-darwiniste (et social-darwiniste) de l’évolution de la vie, qu’on peut résumer par la lutte de tous contre tous. Cependant, ce serait ne pas voir toute la complexité du processus de symbiogenèse et ce serait ne pas voir que rien n’existe de manière isolée.

Tout d’abord, la notion même d’individu est différente dans les deux conceptions de la biologie.

Pour le néo-darwinisme, et notamment pour la version défendue par Richard Dawkins, l’individu existe en tant que produit de l’ADN et c’est lui, en tant qu’unité isolée de l’extérieur, qui cherche à survivre.

Pour la symbiogenèse, le concept d’individu pose beaucoup plus de questions. Comme il résulte de la fusion de plusieurs organismes, son existence même est beaucoup moins absolue.

Lynn Margulis explique ainsi :

« Les expériences sur les amibes soulignent l’erreur qui consiste à croire que l’évolution fonctionne toujours « pour le bien de l’individu ».

Car après tout, qu’est-ce que l’« individu » ? Est-ce l’amibe seule avec ses bactéries internalisées ?

Ou la bactérie seule qui vit elle-même dans la cellule vivante elle aussi ?

La notion d’individu est vraiment une abstraction, une catégorie d’esprit, un concept. Et la nature a tendance à évoluer en faisant fi de toute catégorie ou de tout concept étroit. »

Lynn Margulis & Dorion Sagan, L’univers bactériel (1986)

Boris Kozo-Polyansky précise :

« Une cellule est un système, c’est-à-dire une collection de corps autonomes, auto-suffisants qui, jusqu’à un certain point seulement, ont perdu leur individualité. Chacun existe dans son seul intérêt et représente une unité de vie spéciale également en dehors de la collection dans laquelle ils sont partenaires.

En même temps, les organites des cellules ne sont pas un produit de la différentiation mais plutôt le résultat de la composition, l’assemblage et l’incorporation à partir de unités de la vie extérieures. Avant l’incorporation, elles étaient autonomes et elles existaient indépendamment.

Aucune route vers la division du travail a mené à la formation de ces organites, mais l’incorporation de certains partenaires dans le système a assuré la division du travail. »

Boris Kozo-Polyansky, Symbiogenesis, a new principle of evolution (1924)

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Il y a donc une relation complexe entre individualité et communauté.

D’ailleurs, cette relation montre encore une fois à quel point la symbiogenèse est en accord avec le matérialisme dialectique. Le matérialisme dialectique affirme en effet que rien n’est indivisible et la symbiogenèse confirme cela : les êtres vivants sont divisibles étant le produit de la fusion de nombreux autres organismes.

Pour en revenir à la question de la différence entre le néo-darwinisme et la symbiogenèse, il est important de bien comprendre ce qu’implique la lutte entre les organismes dans chacune de ces conceptions.

Selon la vision néo-darwiniste de la compétition entre individus, il faut bien comprendre que le combat continu entre individus aboutit juste à la disparition du « perdant ». Le « vainqueur », quant à lui, survit uniquement pour lui-même, sans plus de signification.

Selon la symbiogenèse, au contraire, celui qui est ingéré persiste dans une certaine mesure en tant que symbiote tandis que l’hôte a évolué grâce à ce que lui a apporté le symbiote. Il y a donc ici une progression, un saut qualitatif évident. De plus, la symbiogenèse a une signification : elle mène la vie vers toujours plus de complexité.

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Enfin, selon le néo-darwinisme, la compétition entre individus est continuelle et donc indépendante de l’environnement.

Alors que, pour la symbiogenèse, la lutte entre individus accompagne les changements dans l’environnement. Par exemple, Lynn Margulis explique que l’ingestion de protéobactéries respirant de l’oxygène par des organismes mobiles anaérobies – c’est-à-dire la naissance des mitochondries – résulte d’un grand changement dans l’environnement : l’épuisement du gaz carbonique et l’accumulation de l’oxygène (ce que Lynn Margulis a appelé l’« holocauste à l’oxygène »).

Autrement dit, les mitochondries sont apparues pour pallier à un problème qui concernait tous les organismes anaérobies : l’asphyxie suite au changement d’atmosphère. Ainsi c’est l’ensemble de la vie qui a permis un progrès grâce à l’acquisition des mitochondries. Elles ont en effet permis la stabilisation de l’oxygène à une teneur de 21 % (qui est encore celle que nus connaissons aujourd’hui).

La symbiogenèse se produit dans certaines conditions et n’a rien à voir avec une compétition continuelle entre les individus : elle signifie la synthèse permettant à l’ensemble de la vie de progresser.


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