Lénine mentionne dans Matérialisme et empiriocriticisme un argument tout à fait logique, qui remet en cause la thèse de la toute-puissance de la vie intérieure.

Si le monde n’existe qu’à travers notre appréhension de lui, alors comment se fait-il que le monde existait avant nous ? En fait, le développement autonome de la réalité, sans notre regard humain, est impossible aux yeux du néo-kantisme, de l’empiriocriticisme, etc., qui ne sont que des formes d’expression de la prétention bourgeoise à transformer la réalité selon ses simples besoins, dans une logique par ailleurs totalement anthropocentristes.

Voici ce qu’explique Lénine à ce sujet :

« Nous citerons, pour les marxistes qui s’intéressent à cette question indépendamment du moindre mot prononcé par Plekhanov, l’opinion de L. Feuerbach qui, tout le monde le sait (sauf peut‑être Bazarov ?), fut un matérialiste grâce à qui Marx et Engels, abandonnant l’idéalisme de Hegel sont parvenus à leur philosophie matérialiste. Feuerbach écrivait dans sa réplique à R. Haym :

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« La nature, qui n’est pas l’objet de l’homme ou de la conscience, est bien entendu pour la philosophie spéculative, ou tout au moins pour l’idéalisme,‑ une chose en soi au sens de ce terme chez Kant » (nous reparlerons de la confusion établie par nos disciples de Mach entre la chose en soi des matérialistes et celle de Kant), « une abstraction dénuée de toute réalité ; mais c’est justement la nature qui amène la faillite de l’idéalisme.

Les sciences de la nature, au moins dans leur état actuel, nous conduisent nécessairement à un point où les conditions de l’existence humaine faisaient encore défaut, où la nature, c’est-à-dire la terre, n’était pas encore un objet d’observation pour l’œil et l’intelligence humaine ; où la nature était, par conséquent, un être absolument étranger à l’humain (absolut unmenschliclies Wesen).

A cela l’idéalisme peut répliquer : Mais cette nature est une nature conçue par toi (von dir gedachte).

Certes, mais il ne s’ensuit pas qu’elle n’ait pas existé dans le temps, comme il ne s’ensuit pas que Socrate et Platon, parce qu’ils n’existent pas pour moi quand je ne pense pas à eux, n’aient pas eu une existence réelle en leur temps, sans moi. »

Telles sont les réflexions auxquelles se livrait Feuerbach sur le matérialisme et l’idéalisme, en ce qui concerne l’antériorité de la nature par rapport à l’homme (…). On se demande comment des gens qui n’ont pas perdu la raison peuvent affirmer, sains d’esprit et de jugement, que la « représentation sensible (peu importe dans quelles limites) est justement la réalité existant hors de nous ». La Terre est une réalité existant hors de nous.

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Elle ne peut ni « coïncider » (au sens : être identique) avec notre représentation sensible, ni se trouver avec cette dernière en coordination indissoluble, ni être un « complexe d’éléments » identiques, dans une autre connexion, à la sensation, puisque la terre existait à des époques où il n’y avait ni êtres humains, ni organes des sens, ni matière organisée sous une forme supérieure laissant voir plus ou moins nettement que la matière a la propriété d’éprouver des sensations (…).

La négation de la vérité objective par Bogdanov, c’est de l’agnosticisme et du subjectivisme. L’absurdité de cette négation ressort nettement, ne serait‑ce que du seul exemple que nous avons cité, emprunté à l’histoire scientifique de la nature.

Les sciences de la nature ne permettent pas de douter que cette affirmation : la terre existait avant l’humanité, soit une vérité. Cela est parfaitement admissible du point de vue matérialiste de la connaissance : l’existence de ce qui est reflété indépendamment de ce qui reflète (l’existence du monde extérieur indépendamment de la conscience) est le principe fondamental du matérialisme.

Cette affirmation de la science : la terre est antérieure à l’homme, est une vérité objective. Et cette affirmation des sciences de la nature est incompatible avec la philosophie des disciples de Mach et leur théorie de la vérité : si la vérité est une forme organisatrice de l’expérience humaine, l’assertion de l’existence de la terre en dehors de toute expérience humaine ne peut être vraie. »

Lénine résume ainsi cela en affirmant :

« Les sciences de la nature soutiennent positivement que la terre existait dans un état où ni l’homme ni aucun être vivant vit général ne l’habitait ni ne pouvait l’habiter. La matière organique est un phénomène plus récent, le produit d’une longue évolution. Il n’y avait donc pas de matière douée de sensibilité, pas de « complexes de sensations », pas de Moi d’aucune sorte, « indissolublement » lié au milieu d’après la doctrine d’Avenarius. La matière est primordiale : la pensée, la conscience, la sensibilité sont les produits d’une évolution très avancée. Telle est la théorie matérialiste de la connaissance, adoptée d’instinct par les sciences de la nature. »


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