la_revolution_russe_a_la_veille_de_la_revolution_1.jpgL’épuration dans le POSDR a correspondu avec la remontée des mouvements de grève ; entre 725.000 et un million de prolétaires seront en grève en 1912, ce qui revient aux chiffres d’un million d’ouvriers en grève en 1906 et de 740.000 en 1907. En 1913 les chiffres seront compris entre 861.000 et 1.272.000, et lors des six premiers mois de 1914 les grévistes auront été 1,5 million.

La réaction réagit, encore et toujours, par la violence ; ainsi, alors qu’en avril 1912 le tsarisme ouvre le feu sur une grève de mineurs de Sibérie en faisant 500 morts, et des grèves politiques s’ensuivent, portées par 300 000 personnes.

C’est le moment où les bolcheviks lancent leur journal quotidien, publié à 40.000 exemplaires, la Pravda (la « Vérité »), qui en raison d’interdictions prendra par la suite des noms proches (« Sa Pravdu » – Pour la vérité, « Putj Pravdy » – La voie de la vérité, « Trudowaja Pravda » – La vérité ouvrière).

Le journal comme vecteur organisationnel permettait d’affronter la répression, par exemple pour payer les amendes par des collectes. Il diffusait des milliers correspondances ouvrières, témoins des luttes.

Sur un total de 7.000 groupes ouvriers qui effectuèrent en 1914 le collectage de fonds pour les journaux ouvriers, 5.600 groupes ramassèrent des fonds pour la presse bolchevique et 1.400 groupes seulement pour la presse menchévique, preuve également de la vivacité activiste bolchevique. Staline dira que

« La Pravda de 1912, ça a été la pose des fondations de la victoire du bolchévisme en 1917. »

A côté de cela, une revue plus avancée idéologiquement fut également publiée : Zvezda (l’Etoile). C’est le Parti qui se construisait dans le feu de la lutte des classes, qui incendiait le pays avec une grande intensité ; il s’appliquait à conquérir les syndicats, les maisons du peuple, les universités du soir, les clubs, les établissements d’assurances.

Le 1er mai 1912, la grève fut ainsi portée par près de 400 000 ouvriers. Mais ce n’est pas tout : le capitalisme se développait, et sous la forme de grands centres industriels (principalement Pétersbourg, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, Kostroma, Iékatérinoslav, Kharkov). Plus de la moitié de la classe ouvrière travaillait dans les grandes et très grandes entreprises, et elle se reconnaissait dans les bolcheviks : lors des élections parlementaires, sur les 9 députés de la « curie ouvrière », 6 étaient des bolcheviks.

Les grèves se généralisaient, dans la première partie de 1914, il y avait 1,5 million de grévistes. A l’usine Oboukhov de Pétersbourg, la grève dura plus de deux mois ; celle de l’usine Lessner, près de trois mois. La répression était proportionnelle ; rien qu’en mars 1914, à Saint-Pétersbourg, 70 000 ouvriers furent renvoyés en un seul jour.

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En juillet 1914, la situation se transforma en crise de grande ampleur, comme un écho de 1905. Toutes les usines étaient en ébullition ; meetings et manifestations se déroulaient partout. On en vint même à dresser des barricades, comme à Bakou et à Lodz. En plusieurs endroits, la police tira sur les ouvriers et pour écraser le mouvement, le gouvernement décréta des mesures d’ « exception » ; la capitale avait été transformée en camp retranché. La Pravda fut interdite.

C’est alors que la guerre impérialiste fut déclarée, le régime en profitant pour écraser les révoltes pour lancer une campagne de nationalisme. La Russie n’avait pas d’autres choix, de toutes manières, que de participer à la guerre impérialiste du côté anglo-français.

Les usines métallurgiques les plus importantes de Russie se trouvaient entre les mains de capitalistes français ; près de la moitié des puits de pétrole étaient aux mains du capital anglo-français.

La métallurgie dépendait à 72% du capital étranger, situation équivalente dans l’industrie houillère dans le bassin du Donetz. Les banques anglo-françaises étaient massivement présentes dans le capitalisme russe, et le tsarisme avait lui-même emprunté des sommes énormes.

La situation avait également un autre aspect. Les social-démocraties allemande et française avaient décidé de soutenir la guerre impérialiste. Cela signifiait une crise en profondeur dans le mouvement ouvrier.

Seul le bolchevisme rejetait le soutien à la guerre impérialiste ; sous l’impulsion de Lénine fut mis en avant le principe de la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile », à l’opposé du social-chauvinisme des Menchéviks, des socialistes occidentaux et des anarchistes, qui d’opposants à la guerre avant que celle-ci n’éclate se transformèrent en chauvins professionnels une fois celle-ci déclarée.

Les cellules du Parti organisèrent, par conséquent, clandestinement leurs activités afin de pouvoir mener l’agitation et la propagande sans succomber face à la répression.

Sur le plan international, les bolcheviks participèrent aux deux conférences internationalistes en Suisse à de Zimmerwald (1915) et Kienthal (1916), où ils prônèrent la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, la défaite des gouvernements impérialistes respectifs dans la guerre et la constitution d’une IIIe internationale.

Au cœur de la guerre mondiale, Lénine publie alors une œuvre d’importance historique : « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Il y expliquait le cheminement du capitalisme jusqu’à l’impérialisme, et les tâches devant être assumées par les communistes.

Voici comment est présenté ce moment historique dans le Précis d’histoire du PCUS(b), en 1938 :

« Les bolcheviks soutenaient la guerre du premier genre. En ce qui concerne l’autre guerre, les bolcheviks estimaient qu’on devait diriger contre elle une lutte résolue, allant jusqu’à la révolution et au renversement de son gouvernement impérialiste.

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Les ouvrages théoriques composés par Lénine du temps de la guerre eurent une énorme importance pour la classe ouvrière du monde entier. C’est au printemps de 1916 qu’il écrivit son Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Lénine montra dans ce livre que l’impérialisme est le stade suprême du capitalisme, le stade où celui-ci, de capitalisme « progressif » qu’il était, s’est déjà transformé en capitalisme parasitaire, en capitalisme pourrissant ; que l’impérialisme est un capitalisme agonisant.

Cela ne voulait point dire, bien entendu, que le capitalisme disparaîtrait de lui-même, sans une révolution du prolétariat ; que de lui-même, il achèverait de pourrir sur pied.

Lénine a toujours enseigné que sans une révolution accomplie par la classe ouvrière, il est impossible de renverser le capitalisme. C’est pourquoi, après avoir défini l’impérialisme comme un capitalisme agonisant, Lénine montrait en même temps dans son ouvrage que « l’impérialisme est la veille de la révolution sociale du prolétariat ».

Lénine montrait que l’oppression capitaliste, à l’époque de l’impérialisme, allait se renforçant ; que dans les conditions de l’impérialisme, l’indignation du prolétariat augmentait sans cesse contre les bases du capitalisme ; que les éléments d’une explosion révolutionnaire se multipliaient au sein des pays capitalistes.

Lénine montrait qu’à l’époque de l’impérialisme la crise révolutionnaire s’aggrave dans les pays coloniaux et dépendants ; que l’indignation s’accroît contre l’impérialisme ; que les facteurs d’une guerre libératrice contre l’impérialisme s’accumulent.

Lénine montrait que dans les conditions de l’impérialisme, l’inégalité du développement et les contradictions du capitalisme s’aggravent particulièrement ; que la lutte pour les marchés d’exportation des marchandises et des capitaux, la lutte pour les colonies, pour les sources de matières premières, rend inévitables les guerres impérialistes périodiques en vue d’un nouveau partage du monde.

Lénine montrait que justement par suite de ce développement inégal du capitalisme, des guerres impérialistes éclatent qui débilitent les forces de l’impérialisme et rendent possible la rupture du front de l’impérialisme là où il se révèle le plus faible.

Partant de ce point de vue, Lénine en arrivait à conclure que la rupture du front impérialiste par le prolétariat était parfaitement possible en un ou plusieurs points ; que la victoire du socialisme était possible d’abord dans un petit nombre de pays ou même dans un seul pays pris à part ; que la victoire simultanée du socialisme dans tous les pays, en raison du développement inégal du capitalisme, était impossible ; que le socialisme vaincrait d’abord dans un seul ou dans plusieurs pays tandis que les autres pays resteraient, pendant un certain temps, des pays bourgeois.

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Voici la formule de cette conclusion géniale, telle que Lénine la donna dans deux articles du temps de la guerre impérialiste :

1° « L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste pris à part.

Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde, capitaliste, en attirant à lui les classes opprimées des autres pays. .. » (Extrait de l’article « Du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe », août 1915. Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 755.)

2° « Le développement du capitalisme se fait d’une façon extrêmement inégale dans les différents pays. Au reste il ne saurait en être autrement sous le régime de la production marchande. D’où cette conclusion qui s’impose : le socialisme ne peut vaincre simultanément dans tous les pays. Il vaincra d’abord dans un seul ou dans plusieurs pays, tandis que les autres resteront pendant un certain temps des pays bourgeois ou pré-bourgeois.

Cette situation donnera lieu non seulement à des frottements, mais à une tendance directe de la bourgeoisie des autres pays à écraser le prolétariat victorieux de l’Etat socialiste. Dans ces cas-là, la guerre de notre part serait légitime et juste. Ce serait une guerre pour le socialisme, pour l’affranchissement des autres peuples du joug de la bourgeoisie. » (Extrait de l’article : « Le programme militaire de la révolution prolétarienne », automne 1916. Lénine, Œuvres choisies, t. I, p. 888.)

Il y avait là une théorie nouvelle, une théorie achevée sur la révolution socialiste, sur la possibilité de la victoire du socialisme dans un pays pris à part, sur les conditions de sa victoire, sur les perspectives de sa victoire, — théorie dont les fondements avaient été définis par Lénine, dès 1905, dans sa brochure Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique.

Elle différait foncièrement de la conception répandue dans la période du capitalisme pré-impérialiste parmi les marxistes, au temps où ceux-ci estimaient que la victoire du socialisme était impossible dans un seul pays, que le socialisme triompherait simultanément dans tous les pays civilisés.

C’est en partant des données relatives au capitalisme impérialiste, exposées dans son remarquable ouvrage L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, que Lénine renversait cette conception comme périmée ; il formulait une nouvelle conception théorique d’après laquelle la victoire simultanée du socialisme dans tous les pays était jugée impossible, tandis que la victoire du socialisme dans un seul pays capitaliste pris à part était reconnue possible. »


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