Les « Cahiers » du « Cercle Proudhon » ne sont pas parvenus à une synthèse fasciste à laquelle sont parvenus en Italie le fascisme et en Allemagne le national-socialisme. Ces synthèses fascistes possédaient par ailleurs un tiraillement profond entre des tendances conservatrices et plébéiennes.

C’est précisément cet aspect qui a posé problème au fascisme français. Ce dernier a été incapable de dépasser la dynamique antidémocratique pour arriver à proposer un projet de société. Le nationalisme a été proposé comme seul horizon, sans que soit proposé l’idéologie conséquente d’une société organique.

Même Charles Maurras, le grand théoricien de l’Action française, n’a jamais dépassé le cap de la simple critique de la démocratie et de la république. Nombre de contre-valeurs sont proposées, comme la décentralisation, la monarchie, etc. mais il n’y a jamais de véritable direction proposée sur le long terme.

L’anticapitalisme romantique ne dépasse pas les remarques critiques, le simple soutien à l’esprit et aux valeurs du petit propriétaire. Le parcours de Georges Valois, une figure importante du « Cercle Proudhon », est ici représentatif. Il quitte l’Action française qu’il avait rejoint en 1906 et lui arrache même sa maison d’édition, la « Nouvelle librairie nationale », ayant fondé en 1925 « Le faisceau des combattants et des producteurs », soutenant le fascisme italien et lui-même appuyé par deux milliardaires, le parfumeur Francois Coty et l’industriel du cognac Jean Hennessy.

Aux yeux de Georges Valois :

« Fascisme et bolchevisme sont une même réaction contre l’esprit bourgeois et ploutocratique. Au financier, au pétrolier, à l’éleveur de porcs qui se croient les maîtres du monde et veulent l’organiser selon la loi de l’argent, selon les besoins de l’automobile, selon la philosophie des cochons, et plier les peuples à la politique du dividende, le bolcheviste et le fasciste répondent en levant l’épée. L’un et l’autre proclament la loi du combattant ». (La Révolution nationale)

La nouvelle organisation ne tiendra qu’une année, marquée notamment par une attaque des locaux de l’Action française, dont les membres répliquèrent à coups de pistolet, par les « chemises bleues » du « faisceau ».

Georges Valois passe alors dans le camp du mutellisme proudhonien réformiste, fondant le « Parti Républicain Syndicaliste » et les Cahiers bleus pour la république syndicale, écrivant « Technique pour une révolution syndicale », tentant de rejoindre le parti socialiste SFIO avec l’appui du trotskyste Marceau Pivert, pour finir déporté par les nazis.

De son côté, Edouard Berth rejoint le Parti Communiste français à sa fondation, pour remettre en avant le syndicalisme révolutionnaire dans les années 1930.

Si toutes les conceptions du fascisme étaient présentes, il n’y a jamais eu de synthèse française, en raison justement de la tradition du proudhonisme, qui a bloqué l’idée même de synthèse, de théorie. Sur ce plan, l’idéologie de Georges Sorel est tout à fait conforme au proudhonisme, avec son refus de la politique, son « mythe mobilisateur » de la grève générale, etc.

Ainsi, les variantes du proudhonisme ont toujours oscillé entre syndicalisme révolutionnaire, fascisme, « révolution conservatrice », corporatisme, mutuellisme, etc., c’est-à-dire entre des variantes réformistes et socialisantes proches de la social-démocratie anti-marxiste et les mouvements d’extrême-droite qui, en France, sont restés dans un esprit conservateur.

Cela est très visible dans la « Déclaration » publié dans le premier « Cahier » du « Cercle Proudhon ». Le proudhonisme est utilisé comme moyen de remettre en avant des valeurs traditionnelles et conservatrices, de critiquer le capitalisme de manière antisémite au moyen de la référence du « sang », etc. On a clairement les mêmes valeurs que le fascisme. Mais il lui manque justement l’idéalisme du fascisme, son romantisme agressif et total.

« Les Français qui se sont réunis pour fonder le Cercle P.-J. Proudhon sont tous nationalistes. Le patron qu’ils ont choisi pour leur assemblée leur a fait rencontrer d’autres Français qui ne sont pas nationalistes, qui ne sont pas royalistes et qui se joignent à eux pour participer à la vie du Cercle et à la rédaction des Cahiers. Le groupe initial, ainsi étendu, comprend des hommes d’origines diverses, de conditions différentes, qui n’ont point d’aspirations politiques communes, et qui exposeront librement leurs vues dans les Cahiers.

Mais républicains fédéralistes, nationalistes intégraux et syndicalistes, ayant résolu le problème politique ou l’éloignant de leur pensée, tous sont également passionnés pour l’organisation de la cité française selon des principes empruntés à la tradition française qu’ils retrouvent dans l’œuvre proudhonienne et dans les mouvements syndicalistes contemporains, et tous sont parfaitement d’accord sur ces points :

I La démocratie libérale est la plus grande erreur du siècle passé. Si l’on veut vivre, si l’on veut travailler, si l’on veut posséder dans la vie sociale les plus hautes garanties humaines pour la Production et pour la Culture, si l’on veut conserver et accroître le capital moral, intellectuel et matériel de la civilisation, il est absolument nécessaire de détruire les institutions démocratiques.

II. La démocratie libérale idéale est la plus sotte des rêveries.

La démocratie historique, réalisée sous les couleurs que lui connaît le monde moderne, est une maladie mortelle pour les nations, pour les sociétés humaines, pour les familles, pour les individus. Ramenée parmi nous pour instaurer le règne de la vertu, elle tolère et encourage toutes les licences. Elle est théoriquement un régime de liberté ; pratiquement elle a horreur des libertés concrètes, réelles et elle nous a livrés à quelques grandes compagnies de pillards, politiciens associés à des financiers ou dominés par eux, qui vivent de l’exploitation des producteurs.

III. La démocratie libérale enfin a permis, dans l’économie et dans la politique, le rétablissement du régime capitaliste qui détruit dans la cité ce que les idées démocratiques dissolvent dans l’esprit, c’est-à-dire la nation, la famille, les mœurs, en substituant la loi de l’or aux lois du sang.

IV. La démocratie libérale vit de l’or (du règne de l’argent) et d’une perversion de l’intelligence. Elle mourra du relèvement de l’esprit et du rétablissement des institutions que les Français créent ou recréent pour la défense de leurs libertés et de leurs intérêts spirituels et matériels. C’est à favoriser cette double entreprise que l’on travaillera au Cercle Proudhon.

On luttera sans merci contre la fausse science qui a servi à justifier les idées démocratiques et contre les systèmes économiques qui sont destinés, par leurs inventeurs, à abrutir les classes ouvrières, et l’on soutiendra passionnément les mouvements qui restituent aux Français, dans les formes propres au monde moderne, leurs franchises et qui leur permettent de vivre en travaillant avec la même satisfaction du sentiment de l’honneur que lorsqu’ils meurent en combattant.

Les Fondateurs du cercle Proudhon et Rédacteurs des Cahiers : Jean Darville [Edouart Berth], Henri Lagrande, Gilbert Maire, René de Marans, André Pascalon, Marius Riquier, Georges Valois, Albert Vincent. »


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