italia_irredenta.jpgLa contradiction entre l’Italie du Nord et celle du Sud devait être résolue soit par une révolution démocratique – qui ne pouvait plus être menée que par le prolétariat, la bourgeoisie étant devenue réactionnaire alors – soit par une tentative de modernisation par en haut ossifiant la contradiction dans une fuite en avant.

L’irruption de la première guerre mondiale impérialiste précipita la seconde option ; tel est la nature du fascisme qui triomphera à sa suite.

Initialement, l’Italie n’entra pas en guerre, bien qu’elle faisait alors partie de l’alliance dite de la Triplice, avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Une intense agitation nationaliste poussa pourtant le régime à aller vers la guerre, ce qui se fit en prenant partie pour la Triple-Entente, composée de la France, du Royaume-Uni et de de la Russie.

 

Deux raisons sont essentielles ici. La première est que la participation à la guerre renforce le bloc industriel et la conception d’une gestion modernisatrice du pays par en haut pour faire face à la mobilisation générale.

La seconde est qu’il y a l’idée, à l’arrière-plan, que l’ennemi héréditaire autrichien ne sera pas en mesure de maintenir son empire et que l’expansionnisme italien a de vastes possibilités, d’ailleurs encouragées par les forces de la Triple-Entente en l’échange d’une participation à la guerre.it22.jpg

Cet expansionnisme disposait d’une base extrêmement solide, de par les échecs de l’unité italienne, dont les contours devenaient par là extrêmement lâches et prétextes à un nationalisme dépassant largement le cadre du simple droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Le mouvement italien dit « irrédentiste » commença ; de fait, dès la seconde moitié du XIXe siècle, avec la formation en 1877 de l’Associazione in pro Italia irredenta, suivi en 1885 de celle du mouvement Pro Patria, qui suite aux interdictions deviant en 1891 la Lega Nazionale Italiana dans le Trentin et à Trieste, territoires austro-hongrois.

Le vigoureux irrédentisme italien commençait, à partir de là, à viser directement des territoires sous domination autrichienne et considérés comme italiens, notamment le Trentin, l’Istrie, la Dalmatie, mais également Monaco, la Savoie, Nice, la Corse, Malte ainsi que d’autres territoires appelés irrédents car appelant à la rédemption nationale.

Ce courant expansionniste était puissant ; même Antonio Labriola, dirigeant de l’aile gauche du Parti Socialiste italien, avait soutenu l’opération coloniale en Éthiopie.

Le traité de Londres, établi en 1915 pour amener l’Italie à participer à la première guerre mondiale, fit les promesses territoriales suivantes à celle-ci :

« le Trentin, le Tyrol du Sud avec ses frontières naturelles et géographiques, le Brenner, la ville de Trieste et ses environs, le comté de Gorizia et de Gradisca, l’Istrie entière jusqu’à Kvarner, y compris Volosko, et les îles istriennes de Cres (Cherso) et de Losinj (Lussino), ainsi que les petites îles de Plavnik, Unije, Vele Srakane, Palazzuoli, Sveti Petar, Asinello et Gruica ainsi que leurs îlots voisins. »

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A cela s’ajoute la Dalmatie septentrionale, ainsi que « toutes les îles situées au nord et à l’ouest de la Dalmatie depuis Premuda, Selve, Olib, Scherda, Maona, Pag et Vir au nord jusqu’à Mljet au sud, comprenant les îles de Sveti Andrija, Biševo, Vis (Lissa), Hvar (Lesina), Šćedro, Korcula (Curzola), Sušac et Lastovo (Lagosta) ainsi que les îlots et de rochers avoisinants et Pelagosa, à l’exception seulement des îles de Drvenik Veli et Drvenik Mali, Čiovo, Šolta et Brač (Brazza) ».

De plus, la côte yougoslave devait être pratiquement neutralisée militairement.

Qui plus est, l’Albanie devait être démantelée, avec une protectorat italien fondé dans sa partie centrale, la souveraineté sur la ville albanaise de Vlora, ainsi que sur les îles de Dodécanèse.

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L’Italie participa ainsi de plain-pied à la première guerre mondiale, mobilisant 5,6 millions d’hommes, mais n’obtenant, en fin de compte, qu’une « victoire mutilée » selon elle, puisque le traité de Londres n’est pas appliqué, notamment sous la pression de l’impérialisme américain.

Cette expression de « victoire mutilée » fut façonnée par l’écrivain dandy, lié au symbolisme-décadentisme, Gabriele D’Annunzio (1863-1938).

Ce dernier avait été un ardent partisan de l’entrée en guerre et en 1918 organisa un vaste largage de centaines de milliers de tracts depuis des avions au-dessus de la capitale autrichienne, Vienne, appelant à cesser la guerre et célébrant la « liberté » italienne.

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Déçu que la ville de Rijeka, Fiume en italien, ne soit pas remise à l’Italie malgré que la majorité de la ville soit de culture italienne, il décide de l’occuper militairement avec une 2000 aventuriers, chassant en 1919 les forces anglo-franco-américaines et instaurant une « Régence italienne du Carnaro ».

Le syndicaliste, d’orientation national-syndicaliste, Alceste De Ambris (1874-1934) écrivit la constitution de ce projet, Gabriele D’Annunzio ajoutant la dimension mystico-poétique.

Gabriele D’Annunzio en devint le « Commandant », mais surtout le Vate (magicien-prophète) puisque le projet se voulait une sorte de cité idéale, dans une démarche nietzschéenne, avec l’établissement du salut romain comme symbole absolu, la généralisation des cérémonies et des discours depuis un balcon, etc.

Un conseil des « meilleurs », composés de membres élus pour trois ans, s’occupait de la vie politique, alors qu’un conseil des « corporations » dirigeait l’économie qui se divisait en neuf corporations, la dixième étant artistique, rassemblant les poètes, les héros, les prophètes, les surhommes, etc.

En 1920, l’Italie mit elle-même fin à ce projet qui, toutefois, avait canalisé et galvanisé tout le courant irrédentiste qui, désormais, par la victoire mutilée, se combinait avec l’exaltation nationaliste de l’Italie comme pays trahi et opprimé.

Tout un espace était ouvert pour considérer l’Italie comme la grande prolétaire, pour que le nationalisme se transforme en vecteur d’une lutte présentée comme celle pour l’existence sociale.


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