raf-50-2.jpgSPIEGEL : Le collectif R.A.F. a-t-il adopté une nouvelle tactique ? Les campagnes préparées et dirigées depuis les prisons ont éveillé dans la population le même intérêt à votre sujet que les bombes et les grenades en 1972 ?

R.A.F. : II ne s’agit pas de bavardages sur la tactique.

Nous sommes prisonniers et nous luttons actuellement avec la seule arme qui nous reste en prison et dans l’isolement : la grève de la faim collective, afin de sortir du processus d’extermination dans lequel nous nous trouvons ; de longues années d’isolement social.

C’est une lutte à la vie, à la mort ; nous n’avons pas le choix sinon de gagner par cette grève de la faim ou alors de mourir ou être détruits psychiquement et moralement par le lavage de cerveaux, l’isolement et les traitements spéciaux.

SPIEGEL : Peut-on parler de « torture par isolement » ou même de « détention-extermination » ? Vous lisez un paquet de journaux, si nécessaire vous écoutez la radio et regardez la télévision de temps en temps. M. Baader, par exemple, a eu à sa disposition à un certain moment une bibliothèque de 400 volumes. Vous avez des contacts avec d’autres membres de la R.A.F., échangez des messages clandestins, vous recevez des visiteurs et vos avocats vont et viennent dans vos cellules.

R.A.F. : Si l’on ne possède que le Spiegel et les informations diffusées par les services de sécurité de l’Etat, on peut se poser la question.

Après deux, trois, quatre années d’isolement social, on ne sait plus que l’on se trouve dans un processus d’extermination.

Cela, on le supporte peut-être pendant quelques mois, mais pas pendant des années. Empêcher l’institutionnalisation des lavages de cerveau par l’isolement est pour nous la condition de notre survie, c’est en fonction de cela que les procès se dérouleront avec ou sans nous.

Affirmer qu’il s’agit pour nous, par cette grève de la faim, de nous rendre nous-mêmes inaptes à la détention et inaptes à comparaître devant le tribunal – alors que chacun sait que des prisonniers politiques inaptes à la détention, sont des prisonniers morts – cette affirmation-là fait partie de la tactique de l’adversaire, c’est de la contre-propagande.

Les services du procureur fédéral ont reculé ces procès pendant trois ans et demi, pour briser les prisonniers par l’isolement, la torture, le lavage de cerveaux, les sections silencieuses, la psychiatrisation.

Les services du procureur fédéral ne veulent plus de ces procès.

Ou, s’ils les veulent, alors c’est sans les accusés et sans leurs défenseurs, parce qu’il est devenu évident que ces procès à grand spectacle contre la politique révolutionnaire – auto-représentation du pouvoir d’Etat impérialiste – (ce que veut Büback) ne peuvent être mis en scène qu’en notre absence.

SPIEGEL : Malgré leur répétition constante, des mensonges ne deviennent pas crédibles ; et opinion publique a compris depuis longtemps que ces mensonges sont lancés – de mauvaise foi – pour jeter le doute sur la justice, ce que vous avez incontestablement réussi.

R.A.F. : C’est parce qu’il s’agit de faits dont vous ne pouvez pas faire disparaître l’importance politique en les contestant.

SPIEGEL : Vous êtes en détention préventive, étant inculpés pour des délits graves tels que meurtre et tentative de meurtre. Ne subissez-vous pas les mêmes conditions de détention que les autres prisonniers en détention préventive ?

R.A.F. : Nous réclamons la suppression des traitements spéciaux et il ne s’agit pas seulement de prévenus. Pour les prisonniers politiques, la justice ne fait pas de différences ; et à ce propos, nous disons : TOUT PROLÉTAIRE PRISONNIER, QUI COMPREND POLITIQUEMENT SA SITUATION, ET QUI ORGANISE LA SOLIDARITÉ, LA LUTTE DES PRISONNIERS, EST UN PRISONNIER POLITIQUE, QUEL QUE SOIT LE MOTIF QUI L’A CONDUIT EN PRISON.

La justice isole également des prisonniers qui sont déjà condamnés, pour certains depuis quatre années, comme : Werner Hoppe, Hellmut Pohl, Rolf Heissler, Ulrich Luther, Siegfried Knutz.

Plusieurs milliers ici sont maltraités par le système pénitentiaire et à partir du moment où ils commencent à résister, sont brisés par l’isolement.

C’est contre cela que nous luttons, par cette grève, en tant qu’action collective contre l’institutionnalisation de l’isolement.

Dans les prisons anciennes, là où il manque les « machines à isoler » (sections pour les « fauteurs de trouble », ce qui signifie : ceux qui troublent l’inhumanité dont ils sont victimes) ces machines sont mises en place, comme à Tegel, Bruchsal, Strübing, Hanover, Zweibrücken, etc.

Les nouvelles prisons incluent dans les principes de leur construction leur architecture, l’isolement comme système de détention.

Ces principes s’orientent, en R.F.A., non pas vers les modèles suédois, mais au contraire vers les méthodes et expériences américaines et les méthodes fascistes de « programmes de réhabilitation ».

SPIEGEL : Concrètement, dites-nous en quoi consiste ce que vous appelez  » traitements spéciaux « . Nous avons fait des recherches sur les conditions actuelles de détention du collectif R.A.F. ; nous n’avons pu trouver la trace de traitements spéciaux, mais plutôt une série de privilèges.

R.A.F. : Vous n’avez fait aucune recherche.

Vous vous êtes laissé informer par la Sûreté de l’Etat et par les services du procureur fédéral.

Traitements spéciaux, cela signifie :

– Huit mois de section silencieuse pour Ulrike, pour Astrid.

– Des années d’isolement social pour tous les prisonniers de la R.A.F.

– Des anesthésies de force, ordonnées par un tribunal, « aux fins d’enquête ».

– Pendant plusieurs années, la promenade mains liées.

– Sur ordre permanent des tribunaux, « utilisation immédiate de la force », ce qui signifie : les vexations dans les cellules de tranquillisation, au cours des transports, des interrogatoires, des confrontations et lors des visites.

– La censure des journaux.

– Des lois d’exception.

– Des bâtiments spéciaux pour les procès contre les prisonniers de la R.A.F. : à Kaiserslautern et, à Stammheim le procès – sur le budget de la Sûreté de l’Etat – « évalué » à 150 millions de marks, dans une forteresse de béton gardée par des unités de police de trois Länders, alors qu’il semble qu’au cours de ce procès les accusés et leurs défenseurs ne seront pas admis à l’audience – au cas toutefois où la justice laisserait des accusés en vie.

– Entraves faites aux défenseurs : publication de matériaux de la défense, de parties de dossiers et de dossiers de la sécurité de l’Etat, dans le cadre des campagnes du gouvernement visant à conditionner les verdicts et évincer les défenseurs.

– Manipulations des dossiers.

– La presse de Springer peut disposer de dossiers avant la défense alors que les services du procureur fédéral refusent d’en donner communication à la défense.

– Les défenseurs sont surveillés jour et nuit ; leur courrier contrôlé, leur téléphone sur table d’écoute, et leurs bureaux sont perquisitionnés.

– Les avocats ont des sanctions disciplinaires de la part de leur Ordre et d’inculpations pour leur travail d’information auprès de l’opinion publique.

– Les parents et visiteurs sont l’objet de pressions de la part des services de sécurité de l’Etat, et ce jusque sur leur lieu de travail. Ils sont terrorisés par une surveillance non dissimulée.

– Ceux qui désirent nous écrire ou nous visiter sont espionnés et fichés par les services de sécurité de l’Etat.

Ils sont obligés, sous la pression de la grève de la faim, de maquiller la réalité et les ministères envoient des équipes filmer.

En principe, rien n’est changé.

Mais la réalité, à l’heure actuelle, c’est s’isolement organisé de l’intérieur des prisons avec une précision meurtrière : tout en restant isolés, les détenus peuvent se rencontrer, par deux, et seulement deux heures par jour.

Cela n’empêche pas le processus de destruction, et ça reste un système coupé de l’extérieur. Cela signifie que le lavage de cerveau doit continuer et que l’interaction sociale doit être rendue impossible.

Par rapport à l’extérieur, l’isolement est perfectionné par l’exclusion des défenseurs, ou en l’occurrence la limitation au nombre de trois de ceux-ci.

Si l’on s’en réfère à la norme de Posser, six années d’isolement par exemple pour nous et à la responsabilité des services du procureur fédéral quant au recul de la date des procès, on comprend ce que signifie  » détention-extermination « . Prouvez-nous donc qu’un seul de ces  » privilèges  » n’existe pas !

SPIEGEL : Au début, vous avez décrit la nutrition forcée comme une machination fasciste ; après la mort de Holger Meins, vous avez, parlé de « meurtre ». N’y a-t-il pas là une contradiction ?

R.A.F. : Cela ne vient pas de nous, mais la nutrition forcée est un moyen pour enlever à la grève de la faim son impact vers l’extérieur ; c’est ainsi que des stations médicales de réanimation ont été installées dans les prisons, afin de pouvoir dire que « tout a été fait ».

Alors que le plus simple n’a pas été fait : supprimer l’isolement et les traitements spéciaux !

Holger Meins a été exécuté sciemment par une sous-nutrition systématique, la nutrition artificielle était, dès le début, à la prison de Wittlich une méthode pour assassiner. Au début, brutale, directe, violente, pratiquée pour briser la volonté, et par la suite pratiquée seulement en apparence. 400 calories par jour : il s’agit seulement d’une question de temps, de jours, jusqu’à ce que l’on meurt.

Le procureur fédéral Büback et les services de sécurité ont manigancé cela en s’arrangeant pour que Holger Meins reste à la prison de Wittlich, jusqu’à qu’il soit mort.

Le 21 octobre, le tribunal (O.L.G.) de Stuttgart avait ordonné le transfert de Holger Meins à Stuttgart au plus tard le 2 novembre.

Dès le 24 octobre, Büback, procureur fédéral, faisait savoir au tribunal de Stuttgart que la date du transfert ne pouvait pas être respectée par les services de sûreté de l’Etat : cette information n’a toutefois été rendue publique qu’après la mort de Holger Meins.

Pour terminer, le médecin de la prison Hutter, a cessé complètement la nutrition artificielle et est parti en voyage. Il faut également préciser que l’Office fédéral de police criminelle était informé sur Tétât des prisonniers, pendant toute la durée de la grève de la faim, par les directions des prisons.

II faut souligner que Hutter, avant qu’il se retire, parce que Holger était mourant, a demandé à Degenhardt de lui assurer qu’il ne ferait l’objet d’aucune plainte – de la même manière, toutes les plaintes portées contre Degenhardt ont été annulées.

Degenhardt est le médecin qui, durant l’été 1973, pendant la seconde grève de la faim à Schwalmstadt, a supprimé l’eau « pour raisons médicales « pendant neuf jours, jusqu’au coma. C’est ce médecin que Büback qualifiait de  » sommité médicale » en parlant à Frey, qui « soignait » alors les prisonniers de Zweibrücken.

Holger Meins a été assassiné d’après un plan portant sur la manipulation de la date du transfert ; c’est la faille qui permet au procureur fédéral et à la police de sûreté de l’Etat de viser directement les prisonniers.

Le fait qu’aucun journaliste n’ait encore fait de recherches là-dessus, ni ne les ait publiées ne signifie rien quant aux faits eux-mêmes ; mais au contraire, souligne la collaboration et la complicité, l’amalgame entre les trusts de l’information, les services de sécurité de l’Etat, le procureur fédéral, les services fédéraux de la police criminelle et les services secrets.

SPIEGEL : Nous n’acceptons en aucune manière votre version du soi-disant « meurtre à tempérament » de Meins. Vous nous donnez, l’impression d’une psychose de la persécution, ce qui serait très compréhensible après des années de clandestinité et de détention. Au « Spiegel », nous avons critiqué le comportement du médecin de la prison Hutter ; le procureur a ouvert une instruction contre Hutter.

R.A.F. : II ne s’agit pas de Hutter, il n’est qu’un des médecins des prisons, ils n’ont rien à décider.

La médecine pénitentiaire est organisée hiérarchiquement, et Hutter est tout au plus l’un des personnages qui est saisissable.

Un PORC, mais un petit ; il sera tout au plus rendu responsable bien que là aussi, aucune des personnes qui connaissent l’application des peines et la fonction réelle de la médecine pénitentiaire n’y croient.

Ce que vous appelez « critiquer » c’est un vieux truc qui consiste à parler d’ » inconvénients », « d’accidents clé parcours » afin de les rendre incompréhensibles, alors qu’en fait il ne s’agit pas d’accidents de parcours, mais de la société de classes, de sa justice, de ses camps de prisonniers.

Compte tenu de la situation dans les prisons, de la démagogie fasciste autour de cette grève dans les médias, des concerts des politiciens professionnels, des réactions incontrôlées par rapport à l’action non-violente d’un petit groupe aux limites de la défensive – prisonnier et isolé – comme s’il s’agissait d’une attaque militaire (Strauss a parlé de droit de guerre), tout tend à montrer à quel point la couverture de légitimité du système est bouffée par ses crises politiques et économiques.

C’est là que vous devriez chercher une maladie, en considérant l’intérêt réel qu’a l’Etat dans l’extermination des prisonniers de la R.A.F., plutôt que de bavarder sur les psychoses de persécution.

SPIEGEL : Les Britanniques ont supprimé récemment la nutrition forcée, par exemple pour les terroristes de l’I.R.A. Les grèves de la faim étaient terminées aussitôt. Comment vous comporteriez-vous, dans ce cas ?

R.A.F. : Ce n’est pas là notre problème.

La C.D.U. exige l’arrêt de la nutrition forcée, de la même manière qu’elle met le cap ouvertement vers l’état d’exception, le fascisme alors que le S.P.D. oriente son potentiel électoral et son histoire vers le même but, fascisation.

Pénétration de l’Etat dans tous les domaines de la vie, militarisation totale de la politique, manipulation, endoctrinement du peuple par les médias, dans le sens des buts de la politique intérieure et extérieure de l’impérialisme ouest-allemand, c’est-à-dire camoufler et faire passer, « vendre  » celle-ci comme politique pour le peuple, les  » socialement faibles « , sous l’aspect de réformes.

C’est ainsi que la C.D.U. propage ouvertement le meurtre, alors que la S.P.D ». louvoie, essaie de camoufler les meurtres en suicide, et ne peut prendre position ouvertement pour la ligne dure de la sûreté de l’Etat, qui décide en dernier ressort de nos conditions de détention.

SPIEGEL : Ne voyez-vous pas de nouveau des fantômes ? Toutes les déclarations connues jusqu’à présent de la R.A.F. ne se basent-elles pas sur les analyses insoutenables sur cet Etat, cet S.P.D., cette C.D.U., cette justice ? Nous voyons ici le défaut qui vous a fait perdre, jusqu’à présent, l’influence politique sur la population. Pour cette raison vous n’êtes pas en mesure de combattre cet état, si toutefois il le méritait de manière efficace, et pour cette raison vous ne trouvez pas de soutien à la base !

R.A.F. : Ce sont un peu des inepties que vous essayez ici de tourner. Ce que vous déclarez « insoutenable » n’est avant tout pas marchandage et notre position, le contre-pouvoir prolétarien, est par rapport à la vôtre, le pouvoir impérialiste antagoniste analytique et pratique.

Vous discutez des lacunes, des bases et des effets de la politique révolutionnaire, alors que votre boulot consiste à la remettre en question grâce à un journalisme qui, depuis longtemps, s’est ouvertement déclaré comme ayant un rôle positif dans le fonctionnement intérieur de l’Etat – cet Etat dont la politique prolétarienne est la négation.

Nous poser cette question à nous, en tant que question venant du Spiegel, cela n’a pas de sens. La théorie et la pratique ne deviennent unité que dans la lutte.

C’est leur dialectique.

Nous développons notre analyse comme une arme, ainsi elle est concrète ; et elle a été rendue publique là seulement où nous sommes en mesure de contrôler sa publication.

SPIEGEL : Vous ne voulez cesser votre grève de la faim que lorsque vos revendications auront été satisfaites ; avez-vous des perspectives de succès ? Dans le cas contraire, procéderez-vous à une escalade, et par exemple, commencerez-vous une grève de la soif si les revendications ne sont pas satisfaites ? Quelles actions préparez-vous à l’intérieur et à l’extérieur de la prison ?

R.A.F. : Büback croit encore pouvoir briser la grève de la faim et l’utiliser afin de nous exterminer, au moyen du meurtre, de la psychiatrisation forcée.

C’est pourquoi des stations de réanimation ont été installées dans les prisons.
Stations où nous devons être ligotés vingt-quatre heures par jour, mis en état de somnolence par des psychodrogues, nourris de force, dans un immobilisme total, tant physique qu’intellectuel.

C’est aussi le pourquoi de l’utilisation de la contre-propagande et de la conduite psychologique de la guerre.

SPIEGEL : Psychiatrisation forcée,  » conduite psychologique de la guerre « , tout cela n’existe que dans l’imagination de la R.A.F…

R.A.F. : Cela existe dans la réalité que vous propagez, qui est celle de l’impérialisme.

Il y a eu l’anesthésie forcée contre Carmen, afin de prendre ses empreintes digitales, et contre Ulrike la décision de l’anesthésier pour une scintigraphie et en 1974, celle contre six prisonniers à Hambourg, afin d’enquêter.

La nutrition forcée n’est possible que si le prisonnier est sous anesthésie.

Des prisonniers politiques, par exemple, à Hambourg et Essen : Beer, Pohl, Allnach, Blenck, Hoppe, Kröcher, ont été enfermés dans la cloche (cellule d’isolement) à plusieurs reprises pour quarante-huit heures et davantage, parce qu’ils appelaient un autre prisonnier pendant la promenade dans la cour, ou ne s’arrêtaient pas de courir pendant celle-ci, ou pour rien : isolés de tout bruit, ne pouvant pas même se lever pour chier, étant attachés par les mains et les pieds sur une planche, cela signifie une privation acoustique, privation des fonctions motrices, visuelles. L’effet est comme celui d’un narcotique.

Vous pouvez affirmer que vous trouvez cela bien, mais vous ne pouvez pas dire que nous l’avons inventé, car tous ces faits sont attestés par des centaines de décisions de tribunaux.

Le soutien par les publications qui lui était nécessaire, Büback l’a eu, entre autres par l’initiative de Heineman, mais également par l’essai de Ditfurth, paru dans le Spiegel, précis quant au fascisme par les mots, pour qui meurtre et psychiatrisation forcés ne sont que des moyens lui permettant de véhiculer ses trucs cyniques, pour brutaliser le climat politique autour de la grève de la faim.

Lorsque Carstens, à la mi-novembre, commença de diriger ouvertement le meurtre contre nos personnes, il y avait encore dans l’opinion publique comme un choc, une contradiction, de l’horreur.

La fonction de Heineman était d’écarter les doutes, là où ils subsistaient encore, par rapport à la ligne dure de Büback : auprès des intellectuels, des écrivains, des églises.

Le rôle de ce personnage a toujours été de revêtir d’un langage le contenu agressif de la politique de l’impérialisme ouest-allemand ; un aspect qui donne l’apparence de ce que Heineman croit être un contenu humaniste – en fonction des associations qu’il manipule.

Les lettres de Heineman étaient en réalité des appels nous demandant de nous soumettre au lavage de cerveau ou au meurtre. De la même manière, en tant que président fédéral, il a gracié Ruhland ; et par ses lettres, il a dirigé les condamnations à mort contre nous du procureur fédéral, avec le geste humaniste, qui libère la conscience de ses partisans.

Ce qu’il voulait – comme à Pâques, en 1968, où, pendant sa législature, il a voulu intégrer les étudiants, les antifascistes traditionnels et la nouvelle gauche dans le nouveau fascisme – c’est préparer le terrain pour les meurtres.

NOUS ALLONS ENTAMER UNE ESCALADE DE CETTE LUTTE ET COMMENCER LA GREVE DE LA SOIF.

Nous ne préparons pas d’actions, ni dedans, ni dehors, parce que nous sommes prisonniers et isolés.

SPIEGEL : La mort de Holger Meins a-t-elle été une opportunité pour le collectif R.A.F. ?

R.A.F. : Cela, c’est de la projection fasciste ; la réflexion de quelqu’un qui ne peut plus penser autrement qu’en termes de marché : le système qui réduit toute vie humaine à de l’argent, de l’égoïsme, du pouvoir, de la réussite.

Comme le Che, nous disons : LE GUERILLERO NE DOIT RISQUER SA VIE QUE SI CELA EST ABSOLUMENT NÉCESSAIRE, MAIS DANS CE CAS SANS HÉSITER UN SEUL INSTANT.

Et cela est tout à fait vrai pour la mort de Holger Meins : « la résonance de l’histoire », celle qui s’est éveillée par la lutte armée anti-impérialiste, est entrée dans l’histoire des peuples du monde.

Elle a  » été une opportunité « , cela veut dire qu’elle a brisé le boycott de l’information. Car, si beaucoup de gens ne s’éveillent seulement que lorsque quelqu’un est assassiné et à partir de ce moment commencent seulement à comprendre de quoi il s’agit, c’est que vous en êtes également responsable.

C’est ainsi que le Spiegel a passé sous silence pendant huit semaines la grève de la faim de quarante prisonniers politiques afin d’empêcher solidarité et protection.

SPIEGEL : … nous avons fait des comptes rendus de la grève de la faim de la R.A.F. plus d’une fois et de manière critique.

R.A.F. : Votre premier compte rendu a paru le cinquante-troisième jour de la grève de la faim, soit cinq jours avant la mort de Holger Meins.

SPIEGEL : Etes-vous préparés à voir d’autres cas mortels ?

R.A.F. : BÜBACK ATTEND ÇA DANS SON BUREAU.

SPIEGEL : Vous pensez bien que nous trouvons un tel soupçon monstrueux.

R.A.F. : Oestereicher, le président de Amnesty-Angleterre, en tant que défenseur professionnel des droits de l’homme – qui, dans ses tentatives de conciliation, était entièrement du côté de l’Etat – après son entretien avec Büback, était : « épouvanté de voir que Büback, froid comme la glace, jouait au poker avec la vie des prisonniers  » (textuellement).

SPIEGEL : Quel est le point de départ de votre analyse de la situation en République fédérale allemande ?

R.A.F. : Centre impérialiste.

Colonie américaine.

Base militaire américaine.

Puissance dirigeante impérialiste en Europe et dans le Marché commun.

Deuxième puissance militaire de l’OTAN.

Représentant patenté des intérêts de l’impérialisme américain en Europe de l’Ouest.

La fusion de l’impérialisme ouest-allemand (politiquement, économiquement, militairement, idéologiquement fondé sur les mêmes intérêts d’exploitation du Tiers-Monde, ainsi que sur l’homogénéité des structures sociales au moyen de la concentration des capitaux et de la culture de consommation) avec l’impérialisme américain caractérise la position de la République fédérale vis-à-vis des pays du Tiers-Monde : en tant que parti dans les guerres conduites contre eux par l’impérialisme américain, en tant que  » ville  » dans le processus révolutionnaire mondial d’encerclement des villes par les villages.

Dans cette mesure, la guérilla dans les métropoles est une guérilla urbaine aux deux sens du terme : géographiquement, elle surgit, opère et se développe dans les grandes villes, et au sens stratégique et politico-militaire elle est une guérilla urbaine car elle s’attaque de l’intérieur à la machine répressive de l’impérialisme dans les métropoles, elle combat comme unité de partisans sur les arrières de l’ennemi.

C’est ce que nous entendons aujourd’hui par internationalisme prolétarien.

En un mot : la République fédérale faisant partie du système étatique de l’impérialisme américain, n’est pas une Nation opprimée mais une Nation qui opprime.

Dans un tel Etat, le développement du contre-pouvoir prolétarien et de sa lutte de libération, le démantèlement complet des structures dominantes, de pouvoir, ne peuvent être, dès leurs débuts, qu’internationalistes, ne sont possibles qu’en relation tactique et stratégique avec les luttes de libération des Nations opprimées.

Historiquement : depuis 1918-1919, la bourgeoisie impérialiste – son Etat – possède l’initiative dans le déroulement des luttes de classe en Allemagne et est à l’offensive contre le peuple ; et cela jusqu’à ce que les organisations du prolétariat se soient trouvées totalement défaites dans le fascisme jusqu’à la défaite de l’ancien fascisme, défaite due non pas à la lutte armée, mais aux alliés occidentaux et à l’armée soviétique.

Dans les années 20, il y a eu la trahison de la Troisième Internationale : alignement total des partis communistes sur l’Union soviétique, qui se trouve à l’origine de l’incapacité du K.P.D. (parti communiste d’Allemagne) d’en venir à une politique orientée vers la révolution par la lutte armée et la conquête prolétarienne du pouvoir politique.

Après 1945, il y a eu l’offensive lavage de cerveau de l’impérialisme américain contre le peuple au moyen de l’anticommunisme, de la culture de consommation, de la restauration-refascisation politique, idéologique, et finalement militaire sous la forme de guerre froide et d’une R.D.A. (République démocratique allemande) qui n’a pas développé la politique communiste comme guerre de libération.

Il n’y a pas eu ici de résistance antifasciste, de masses armées comme en France, Italie, Yougoslavie, Grèce, Espagne, même Hollande.

Les conditions pour cela ont été immédiatement brisées par les alliés occidentaux après 1945.

Tout cela signifie pour nous et pour la gauche légale, ici : il n’y a rien à quoi nous rattacher, sur quoi nous appuyer historiquement, il n’y a rien que nous puissions présupposer d’une manière ou d’une autre en termes organisationnels ou de conscience prolétarienne, pas même des traditions démocratiques pu républicaines.

Au plan de la politique intérieure, il s’agit là d’un des motifs qui rend possible sans retenue le processus de fascisation, la surcroissance et l’excroissance de l’appareil policier, de la machine de sûreté de l’Etat comme police de l’Etat dans l’Etat, la suppression factice de la division des pouvoirs, la promulgation de lois d’exception fascistes dans le cadre du programme de  » sécurité interne  » – depuis les lois d’urgence jusqu’aux lois d’exception actuelles qui permettent le déroulement de procès sans accusés ni défenseurs, comme pure entreprise de spectacle, mais également l’exclusion de « radicaux  » des services publics, l’élargissement des compétences de l’Office de police criminelle.

Une démocratie qui n’a pas été conquise, qui n’est pour le peuple qu’un bourrage de crâne et n’a pas de base de masse, ne peut pas être défendue et ne l’est pas non plus. Tout cela, ce sont des conditions spécifiques au territoire politique de la République fédérale.

SPIEGEL : Jusqu’à présent, avec des bombes et des slogans vous n’avez pu obtenir l’adhésion que de très petits groupes d’intellectuels et sympathisants anarchistes. Croyez-vous encore pouvoir changer cela ?

R.A.F. : Les guerres de libération des peuples du Tiers-Monde ont des répercussions économiques, politiques, militaires et idéologiques sur la société métropolitaine, que Lin Piao appelait  » couper les pieds à l’impérialisme.

Elles accentuent les contradictions dans les métropoles.

Les moyens et les méthodes que le système emploie pour nier ces contradictions deviennent dépassés.

Les réformes se transforment en répressions, l’appareil militaire et policier est développé démesurément et ce d’autant plus que les moyens manquent dans le secteur.

L’appauvrissement de la population, la militarisation de la politique, la répression intensifiée, tel est le développement forcé de la crise du système.

Sortir d’une position politique et historique défensive et intervenir dans ce processus de désintégration est la condition de base de la politique révolutionnaire ici.

SPIEGEL : On vous reproche souvent un manque absolu d’influence sur les masses ainsi que dé liaison avec la base. Imputez-vous cela au fait que le collectif R.A.F. est éloigné de la réalité ? Avez-vous, entre-temps, affûté votre optique ? Beaucoup ont l’impression que vous n’attirez encore l’attention que là où vous suscitez de la pitié, en conséquence de quoi vous n’avez même pas l’approbation de l’extrême gauche. Où situez-vous vos partisans ?

R.A.F. : II y a la trace laissée par la politique de la R.A.F. Pas de partisans, pas de suivistes et pas d’organisations de successeurs.

Mais la R.A.F. et l’effet de notre politique se situent :

1° au niveau où beaucoup, modifiant leur opinion sur cet Etat étant donné les mesures prises par le gouvernement contre nous, commencent à le reconnaître pour ce qu’il est : la machine répressive de la bourgeoisie impérialiste ;

2° au niveau où nombreux sont ceux qui, s’identifiant avec notre lutte, devenant conscients et relativisants dans leur pensée, leur sensibilité et finalement dans leur action, l’absolutisme de pouvoir du système, reconnaissent ce qu’il est possible de faire, que le sentiment d’impuissance ne reflète pas la réalité objective ;

3° au niveau de l’internationalisme prolétarien, de la conscience de la relation entre des luttes de libération dans le Tiers-Monde et ici, de la possibilité et de la nécessité de collaborer légalement et illégalement.

Au niveau de la praxis : qu’il ne suffit pas seulement de parler, mais qu’il est possible et nécessaire, nécessaire et possible d’agir.

SPIEGEL : Voulez-vous être des cadres et le rester et provoquer seuls la chute du régime ou bien croyez-vous toujours pouvoir mobiliser les masses prolétariennes ?

R.A.F. : Aucun révolutionnaire ne pense à renverser seul le système, c’est absurde. Il n’y a pas de révolution sans le peuple.

De telles affirmations contre Blanqui, Lénine, Che Guevara, contre nous maintenant n’ont jamais été autre chose que la dénonciation de toute initiative révolutionnaire, la référence aux masses ayant pour fonction de justifier, de vendre la politique réformiste.

Il ne s’agit pas de lutter seul, mais de créer à partir des luttes quotidiennes, des mobilisations et des processus d’organisation de la gauche légale, une avant-garde, un noyau politico-militaire qui devra mettre en place une structure illégale – condition préalable, nécessaire à la possibilité d’agir et qui, étant donné les poursuites et l’illégalité, et la praxis peut donner aux luttes légales dans les usines, les quartiers, la rue et les universités, orientation, force et but pour atteindre ce dont il s’agira dans les développements de la crise économique et politique de l’impérialisme : la prise du pouvoir politique.

La perspective de notre politique – le développement pour lequel nous nous battons : un fort mouvement de guérilla dans les métropoles – est, au cours de ce processus de chute définitive et d’écroulement de l’impérialisme américain, un moyen nécessaire, une étape, dans la mesure où les luttes légales et les luttes qui se développeraient spontanément à partir des contradictions du système pourraient être brisées par la répression dès qu’elles se manifestent.

Ce que le parti de cadres bolchevique représentait pour Lénine, correspond à l’époque de l’organisation multinationale du capital, des structures transnationales de la répression impérialiste à l’intérieur et à l’extérieur, où nous nous trouvons aujourd’hui, à l’organisation du contre-pouvoir prolétarien issu de la guérilla.

Au cours de ce processus – national et international – elle se développe en parti révolutionnaire.

Il est stupide, en l’état actuel des luttes antiimpérialistes en Asie, en Amérique Latine, au Vietnam, Chili, Uruguay, Argentine, Palestine, de dire que nous sommes seuls.

En Europe occidentale il n’y a pas seulement la R.A.F., il y a l’I.R.A., l’E.T.A., des groupes armés combattants en Italie, au Portugal, en Angleterre.

Depuis 1968 il existe des groupes de guérilla urbaine aux U.S.A.

SPIEGEL : Votre base, se sont paraît-il, à l’heure actuelle, quarante camarades de la R.A.F. en prison, approximativement trois cents anarchistes dans la clandestinité en R.F.A. Qu’en est-il des sympathisants ?

R.A.F. : Ces chiffres sont l’un de ceux changeant souvent et émanant des services de l’Office fédéral de police criminelle.

Ils sont faux, les processus de prise de conscience ne se laissent pas quantifier si facilement.

A l’heure actuelle, la solidarité est en train de devenir internationale.

Parallèlement à une sensibilisation de l’opinion publique internationale qui agit de plus en plus ouvertement par rapport à l’impérialisme ouest-allemand, on assiste également au développement d’une sensibilité quant à sa répression intérieure.

Parmi les organisations de la gauche, légale, depuis que la R.A.F. existe, se développe un processus de discussions et de polarisation par rapport au problème de la politique armée.

Un nouvel antifascisme est en train de se former, non plus basé sur la pitié apolitique avec les victimes et les persécutés mais identification avec la lutte anti-impérialiste, dirigé contre la police, les services de sûreté de l’Etat, les trusts multinationaux, contre l’impérialisme américain.

Helmut Schmidt n’aurait pas compté la R.A.F., à l’occasion de son discours de Nouvel An, parmi les cinq réalités ou développement menaçants principalement l’impérialisme en 1974 : l’inflation mondiale, la crise du pétrole, l’affaire Guillaume, le chômage, la R.A.F. ; si nous étions des poissons sans eau, si la politique révolutionnaire ici avait une base si étroite, comme ils le prétendent, dans la conduite psychologique de la guerre.

SPIEGEL : L’une de vos troupes d’appui principale, du moins le prétend-on, serait la douzaine d’avocats qui ont charge de coordination tant en dehors qu’à l’intérieur de la prison. Quels rôles jouent vos avocats ?

R.A.F. : Les avocats engagés, les défenseurs qui connaissent nos dossiers se politisent inévitablement, parce qu’à chaque instant, ils font l’expérience, littéralement dès leur première visite à un prisonnier de la R.A.F., que rien de ce qu’il considérait comme allant de soi en tant qu’instance judiciaire ne fonctionne plus.

Les fouilles corporelles, le contrôle du courrier, les perquisitions dans les cellules, les persécutions, suspicions, les sanctions du Conseil de l’ordre des avocats, la conduite psychologique de la guerre, les poursuites pénales, les lois décrétées  » sur mesure  » pour leur exclusion, de la défense, ce à quoi s’ajoute la connaissance des traitements spéciaux que nous subissons, leur impuissance totale à changer quoi que ce soit, par la procédure normale, c’est-à-dire en utilisant des arguments juridiques devant les tribunaux et l’expérience qu’ils font à tout moment, que ce ne sont pas les juges mais le Sicherungsgruppe Bonn (services de sûreté de l’Etat) et les services du procureur fédéral qui prennent toutes les décisions nous concernant, ce qui est une contradiction entre texte et réalité constitutionnelle, entre la façade de l’état constitutionnel et la réalité de l’état policier, a fait des défenseurs de l’état constitutionnel des antifascistes.

La volonté d’assimiler ces avocats à nous, d’en faire des troupes auxiliaires, ce qu’ils ne sont pas, fait partie de la stratégie du B.K.A. (Office fédéral de police criminelle) et des services du procureur fédéral.

Dans la mesure où la justice est annexée dans ce procès par la sûreté de l’Etat pour servir les buts de la contre-insurrection, où elle est utilisée comme instrument dans la stratégie d’extermination menée contre nous, par les services du procureur général, les défenseurs qui se basent sur le principe de la séparation des pouvoirs sont considérés comme des obstacles à la fascisation et doivent donc être combattus.

SPIEGEL : Avez-vous des problèmes de démarcation politique, vis-à-vis des autres groupes anarchistes opérant dans la clandestinité ?

R.A.F. : Pas vis-à-vis du Spiegel.

SPIEGEL : Qu’en est-il du mouvement du 2 juin qui approuve le meurtre à Berlin-Ouest du juge Drenkmann ?

R.A.F. : Demandez-le au mouvement du 2 juin.

SPIEGEL : Que pensez-vous de ceci : le meurtre de Drenkmann a-t-il servi à quelque chose ?

R.A.F. : Drenkmann n’est pas devenu la plus haute autorité judiciaire d’une ville de trois millions d’habitants sans avoir détruit la vie de milliers de personnes, sans leur avoir enlevé le droit de vivre, sans les avoir étranglés en s’appuyant sur des paragraphes, enfermés dans des cellules de prison, sans avoir brisé leur avenir.

Il y a aussi le fait que malgré l’invitation des plus hautes autorités ouest-allemandes : le président de la République et le président de la Cour constitutionnelle, 15 000 Berlinois seulement se sont rendus à l’enterrement, et cela dans une ville qui, autrefois, mobilisait de 500 à 600 000 personnes pour des manifestations anticommunistes.

Vous savez vous-même que l’indignation suscitée par cet attentat contre la justice berlinoise n’est que de la propagande et de l’hypocrisie, que personne ne porte le deuil pour un masque, que cet exercice imposé n’était qu’un moyen de communication bourgeois et impérialiste.

L’indignation exprimait un réflexe d’adaptation à un certain climat politique.

Celui qui, sans être lui-même élite dirigeante, s’identifie spontanément à une telle mascarade de justice, dit seulement de lui que là où l’exploitation règne il ne peut se pencher que du côté de l’exploiteur.

En termes d’analyse de classes, les protestations en faveur de Drenkmann, là où elles émanaient de la gauche et des libéraux, opéraient seulement de façon à les démasquer.

SPIEGEL : Ce que nous en savons est quelque chose de tout à fait différent. Nous savons que Drenkmann a été abattu et nous tenons pour une impudence l’apologie de ce meurtre par la R.A.F. Celui-ci se réduit à une justice de lynch pour un délit apparemment commis de façon collective par une justice que vous qualifiez, de fasciste. Même lorsqu’on accepte la maxime : la fin justifie les moyens (ce que vous faites ouvertement), le meurtre de Drenkmann, eu égard à l’effet qu’il a produit sur le public, constitue une défaite pour le collectif R.A.F.

R.A.F. : Nous ne justifions rien.

La contre-violence révolutionnaire n’est pas seulement légitime, elle est notre seule possibilité et nous savons, nous, qu’au cours de son développement, elle donnera à la classe pour laquelle vous écrivez, d’autres occasions d’auto- représentations bigotes, que la tentative de faire prisonnier un juge.

Votre indignation doit être mise en relation avec votre silence sur l’attentat de Brème, lorsqu’une bombe a explosé dans une consigne automatique peu après l’annulation d’un match de football.

Au contraire de l’action contre Drenkmann cette bombe n’était pas dirigée contre un membre de la classe dirigeante mais contre le peuple, il s’agissait d’une action fasciste sur le modèle de la C.I.A.

Comment expliquez-vous, dans ce cas, que la police de la gare de Brème était déjà en état d’alerte le matin du 7 décembre – jour où la bombe explosa à 16 h 15 de l’après-midi – car elle avait été prévenue par le bureau criminel du Land de Hesse, que l’on s’attendait à cet attentat dans les gares et dans les trains ?

Comment expliquez-vous que la protection civile de Brème-Nord avait déjà reçu à 15 h 30 l’ordre d’intervenir et d’envoyer cinq ambulances à la gare principale parce qu’une bombe allait y exploser, que la police était déjà là immédiatement après l’explosion avec l’information toute prête, selon quoi elle n’avait pas été mise au courant d’une attaque à la bombe à 15 h 56 et cela concernant avec un grand magasin du centre de la ville ?

Ainsi les autorités de Brème n’étaient pas seulement prévenues du temps et du lieu exacts mais elles disposaient aussitôt après l’explosion d’une information qui taisait, manipulait et détournait d’eux le scénario réel de leurs propres mesures ?

Qu’en est-il alors de votre indignation ?

SPIEGEL : Nous vérifierons les faits que vous dépeignez. Vous seuls, dans la clandestinité, avez, mis l’accent sur la violence. Lorsque les bombes ont explosé à Munich, à Heidelberg et à Hambourg, la R.A.F. a tenu cela pour un fait politique et l’a revendiqué comme tel. Considérez-vous la violence comme les choses et les personnes comme un concept inefficace – qui n’entraîne pas la solidarité mais repousse – ou avez-vous plutôt l’intention de continuer dans cette voie ?

R.A.F. : La question, c’est : qui repousse qui ?

Des photos de nous étaient accrochées aux palissades dans les rues d’Hanoï car l’attaque d’Heidelberg revendiquée par la R.A.F. a détruit l’ordinateur au moyen duquel étaient programmés et dirigés les bombardements américains sur le Nord-Vietnam. Les officiers, les soldats et les politiciens américains se sont sentis repoussés car, à Francfort ou à Heidelberg, ils ont soudain senti que le Vietnam leur était remis en mémoire, ils ne se sentaient plus en sécurité sur leurs arrières.

La politique révolutionnaire doit être aujourd’hui en même temps politique ET militaire. C’est ce qui ressort de la structure de l’impérialisme : le fait que sa domination doit être assurée, à l’intérieur et à l’extérieur, dans les métropoles et dans le Tiers-Monde, d’abord militairement au moyen de pactes et d’interventions militaires, de programmes de contre-guérilla et de « sécurité interne », c’est-à-dire l’élaboration à partir de l’intérieur de son appareil de violence.

Etant donné le potentiel de violence de l’impérialisme, il n’y a pas de politique révolutionnaire sans résoudre la question de la violence à chaque étape de l’organisation révolutionnaire.

SPIEGEL : Quelle image avez-vous de vous-mêmes ? Vous rangez-vous au nombre des anarchistes ou des marxistes ?

R.A.F. : Marxistes.

Mais la conception de l’anarchisme par les services de sécurité de l’Etat n’est rien d’autre qu’un brandon anticommuniste, qui ne tient à rien qu’à l’usage d’explosifs.

Il est destiné en tant que rhétorique de la contre-révolution, étant donne la précarité des conditions de vie dans la sphère capitaliste, à manipuler les angoisses latentes, et toujours à portée de la main, du chômage, de la crise et de la guerre, afin de vendre, par le biais des mesures de  » sécurité interne », le peuple à l’appareil d’Etat : police, services secrets armée en tant qu’instrument du maintien de l’ordre et de la sécurité.

Il vise à la mobilisation réactionnaire et fasciste du peuple, cela afin d’entraîner de façon manipulative une identification avec l’appareil de violence d’Etat.

Il s’agit aussi d’une tentative pour pratiquement usurper au profit de l’Etat impérialiste la vieille querelle entre révolutionnaires marxistes et révolutionnaires anarchistes, de jouer contre nous l’affadissement opportuniste du marxiste contemporain qui dit que les marxistes ne doivent pas s’attaquer à l’Etat mais au capital, que seulement les usines et non les rues peuvent être aujourd’hui le centre des luttes de classe, etc.

Selon cette fausse compréhension du marxisme, Lénine était anarchiste et son livre :  » L’Etat et la Révolution  » est un écrit anarchiste.

Il est cependant le livre stratégique par excellence du marxisme révolutionnaire.

L’expérience de tous les mouvements de guérilla est simple : l’instrument du marxisme-léninisme, ce que Lénine, Mao, Giap, Fanon, Che, ont emprunté à la théorie de Marx, et développé, ce qui pour eux était utile, est une arme dans la lutte anti-impérialiste.

SPIEGEL : La « guerre populaire » conçue par la R.A.F. est devenue dans la conscience du peuple – semble-t-il – une guerre contre le peuple. Bôll a parlé une fois des 6 contre 60 millions.

R.A.F. : II s’agit là d’un vœu impérialiste. C’est de cette façon qu’en 1972 le journal  » Bild  » a retourné la notion de guerre populaire en « guerre contre le peuple ».

Si vous considérez le journal  » Bild  » comme la voix du peuple…

Nous autres, ne partageons pas le mépris de Böll pour les masses, car l’OTAN, les holdings multinationaux, la sûreté de l’Etat, les 127 bases militaires américaines en République fédérale, Down Chemical, I.B.M., General Motors, la justice, la police, le B.G.S. ne constituent pas le peuple et, le fait que la politique du cartel pétrolier, de la C.I.A., du B.N.D. [services secrets], de la Cour constitutionnelle puisse être une politique pour le peuple, puisse incarner le bien-être de l’Etat impérialiste – en même temps qu’il obscurcit la conscience du peuple, est l’affaire du journal « Bild », du Spiegel, de la conduite psychologique de la guerre menée par la sûreté de l’Etat contre le peuple, contre nous.

SPIEGEL : Vox populi, vox R.A.F. ? Ne remarquez-vous pas que plus personne ne descend dans la rue pour vous ? Lorsqu’il y a un procès contre la R.A.F, vous ne rassemblez plus dans les tribunaux que de petits groupes ; ne remarquez-vous pas qu’à partir du moment où vous avez lancé des bombes autour de vous, plus personne ne tient de lit à votre disposition ? Tout cela éclaire cependant en grande partie le succès des recherches entreprises contre la R.A.F. depuis 1972. C’est vous et non Böll qui méprisez les masses.

R.A.F. : II est bien que vous répercutiez les platitudes de Hakker – la situation se trouve ainsi caractérisée : une gauche légale encore tactiquement faible et éparse ne peut pas transformer la mobilisation réactionnaire en mobilisation révolutionnaire contre la force de répression dans le cadre national.

Cette question vous ne vous la posez même pas.

Nous disons : c’est précisément dans cette contradiction que la politique prolétarienne peut devenir en tant que politique armée seulement : la politique du prolétariat, c’est par cette médiation que l’intelligence, en tant que problème de la révolution, de la stratégie et de l’analyse de classes se trouve certainement soustraite à votre plate polémique.

La R.A.F. n’est pas le peuple, mais un petit groupe qui a commencé la lutte comme partie du peuple, qui ne surgira comme force de l’histoire que dans la lutte contre l’impérialisme, au cours du long processus de la guerre de libération.

LA R.A.F., SA POLITIQUE, SA LIGNE, SES ACTIONS SONT PROLETARIENNES, SONT UN DEBUT DE CONTRE-POUVOIR PROLETARIEN.

LA LUTTE COMMENCE.

VOUS PARLEZ DU FAIT QUE CERTAINS D’ENTRE NOUS SONT PRISONNIERS – CELA CONSTITUE SEULEMENT UNE DEFAITE.

VOUS NE PARLEZ PAS DU PRIX POLITIQUE PAYE PAR L’ETAT IMPERIALISTE CONTRE UNE PETITE UNITE SEULEMENT DE LA R.A.F.

Parce qu’un des buts de l’action révolutionnaire, sa tactique dans cette phase de construction, est de contraindre l’Etat à agir ouvertement, de le contraindre à une réaction, qui révèle les structures de la répression, de l’appareil de répression, qui les rend perceptibles, et ainsi se propose comme condition de lutte de l’initiative révolutionnaire.

Marx dit :

« Le progrès révolutionnaire se fait par la création d’une contre-révolution puissante et unifiée, par la création d’un ennemi qui amènera le parti de l’insurrection à atteindre par la lutte la maturité qui fera de lui le véritable parti révolutionnaire ».

L’étonnant n’est pas que nous ayons subi une défaite, mais que depuis cinq ans elle se perpétue : la R.A.F. – les faits dont parle le gouvernement ont changé.

EN 1972, APRÈS UN SONDAGE, 20 % DES ADULTES ONT DÉCLARE QU’ILS ACCEPTERAIENT DES POURSUITES JUDICIAIRES POUR POUVOIR CACHER CHEZ EUX L’UN D’ENTRE NOUS.

EN 1973, UNE ENQUÊTE PARMI LES ÉCOLIERS RÉVÉLAIT QUE 15 % D’ENTRE EUX S’IDENTIFIAIENT AUX ACTIONS DE LA R.A.F.

Il est sûr que le bien-fondé de la politique révolutionnaire n’est pas à vérifier au moyen d’enquêtes démographiques, car le processus de prise de conscience, de connaissance et de politisation n’est pas quantifiable.

Mais cela signifie que le développement de la théorie de l’insurrection armée en guerre populaire prolongée – cela signifie que dans le combat contre la structure de pouvoir de l’impérialisme le peuple trouvera à long terme son avantage, se délivrera de l’emprise des lavages de cerveaux par les médias – car notre combat est une Realpolitik, c’est un combat contre les ennemis réels du peuple, tandis que la contre-révolution est réduite à placer les faits la tête en bas.

Il y a cependant le problème du chauvinisme de métropole dans la conscience du peuple, lequel, au moyen du concept d’aristocratie ouvrière, est seulement mal défini en termes de catégorie économique…

Il y a le problème que l’identité nationale dans les métropoles ne peut être que réactionnaire, comme identification avec l’impérialisme.

Cela signifie dès le début que la conscience révolutionnaire dans le peuple n’est possible que dans le cadre de l’internationalisme prolétarien, dans l’identification avec les luttes de libération anti-impérialiste des peuples du Tiers-Monde, ne peut pas seulement se développer à travers les luttes de classes ici.

Être cette articulation, réaliser l’internationalisme prolétarien comme condition de base de la politique révolutionnaire, être de cette façon la liaison entre les luttes de classe ici et les luttes de libération du Tiers-Monde, est l’affaire de la guérilla dans les métropoles.

20 janvier 1975


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