Un nouveau courant unitaire dynamique se manifeste déjà au sein du mouvement axé sur les prisonniers politiques.

Au stade où nous en sommes, la question est, je pense, de savoir comment nous pouvons continuer à développer cet élan − contre l’opposition naturelle des machinations gouvernementales − par le lancement d’initiatives nouvelles et l’établissement d’une dialectique si claire dans sa formulation et ses arguments ainsi que dans sa mise en pratique que, par son seul poids, elle puisse éliminer tous les éléments réactionnaires.

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Deux formes de réaction sont à éliminer la réaction exprimée individuellement et la réaction organisée.

Une politique unitaire implique la recherche de ce quelque chose que nous avons en commun, le débouché conscient sur l’entente, la mise en pratique correcte et, dans notre cas précis, les points d’accord. Tout au long du processus autoritaire-centralisateur de l’histoire américaine, les classes dirigeantes ont trouvé pratique, indispensable à vrai dire, de berner le peuple au moyen d’expédients destinés à décourager et à punir toute forme d’opposition authentique à la hiérarchie.

Mais il a toujours existé des individus et des groupes qui se sont opposés à la notion de société au-dessus de la société.

Les hommes qui, soit par la ruse, soit par le concours de circonstances fortuites, soit par la force pure et simple, se sont placés au-dessus de la société ont alimenté deux institutions principales en vue de faire face à toutes les formes sérieuses d’insoumission.

Ce sont : la prison et le racisme institutionnalisé.

Aux Etats-Unis, il y a plus de prisons de quelque catégorie que ce soit que dans tous les autres pays du monde réunis. Il y a en permanence les deux tiers d’un million de personnes qui y sont enfermées.

Des centaines sont destinées à être exécutées tout à fait illégalement, des milliers à l’être presque légalement.

Des milliers d’autres sont privées de toute liberté d’action, sauf si un changement révolutionnaire survient dans toutes les institutions qui se liguent pour maintenir en place l’ordre établi.

Le tiers d’un million de personnes pourrait sembler un chiffre peu élevé en comparaison de la population totale qui est de deux cent cinquante millions d’habitants.

Pourtant, si on le compare au million d’hommes qui régissent toutes les affaires dans cet immense Etat, il acquiert une valeur comparative toute différente ; il ne s’agit pas d’une une coïncidence et cela mériterait peut-être une analyse approfondie.

Ce que j’ai l’intention de considérer maintenant, ce sont certains éléments peu évidents qui, d’après ce qui ressort de mes observations, barrent la route à ce front uni dont nous avons tant besoin (un front sans sectarisme) et qui nous permettra de lever − légitimement − le voile.

J’insisterai encore une fois sur le fait que ce n’est pas le peuple qui a institutionnalisé les prisons sur une échelle aussi vaste.

Quoique tous les crimes puissent être considérés comme la manifestation d’une certaine opposition, il y en a quelques-uns qui, de toute évidence, vont à l’encontre des intérêts du peuple.

Pourtant, la plupart des crimes ne sont que l’aboutissement d’un incroyable déséquilibre dans la distribution des biens et des richesses, lequel n’est que le reflet des rapports de propriété existant actuellement.

Il n’y a pas de nantis sur la liste des condamnés à mort et il y en a tellement peu dans la population des prisons que, globalement, leur présence y est négligeable – l’emprisonnement apparaît, dès le premier coup d’ œil, comme l’un des nombreux aspects de la lutte des classes, une société fermée destinée à isoler ceux qui, fort sainement, décident, dans leurs actions individuelles, de ne pas tenir compte des limites imposées par un Establishment hypocrite et également, ceux qui visent à organiser une base massive afin de mettre sur pied de telles actions.

L’histoire des Etats-Unis regorge d’exemples des deux types ; pour ce qui est du second, cela va de la très ancienne Working Men’s Benevolent Association (Association d’entraide des travailleurs), en passant par les événements survenus autour de l’Ancient Ortler of Hibemians (Ordre des Irlandais d’origine) et le Working Men’s Party (Parti des travailleurs) qui s’est organisé en vue de faire face aux excès consécutifs à la dépression de 1877, jusqu’à notre époque avec le Parti Communiste lorsqu’il était traqué pendant la vague fasciste qui a déferlé sur ce pays et le Black Panther Party qui est à l’heure actuelle traqué et agressé lui aussi.

L’hypocrisie du fascisme américain l’empêche de déclarer explicitement qu’il enferme les opposants politiques − d’où les centaines de lois anti-complot de différentes sortes et les coups montés hautement sophistiqués. C’est le premier point sur lequel doit être basée notre attaque au niveau de l’information.

Pourquoi les prisons existent-elles en si grand nombre ? Quel est le motif économique réel qui pousse au crime ? Quand le criminel devient-il une victime ?

Si le meilleur terme est « criminel », il faut déclarer publiquement que le langage de la justice est exagéré et mensonger.

Il devrait apparaître clairement que lorsque quelqu’un « commet un crime » contre un Etat fasciste, il ne commet pas d’office un crime contre le peuple de cet Etat. Perpétrer un crime contre l’Etat correspond à attaquer les privilèges de la minorité privilégiée.

Existe-t-il une chose plus ridicule que les titres officiels de mise en accusation tels : « La population de l’Etat de… contre Bobby Seale et Ericka Huggins », ou « La population de l’Etat de… contre Angela Davis et Ruchell Magee ».

De quelle population s’agit-il ? C’est simple : de la hiérarchie, de la minorité armée.

Ainsi pour l’affaire John Doe où un vol réel a, de fait, été commis, il s’agit d’élucider les véritables causes économiques du crime de même que pour n’importe quel crime, crime passionnel contre la répression, crime de sang y compris.

Tout crime est le résultat, soit d’une simple oppression d’ordre économique, soit des répercussions psychosociales d’un système économique qui est périmé depuis un bon siècle.

Conditions socio-économiques objectives = activité productive ou anti-productive, déterminée dans tous les cas par le système économique, les méthodes d’organisation économique, le maintien de cette organisation contre les forces progressistes qui cherchent à la changer.

Même la maladie psychologique de l’individu qui commet un crime de sang est imputable à la maladie de la société.

Il faut atteindre les prisonniers et leur faire comprendre qu’ils sont les victimes d’une injustice sociale. C’est la tâche que je me suis fixée, travailler de l’intérieur (tant que j’y serai – je suis convaincu que la guerre ne rime à rien si on la mène sur un terrain tenu par la bourgeoisie).

La classe prisonnière devient, de par sa puissance numérique et ses conditions de vie, un gigantesque réservoir de potentiel révolutionnaire. Travaillant seuls à l’intérieur d’une société cerclée de fer, les gens comme moi ont peu de chances de pouvoir libérer ce potentiel.

Cela fait partie des fonctions du « Mouvement des prisons ».

Dire : « La population de l’Etat de… contre John Doe », est une aberration tout aussi évidente qu’un coup monté à des fins clairement politiques ; cela revient à dire : « Le peuple contre le peuple. » L’homme contre lui-même.

Le « Mouvement des prisons » a un autre but politique important. Il fait prendre conscience à la classe dirigeante de notre détermination à lutter jusqu’à la mort pour notre droit économique à prendre en mains les moyens de production. La détention ne peut pas circonscrire notre mouvement.

Le mouvement du 7 août, et toutes les actions réelles, ou tentatives, incitent les gardiens à punir plus facilement de mort ce type de manifestation.

Ils tentent également de s’infiltrer partout où se révèle la conscience révolutionnaire, à tous les niveaux de la lutte, au niveau le plus élevé, les points de production, ainsi qu’aux niveaux inférieurs.

Pour nous le but reste le même : créer une infrastructure capable d’accueillir une armée du peuple.

Personne parmi nous ne devrait ignorer que la révolution est agressive par définition et que le fait de présenter aux tenants du système des réclamations – qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas satisfaire – peut, à la limite, nous entraîner dans un affrontement violent avec le système.

Voici venues les dernières années du capitalisme, et, à mesure que nous avançons dans nos activités contre l’Establishment, nous prenons conscience de cet enseignement de l’Histoire : lorsque le prestige d’un système tombe, la transformation de ce système est précédée d’une ère de violence.

Nous pouvons limiter l’étendue de la violence en mobilisant le plus possible de partisans à tous les niveaux de la vie socio-économique, mais si l’on considère la mainmise de la classe dirigeante sur les apolitiques en général et son expérience historique de la violence, on est automatiquement amené à penser que la révolution passera par le désordre, peut-être même par la guerre civile.

Ni l’un ni l’autre ne m’effraie car il n’y a rien de bon dans le capital monopoliste, rien à gagner, il doit être détruit sans aucune réserve.

Tant qu’il menace au-dessus de nos têtes, il ne peut être considéré que comme un ennemi qui nous laisse dans l’oubli après nous avoir utilisés comme ses serviteurs.

Il doit être détruit totalement, pas rejeté, pas simplement transformé, mais détruit, complètement, définitivement, implacablement et sans rémission – il faut en finir le plus rapidement possible !

Avec cela comme principal objectif commun, il semble qu’une politique unitaire de tous les partis concernés par la lutte active contre l‘Establishment, et ce, à tous les niveaux, devrait avec un minimum de difficultés pouvoir lancer des initiatives et des méthodes nouvelles compatibles avec une société populaire.

Hélas ce n’est pas le cas, quoique j’ai fait observer que l’on distinguait que l’on distinguait dans le mouvement des prisons les prémices d’un courant unitaire passant outre aux barrières idéologiques, raciales et culturelles qui depuis toujours entravent la coalition naturelle de toutes les forces de gauche.

Ceci soulève un autre aspect vital de l’activité qui se développe autour des prisonniers politiques. Peut-être, en ce qui nous concerne, pouvons-nous, par un effort attentif et soutenu en vue de bâtir le front uni, servir d’exemple aux partisans engagés dans la lutte à d’autres niveaux.

Les problèmes soulevés et la dialectique qui procède de l’existence nette, objective, de l’oppression ouverte peuvent nous servir de base, ou de tremplin, pour nous insérer dans cette vague mondiale de prise de conscience socialiste.

Si l’on veut éliminer les obstacles qui empêchent une unification de la gauche pour la défense des prisonniers politiques, et celle des prisonniers en général, il faut tout d’abord renoncer à l’idée selon laquelle tous les participants doivent être d’une même fibre et travailler à la solution des problèmes dans la ligne d’un parti unique et avec des méthodes identiques.

Cela est essentiel. « L’union fait la force ».

En-dehors des éléments d’avant-garde, tous les partisans devraient prendre part à une « stratégie de popularisation » dans le cadre de leur environnement naturel, les endroits où ils vivent naturellement lorsqu’ils ne participent pas aux rassemblements ou aux manifestations.

Les éléments d’avant-garde (membres de partis organisés de toutes les tendances idéologiques) doivent entrer en contact avec les gens massés aux points de rassemblement afin de perfectionner la stratégie, de développer l’engagement et de présenter des activités concrètes, clairement définies en vue de promouvoir la « popularisation ».

Les éléments d’avant-garde se mettront à la recherche des gens qui pourront contribuer effectivement à la mise en place de la commune, l’infrastructure, et également de ceux qui n’en sont pas encore à ce stade et auxquels ils fourniront le paquet d’imprimés nécessaires à la poursuite individuelle de leur action.

Ainsi, l’unité des fractions de gauche, dans cet aspect d’infrastructure du mouvement axé sur les prisonniers politiques et les prisons en général, prend un sens beaucoup plus large.

Par notre exemple, nous pouvons commencer à briser les vieux schémas béhaviouristes qu’ont réussi à imposer le capital bourgeois, l’impérialisme, puis le fascisme ; après la mort, la vie doit reprendre le dessus.

Libérons cette immense réserve de partisans aptes au travail d’encadrement et nous pourrons enfin aborder l’un des sous-produits psychosociaux que l’homme économique a manufacturé avec son entreprise privée : le racisme.

J’ai gardé pour la fin l’obstacle le plus important auquel se heurte notre besoin d’unité. Le racisme est un comportement traditionnel solidement enraciné, il est le produit du conditionnement exercé par les institutions, et pour certains c’est un réflexe aussi naturel que celui de respirer.

Les effets psychologiques des habitudes dichotomiques établies par un racisme particulièrement exacerbé, auquel vient s’ajouter l’amertume provoquée par la répression de classe, a servi dans le passé à nous rendre tous pratiquement inactifs et, aujourd’hui, quasiment impuissants dans nos tentatives d’action progressiste.

Si une unité de la gauche est possible dans ce pays, l’obstacle majeur à surpasser reste le racisme, le racisme blanc pour être clair.

Si l’on veut simplifier la chose, il est possible de noter trois catégories de racistes : le raciste non dissimulé, satisfait de lui-même, qui ne daigne même pas cacher son antipathie ; le raciste inhibé qui conserve en lui des séquelles de racisme en dépit de ses meilleurs efforts ; et finalement le raciste inconscient qui est le produit de préjugés imputables à l’Histoire.

Il n’existe pas de racisme noir, je le soutiens envers et contre tous !

Trop de sang noir a coulé dans l’abîme qui sépare les races ; il est absolument illégitime d’attendre de l’homme noir qu’il différencie au premier coup d’œil le raciste dans l’âme, le raciste inhibé et le raciste inconscient.

Ce que les apologistes désignent par le terme de racisme noir correspond en réalité, soit à des réflexes de défense vital de la part de partisans noirs sincères qui essaient de trouver une solution à la réalité des problèmes de survie et de dignité, soit au racisme des organes de traquage gouvernementaux.

En tant que partisans noirs, nous devons reconnaître et accepter l’existence des trois types de racisme, tout comme nous nous acceptons nous-mêmes en fonction de cela, seulement tout cela doit être considéré comme étant le produit du système.

C’est ce système qui doit être écrasé en premier lieu car il continue de produire des antagonismes nouveaux et plus profonds de jour en jour, à la fois entre les classes et les races.

Une fois qu’il sera détruit, nous pourrons nous occuper de traiter en profondeur les traces laissées par son passage, mais actuellement alors que nous nous occupons de le détruire, nous devons lutter contre le racisme.

Il faut éliminer les répercussions psychosociales de plusieurs centaines d’années d’attitude exclusive les uns vis-à-vis des autres pour des questions de race ou de classe, de hiérarchie en tous cas.

Le raciste inhibé, quelles que soient les convictions ou l’idéologie qu’il aura acquises, n’apportera aucune contribution efficace, son rôle sera minime dans la révolution, sauf si un changement survient dans son caractère de base.

Mais le caractère de base d’un homme peut-il être changé ? Voilà une question qui reste toujours en suspens. Cependant… il nous reste l’immédiateté des « problèmes en cours », cette occasion idéale de tester une fois de plus la validité de la philosophie matérialiste – nous pouvons le prouver.

La nécessité d’une politique unitaire va bien au-delà de l’objectif de libération d’Angela, de Bobby, d’Ericka, de Magee, de Los Siete, de Tijerina, des conscrits blancs réfractaires, et depuis peu du fidèle et irréductible James Carr ; il nous reste à mettre à l’épreuve une stratégie de base, à la tester et à l’éprouver.

L’action menée pour la protection et la libération de ceux qui se battent pour nous est un aspect très important de la lutte, mais s’il n’est important que dans la mesure où il permet des initiatives nouvelles qui réorientent et font avancer la révolution avec des méthodes nouvelles et progressistes.

La vieille garde doit se réorienter par la propagande ainsi que l’action violente vers le collectif formé par : les agitateurs d’usine et les syndicalistes, les activistes étudiants qui ont déjà fait les frais du fascisme, les intellectuels du lumpenproletariat, sur les bases révolutionnaires du socialisme scientifique, afin de répondre aux masses de gens de la rue qui vivent déjà à l’extérieur du système.

Noirs, Bruns, Blancs, tous nous sommes des victimes, il faut nous battre !

Au terme de cette lutte de masses, collective, naîtra un homme nouveau, il est l’avenir, le produit de l’évolution, il n’en sera que mieux équipé pour mener la véritable lutte, la lutte permanente post-révolutionnaire − celle qui instaurera des rapports nouveaux entre les hommes.


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