A propos de « Morts sans sépulture », article publié dans Le Drapeau Rouge, Organe central du Parti Communiste de Belgique, le 1er octobre 1947

Quand le rideau se lève sur « Morts sans sépulture » quatre résistants ont été arrêtés au cours d’une action armée. Les voici emprisonnés dans le grenier d’une école. Ils ont les menottes aux mains. Les miliciens les torturent. Ils refusent de donner leur chef. Mais voici que par un hasard inouï, ce chef est justement incarcéré – les mains libres – dans la même cellule improvisée. Les miliciens l’ont coffré pour une peccadille et il sera délivré tout à l’heure.

L’un des résistants est torturé. Il craint de parler. Aussi profitant d’un moment d’inattention de ses gardiens, il se jette par la fenêtre et se tue : ainsi il est sûr de son silence.

Mais voici que l’un des survivants, un enfant de 15 ans, prend peur. Il apparait nettement qu’il cèdera aux tortures. Ce serait une catastrophe, car l’ennemi pourrait cerner sans aucune difficulté le maquis. Aussi, ses compagnons de captivité n’hésitent pas : ils l’étranglent.

A ce moment-là, le chef conçoit un ingénieux stratagème. Dans un dépôt d’arme de la montagne, il y a le corps d’un camarade tué. Plus tard, quand il sera libéré, il ira changer les papiers du mort contre les siens. Les prisonniers n’auront qu’à faire mine de céder et à donner cette cachette. Les miliciens croiront découvrir le commandant du maquis mort. Et ainsi les prisonniers auront la vie sauve.

Le chef est effectivement délivré. Le lendemain, les choses se passent ainsi. Encore qu’un milicien, le plus odieux, fasse abattre la jeune fille et ses deux compagnons.

La pièce pourrait être séduisante. On imagine les résistants se donnant confiance, se réconfortant. L’arrivée de leur chef vient apporter une force particulière à leur volonté ; leur lutte se grandit. Puis leur joie quand ils résistent à la torture, quand ils se vainquent eux-mêmes en vainquant les miliciens.

Tout cela contraste avec la morgue des miliciens, leur brutalité, leurs éclats de voix.

Mais il y a maldonne. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. M. Jean-Paul Sartre est le grand clerc du doute et du désespoir et qu’importe si, pour satisfaire les besoins de son artificielle philosophie, il présente un document d’une authenticité douteuse, un faux témoignage.

Lorsque le rideau se lève, les résistants sont assis en scène, droits, immobiles, sans un geste, le regard fixe, les mains enchaînées. Immédiatement se pose la question de leur adhésion à la Résistance. Ils se la posent et se la reposent en tout sens. Cherchez-y le mot France – il n’est pas prononcé une seule fois de toute la pièce. A ce compte, ne cherchez ni le mot Parti, ni le mot Foi.

Ce qu’ils ont cherché, c’est l’affirmation d’eux-mêmes, leur orgueil, leur incommensurable orgueil. A deux ou trois reprises, la phrase viendra dans toute sa pesanteur : « Des copains, je m’en fous. »

Que l’on songe au contraire à la dernière lettre de Gabriel Péri, rédacteur à l’Humanité : « Que nos amis sachent que je suis resté fidèle à l’idéal de toute ma vie ; que mes compatriotes sachent que je vais mourir pour que la France vive. J’irais dans la même voie si j’avais à recommencer ma vie ».

Ou aux dernières paroles de l’abbé René Bonpain, vicaire dans le Nord : « J’offre ma vie pour l’Eglise, pour le diocèse, pour la France et tout spécialement pour ma paroisse. »

L’impardonnable erreur de M. Sartre est d’avoir mis en scène ces héros tranquilles et admirables qui sont la gloire d’un peuple et d’en avoir fait des êtres exécrables.

J.P. Sartre a été un Résistant. Il n’a pas été arrêté. Visiblement, il se pose une question – elle est normale – « dans un cas semblable, comment aurais-je réagis ? »

Parler, ne pas parler. Pour les Résistants, c’était une question de sauver le mouvement, les copains. Pas pour M. Sartre, ni pour ses personnages. Pour eux, il s’agit d’un jeu, d’un simple jeu.

Chez les Partisans comme chez les Miliciens, il s’agit de « gagner ». L’exclamation viendra de part et d’autre. Il s’agit de faire capituler l’adversaire non, d’une part, pour avoir un renseignement utile, de l’autre pour sauver le combat. Il s’agit d’être le plus fort, comme au tennis.

Et pas un instant il n’effleurera l’idée de ces gens de se dire que s’il ne s’agit vraiment que d’un « jeu », il ne vaut pas la peine de mourir. A tel point que lorsque, par le stratagème imaginé, les Résistants peuvent duper les Miliciens, deux d’entre eux refusent de recourir à ce stratagème pour que les Miliciens n’aient pas l’impression d’avoir gagné !

Si finalement ils y cèdent, ce n’est pas pour pouvoir continuer la lutte, ce n’est même pas par goût de la vie – les héros sont bien au-dessus de ça – c’est, sans rire, uniquement parce que le temps change et qu’il se met à pleuvoir ! Expliquez ça comme vous voulez, c’est ainsi. Et si vous ne comprenez pas plus que moi, c’est que vous n’entendez rien à la religion existentialiste.

Sartre à toujours l’art de passer à coté des véritables enjeux. Dans son premier article écrit après la libération, il débute : « Jamais nous n’avons été plus libre que sous l’occupation allemande. » Il explique pourquoi. Parce qu’il a pu dire non. Pour l’existentialisme, être libre c’est pouvoir refuser. La Résistance pour Sartre et ses pareils a été le chemin difficile, le plaisir de dire non à l’oppresseur.

Position juste. Mais, en réalité, parce qu’ils devaient dire non à tout, les hommes ne se considéraient plus comme libres. Sartre et ses pareils continuent, comme alors, à dire non.

C’est sans doute pour cela qu’ils aboutissent à poser les problèmes de travers.

Fernand Lefebvre


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