Euskadi Ta Askatasuna
Lettre des Seize accusés au Procès de Burgos
Décembre 1970

Avant le début du procès, un des buts que nous nous étions proposé d’atteindre grâce à lui, a été de tirer profit de la plateforme de propagande que nous offrait, sans le vouloir, le Tribunal fasciste, pris à son propre piège en prétendant présenter comme légal ce qui, dès le début, n’a été qu’une absurde farce absolument illégale.

Nous avons voulu en profiter pour faire connaître à l’opinion internationale la lutte que mène le peuple basque, et d’abord sa classe ouvrière, pour sa libération totale. Nous pensons y avoir réussi et même mieux que nous ne pouvions l’espérer même dans nos prévisions les plus optimistes.

Nous disons cela bien que les renseignements que nous avons sur cette prise de conscience se limitent surtout à ce que la presse officielle fasciste (l’unique source d’information qui nous soit permise) n’a pu passer sous silence, et à ses grotesques trépignements qui montrent bien ce qu’elle est réellement et constituent un signe révélateur de la profondeur de cette prise de conscience.

Nous sommes réellement abasourdis et émus par le mouvement impressionnant de solidarité internationale déclenché dans le monde entier par notre procès, de solidarité avec la lutte de notre peuple qui, indubitablement, s’en trouvera encouragé.

En ce qui nous concerne, nous pouvons affirmer sans détour que pas un seul mot, pas un seul geste de solidarité qu’on nous a adressé, ne sera dédaigné ou trahi ; cette solidarité nous confirme dans notre décision de lutter toujours et de toutes nos forces contre l’oppression quelle qu’elle soit.

Ce qui s’est passé a aussi permis, sans aucun doute, que le régime grâce auquel le gouvernement de l’oligarchie opprime les peuples basque, espagnol, catalan et galicien, apparaisse à nouveau, sans déguisement d’aucune sorte, tel qu’il est réellement, tel qu’il n’a jamais cessé d’être un instant depuis le jour où on l’a imposé : entièrement fasciste, dans tout son contenu et dans tous ses actes.

Cela nous paraît également très important si l’on tient compte du fait que, ces dernières années, il avait prétendu se présenter au monde avec un visage plus libéral, qui lui aurait permis d’établir de nouvelles relations économiques afin de sortir de sa crise chronique; dans ce but, il a recouru à des formes qu’il voulait faire passer pour une « ouverture », et qui n’étaient, comme il a été amplement prouvé, que simples apparences, rideaux de fumée destinés à cacher le même fond immuable, fasciste jusqu’à la moelle.

Que tout le monde le sache, que personne n’ignore que le fascisme n’a pas disparu d’Europe avec Hitler et Mussolini, qu’il dure encore et qu’il est prêt à tout pour se maintenir. Nous, naturellement, nous trouvons ça très important. Plus personne n’a de prétexte désormais pour apaiser pudiquement sa mauvaise conscience en parlant d’une évolution qui n’a jamais existé que sous certaines formes, les plus minimes, de camouflage.

Ce que nous avons fait (il n’y a pas que le procès) depuis le moment où nous sommes entrés dans la lutte active, n’a été qu’accomplir notre devoir de membres du peuple basque, de membres qui ont compris avec suffisamment de profondeur le véritable caractère de l’oppression brutale que l’oligarchie fasciste exerce sur lui.

Simplement, nous avons été conséquents avec notre conscience raisonnée et cette oppression, et notre certitude que la lutte du peuple derrière sa classe ouvrière peut en finir avec elle. Par conséquent, il n’est pas question de sacrifice. Bien sûr, on peut parler de conditions de vie plus dures, et de risques de perdre la vie.

Mais ce n’est pas là quelque chose de nouveau, quelque chose qui se soit présenté en prison ou au cours de notre procès.

En rejoignant la lutte de notre peuple, nous étions conscients que c’était pour nous une vie difficile qui commençait, que nous cessions d’avoir un nom, un foyer, une famille et des amis, qu’à tout moment nous pouvions tomber assassinés, dans n’importe quelle rue, sur n’importe quelle route de n’importe quel endroit d’Euskadi, comme est tombé celui qui pour nous tous demeure inoubliable, Echebarrieta, premier révolutionnaire mort dans la lutte.

Il n’y a donc rien de nouveau pour nous. Ce n’est pas la première fois que nous pensons que plusieurs d’entre nous peuvent être assassinés. Nous le savions et nous l’avons accepté sans hésitations au moment où nous avons décidé de nous consacrer entièrement à la lutte de libération de notre peuple.

Il suffirait de dire que nous sommes révolutionnaires et que, pour cette raison même, nous voulons continuer à l’être, toujours.

Pour nous, être révolutionnaire c’est non seulement participer de toutes les façons à la lutte révolutionnaire, mais aussi ne pas exister en dehors d’elle. Etre révolutionnaire c’est désormais notre seule façon d’être et de vivre. Et nous le sommes à tout moment et en tout lieu.

Là où nous serons, derrière les barreaux des prisons fascistes, ou actifs, au milieu de notre peuple, ou devant un peloton d’exécution, nous lutterons de toutes nos forces en tirant parti de toutes les possibilités qui se présentent à nous, même si crier est la seule chose que nous puissions faire. Et ce ne sont pas là des mots.

Nous devons le faire et le peuple sera en droit de nous demander des comptes si à un seul moment nous y manquons. Seule la mort ou la victoire pourra nous arrêter, car nous voulons une révolution véritable pour notre peuple, et dans une révolution, si elle est véritable, on triomphe ou on meurt.


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