Al-Farabi a une vision éminemment matérialiste : les êtres humains ne pensent pas, il faut se conformer à l’univers. Mais ce dernier est statique. Ainsi, sa proposition de suivre un guide est à la fois correcte et à la fois erronée, car ce guide ne suit pas un monde en transformation.

D’un côté il s’agit donc de chercher la félicité en étant en adéquation avec l’univers, de l’autre cela est rendu impossible par la lecture de l’univers comme statique.

Voici comment Al-Farabi présente la quête de la félicité permise par le chef :

« Il est évident que lorsqu’il s’agit de donner une existence effective aux intelligibles des choses qui dépendent de la volonté, que la philosophie pratique fournit, il [le gouvernant suprême] doit prescrire les conditions qui rendent possible leur réalisation.

Une fois prescrites les conditions qui rendent possible leur réalisation, les intelligibles de la volonté (al’irāda) sont incorporés dans les lois.

Par conséquent, le législateur est celui qui, par l’excellence de sa délibération (al-fikra), a la capacité de réunir les conditions requises pour l’existence effective des intelligibles de la volonté de manière à conduire à la réalisation du bonheur suprême.

Il est également évident que c’est seulement après que son intellect les aura saisis que le législateur cherchera à découvrir leurs conditions, et il ne pourra trouver les conditions qui lui permettront de guider les autres vers le bonheur suprême sans avoir lui-même saisi le bonheur suprême avec son intellect (…).

[Le faux chef / philosophe] acquiert les sciences théoriques sans avoir atteint la perfection la plus haute qui lui permettrait de transmettre aux autres ce qu’il connaît selon leur capacité (…).

Posséder à la fois les sciences théoriques et la faculté de les utiliser pour le bien de tous les autres selon leur capacité.

Si l’on devait examiner le cas du vrai philosophe, on ne verrait aucune différence entre lui et le gouvernant suprême (arrayss al-awal).

Car celui qui possède la faculté d’utiliser ce qui est contenu dans les questions théoriques pour le bien de tous les autres membres de sa communauté possède la faculté de rendre de telles questions intelligibles ainsi que de faire passer à l’existence des intelligibles qui dépendent de la volonté.

Sa philosophie est d’autant plus parfaite que sa puissance d’accomplir cela est grande. »

Or, le monde est statique : le chef tend inévitablement, par conséquent, à basculer dans le conservatisme. D’où d’ailleurs qu’Al-Farabi puise dans son Platon, puisque ce dernier propose dans la « République » (en fait « A propos de la cité ») une entité politique ultra-hiérarchisé et militarisé. Al-Farabi a cet ouvrage en référence et dit ainsi :

« [Platon] a évoqué le fait que le législateur véritable est celui qui ordonne les vertus (humaines) selon un ordre conforme pour convenir à l’advenue des vertus divines, parce que la vertu humaine, lorsqu’elle est employée par son possesseur selon ce qu’impose la loi, est la divine. »

De plus, le cadre est l’Islam et par conséquent la félicité qui peut être atteinte ne peut qu’être relative par rapport au Paradis qu’on rejoint après la mort.

Cela fait qu’au lieu d’avoir un simple chef comme guide, on se retrouve avec une vision du monde entièrement hiérarchisée. Et là on retombe dans un esprit de soumission propre à l’Islam comme structure militaro-urbaine, avec une hiérarchie auto-justifiée de par son action et son emplacement en phase avec l’ensemble hiérarchique cosmique.

C’est-à-dire qu’on retombe dans la vision politico-religieuse chiite.

« Quant aux actions, les premières d’entre elles sont les actions et les discours par lesquels Dieu est magnifié et glorifié, puis ceux par lesquels sont magnifiés les êtres spirituels et les anges ;

puis ceux par lesquels sont magnifiés les prophètes, les rois très vertueux, les chefs édifiants et les guides de la direction droite qui vécurent dans le temps passé ;

puis ceux par lesquels sont décrits les rois très vils, les chefs débauchés et les guides de l’égarement, qui vécurent dans le temps passé et par lesquels leurs œuvres sont vilipendées ;

puis ceux par lesquels sont magnifiés les rois très vertueux, les chefs édifiants et les guides de la direction droite du temps présent et par lesquels sont décriés leurs contraires du temps présent.

Après tout cela, elles comprennent la détermination des actions dont résultent les relations sociales entre les habitants des cités, soit pour les devoirs de l’homme à son propre endroit, soit pour la manière dont il doit traiter un autre que lui, et l’explication de ce qui est juste dans chacune de ses actions. »

Al-Farabi a bien développé une démarche philosophique du chef comme capable de refléter l’univers considéré comme matériel, mais cela rendre dans un cadre historique religieux empêchant toute productivité à l’ensemble.


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