Il fallait pour Utagawa Hiroshige, si l’on voit le conflit entre poésie et réalisme dans Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō, basculer dans un sens ou dans un autre. La réponse se trouve dans les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon (avec 71 estampes) publiées de 1853 à 1856, et dans les Cent vues d’Edo (avec 69 estampes) publiées en 1856 et 1858.
Ces œuvres témoignent de l’orientation repli-poétique et valurent à Utagawa Hiroshige de se faire présenter par la critique bourgeoise comme une sorte de paysagiste.
Les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon témoignent en effet d’un côté d’une orientation nationale, puisque l’existence du Japon est reconnu comme telle. En ce sens, il y a une dimension nationale-démocratique. De l’autre, la lecture qui est faite des sites célèbres reflètent une approche contemplative reflétant une bourgeoisie au fond impuissante.
On a ainsi des plages, des monts, des festivals, des maisons de thé, des temples, des ponts, des bateaux…
Voici quelques exemples, avec le mont Otoko à Hirakata, la plage à Takaishi, les maisons de thé au mont Asakuma.
La seule oeuvre marquante est le tourbillon de Naruto, causé deux fois par jour par la rencontre de deux marées, celle du Pacifique et celle de la mer intérieure de Seto.
Utagawa Hiroshige considérait les Cent vues d’Edo comme son oeuvre la plus aboutie, la plus représentative. Il ne put cependant le terminer et un disciple, même appelé Hiroshige II, prit le relais, l’oeuvre elle-même obtenant un succès considérable.
Et, somme toute, on y retrouve la même approche neutralisée que dans les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon. Le ton est paisible, il est agréable, mais cela se fait aux dépens d’une profondeur compositionnelle.
Voici La barque Yoroi et Koami-chō, L’ermitage de Bashō et la colline aux camélias près de l’aqueduc à Sekiguchi et À l’intérieur du sanctuaire Kameido Tenjin.
Voici encore trois œuvres,Temple Kinryū-zan à Asakusa, Contemplation de la Lune, ainsi que Rizière d’Asakusa et festival Torinomachi.
Cette dernière oeuvre avec le chat est très réussi, comme par ailleurs Fukagawa Susaki et Jūmantsubo (avec un aigle) et Minowa, Kanasugi et Mikawashima (avec des grues de Mandchourie).
On notera par contre Renards de feu la nuit du Nouvel An sous l’arbre Enoki près d’Ōji, seule estampe sortant du cadre du réalisme, qui annonce déjà une tendance que va avoir justement la culture japonaise à basculer dans les superstitions religieuses, notamment locales, ancrant l’opposition se combinant entre un empereur divin avec une religion nationale et des rites pu préjugés magiques locaux, à dimension folklorique.
On remarquera également que de nombreux magasins sont représentés, ce qui est cohérent vue la ville qu’est Edo, mais c’est fait sans prétention, sans affirmation réelle, à une époque pourtant où la bourgeoisie est en train de s’élancer. C’est lourd de signification.
On a là une bourgeoisie s’affirmant, mais de manière feutrée. Il manque toute une charge historique et cela se ressent au niveau de la profondeur esthétique.