« LA ZONE DES TEMPÊTES COMMENCE DANS LES FAUBOURGS »
A. Geismar
POURQUOI LES MESURES PRISES CONTRE LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS ?
Depuis mai 1968, les autorités et le pouvoir politique n’ont pas caché leur volonté d’exclure et d’expulser les étudiants étrangers trop actifs à leur point de vue dans le mouvement de contestation universitaire.
Si l’université bourgeoise prend en charge la formation de cadres étrangers, c’est dans le seul but de se soumettre de futurs gérants des intérêts post-coloniaux.
De connivence avec les gouvernements fascistes de ces pays, Vranckx menace aujourd’hui ceux qui refusent de jouer ce rôle. Quant à Simonet, n’a-t-il pas déclaré en septembre qu’il fallait exclure cette « frange » de trois cents gauchistes parmi lesquels il y avait tant d’étrangers ? Vranckx et Simonet sont du même bord : tous deux font partie de notre future clique de colonels en cravate !
EN FAIT LES OBJECTIS DU POUVOIR SONT PLUS LARGES
Les mesures d’aujourd’hui sont en fait un ballon d’essai pour jauger l’état de réaction face à toute la politique de répression que prépare le pouvoir pour abattre la contestation ouvrière et étudiante (lois sur les milices, police politique, DST, Comité de sécurité, …). La mobilisation des étudiants a fait éclater le ballon et maintenant Vranckx fait mine de reculer (cf. son discours d’hier soir).
C’EST TOUS LES ÉTRANGERS QUI SONT VISÉS et, pour ce faire, il faut préparer l’opinion ; Vranckx a déclaré il y a peu :
« Il est de mon devoir de signaler que certains groupements d’étrangers visent à renverser ou à modifier fondamentalement par la force, nos structures sociales, et qu’il existe à côté de ceux-là des associations belges qui rangent de façon expresse la violence parmi leurs moyens d’action et sont les ramifications d’organisations internationales ; tous ces groupements obéissent à un même mot d’ordre : saper la confiance du travailleur et de l’employé en l’union professionnelle ».
Cette déclaration vise deux objectifs :
– l’un idéologique : perpétrer le racisme existant, développer les sentiments xénophobes dans la population, opposer les travailleurs belges et étrangers, les diviser pour mieux régner !
– l’autre politique : accréditer la thèse du complot international des révolutionnaires payés par l’étranger ; cette vieille rengaine éculée a toujours justifié les mesures de répression.
Le capitalisme ayant atteint son stade impérialiste, non content de piller le Tiers-Monde, réduisant l’immense majorité de la population mondiale à l’état de amine, « accueille » les étrangers pour leur « donner » du travail. Cette double exploitation a atteint son stade ultime aujourd’hui.
Il s’agit en réalité d’un véritable marché d’esclaves réglé selon les besoins de la conjoncture, pour fournir une main-d’œuvre à bon marché, soumise et résignée.
Hier les Espagnols et les Italiens, aujourd’hui les Turcs et les Arabes, demain les Pakistanais et les Yougoslaves. A Clabecq, les patrons ont passé commande de 1.500 Pakistanais ; chez Citroën, les Espagnols étant considérés comme trop combatifs, on importe des Marocains.
LES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS SUBISSENT UNE TRIPLE OPPRESSION : économique, sociale et politique.
Transplantés, éloignés de leur famille, parqués dans des ghettos, ils ont le privilège de recevoir les emplois les plus durs et les moins rémunérés (mines, manœuvres dans les usines sidérurgiques).
Dans l’usine, ils subissent le despotisme des petits chefs, qui sont souvent d’anciens mercenaires : ils sont les premiers en butte à la répression patronale :
– sur 66 licenciés chez Citroën, plus de 50 sont étrangers,
– sur 22 licenciés à Clabecq, plus de 15 sont étrangers,
– chez Michelin, le patron a recruté sa police privée de brigadiers et employés pour chasser les ouvriers grévistes, drapeau belge en tête, aux cris de : « les étrangers à la porte », « retournez chez vos colonels ».
SUR LE PLAN POLITIQUE : non seulement ils n’ont aucun droit (d’association, d’expression, de réunion) mais en plus ils sont soumis aux tracasseries administratives (permis de séjour, permis de travail …). Ils sont le jouet en fait de la Police des Étrangers » véritable police politique ! La menace d’expulsion est une épée de Damoclès constamment pendue au-dessus de leur tête !
Chez Citroën, les ouvriers grévistes s’entendent dire dans les commissariats : « Ne recommencez pas, sinon c’est la frontière ! », « Ne vous occupez pas de tout cela, sinon vous aurez des ennuis quand vous rentrerez en Grèce ! », etc.
LA REPRESSION SYNDICALE : par le passé, les syndicats refusaient d’accepter des délégués étrangers, usant de l’argument : « C’est à cause de ces étrangers qui refusent de se syndiquer qu’on ne peut pas lutter ». Maintenant les temps ont changé : ils développent la même argumentation xénophobe que les patrons.
– Aux Forges de Clabecq, les syndicats ont fait un intense travail pour casser le mouvement, au nom de « La grève ne se fait pas pour nos revendications ; ce sont les étrangers qui veulent semer le désordre, ils font la grève par paresse ! ».
– Chez Citroën : un délégué syndical s’écrie : « En Belgique, pour faire la grève, il faut suivre les lois ; s’il y a des gendarmes, c’est de votre faute ; si vous êtes venus pour foutre le bordel, rentrez chez vous, on n’a rien à voir avec vous ! ».
LES PATRONS ONT PEUR DES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS
Subissant la surexploitation, le racisme, considérés comme de sous-hommes, les travailleurs étrangers sont le fer de lance des luttes ouvrières.
Ayant souvent connu l’expérience des luttes violentes dans leur pays, ils sont moins imprégnés de l’idéologie de conciliation, ils ont un esprit de révolte face à la capitulation des syndicats. Ils sont au premier rang de la lutte contre « la paix sociale ».
Dans les mines du Limbourg et ailleurs, ils ont fait preuve d’un esprit de sacrifice et d’une ténacité et d’une unité remarquables ! La force des ouvriers aujourd’hui, c’est avant tout la force des travailleurs étrangers ! Pour cela ils représentent un véritable danger pour les patrons et leur Etat !
Face à ce danger, l’Etat lance, par l’intermédiaire de Vranckx, une campagne d’intoxication de l’opinion pour abattre cette force potentielle. Les mesures de répression visent avant tout les étrangers !
Le combat que nous menons aujourd’hui dépasse de loin le cadre du campus et celui des étudiants étrangers : c’est aussi et surtout le soutien aux luttes ouvrières menées par les travailleurs étrangers.
LE MOUVEMENT DE LUTTE A L’UNIVERSITÉ ET DANS LES ÉCOLES DOIT REJOINDRE LA CLASSE OUVRIÈRE
Limiter le problème aux seuls étudiants étrangers, c’est le vider de son contenu réel, c’est développer une réaction sentimentale et humanitaire face à un problème politique, c’est enferme le mouvement dans le ghetto universitaire et l’asphyxier à long terme.
Croire que les seuls étudiants peuvent aujourd’hui, en restant confinés dans leurs facs, résoudre les droits des étrangers, relève de l’utopie. Certes Vranckx pourra toujours récupérer le mouvement par des paroles mielleuses et des promesses aguichantes. Mais on sera passé à côté des vrais problèmes.
Nous devons nous méfier de la sainte alliance avec Simonet. La notion du Conseil d’Administration vise à calmer l’ « agitation » et nous prépare en fait un coup de poignard dans le dos.
C’est pourquoi il faut poser dès aujourd’hui les vrais problèmes : ceux des travailleurs étrangers.
Nous aurons joué notre rôle le jour où ; côte à côte, étudiants et ouvriers, et particulièrement les étrangers, nous manifesterons pour imposer toues nos revendications :
DROITS POLITIQUES AUX ÉTRANGERS !
VRANCKX ET SIMONET DÉMISSIONS !
OUVRIERS-ÉTUDIANTS, NOUS SOMMES TOUS DES ÉTRANGERS !
LES FRONTIÈRES, ON S’EN FOUT !
LES PROLETAIRES N’ONT PAS DE PATRIE !
Tous au MEETING suivi d’une MANIFESTATION
dans les rues de Saint-Gilles
Mardi 8/12/70 – 14H30 – Salle Régina
(Chaussée de Waterloo, près de la Porte de Hal)
(CE MEETING ET CETTE MANIFESTATION SONT ORGANISÉS PAR LES GRANDES ÉCOLES DE BRUXELLES)
Mercredi 9 décembre : 11 heures : TEACH-IN (auditoire Janson)
LES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS EN BELGIQUE
(PROJECTION D’UN FILM SUR LES TRAVAILLEURS TURCS AU LIMBOURG)