Publié dans Unité Rouge, n° 76, 15 novembre 1976

UC(ML)B : CRITIQUE DE LA BROCHURE DE LUTTE COMMUNISTE « LA RÉVOLUTION ET LA GUERRE »

suivi de :

A PROPOS D’UNE AUTOCRITIQUE : AMADA-TPO et « L’ETAT DE DÉMOCRATIE POPULAIRE »

INTRODUCTION

Dans la brochure intitulée « La Révolution et la Guerre », Lutte Communiste donne son analyse de la situation nationale et internationale actuelles : il s’efforce de systématiser ses positions stratégiques et tactiques et de définir les tâches révolutionnaires face au danger de guerre.

Une grande partie de la brochure est consacrée à la critique de la ligne opportuniste d’AMADA-TPO. Elle contient aussi quelques attaques très violentes, à l’égard de l’UC(ML)B.

LC parle, en effet, des « positions droitières d’AMADA » et du « texte trotskiste très complet (UR 6) » par lequel l’UC(ML)B se serait opposée à elles ; l’UC(ML)B serait un groupe de contre-révolutionnaires » « ultra-gauche » (p. 4).

Nous montrerons que l’opportunisme n’est pas de notre côté, mais bien du côté de LC.

Il est nécessaire de tirer au clair les désaccords réels qui existent entre LC et nous. Dans ce but, nous ferons d‘abord les mises au point que réclament les critiques, injustifiées ou erronées qu’il nous lance. Nous élargirons ensuite le cadre de la discussion à une question que LC ne soulève pas réellement contre nous, celle de l’ennemi principal, question qui doit être au centre du débat. Nous dégagerons enfin la racine idéologique de l’erreur de LC.

RÉPONSE AUX CRITIQUES DE LC A L’UC(ML)B

1. LC cherche querelle à l’UC(ML)B parce qu’il est écrit dans l’article d’UR 68 que le renversement de la bourgeoisie belge est une tâche « actuelle » de la classe ouvrière, alors qu’aujourd’hui nous n’en sommes encore qu’à la préparation de cette tâche. « Tout le trotskisme de l’UC sur cette question apparaît ainsi, et il consiste à faire croire que la révolution socialiste est à l’ordre du jour en Belgique ‘cf. 40).

Il est pourtant certain – tous les textes de notre organisation l’attestent – qu’à aucun moment la ligne de l’UC(ML)B n’a tendu d’une façon quelconque à faire croire à l’imminence de la révolution dans notre pays. Au contraire, l’UC(ML)B a toujours combattu ce spontanéisme – notamment chez AMADA-TPO naguère ; sa position est résumée dans le Rapport d’activité du Comité central à la Ière Conférence nationale, où l’on peut lire :

« La situation actuelle de la classe ouvrière et la suivante : elle fait preuve d’une combativité croissante, mais elle n’a pas encore pris la mesure de sa tâche révolutionnaire, il lui manque encore son Parti pour la guider à la victoire » (Documents, p. 149)

Dans l’article incriminé d’UR 68 lui-même il est dit :

« Comment préparer la révolution socialiste, de façon concrète ? (…) Comment préparer le prolétariat à ses tâches de temps de guerre ? » (p. 17, col. 3)

2. Sur cette lancée, LC voudrait faire donner l’artillerie lourde, en assimilant l’UC(ML)B à la clique anarcho-fasciste de Nejszaten. En effet, ayant faussement prêté à l’UC(ML)B la position que « le renversement de la bourgeoisie est immédiatement réalisable », LC met ceci en rapport avec la « théorie » du génial Nejszaten selon laquelle « seuls les facteurs internationaux (les comploteurs du mouvement communiste international…) peuvent empêcher la révolution socialiste avant la guerre… » (cf. p. 40).

C’est puissamment raisonné, il n’y a pas à dire. C’est surtout d’une remarquable malhonnêteté de nier le fait de la scission survenue au sein de l’UC(ML)B avec la clique de Nejszaten. Lutte Communiste sait parfaitement qu’il existe une opposition radicale entre la ligne anarchiste de Nejszaten (aussi en ce qui concerne la guerre) et la ligne marxiste-léniniste de l’UC(ML)B.

3. LC soulève à propos de l’armée, de la question militaire, un problème particulier, celui de l’intégration de spécialistes bourgeois au sein de l’Armée rouge. LC accuse l’UC(ML)B de s’opposer à une telle intégration et voit dans ce refus une nouvelle preuve de « trotskisme » (cf. P ; 58).

La discussion à laquelle il est fait allusion (il s’agit d’une critique de l’UC(ML)B adressée à la conception réformiste que se fait AMADA-TPO de la formation de l’armée du prolétariat à partir de la fusion des milices ouvrières avec l’armée patriotique bourgeoise) ne porte pas du tout sur la question de l’éventuelle intégration de spécialistes militaires bourgeois (nous n’élèverions pas a priori une objection de principe à ce propos) ; non, la discussion porte sur 1) la nécessité de détruire l’armée bourgeoise et 2) la tâche de construire une autre armée, l’armée du prolétariat , qui aura nécessairement ses propres cadres.

Nous disions – et nous confirmons – contre AMADA-TPO – et selon toute apparence, contre LC également – qu’il s’agit là de principes marxistes-léninistes intangibles, qu’aucun compromis temporaire conclu avec la bourgeoisie impérialiste patriotique dans le cadre d’une lutte de libération nationale ne saurait obscurcir.

D’autre part, pour pouvoir nous accuser de « trotskisme », LC n’hésite pas à commettre un contresens politique flagrant. Quiconque connaît tant soit peu l’histoire de la révolution russe sait que Trotski défendait en matière d’organisation militaire une position de droite (exactement à l’opposé de celle que lui prête LC) et qu’il vouait un culte aux spécialistes de l’ancienne armée tsariste. Cette position fut réfutée et rejetée par le VIIème Congrès du PC (b.)R (1919) (cf. histoire du P.C.(b) de l’URSS, p. 260.

Voilà donc comment LC définit « les divergences principales » qu’il croit avoir avec l’UC(ML)B (p. 4) et voilà pourquoi l’UC(ML)B est « trotskiste » !

Nous estimons qu’i n’y a rien de sérieux dans les deux premiers points soulevés par LC, mais que le troisième point, aussi mal posé qu’il soit, renferme une divergence réelle. Les malentendus ou la mauvaise foi n’expliquent pas tout, et il apparaît plutôt que LC trahit ici une de ses déviations les plus graves, qui est l’indifférence (pour ne pas dire plus) devant nos tâches militaires et devant la violence révolutionnaire en général. Nous abordons ainsi le véritable terrain de notre controverse avec LC.

CRITIQUE DE L’UC(ML)B A LA LIGNE DE LC

Avant de développer notre critique, il est nécessaire de préciser que LC pose correctement l’étape stratégique de la révolution dans notre pays et que, sur ce point fondamental, LC et l’UC(ML)B sont d’accord. La critique que LC adresse à ce propos à AMADA-TPO (cf. p. 20 à 36) et la nôtre se rejoignent d’ailleurs étroitement, bien que LC essaie naïvement de nier ce fait évident (cf. p. 4).

Notre critique à LC porte sur la question de l’ennemi principal.

LC se pose nettement le problème « Comment détermine-t-on l’ennemi principal dans un pays ? » (p. 36). Et voici sa réponse : Tout d’abord il pose correctement que l’ennemi principal au niveau mondial et l’hégémonisme (de l’URSS en particulier, le plus dangereux) et qu’à l’intérieur de notre pays, l’ennemi principal est la bourgeoisie monopoliste de Belgique. Mais ensuite il faut trancher la question : laquelle de ces deux contradictions doit déterminer notre tactique ? A cela il répond que

« Les marxistes-léninistes définissent le changement d’ennemi principal essentiellement en fonction de la situation intérieure » (souligné par LC) (p. 44).

Concrétisant cette position il critique AMADA-TPO de subordonner l’ensemble des tâches à la lutte pour l’indépendance nationale (cf. p. 31) et se contente, pour sa part, d’affirmer que la lutte pour l’unité des marxistes-léninistes (qualifiée de « tâche centrale actuelle »), la lutte économique et la lutte pour l’indépendance nationale sont « indissolublement liées ».

La question que nous soulevons ici, et qui est la question centrale de la tactique, a vu varier AMADA-TPO et l’UC(ML)B au cours de la dernière année écoulée. AMADA-TPO a commencé à changer l’ordre de priorité en juillet 1975 pour aboutir en novembre de la même année aux positions opportunistes de droite que l’on connaît ; le Comité central de l’UC(ML)B réuni en plénum a défini la tâche centrale de la lutte contre les deux superpuissances, ces ennemis principaux des peuples (janvier 1976). LC en est resté à la position « nationale » qui, dans la conjoncture actuelle, est une position « de gauche » de type trotskyste.

Jusqu’il y a peu de temps, le mouvement marxiste-léniniste de Belgique, dans son ensemble, sous-estimait l’aggravation des contradictions fondamentales dans le monde – et notamment celle qui oppose entre elles les deux superpuissances et ces dernières aux peuples -, ainsi que le danger de guerre qui en résulte. Aujourd’hui LC persiste dans cette erreur.

Dans une situation où les facteurs de guerre vont grandissant, en même temps que ceux de la révolution, les peuples doivent s’unir contre les fauteurs de guerre principaux : cette tâche est la première qui s’impose à eux, sur le chemin de la révolution.

Tel a été le cas à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Axe (Allemagne nazie – Italie fasciste – Japon impérial) menaça et attaqua un grand nombre de pays démocratiques bourgeois qui, à ce moment, étaient intéressés au maintien de la paix. Ces pays – Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine, etc. – formèrent la coalition antihitlérienne qui, sous l’impulsion de l’URSS de Staline, remporta la victoire sur les agresseurs.

Le VIIe Congrès de l’Internationale communiste (1935), sous la direction de Dimitrov, définit comme tâche centrale, « la lutte pour la paix et la défense de l’Union soviétique ».

Ercoli (Togliatti) dans son rapport sur la lutte contre la guerre et le fascisme, déclara :

« S’il est vrai qu’une des qualités foncières du bolchévisme, une des particularités fondamentales de notre stratégie révolutionnaire, est la capacité de définir à tout moment qui est l’ennemi principal, et de savoir concentrer toutes les forces dans la lutte contre cet ennemi – alors nous devons, dans le moment présent et au vu de la situation donnée, témoigner plus que jamais de cette capacité qui est la nôtre. Concentrer le feu de notre lutte contre le fascisme allemand en tant que principal fauteur de guerre, en tant qu’ennemi mortel de l’Union soviétique et de la révolution prolétarienne – voilà le devoir de chaque révolutionnaire. Celui qui ne comprend pas ce devoir ne comprend rien aux formes dans lesquelles se déroule aujourd’hui en Europe la lutte entre réaction et révolution ».

(Bien entendu, aussi longtemps que le pays, placé dans cette situation menacée, reste indépendant, c’est-à-dire directement soumis à sa bourgeoisie souveraine, celle-ci demeure l’ennemi principal à l’intérieur des frontières nationales. Togliatti ajoutait en effet :

« Nous concentrons le feu contre le fascisme allemand, ce fauteur de guerre principal en Europe. Nous nous efforçons d’utiliser toutes les différences qui existent entre les positions des puissances impérialistes. Nous devons les utiliser habilement, dans l’intérêt de la défense de la paix et, ce faisant, ne pas oublier une minute que le coup doit être dirigé contre l’ennemi dans le pays même, contre le ‘propre’ impérialisme »).

Aujourd’hui, de même, les peuples sont soumis à la menace d’un hégémonisme agressif – en particulier, à celle qui émane de l’URSS – et ils doivent se préparer sérieusement à lui résister. Refuser de reconnaître cette tâche comme la tâche tactique principale, refuser de subordonner les contradictions de classes dans le pays aux exigences du front anti-hégémonique national et international, c’est apporter objectivement une aide aux pires ennemis des peuples, c’est favoriser dans les faits leurs plans de guerre.

LC reconnaît qu’au niveau mondial, les deux superpuissances (l’URSS en premier lieu) sont l’ennemi principal des peuples, mais il ôte toute substance à cette position dès qu’il s’agit de l’appliquer concrètement, par exemple en Belgique.

Il cite à cet effet des cas historiques (celui de l’Albanie, qui concentra la lutte contre l’occupant italien en 1941, puis contre les nazis allemands, nouveaux agresseurs, à partir de 1943 ; celui des communistes chinois qui modifièrent leur tactique en 1935 pour s’unir toutes les forces patriotiques contre l’impérialisme japonais) (cf. p. 42-44). L’argument implicite de LC est que la contradiction au niveau international ne devient prioritaire pour un peuple donné qu’au moment où son pays est effectivement attaqué par l’hégémonisme.

C’est là une façon de voir petite-bourgeoise, étroitement nationaliste. Cet argument est entièrement contraire au marxisme qui a toujours proclamé 1) que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » et 2) que « dans les différentes luttes nationales des prolétaires, (les communistes) mettent en avant et font valoir leurs intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat (…) » (Marx-Engels, Manifeste du Parti communiste).

Le premier principe cité, repris par Marx à Clausewitz, implique qu’une superpuissance hégémonique ne doit pas avoir déjà effectivement déclenché la guerre mondiale pour qu’il faille la considérer et la traiter comme l’ennemi principal des peuples du monde.

Le deuxième principe cité est une affirmation d’internationalisme prolétarien, qui est au fondement du communisme et qui s’oppose à tout particularisme chauvin tendant à diviser, à morceler la lutte de la classe ouvrière internationale.

LC se sert en outre de l’exemple du Vietnam (cf. p. 42-43) pour argumenter à partir du fait que l’ennemi principal d’un peuple donné peut très bien ne pas être celui qui menace le plus gravement l’ensemble des peuples du monde (le peuple vietnamien jusqu’en 1940 combattit principalement l’impérialisme français, puis de 1940 à 1945 le fascisme nippon-français).

Ce fait en lui-même est indéniable, mais il est abusif de vouloir en induire, comme le fait LC, ce « principe » général que la définition de l’ennemi principal se fait « essentiellement » en fonction de la situation intérieure (p. 44). L’ennemi principal du peuple d’Irlande du nord est l’impérialisme britannique (et ses collaborateurs de la bourgeoisie irlandaise) : l’ennemi principal du peuple du Timor oriental est l’agresseur indonésien.

Ces cas sont loin d’être uniques, en particulier dans le tiers monde où les peuples doivent concentrer leurs coups contre une des superpuissances ou contre une puissance impérialiste qui les prive de leurs droits nationaux en les attaquant, en les colonisant, en les dominant. La première cible de la lutte dans ces pays est nécessairement la puissance qui constitue l’obstacle principal à toute émancipation nationale ou sociale. Mais comment pourrait-on étendre ce principe aux pays souverains ?

LC voit dans la lutte contre les deux superpuissances « notre principale tâche internationaliste » (p. 45), mais il ne voit pas qu’elle est en même temps la tâche tactique centrale de la révolution en Belgique, c’est-à-dire la principale voie d’accès au pouvoir prolétarien. LC se montre ainsi incapable de lier véritablement la tactique à la stratégie et les tâches nationales aux tâches internationales.

La ligne tactique erronée de LC n’est de « gauche » qu’en apparence : en réalité, elle résulte d’une déviation droitière.

LC fait dans sa brochure un début d’autocritique, en parlant de son chauvinisme (cf. p. 3), ce qui éclaire un aspect de la question sans, à notre avis, toucher la racine du mal.

Ce qui a toujours fait la faiblesse de LC, c’est son manque d’esprit révolutionnaire, son pacifisme, sa tendance à délaisser les buts communistes et à pencher vers le démocratisme et l’économisme. Dans la lutte idéologique au sein du mouvement marxiste-léniniste, LC est l’éternel spectateur qui compte les coups.

C’est à la lumière de cette critique d’ensemble qu’il faut juger les positions de LC sur la guerre. L’erreur tactique que nous avons relevée est le reflet d’une attitude générale de passivité dans la lutte des classes.

La « Déclaration du Comité Directeur de LC sur le mouvement de rectification du Comité central de l’UC(ML)B » affirmait entre autres :

« Le plénum du Comité central de l’UC(ML)B apprend à la classe ouvrière et au monde entier que ‘l’époque pacifique qui dure depuis la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin’ et que ’nous entrons dans une période de guerres de révolutions’ ».

Puis LC donne son point de vue à lui :

« Au début des années ’50, la situation mondiale (qui a débouché sur la guerre de Corée) et la lutte des masses en Belgique sur la question royale, c’était une période pacifique ? Au début des années ’60, c’était encore une période pacifique, sans doute ? ».

Dans sa brochure, LC reprend cette analyse, pour faire de la surenchère :

«… nous avons mieux à faire que ‘sauvegarder’ l’indépendance, celle que nous avons n’étant pas très satisfaisante et ‘maintenir’ la paix qui n’existe pas : depuis la dernière guerre mondiale (sans parler d’avant) nous n’avons pas eu de moment où l’impérialisme ne guerroyait pas contre l’un ou l’autre peuple » (p. 41).

On ne pouvait avouer plus platement son aveuglement devant l’orage qui se prépare ! Nous n’apprendrons rien à LC en lui disant que l’impérialisme, à aucun moment, n’est effectivement « pacifique », mais LC ferait bien de sortir de son sommeil quasi-léthargique et de s’armer de la vigilance nécessaire, avec « la classe ouvrière et le monde entier », devant les menées de plus en plus agressives de l’URSS. Qu’il secoue enfin cette désinvolture avec laquelle il envisage la guerre « dans six mois ou cinquante ans » (Lutte Communiste, 29 mai 1976, p. 14).

Toute la brochure de LC est imprégnée de cet esprit petit-bourgeois. Une telle déviation idéologique ne pouvait pas ne pas entraîner de conséquences dans l’élaboration de la ligne tactique.

CONCLUSION

LC a fait paraître sa brochure « La Révolution et la guerre » sous le titre général de « Pour l’unité des marxistes-léninistes ». Sur ces deux questions, qui sont les questions brûlantes de notre mouvement, on ne peut pas dire que LC ait fait œuvre utile, bien au contraire.

Il est juste de dire que l’unification des communistes est « notre tâche centrale », mais pour donner à cette question une solution marxiste-léniniste il est indispensable de se délimiter correctement. En creusant un abîme entre les communistes et en conciliant gravement avec les révisionnistes de Clarté, LC tourne entièrement le dos à cette tâche.

Sur la question de la guerre, LC qui nous accuse de suivre une « ligne trotskiste très complète », ne semble pas très bien savoir de quoi il parle. Quoi qu’il en soit, s’il faut dire que l’influence trotskiste se fait sentir dans le mouvement marxiste-léniniste, c’est certainement au scissionnisme et aux tendances pacifistes et chauvines de LC que nous nous adresserons en premier lieu.


ANNEXE

A PROPOS D’UNE AUTOCRITIQUE

AMADA-TPO et « l’Etat de démocratie populaire »

Le n° 78 (22-12-76) de TPO publie une autocritique relative à ses questions de tactique et de stratégie face au danger d’une troisième guerre mondiale.

TPO écrit qu’il y a une différence qualitative entre un gouvernement de front populaire antifasciste (qui est une forme de gouvernement de l’Etat capitaliste) et l’Etat de démocratie populaire (qui serait « un nouvel appareil d’Etat révolutionnaire, né de la destruction armée du vieil appareil d’Etat capitaliste »).

TPO écrit ensuite que cet appareil d’Etat de la démocratie populaire ne peut, dans la situation actuelle, naître qu’au cours d’une guerre de résistance nationale, et pas avant, et que ce mot d’ordre est par conséquent erroné comme mot d’ordre d’agitation.

Nous lisons aussi que « c’est de l’opportunisme de droite que de présenter la démocratie populaire comme but stratégique ou de la comprendre comme une première révolution intégrale qui sera suivie par une seconde révolution socialiste, séparée de la première ».

Enfin, AMADA-TPO revient implicitement sur sa position de soutien aux « monopoles indépendants » de Belgique en écrivant aujourd’hui que « l’ennemi direct contre lequel la classe ouvrière belge dirige ses coups est la bourgeoisie belge ».

Quelle est la portée de cette auto-critique ?

La question de la prétendue étape marquée par un « Etat de démocratie populaire », imaginée par AMADA-TPO se trouve au centre de sa ligne opportuniste. Il faut donc prêter une grande attention à ce qu’AMADA-TPO écrit et écrira sur ce point. En ce qui concerne l’autocritique, nous estimons qu’elle porte sur des points secondaires et que l’essentiel de la position erronée d’AMADA est inchangé, et même dans un certain sens consolidé.

Qu’un gouvernement de front populaire antifasciste ne constitue pas un nouveau type d’Etat par rapport à l’Etat capitaliste, est une vérité évidente. La grosse bévue d’AMADA-TPO n’aura sans doute échappé à personne. En tous cas, là n’est pas le nœud de l’erreur.

Que le mot d’ordre d’« Etat de démocratie populaire » soit retiré comme mot d’ordre d’agitation et baptisé « mot d’ordre de propagande » ne fait que déplacer le problème. Ici l’opportunisme recule pour mieux sauter.

En revanche, que l’instauration de l’« Etat de démocratie populaire » ne constitue pas un but stratégique est une remarque qui mérite d’être approfondie par AMADA-TPO, car nous approchons là du centre de la discussion.

Nous combattons toute illusion relative à l’instauration en Belgique de toute forme d’Etat qui ne serait pas une forme de la dictature du prolétariat. Nous avons déjà démontré qu’une dictature de plusieurs classes conjointes convient aux pays coloniaux et semi-coloniaux qui accomplissent la première étape de leur révolution, mais qu’une telle dictature est absolument impossible pour un pays impérialiste.

Entre le capitalisme et le socialisme, entre l’Etat de la dictature bourgeoise et l’Etat de la dictature du prolétariat, il n’y a et il ne saurait y avoir d’étape intermédiaire, parce que la bourgeoisie au pouvoir est une classe décadente, pourrie, qui a terminé son rôle progressiste depuis longtemps. L’impérialisme, stade « suprême » du capitalisme, rend cela encore plus évident.

Dire le contraire, propager l’illusion d’un « Etat de démocratie populaire « national », « anti-hégémonique », etc. est du révisionnisme en tous points comparable aux théories des « PC » d’Europe occidentale sur l’« Etat de démocratie avancée », « antimonopoliste », etc.

Voyons maintenant de plus près comment AMADA-TPO enveloppe sa marchandise avariée.

1. Pour faire suite à l’Etat capitaliste, AMADA-TPO prépare donc l’avènement d’un « Etat de démocratie populaire », « né de la destruction armée du vieil appareil d’Etat capitaliste ». On peut penser que cette dernière formule remplace avantageusement le bavardage réformiste sur « les grandes actions révolutionnaires » prévues par le Programme … (pour ce passage : AMADA-TPO paraît rétablir ici dans son programme la reconnaissance de la nécessité de la lutte violente insurrectionnelle, armée.

Mais ce progrès est formel, parce que l’ambiguïté demeure quant à la nature de classe de l’Etat qu’il s’agit de « détruire ». AMADA-TPO y garde, en effet, sa place à la bourgeoisie. (« C’est une dictature démocratique de toutes les forces patriotiques et démocratiques contre les envahisseurs et leurs collaborateurs. ( …) La démocratie populaire (…) est basée sur un large front qui peut également englober certaines forces de la bourgeoisie et se trouve sous le direction du prolétariat »).

Nous nous trouvons donc bien devant un Etat mi-bourgeois, mi-ouvrier, une cohabitation politique des monopoles financiers et du prolétariat qui se partagent le pouvoir, et tout ceci sous la direction de la classe ouvrière ! Combien peu AMADA lui-même croit à sa propre fable, c’est ce qu’il se charge de nous expliquer en ajoutant en toute naïveté que « ce n’est que si le parti et le prolétariat ont conquis l’hégémonie dans le front que la démocratie populaire peut assurer directement les fonctions de la dictature du prolétariat ».

2. Comment passerons-nous, selon AMADA-TPO, de ce monstre mi-bourgeois mi-prolétarien à la dictature du prolétariat ? Par des « transformations révolutionnaires ». (Après un processus de transformations révolutionnaires, l’Etat de démocratie populaire pourra remplir la fonction de la dictature du prolétariat »). Bornons-nous ici à rappeler que pour Marx, la « transformation révolutionnaire » à accomplir par le prolétariat des pays capitalistes est celle qui sépare le mode de production capitaliste du communisme et que cette période de transformation, de transition n’est autre que celle du socialisme lui-même.

Le mérite de l’autocritique d’AMADA-TPO est de mieux faire apparaître l’erreur centrale de la ligne stratégique, en la débarrassant de formules maladroites et d’erreurs secondaires :

L’« Etat de démocratie populaire » n’est pas identique au gouvernement de front populaire antifasciste, nous dit AMADA-TPO, mais il ajoute qu’il faut établir l’un et l’autre. Ainsi il révise ouvertement le 7ème Congrès de l’Internationale communiste qui a élaboré la tactique du front populaire et au cours duquel Dimitrov fit les mises en garde les plus formelles contre la confusion entre cette forme de transition au socialisme et toute théorie d’« étape intermédiaire », telle que représenterait précisément un prétendu « Etat de démocratie populaire ».

L’Etat de démocratie populaire » n’est pas la dictature du prolétariat, nous dit AMADA-TPO. Ainsi, il révise ouvertement la ligne marxiste-léniniste sur les démocraties populaires dans les pays d’Europe de l’Est après la Seconde guerre mondiale (cf. la critique de Dimitrov à la tribune du 5ème Congrès du Parti Ouvrier bulgare, Œuvres choisies, Ed. Sofia, t. 2, p. 708-709).

L’« Etat de démocratie populaire » n’est plus le vieil Etat capitaliste » et n’est « pas encore » la dictature du prolétariat, nous dit AMADA-TPO. Ainsi il révise ouvertement un enseignement fondamental de la théorie marxiste-léniniste, selon lequel il ne saurait se former un tel Etat dans les pays capitalistes.

Voilà notre position sur le fond de la question. Toutefois nous ajoutons que la volonté d’autocritique est trop rare chez AMADA-TPO pour que nous n’encouragions pas tout effort en ce sens, même si aucune erreur de principe n’est encore corrigée.
E.P.


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