La lutte commence aux Auxiliaires1, à propos de la grève de solidarité avec Battipaglia2, que les syndicats ont prudemment réduite à une heure.
Le drainage des jeunes travailleurs du Sud par la FIAT s’est intensifié ces derniers mois, car de plus en plus les ouvriers s’en vont : ils ne supportent plus les cadences FIAT. Le sous-développement forcé du Sud est bien utile à la FIAT pour aller chercher la force de travail là où il y a beaucoup de chômage, et les départs d’ouvriers l’arrangent encore mieux : les nouveaux embauchés acceptent des salaires plus bas. Autrefois, c’était possible de faire des économies pour se marier dans le Nord ou pour envoyer de l’argent dans le Sud. Maintenant, ça ne l’est plus. Le salaire « réel » à la FIAT s’est réduit de plus en plus ces dernières années. Voilà pourquoi la grève à propos de Battipaglia va devenir l’occasion d‘une grève politique contre les plans de la FIAT et de l’Etat.
A la cantine des Auxiliaires, un ouvrier monte sur une table. Il explique pourquoi les méridionaux sont obligés de venir dans le Nord. La direction réplique : elle mute l’ouvrier à la Mirafiori-Nord3 en l’isolant des autres.
Mardi 15 avril, c’est tout un groupe d’ouvriers qui tient une réunion à la cantine, qui décide d’un débrayage, et impose au Comité d’Etablissement la réintégration de l’ouvrier dans son équipe. En quarante-huit heures, la lutte démarre aux Auxiliaires contre les primes et les classes : deux heures d’arrêt par équipe. Ce sont les ouvriers qui décident eux-mêmes, le syndicat ne fait que suivre. Au même moment, les caristes de la Mirafiori-Nord arrêtent le travail.
Le syndicat leur propose de mener la lutte pour forcer le patron à proposer lui-même la plateforme revendicatrice ! Les ouvriers devront dire s’ils acceptent ou non …
C’est la période de sondage de la volonté de lutte dans les départements de la part des syndicats. De ces premiers affrontements, la direction et les syndicats tirent les conclusions politiques : il leur faut refaire leurs comptes, refaire le calendrier des luttes.
Les stocks s’épuisent et la grève des caristes commence à avoir des conséquences un peu partout : le mouvement de grève s’étend aux trois équipes. Alors la FIAT fait un premier essai : elle offre 40 lires de l’heure d‘augmentation à tous les caristes de classe III et 30 lires à ceux de la classe II, de manière à préserver la hiérarchie et la division. Les caristes de la Mirafiori-Nord opposent un refus catégorique.
Lundi 19 mars, tous les caristes de la première équipe sont en grève. Les ouvriers balaient la division entre ateliers et tiennent la première assemblée ouvrière. Deuxième essai de la FIAT : les chefs d’ateliers propose à une délégation d‘ouvriers de venir discuter avec eux. La réponse de l’assemblée des caristes ne se fait pas attendre : ils exigent que la FIAT envoie ses propres représentants devant l’assemblée ouvrière.
Par téléphone, les caristes de l’usine Nord réussissent à communiquer avec leurs camarades de l’usine Sud vers 11H30. Une demi-heure après, tous les caristes de la Mirafiori-Sud sont en grève jusqu’à 14H30. A la deuxième équipe, il y a une nouvelle grève de deux heures pour obtenir cinquante lires. « Et s’ils nous en donnent 50, on en demandera 70 ».
Mercredi 21, les chefs réussissent à arrêter la grève de la première équipe. Mais avant qu’ils y aient réussi, ce sont tous les grutiers et les pontonniers qui s’arrêtent pendant deux heures.
Jeudi 22, pour la première fois, la grève s’étend à un département tout entier : les Presses. C’est d’autant plus important que les Grandes Presses ont la réputation d’être un endroit « calme ». Pour s’allier les journaliers de classe III, le syndicat propose de faire grève pour une augmentation de salaire. Ainsi, la FIAT sera « obligée » de faire des propositions sur lesquelles les ouvriers se prononceront.
D’après « LA CLASSE » n° 6, 7/14 juin 1969
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LUTTONS TOUS, TOUT DE SUITE !
Les luttes qui ont commencé la semaine dernière à la FIAT sont loin d’être terminées.
Ce sont les ouvriers qui ont pris la direction des grèves. Cela prouve qu’en nous organisant, nous pouvons nuire au maximum au patron, et le moins possible à nous-mêmes. Les ouvriers des presses, les caristes, les grutiers organisent les luttes, ils arrivent à bloquer tous les autres départements en faisant seulement quelques heures de grève par équipe.
La FIAT est faible, c‘est ce que montre l’organisation des luttes par les ouvriers.
Voilà comment nos camarades des Presses ont lutté :
Jeudi 22 : première équipe : grève de 10 H à midi. Ils arrachent à leurs machines les ouvriers qui travaillent encore. Des discussions commencent dans le département.
Deuxième équipe : grève de 15H30 à 17H30. Discussions pendant deux heures : on décide de faire deux heures de grève de 21 à 23 H parce qu’à 21 H arrive le matériel des caristes.
Vendredi 23 : première équipe : nous faisons les deux heures de grève comme prévu. Après discussions, nous décidons de prolonger la grève jusqu’à 14H30. Voilà ce que nous disons : « Notre objectif, ce n’est pas les 50 lires, même si elles nous arrangent bien ; notre objectif, c’est d’organiser les ouvriers de façon permanente ; ainsi on pourra battre le patron n’importe quand. On se fout de la démocratie : cela fait vingt-cinq ans que la démocratie, on ne sait pas ce que c’est, et qu’on se fout de nous. Il faut que nous nous organisions, les syndicats, c’est nous. Il n’existe aucune armée plus forte que la classe ouvrière quand elle est organisée et unie ».
Samedi 24 : les syndicats viennent nous dire que les samedis, ça ne vaut pas la peine de faire grève, parce qu’il n’y a qu’une seule équipe. Nous acceptons pour ne pas créer de divisions, mais « nous réduisons la production ». Nous disons : « Si nous sommes unis et organisés, nous pissons quand nous voulons, nous mangeons quand nous voulons, nous travaillons quand nous voulons et comme nous voulons ».
Nous en donnons tout de suite la preuve : La production baisse de 3500 pièces à 1300. Les chefs ont peur de venir nous donner des ordres. Nous disons aussi : « Si nous avons fait grève hier, mais qu’aujourd’hui le chef n’a rien perdu de son pouvoir, rien n’a changé ». « Il faut continuer la lutte, personne ne doit lâcher. Ça ne se passera pas comme l’année dernière, maintenant nous avons compris ».
Nous avons démontré que quelques lires d’augmentation ce n’est pas le principal, mais qu’il faut lutter et nous organiser pour dire NON
– aux cadences,
– à l’organisation du travail,
– au pouvoir du patron.
C’est maintenant le bon moment pour lutter. La FIAT est faible ; en ce moment, il lui faut à tout prix produire au maximum. Il faut attaquer quand l’ennemi est faible.
Il faut nous organiser pour étendre et unifier les luttes de tous les ouvriers de la FIAT aux 12.000 ouvriers qui sont déjà en grève ».
26 mai 1969 – fait par des ouvriers et étudiants.
Alors, le syndicat appelle à une grève de deux heures par équipe à partir du jeudi 22 « jusqu’à ce que la FIAT mette ses propositions noir sur blanc ». A la première équipe, la grève commence par une manifestation à l’intérieur de l’atelier. L’enthousiasme est à son comble quand une dizaine d‘ouvriers partis du fond de l’atelier arrivent aux presses, arrêtent les machines qui tournaient encore. La manifestation encercle les chefs, et la discussion est générale dans l’atelier.
Ainsi, la dernière tentative de la FIAT pour récupérer tout ce qu’elle a perdu dans ces premières grèves a fait long feu. Les chefs qui tentaient de pousser la chaîne du 124 pour qu’on passe de 600 pièces à 641 peuvent voir le résultat : aucun ouvrier ne commence le travail.
A 14H30, ce même jeudi, c’est l’entrée de la deuxième équipe aux Grandes Presses. Mais le travail ne peut commencer parce que la grève des caristes empêche le matériel d‘arriver. Alors les ouvriers proposent de faire grève de 21 à 23 H juste au moment où le matériel arrivera. Passe un dirigeant syndical qui demande aux ouvriers ce qu’ils veulent ; mais personne ne veut rien lui dire. Alors on envoie le Comité d’Etablissement qui menace : « Les ouvriers des presses ne doivent pas faire grève seuls comme les caristes. La FIAT risque de décréter le lock out ». Pour la troisième équipe, le syndicat avait proposé un débrayage de 3 à 5 H. Tous ensemble, les ouvriers décident de s’arrêter de 2 à 6.
Vendredi 23, la première équipe continue sa grève de 10 H à midi. Une assemblée se tient pendant ces deux heures : on décide de continuer jusqu’à 14H30. A cette assemblée, les jeunes ouvriers des Petites Presses interviennent : « Les autres ont débrayé quatre heures. On a bien le droit de le faire aussi ». C’est une réponse au délégué du C.E. qui était passé la veille en disant : « Tout le monde a le droit de travailler ». Pendant ce temps-là, il n’y a plus dans l’atelier que quelques chefs d’équipe. Toutes les grosses têtes ont disparu.
Les graffitis commencent à apparaître dans les cabinets : « notre objectif, ce n’est pas les 50 lires, mais d’arriver à monter une organisation qui pourra battre la patron sur tous les terrains ». Les Presses moyennes et les Petites Presses commencent la grève à leur tour.
Samedi 24, beaucoup d’ouvriers des presses veulent aller encore plus loin. Les délégués répètent partout que « ça ne vaut pas la peine ». Agnelli 4 est à Rome, et discute avec Rumor 5 . Tous les ouvriers se mettent d’accord pour travailler cette journée-là, mais à leur façon : les chefs n’arrivent plus à donner des ordres, il y aura 1.300 pièces à la fin de la journée au lieu des 3.500 habituelles.
Les syndicats poussent les délégués aux négociations. Le samedi, deux délégués des presses vont voir la Direction. En revenant, ils vont voir tout le monde en disant qu’ils ne veulent plus entendre parler de négociations : « Si on nous a envoyés, c’est pour servir de potiches ».
D’après « LA CLASSE » (id).
LOTTA CONTINUA
Samedi 24, deux délégués des presses ont assisté aux négociations entre les syndicats et la Direction. Lundi dans l’atelier, ils nous ont déclaré qu’ils ne voulaient plus y aller parce qu’on les avait envoyés là pour servir de potiches. Nous en avons discuté et avons trouvé la solution suivante :
Puisque nous sommes en lutte, qu’un membre du Comité d’Etablissement vienne dans l’atelier à chaque équipe pour informer les ouvriers du déroulement des négociations. C’est aux ouvriers eux-mêmes de décider quand ça leur conviendra et quand les syndicats pourront signer.
A la FIAT aujourd’hui, il y a beaucoup de rencontres au sommet, mais peu de luttes encore.
Il faut bien nous convaincre que la lutte vient d’abord. Et c‘est pendant la lutte qu’on négocie. Samedi 24, aux Presses, les ouvriers ont limité eux-mêmes la production : 1.300 pièces au lieu de 3.500.
C’est bien la preuve que le problème des cadences ne se règle pas autour d’une table avec la direction. C’est à notre poste de travail que nous pourrons le résoudre, en nous organisant équipe par équipe, département par département, atelier par atelier.
Nous avons deux sortes de problèmes à régler : nos revendications et notre pouvoir. Les revendications, on peut toujours en discuter autour d’une table, mais c’est aux ouvriers de se prononcer. Que les syndicats aillent négocier, de toute façon, nous leur refusons le droit de décider. Le problème du pouvoir (contrôle ouvrier sur les cadences et sur l’organisation du travail), c’est au travail que nous le règlerons, seuls, et par la lutte. Que chaque ouvrier prenne la question en main, qu’il s’organise avec les autres sans permettre à personne de penser et de décider pour lui.
Les luttes continuent, elles continuent à s’étendre :
Auxiliaires : deux heures de grève par équipe.
Caristes : quatre heures de grève par équipe.
Atelier 5 (Grandes Presses), deux heures de grève par équipe, assemblée d’atelier.
Atelier 13 : à 19 H, assemblée à la cantine. Les ouvriers ont décidé de se mettre en grève jusqu’à 23 H. A 19H30, il y a eu une manifestation dans l’usine aux cris de : « Le pouvoir aux ouvriers ».
Atelier 24 : la première équipe s’est arrêtée pendant une heure, spontanément. La grève a été interrompue par un membre du C.E. qui a déclaré que cette grève était illégale.
C’est seulement pour les patrons que la grève est illégale.
Atelier 7 : première équipe, débrayage et manifestation spontanée. Le C.E. fait reprendre le travail.
Ateliers 1 et 3 (Petites et Moyennes Presses) : depuis le vendredi 21 à 20 H, il y a une grève de quatre heures par équipe tous les jours, sans préavis. Jusque là, le syndicat n’a pas osé se faire voir.
27 mai 1969 – Fait par les ouvriers et les étudiants
Tract distribué aux portes des chaînes 1 et 2
La grève des presses continue. Ne croyez pas vos chefs, ils se foutent de vous.
Les Presses et les Auxiliaires ne peuvent pas faire grève seuls : ils demandent votre collaboration. Les problèmes de la lutte sont partout les mêmes : contrôle de la production, augmentation de classe pour tous.
Comment pouvons-nous lutter avec les Presses et les Auxiliaires ? En arrêtant les ateliers qui tournent encore.
Tract distribué aux portes 15 et 17 (Ateliers de Presses)
En nous offrant 17 lires, la FIAT se moque de nous.
Le syndicat se moque de nous en disant que la FIAT nous offre 36,30 lires. Voyons un peu ce qu’il en est :
21,25 lires : nous venons de les obtenir (accord signé le mois passé).
9,81 lires : elles sont subordonnées à la prime ; il va falloir les transpirer jour après jour.
5,00 livres : les voilà, les 5 lires « offertes » par la direction. Avec un « gros effort », elle vient de les passer à 7 lires.
Nous ne nous vendons pas pour 7 lires. La lutte continue.
La mécanique et les chaînes sont prêtes à s’unir à notre combat.
Tract distribué aux portes 18 et 20 (Mécanique)
La lutte continue aux Presses et Auxiliaires.
Il faut l’étendre à la mécanique et aux chaînes.
Demandons la classe II pour tous, y compris pour les chaînes de la mécanique.
Réalisons le contrôle ouvrier sur les cadences et sur le nombre de pièces.
CAMARADES OUVRIERS !
Mercredi matin, à la première équipe de l’atelier 2 (forges, marteaux-pilons, presses, meules, trempage, etc.) nous avons commencé la lutte nous-mêmes. Pendant trois heures, nous avons fait passer la consigne d’équipe en équipe et de la première équipe à la deuxième. Ces trois heures de grève ont été un succès. Alors nous avons décidé de poursuivre la grève tous les jours, huit heures par jour, les trois équipes ensemble.
Le chef d’atelier nous a convoqués, pour nous demander d’arrêter la grève en disant que mardi prochain, la FIAT accepterait nos revendications.
Mais nous ne nous sommes pas laissés avoir, et nous avons répondu que la grève s’arrêterait le jour où nos revendications seraient accordées. En attendant, elle continue.
Nos revendications, c’est :
– 200 lires d’augmentation sur le taux de base non intégrable au prochain contrat,
– suppression de la Classe III qui ne sert qu’à diviser les ouvriers,
– refus des cadences infernales qui ne servent qu’à enrichir le patron.
Si nous faisons grève dans l’usine, c’est parce que là, nous sommes unis ; ainsi, nous pouvons diriger la lutte et l’organiser. Nous en avons plein le dos des grèves organisées par les autres et des négociations bidons qui affaiblissent la lutte et nous divisent.
Nous aussi, à l’exemple des ateliers 13, 15, 53 et 54, nous sommes décidés à faire grève sur nos objectifs à nous.
Nos problèmes sont les mêmes que ceux de tous les ouvriers.
En ce moment, le patron est faible parce que nous sommes unis.
Donc, c’est le moment de continuer et d’étendre la lutte à toute la FIAT.
Les ouvriers de la forge 2
II
LES SYNDICATS ESSAIENT DE REPRENDRE LE DESSUS, ILS SONT BALAYES
Travailleurs des ateliers 51, 52, 53, 54, 27, 13, 85 :
Travailleurs, c’est vous qui, ces dernières semaines, dans les assemblées et les discussions, avez affirmé votre volonté de lutter aux côtés de vos syndicats. Vous avez prouvé que vous étiez décidés à obtenir une réglementation du travail aux chaînes réelle et effective.
C’est vous qui êtes unis pour obtenir, grâce à vos délégués de chaîne ou d’équipe, le contrôle et la défense de vos conditions de travail.
N’oubliez jamais, pas un seul instant, que c’est grâce au syndicat, et à lui seul, que vos revendications pourront être satisfaites !
Aujourd’hui, mardi 3 juin, les syndicats vous appellent à faire deux heures de grève de 17 à 19 heures.
Ils invitent tous les travailleurs à s’en tenir précisément à cette consigne pour ne pas risquer de perdre le jour férié du 2 juin.
Les syndicats vous demandent de désigner pendant la première demi-heure, dans chaque équipe et dans chaque chaîne votre délégué ou votre représentant. De plus ils vous invitent à discuter d’une manière responsable de vos revendications et des formes ultérieures d’action syndicale, pour la lutte et les négociations.
Les syndicats organisent à 17H30, à la cantine de l’allée n° 3
Une assemblée de tous les délégués, en vue de préciser les revendications à présenter dès maintenant à la Direction.
Aujourd’hui,
C’est cela, seulement cela, et pas plus, que vous demandent de faire les syndicats.
En réunion, et avec les travailleurs, nous déciderons ensemble, d’une manière responsable, de toutes les initiatives à prendre les prochains jours, sans oublier la position particulière de la FIAT.
FIM-CISL 6, FIOM-CGIL 7, FISMIC-SIDA 8, UILM-UIL 9
Turin, 3 juin 1969
LOTTA CONTINUA
Hier, la Direction de la FIAT a donné sa réponse aux syndicats qui lui avaient présenté les revendications des chaînes de la carrosserie à Mirafiori. On ne connaît pas encore le texte définitif de cette réponse, mais on sait déjà les points essentiels :
– L’organisme chargé d‘intervenir sur tous les problèmes concernant les cadences et autres conditions de travail sera un Comité de quatre personnes pour toutes les carrosseries. Chaque syndicat nommera un des quatre membres. Les membres du Comité sont dispensés de travailler. En pratique, la direction se réserve le droit d’augmenter les cadences. Donc les ouvriers sont foutus, mais au moins on les informe. Naturellement, les ouvriers peuvent faire des réclamations qu’ils devront adresser au Comité. Dans un cas semblable, le Comité devra s’adresser à d’autres personnes : les experts.
– Les experts sont 48 ouvriers (1 pour 260) nommés par le syndicat après « consultation » des ouvriers. Les experts ont également le droit d’émettre un avis, mais ils auront moins de temps à leur disposition que les membres du Comité (un jour payé par mois plus d’autres heures payées à la demande du Comité). Ce ne sont pas les représentants des ouvriers, mais les aides du Comité.
En résumé :
– Pour les cadences, la situation est inchangée, sinon un peu plus compliquée.
– Quant aux revendications sur le salaire et sur les classes, il n’en a pas été question dans les négociations.
Nous posons les questions suivantes :
– Où sont passés les motifs pour lesquels les ouvriers ont fait grève ces jours-ci ?
– Pourquoi le syndicat qui vient de prendre le train en marche a-t-il essayé d’arrêter les grèves sans donner d’explications ?
N’oublions pas qu’aux fonderies, la lutte n’a pas cessé. Au contraire elle s’étend : huit heures de grève par jour, non seulement aux ateliers 2 et 3 mais en plus aux forges Sud. L’atelier 4 lui aussi continue la lutte.
Préparons-nous à répondre à cette provocation en nous organisant pour réduire la production et reprendre la lutte.
7 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS !
Il faut rompre le mur de silence que toute la presse a dressé autour de la lutte des ouvriers de la Mirafiori.
Pourquoi ce silence ? Parce que les patrons ont tout intérêt à ce que la lutte ne s’étende pas : ils savent que c’est la FIAT qui donne toujours le signal de l’attaque à tous les ouvriers italiens. La lutte des derniers jours a prouvé notre force, notre capacité de décider pourquoi lutter, comment lutter, quand lutter.
Nous nous sommes révoltés contre l’encerclement de notre travail, l’encerclement de nos luttes, l’encerclement de toute notre vie, pour les besoins de l’exploitation capitaliste. C’est dans les assemblées d’usine que nous parlons de nos propres intérêts et que nous décidons de la lutte. Les syndicats ont déjà décidé de ce qu’ils allaient faire : des grèves bidons, liquidées le plus vite possible. Mais les ouvriers ne veulent pas de leurs revendications : ils ne veulent pas des formes de lutte syndicale ; ils comprennent qu’ils doivent s’organiser aux-mêmes.
Que décidons-nous dans les assemblées ouvrières ?
1) Le refus des cadences.
2) Refus des classes et des augmentations proportionnelles qui divisent les ouvriers.
3) Fortes augmentations de salaire égales pour tous, indépendantes de la prime annuelle et de la prime de production.
Que signifient ces revendications ?
Non aux cadences infernales.
Non aux divisions entre les ouvriers que le patron organise lui-même : classes, augmentations suivant le « mérite », favoritisme, fayotage…
Cela signifie que les ouvriers savent bien que les cadences ne se négocient pas, mais qu’on les impose par la lutte, et que, pour lutter, tout le monde doit s’organiser.
Formons des organisations de base qui se foutent des projets syndicaux et patronaux.
Dans chaque département, dans chaque atelier, que tous les ouvriers décident en assemblée des moyens et des objectifs de la lutte. Qu’ils forment des comités de département, des comités d’atelier.
Camarades ouvriers !
Voilà les objectifs qui intéressent tout le monde :
1) Refus des cadences.
2) Refus des classes.
3) Fortes augmentations de salaire égales pour tous.
Poursuivons la lutte, étendons-la à toute la Mirafiori.
Le patron a peur, il menace. Tous ensemble, que la lutte soit notre réponse.
Vive la lutte ouvrière !
Non aux assemblées des syndicats !
Oui à l’assemblée des ouvriers qui décident eux-mêmes !
3 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS !
La FIAT est prise à la gorge : il n’y a presque pas de voitures qui sortent. Les pièces pour Rivalta n’arrivent plus. L’organisation du travail est bouleversée. Voilà le premier résultat de notre lutte. Une semaine décisive commence maintenant.
Que fait le patron ?
1) Contre notre organisation de lutte, et avec la complicité des syndicats, il essaie de nous faire participer à notre exploitation. C’est exactement le sens de sa proposition au sujet des délégués de chaîne et du comité de contrôle : quatre ouvriers, un par syndicat, dispensés de travail, un expert pour 250 ouvriers !
2) Pour empêcher que la lutte se généralise, il essaie de nous isoler du reste de la classe ouvrière en proposant comme en 1962 un « contrat FIAT ». Ou alors, mais ça revient au même, un acompte sur le prochain contrat.
Que fait le syndicat ?
Il essaie d’enfermer les luttes dans chaque atelier. Il ose venir nous raconter dans l’usine ce que propose le patron. Il se contente de dire au patron ses propres revendications, il négocie sur notre dos sans rien vouloir entendre de nos objectifs.
Et que voulons-nous, nous les ouvriers ?
Aux Fonderies Nord et Sud de Mirafiori, nous l’avons dit plus d’une fois pendant la grève : ce que nous voulons, c’est 200 lires de plus sur le taux de base, ou alors l’égalité avec la sidérurgie (c’est-à-dire 30.000 lires de plus par mois sur le taux de base). Rien à voir avec l’aumône que nous offre le patron.
Aux chaînes, nous exigeons 50 lires de plus sur le taux de base, la classe II pour tous après six mois de travail à l’usine.
Tout cela, nous l’exigeons immédiatement.
Tout cela, ça ne se négocie pas.
Et ce n’est pas un acompte sur le contrat.
Nous ne voulons pas des cadences du patron. Voilà ce que nous lui disons, comme nous le disons au syndicat :
« Le comité de contrôle, nous n‘en avons rien à foutre. Ce qu’il nous faut, c’est l’assemblée ouvrière dans les départements, et les comités d’atelier pour organiser la lutte permanente contre le patron, ses valets, ses cadences ».
« Le délégué de chaîne », nous n‘en avons pas besoin ».
Organisons-nous pour devenir tous des délégués.
Camarades ouvriers, le patron est faible parce que nous luttons. C’est le bon moment pour attaquer. Atelier par atelier, organisons notre combat.
9 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS !
Hier encore, à Mirafiori, de nouveaux ateliers ont commencé la lutte :
Atelier 13 : huit heures de grève à 100 % et pour les deux équipes. Motif : la direction n’a pas voulu revenir sur la mise à pied de trois jours d’un camarade ; les syndicats n’ont rien fait sur les revendications ouvrières présentées depuis quinze jours, à savoir : 1) classe II pour tous, 2) prime de nocivité égale pour tous, 3) contrôle ouvrier sur les cadences, 4) boni égal pour tous, 5) augmentation des poses, 6) modification de l’ambiance de travail, 7) augmentations de salaire non récupérables.
Fonderies Nord et Sud : huit heures de grève à 100 % pour les deux équipes. Pour diviser les ouvriers, la direction a offert 67 lires d’augmentation sur la prime de poste, y compris pour les marteaux-pilons. Il n’y a eu que 100 ouvriers sur 890 pour les accepter.
Chaînes de carrosserie : la première équipe s’est arrêtée à dix heures, avec la grève du vernissage et de la peinture. Voilà dix jours que nous avons présenté nos revendications aux chefs de département : 50 lires d’augmentation pour tous non récupérables, changement de classe au bout de six mois pour tous les ouvriers, réduction des cadences. Le Comité d’Entreprise devait donner sa réponse hier à huit heures. On n’a rien vu, rien entendu. Et voilà qu’ils disent qu’ils nous la donneront lundi prochain ! A la deuxième équipe, les chefs ont essayé de nous diviser en proposant la classe II à quelques-uns.
Atelier 25 : les ouvriers de l’atelier 25 ont présenté leur demande d’augmentation de salaire.
Cabines : les revendications sont : une demi-heure payée pour manger, changement de classes sans essai.
Le patron essaie de réduire ces revendications à une augmentation de salaire minable. Mais ce que veulent les ouvriers, ça concerne tous les aspects de leur condition dans l’usine :
le salaire
les classes
les cadences
la nocivité.
Sur la base de ces intérêts de classe communs, la lutte atteint de nouveaux ateliers et de nouveaux départements. La perte de production est toujours plus importante. Cette forme de lutte se généralise : c’est elle qui fait le plus de tort au patron et la plus petite perte de salaire pour les ouvriers. Pour empêcher l’isolement de la lutte atelier par atelier, les ouvriers qui ont fait grève ont décidé d’aller à la sortie des autres ateliers pour raconter ce qu’ils ont fait.
Voilà comment la lutte va circuler dans l’usine, voilà comment elle continuera jusqu’à ce que le patron cède.
10 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS !
Pendant ces quatre dernières semaines, la FIAT a perdu pour des milliards de lires de production, et elle continue à en perdre : ces jours-ci, Mirafiori n’a produit que 50 % du tonnage de sa production normale.
C’est pour cela que FIAT cherche par tous les moyens à faire cesser ces luttes. Ce n’est pas seulement pour la production ; la FIAT veut surtout reprendre l’autorité qu’elle a perdue sur la classe ouvrière. Mais ce petit jeu ne lui réussit pas. La lutte s’arrête un instant dans un atelier, mais reprend aussitôt dans un autre. Les ouvriers commencent à se révolter, non seulement à Mirafiori, mais dans d’autres endroits.
Là où la situation semble calme, les ouvriers se préparent à reprendre la lutte avec une meilleure organisation, sur des revendications décidées en commun. Mais il ne suffit pas que quelques départements ou quelques ateliers très combatifs se mettent à bouger, si les autres les regardent faire. Il faut que partout les travailleurs de la FIAT s’organisent pour renforcer ce qui existe déjà. L’organisation, c’est l’arme pour faire grève immédiatement là où les ouvriers le décident. C’est aussi et surtout le moyen d’avoir une force constante contre le patron.
Ne laissons pas les choses redevenir comme avant.
Dans chaque atelier, aux moments les plus « chauds » de la lutte, les ouvriers ont trouvé leur unité, la confiance en leurs propres forces, la capacité de prendre l’initiative et les décisions eux-mêmes. La direction et les chefs s’en sont bien rendu compte, mais ils espèrent que dans chaque atelier, si la lutte s’arrête, la division, la méfiance reviendront entre les ouvriers. Ils espèrent qu’ils continueront à se battre entre eux en disant que « après tout, ça ne sert à rien… » Cela ne doit pas arriver, cela n’arrivera pas.
Les travailleurs de la FIAT sont en train de démontrer au cours de ces semaines de lutte qu’ils sont capables, dans l’usine, d’être plus forts que le patron. Ils sont en train de démontrer qu’ils sont capables de décider quand, pourquoi et comment lutter, et d’imposer leur volonté à tous ceux qui s’y opposent. Mais pour que cette force se maintienne, il ne suffit plus d’avancer « sur la lancée », spontanément, comme les premiers jours. Il faut maintenant s’organiser comme il faut, savoir lutter même dans les conditions les plus difficiles, savoir répondre au patron qui cherche à « rétablir l’ordre » par tous les moyens : le fayotage comme la répression.
Dans chaque équipe, dans chaque département, les ouvriers décidés à bouger sont de plus en plus nombreux. Ils ont commencé à prendre contact pour agir ensemble. Il faut maintenant que ces ouvriers se réunissent, d’une façon régulière, non seulement dans chaque équipe, mais entre équipes, entre départements, entre ateliers différents : la lutte est la même pour tous. Ce regroupement commence à se faire dans l’usine. Il se développe aussi à l’extérieur, là où peuvent se rencontrer des ouvriers de différents ateliers, et où c’est plus facile de parler. Les étudiants qui viennent régulièrement devant les portes peuvent servir à aider ce regroupement.
C’est vraiment maintenant le premier « banc d’essai » de cette organisation : il s’agit d’être capables de riposter à la tentative patronale de « faire revenir les choses comme avant » : la production, les cadences, la discipline. Il faut organiser partout la résistance à cette attaque du patron. Que chaque groupe d’ouvriers, évaluant bien ses propres forces, recherche les moyens les plus efficaces : débrayage, menace de débrayage, ralentissement de la production, réduction de la qualité du travail.
Nos revendications
Pendant les dernières luttes, les ouvriers des différents ateliers ont discuté et fixé leurs propres revendications. Jusqu’ici, il n’y en a guère eu de satisfaites, mais la lutte est loin d‘être achevée. C’est justement pour cela qu’il faut que ces revendications soient connues de tous, justement parce que le patron et les syndicats chacun à sa façon, cherchent à embrouiller les choses.
Augmentations des salaires :
Les ouvriers demandent des augmentations égales pour tous du salaire de base, non intégrables au prochain contrat. Le patron ne répond pas par un « non » clair et net. Il accorde même quelques augmentations, mais il les accorde à sa façon : c’est-à-dire pas à tout le monde, pour nous diviser, et sur la prime et le taux de poste, qui sont précisément la partie du salaire qui sert à tromper les ouvriers. Aux Fonderies, il y a eu des augmentations du taux de poste pour mieux nous faire accepter la nocivité du travail : il faut dire très clairement que les ouvriers veulent des augmentations de salaire, mais qu’ils ne sont pas prêts à accepter les conditions de travail actuelles, car cela aussi, nous voulons le changer.
Classes :
Les ouvriers veulent le changement de classe pour tous, sans essai. Une fois de plus, et pour nous diviser, le patron accorde un essai de temps en temps, un essai pas trop difficile pour faire monter un ouvrier et le couper des autres. Il faut faire cesser ce petit jeu.
Cadences :
Les ouvriers en ont marre des cadences FIAT. Sous des formes diverses, la direction et les syndicats proposent un système compliqué et bureaucratique de Comités, de Délégués, sans aucune possibilité de contrôle de la part des ouvriers. Les ouvriers savent qu’ils sont les seuls à pouvoir contrôler les cadences. Et ce n’est pas une réclamation sur papier timbré qui leur donnera ce contrôle, mais la lutte, la limitation de la production. Maintenant, tout le monde le sait. Commençons tout de suite à le mettre en pratique.
De la lutte FIAT vers des luttes plus vastes
Nous savons que tous ces problèmes ne se règlent pas du jour au lendemain. Aujourd’hui, la solution commence avec la lutte à Mirafiori. Demain ce sera la lutte de tous les ouvriers pour le contrat.
L’organisation ouvrière dans l’usine et à l’extérieur, et des objectifs clairs, compris par tous, choisis par tout, sont les bases de la lutte d’aujourd’hui, et de celle de demain.
Turin, 12 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
III
LA LUTTE S’ÉTEND AUX AUTRES USINES DE TURIN A MIRAFIORI, ELLE DEVIENT GÉNÉRALE
La lutte s’étend
La lutte des ouvriers de la FIAT s’étend de Mirafiori à d’autres usines : Grandi Motori de Settimo (grutiers et manœuvriers), Grandi Motori Centre (départements Pe, B, Sima), S.P.A. Centre (département 3).
Pour le moment, ce sont des luttes partielles, dans des départements isolés ; mais à Mirafiori aussi, c’est à partir de la lutte des Auxiliaires qu’est partie toute une série de luttes dans presque tous les ateliers. Aujourd’hui encore, la production est chamboulée. Hier, par exemple, les ouvriers de l’atelier 13 à Mirafiori ont continué l’autolimitation de la production ; cela se voit aux chaînes où, souvent, les portières manquent (à la 850, à la 124, à la 125). La lutte des ouvriers de l’atelier 13 nous montre comment il faut combattre les cadences : suivons leur exemple dans les autres ateliers.
De nouvelles luttes se préparent
Les débrayages d’hier ne sont qu’un début. Les ouvriers sont en train de préparer d’autres débrayages dans un nombre toujours plus grand d’équipes, de départements, d’ateliers.
– Les syndicats servent de pompiers. Ils essaient de faire traîner les choses, de faire éclater les luttes l’une après l’autre, et ainsi de les isoler les unes des autres.
– Le patron et les chefs essaient de brouiller les cartes. Ils accordent quelques sous, ils donnent la classe supérieure à quelques-uns d’entre nous, mais selon leur bon plaisir pour pouvoir comme cela diviser les ouvriers.
Cela nous a montré que :
1) Nous devons nous organiser de façon stable : nous ne pouvons plus nous dire « il suffit de commencer, et puis les syndicats se chargeront du reste ».
2) Nous devons avoir des objectifs clairs : sinon, nous courons le risque d’être achetés par le patron, qui nous divisera en distribuant quelques sous et quelques catégories supérieures à une minorité d’entre nous.
3) Nous devons trouver une coordination entre les différentes équipes et les différents ateliers : quand on est seul dans la lutte, on résiste moins longtemps.
Lutter contre la répression
Cette organisation, cette coordination sont également indispensables pour lutter contre la répression patronale. En ce moment, la direction a trop peur pour pouvoir faire des représailles massives. Mais elle essaie de frapper les ouvriers isolément là où la lutte est la plus avancée : licenciements ou mutations (atelier 13, atelier 15). Comme cela, elle espère effrayer les autres. Ce petit jeu ne doit pas se passer comme ça. Il faut absolument répondre du tac au tac à toute tentative de répression, bloquer le travail dès qu’un camarade est visé. Mais l’arme la plus puissante pour que la répression soit sans effet, c’est l’unité des ouvriers et la coordination de leurs luttes.
Si nous agissons tous unis, si ce n’est pas seulement deux ou trois personnes qui entraînent les autres, il y a deux avantages :
– c’est plus difficile pour le patron de repérer quelques individus pour leur faire subir sa répression, et il ne peut pas user de la répression contre tout le monde ;
– même si un camarade est muté, la lutte et l’organisation restent, parce qu’elles ne dépendent pas d’un seul, mais de la volonté collective de tous les ouvriers.
Si dans chaque atelier il y a un groupe d‘ouvriers organisés, s’il existe une coordination entre eux, l’ouvrier qui est muté ne se trouve pas isolé. Comme cela, même en usant de la répression, le patron n’arrive pas à briser l’organisation des ouvriers ; tout ce qu’il peut faire, c’est chercher à embrouiller les cartes.
Le problème de la coordination
Les étudiants qui viennent aux portes de l’usine ne viennent pas là pour bavarder avec nous ; ils sont là pour nous aider à organiser cette coordination entre les diverses équipes, entre les ateliers. Tous les jours, des ouvriers des différents ateliers de toute la Mirafiori se réunissent avec les étudiants. L’utilité de ces réunions, c’est surtout d’être informés de ce qui se passe : en effet, le silence, le manque d’informations sont bien utiles au patron. Comme cela, chacun croit être seul à lutter et se sent plus faible. Ces réunions servent aussi à décider ensemble des actions à entreprendre : il n’est pas toujours facile d’en discuter à fond dans l’usine, et surtout, il est difficile d’unir nos actions à celles d’autres équipes, d’autres ateliers.
Coordonner les débrayages dans différents ateliers, cela veut dire faire perdre plus de production au patron et nous faire perdre moins d’argent à nous.
Turin, 13 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
LOTTA CONTINUA
Hier, la lutte à la Mirafiori a atteint son point le plus fort et le plus enthousiasmant. Face à la continuation de la grève de la deuxième équipe, qui bloque la production des chaînes, la direction de la FIAT a changé de tactique. Les patrons ont compris que les ouvriers n’ont plus rien à foutre des syndicats. Alors ils ont été obligés de négocier directement avec les ouvriers en lutte.
Ils se faisaient des illusions. Ils sont tellement habitués à manoeuvrer les gens qu’ils croyaient nous avoir avec leurs belles paroles : ils ont offert 17 lires, et encore pas à tout le monde, réparties sur les diverses rubriques de la fiche de paye. Mais les ouvriers ne se laissent pas acheter pour 4 sous.
Et alors, ces Messieurs les patrons, si bien élevés, si élégants, ont laissé échapper les injures les plus vulgaires sur le compte des ouvriers : « Sales méridionaux, pas plus tard qu’hier vous aviez la pioche à la main, et aujourd’hui vous osez relever la tête ».
Les ouvriers ont répondu du tac au tac à ces insultes, et surtout, dès qu’ils sont rentrés à l‘usine, ils ont riposté de la meilleure façon possible : ils ont intensifié et accentué la lutte.
Une manifestation d’une centaine d’ouvriers a bloqué l’usine toute entière, y compris là où travaillent les femmes.
La vérité c’est que la FIAT est à genoux, elle ne sait plus où donner de la tête. La vérité, c’est que la lutte des ouvriers unis peut vaincre n’importe qui, même s’il s’appelle Agnelli ou FIAT.
On nous tire dessus à Avola et à Battipaglia ; on nous exploite comme des bêtes à Turin, et de plus on se fout de nous : les patrons croient vraiment qu’ils peuvent nous considérer comme des carpettes. Mais nous ne sommes ni des bêtes, ni des carpettes.
Nous sommes de « sales méridionaux », mais peu importe l’endroit d’où nous venons : nous sommes des ouvriers décidés à dire que nous en avons marre aux patrons qui s’engraissent sur notre dos.
Tous les ouvriers de la première équipe doivent se mettre en grève immédiatement !
La deuxième équipe continuera la lutte à outrance.
Tous les chauffeurs de l’atelier 85 sont en lutte.
Les agents techniques des calculateurs sont en grève pour 48 heures.
Que les patrons ne croient pas qu’en laissant passer le temps ils nous affaibliront et nous obligeront à baisser le prix. Nous ne marchandons pas nos revendications. Les luttes ne se négocient pas. Ce n’est pas par l’intermédiaire de délégués quels qu’ils soient, mais tous ensemble que nous décidons quand commencer la lutte, combien de temps elle durera et comment elle se terminera.
En grève tout de suite, organisons-nous en assemblée dans toutes les équipes, dans tous les départements, dans tous les ateliers.
Unis, nous sommes toujours plus forts que le patron.
Turin, 18 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS
Hier, la grève des chaînes de Mirafiori s’est étendue à la première équipe.
Ainsi, toute la production de Mirafiori est bloquée. De plus, la lutte est plus avancée, elle s’est intensifiée. Les ouvriers de la deuxième équipe sont partis de l’atelier 54, ils ont formé un cortège imposant et sont allés aux ateliers 51, 53, 55, 56 et puis ils sont sortis et ils ont bloqué les camions à la porte principale et sont arrivés jusqu’à la Palazzina 10.
La lutte continue, dans les trois équipes, sur la base des revendications que les ouvriers ont formulées pour tous les ateliers.
En ce moment, ce sont les ouvriers de l’atelier 54, après ceux des Presses, des Auxiliaires, des Fonderies, qui représentent la force de tous les ouvriers de Mirafiori, qui, pendant les arrêts de travail, discutent, s’organisent et se préparent à leur tour à entrer dans la lutte.
Comme ça, la lutte se déplace d’un point à un autre de l’usine, et personne ne pourra l’arrêter. Aujourd’hui déjà, les assemblées et les arrêts de travail se sont multipliés dans les autres ateliers de la Nord et de la Sud.
Un exemple suffit : hier, on comptait sur les doigts de la main les voitures produites aux chaînes de montage, mais même ces voitures-là restent bloquées dans la cour où les ouvriers de l’atelier 85 continuent la lutte.
FIAT est coincé.
Les ouvriers envoient promener toutes les manœuvres, qui vont des menaces aux concessions ridicules et dont le seul but est de les diviser, et ils envoient promener aussi le syndicat.
Face à cette lutte décidée et formidable, prise en main dès le début par les ouvriers eux-mêmes, en dehors de tous leurs soi-disant représentants et même contre eux, les syndicalistes viennent nous raconter que nous faisons le jeu du patron, et que nous nous isolons du reste de la classe ouvrière italienne.
C’est faux.
Nous luttons aujourd’hui pour nos revendications, qui n’attendent pas la convention collective. Et nous lutterons côte à côte avec tous les autres ouvriers à n’importe quel moment.
Les quarante heures, tout de suite, l’égalité avec les employées, les augmentations contractuelles, nous les obtiendrons tous ensemble, les 1.300.000 métallos unis.
Cela ne nous empêche pas aujourd’hui d’utiliser à fond notre force. Le patron se permet d’agiter l’épouvantail du lock-out. Mais nous savons répondre à ça aussi. Nous avons transformé l’usine, c’est-à-dire le lieu où nous sommes exploités et divisés, en un lieu où nous exerçons notre force de classe.
Nous ne nous laisserons pas chasser de l’usine pour aller faire une manif-promenade.
C’est dans l’usine que nous sommes exploités, c’est dans l’usine que nous luttons. Et tout d’abord en étendant la grève et l’organisation interne à tous les ateliers et à tous les secteurs.
La lutte des ouvriers est plus forte que n’importe quel patron.
19 juin 1969 – Ouvriers et étudiant
CAMARADES OUVRIERS !
Grâce à la ténacité des ouvriers de la 54 et des ouvriers des chaînes qui ont collaboré avec nous au blocage de la production pendant une semaine, aujourd’hui, à la FIAT, la situation est mûre pour l’élargissement de la lutte.
A Mirafiori, d’autres ateliers de l’usine sont en lutte (les ateliers 85 et 13), ou sur le point de l’être (ateliers 33 et 25).
A Rivalta, les débrayages commencent, et quand la lutte éclatera, elle sera très dure.
Même à Lingotto, il y a eu des débrayages qui annoncent une lutte plus large.
A S.p.A. Stura, les ateliers 29 et 25 ont fait deux heures de grève dans la semaine.
La victoire ouvrière dépend de notre capacité d’élargir la lutte. Cette capacité dépend de l’organisation que nous saurons nous donner, dans l’usine et à l’extérieur.
Une organisation, cela signifie beaucoup de choses.
– Cela veut dire savoir coordonner les luttes entre les ateliers de façon à provoquer une baisse de production maximum avec une perte de salaire minimum.
– Cela veut dire savoir clairement les objectifs qu’on veut atteindre, de façon à pouvoir rejeter les propositions-bidons avec lesquelles le patron essaie de ne lâcher que quelques miettes, et seulement à quelques ouvriers.
– Cela veut dire savoir riposter aux manœuvres des syndicats pour saboter notre lutte.
Les syndicats s’y prennent de plusieurs façons :
– Ils cherchent à protéger les secteurs « jeunes », dans lesquels la lutte est en train de se propager, en les isolant des autres ;
– Ils empêchent par exemple que les ouvriers de Rivalta puissent connaître l’expérience des ouvriers de Mirafiori, et se joignent à eux ;
– Ils essaient d’agir là où la lutte est à son début par la convocation d’assemblées comme celle de vendredi, avec l’aide des chefs, et avec des discours du genre : « faites attention : le patron peut faire des représailles », ou encore : « après tout, il y a déjà eu quelques concessions, et on ne pourra pas obtenir plus ».
Être organisés, cela veut dire avoir les idées claires et être tous d’accord sur la façon de mener la lutte.
Souvent, le plus grand risque, ce n’est pas la fatigue de ceux qui luttent, mais la confusion et la division que nos ennemis essaient de semer dans nos rangs. Une lutte continue, aujourd’hui, à Mirafiori, ça signifie que :
Les ouvriers des autres atelier doivent prendre la relève de ceux du 54, en commençant la lutte : là où les revendications on déjà été présentées, ce n’est pas la peine d’attendre les renvois continuels de la direction : il faut commencer la lutte tout de suite (à la mécanique, il y en a beaucoup qui disent que ce n’est pas la peine de se battre sur place parce que la FIAT a des stocks importants. Au contraire, la grève ralentirait de toute façon la production à Rivalta et à Lingotto).
Au contraire, là où les revendications n’ont pas été présentées, il faut faire une assemblée générale pour les présenter, et les appuyer immédiatement par l’action en refusant tout délai de la direction.
Il y a une semaine que nous sommes en lutte au 85, avec des méthodes que nous avons retenues parce qu’elles étaient les meilleures pour nous et les pires pour la direction. Notre revendication est bien précise :
La classe II pour tous comme l’ont déjà obtenue les camarades du 54.
Pour le moment les chaînes ont repris le travail. Mais nous continuons à nous battre : la classe II pour tous, voilà ce que nous voulons.
Jusqu’à ce que les chaînes s’arrêtent, les chefs continueront à ignorer nos revendications.
Ils sont déjà passés provoquer 70 avancements.
Qu’il soit clair que même avec leurs tentatives de division, en essayant d’acheter quelques-uns d’entre nous avec des promesses, nous n’entendons pas marchander notre revendication.
Hier encore, ils ont essayé de faire travailler des ouvriers « loués » (en réalité, ce sont des jaunes bon teint) et cela a entraîné notre juste réaction :
à l’atelier Sud, nous les avons fait détaler,
à l’atelier Nord, nous avons arrêté complètement le travail en encombrant les chaînes, de la 21 à la 23.
Souvenons-nous tous : ou la classe II pour tous, ou nous quittons tous le travail.
24 juin 1969 – les ouvriers du 85
CAMARADES OUVRIERS DE RIVALTA !
Toute indécision de notre part renforce le patron. Les cadences augmentent, la direction veut récupérer les pertes que la grève des camarades de Mirafiori lui fait subir.
Dans l’usine, le travail devient toujours plus insupportable. On a des salaires de famine. La vie est de plus en plus difficile : tout augmente : la nourriture, les loyers, les transports.
Voilà tous les problèmes que les travailleurs doivent affronter et régler par la lutte.
Nous exigeons :
100 livres de plus sur le taux de base pour tous, non réintégrable,
Passage en classe II pour tous, sans essai, et sans perdre l’ancienneté de la classe inférieure,
10 minutes de pause payées, par heure,
30 minutes payées sur les huit heures (repas).
Ces revendications sont exigées pour tous : les ouvriers, des vieux aux nouveaux, n’acceptent aucune division.
Camarades ouvriers !
Refusons les cadences infernales que nous impose le patron.
Aujourd’hui, commençons la lutte !
Quelques secteurs s’arrêtent à 10 H. Utilisons les heures de grève pour discuter et organiser la lutte pour qu’elle coûte le plus cher possible au patron, et le moins possible à nous !
25 juin 1969 – Ouvriers-étudiants
CAMARADES OUVRIERS DU 25
Tout l’atelier 25 est arrêté ! Finalement, nous avons fait comprendre nos intentions à la direction. Maintenant, c’est à eux de céder : nos revendications, nous les avons établies nous-mêmes :
1) 50 livres de plus sur le taux de base pour tous, non réintégrables.
2) Passage en classe supérieure pour tous.
3) Paiement de la demi-heure de production récupérée tous les jours, pour ne pas arrêter les fours pendant le repas.
Par ailleurs, voilà quelques avertissements pour nos chefs :
Vos manœuvres pour faire décharger les fours sont inutiles, comme vos discours pour nous rappeler le prix des pièces qui sont dans les fours.
Hier, si vous avez voulu qu’on les charge quand même, à vous la faute : vous saviez bien que les ouvriers de la première équipe voulaient débrayer. Mais vous, vous ne croyez pas à notre force, et le débrayage vous a bien surpris ! Si maintenant vous voulez que les fours marchent, si vous voulez éviter les dégâts, vous n’avez qu’à payer !
Il est également inutile de venir avec les gardiens. Inutile aussi de nous envoyer les syndicalistes provocateurs pour nous offrir et nous imposer des broutilles.
Vous avez envoyé des lettres de menace aux ouvriers de la première équipe : c’est une provocation qui ne fait peur à personne. C’est comme dans tous les autres ateliers : les mêmes menaces n’ont pas plus d’effet.
Travailleurs du 25 !
Aujourd’hui, c’est nous qui tenons le manche du couteau.
Notre grève a des conséquences directes sur toute la production de la FIAT : déjà hier, après huit heures de grève, la mécanique était en difficulté.
Maintenant, commençons à ne plus faire de pièces pour Rivalta, S.p.A. Stura, et l’Autobianchi de Milan.
Ne nous laissons pas acheter pour quelques lires, ne nous laissons pas diviser, continuons la lutte. Tous unis, nous sommes plus forts que le patron.
25 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
TRAVAILLEURS DU 85 !
La réaction d’Agnelli et de ses sbires a commencé dans le Nord. Hier, cinq de nos camarades de la deuxième équipe ont été mutés dans d’autres ateliers.
Cela, c‘est la bonne vieille arme de la FIAT quand les tentatives pour diviser les ouvriers par des promesses d’avancement individuel ont échoué.
Ces derniers jours, nous avons refusé en bloc les six, puis les septante promesses d’avancement. Nous avons commencé la lutte pour obtenir le changement de classe pour tous. Maintenant, il nous faut répondre à la répression avec la même combativité que celle que nous avons eue jusqu’à aujourd’hui.
Le patron a montré qu’il avait peur. Il a compris que notre atelier est solide comme un poing. Comme un poing ferme, il faut réagir et frapper.
Les ouvriers du 85 ont toujours eu l’unité maximum dans l’action entre les deux équipes. Maintenant, il nous faut continuer dans cette voie : seule l’unité permet la victoire.
Il nous faut arrêter la répression sur les points les plus chauds de la lutte, en faisant un exemple qui pourra servir à tous les ateliers en lutte.
Unissons-nous : la lutte continue avec toute la FIAT. Hier, les trois équipes du 25 ont fait grève pendant huit heures. A Rivalta et dans d’autres secteurs, de nouvelles luttes naissent et se développent.
25 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS DE MIRAFIORI !
Hier à Mirafiori, les chaînes ont été bloquées en amont du 52 et 53. Le 25 continue sa grève dure de huit heures par équipe. Au secteur 42 de l’atelier 4 Fonderies, quatre heures de grève. Le contrôle des cadences continue dans l’atelier 16. L’atelier 51 est arrêté.
A Lingotto, il y a de courts débrayages pour préparer la mobilisation pour de prochaines grèves.
A Rivalta, il y a eu douze ou quinze arrêts de durée variable : entre une demi-heure et deux heures et demi par équipe. Désormais la situation est explosive et le patron n’arrive plus à la contrôler.
Hier, en amont du 52 et du 53, les ouvriers se sont mis en grève tous ensemble, et les deux équipes à la fois : il y a eu une manifestation qui a bloqué toute la production. A la deuxième équipe, toutes les chaînes étaient arrêtées. On a vu des contremaîtres se mettre à travailler : le record a été battu par le contremaître Bruno du 52, qui a fait treize heures à lui tout seul !
Cela, c’était la riposte ouvrière à la manœuvre de la direction qui ne voulait presque rien lâcher, et d’une manière hiérarchisée. La direction essaie de se mettre à l’abri : elle propose aux syndicats un accord-bidon dans lequel elle reprend les concessions faites il y a quelques jours, avec quelques retouches. Elle dit : c’est à prendre ou à laisser.
A ce sujet, nous avons deux choses à faire remarquer :
1) Les propositions de la direction continuent à faire une discrimination avec les manœuvres, en leur donnant des augmentations moins importantes.
2) Nous ne nous contenterons pas d’obtenir pour les manœuvres ce que la direction propose pour les chaînes. Nous avons demandé 50 lires d’augmentation pour tout le monde : 17 lires après une année de FIAT, cela ne suffit pas. Nous avons demandé la classe II pour tous, pas seulement pour quelques-uns. La lutte n’est pas seulement pour les manœuvres, mais pour tous.
La lutte sera illimitée tant que nos revendications ne seront prises en considération. Aujourd’hui, c’est les manœuvres du 52 et du 53 qui bloquent toute la production. La semaine dernière, c’était le 54 ; dans les prochains jours il y a aura les chaînes du 52, du 53 et celles du 55 et du 56. L’organisation des ouvriers permet de bloquer toute la production avec un seul atelier en grève à la fois. Pour que la lutte réussisse, il faut nous réunir tous ensemble ; ne demandons pas d’autorisation de sortie pendant les débrayages.
Maintenant, la lutte s’étend à toutes les usines FIAT, avec des revendications communes : mêmes augmentations pour tous, la classe II pour tous.
Nous ne laisserons pas la direction nous diviser avec des concessions différentes suivant les secteurs et les ateliers.
26 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS !
Le développement toujours plus formidable des luttes dans toutes les usines de la FIAT, qui a vu hier l’extension de la grève de Mirafiori à Rivalta, exige une position commune sur les points suivants :
1) La généralisation de la lutte et son organisation toujours plus ferme sur la base des résultats déjà acquis.
2) La riposte ouvrière à l’accord-bidon signé par les syndicats avec les patrons, et aux manœuvres qui vont l’accompagner.
3) La discussion immédiate sur les formes de lutte à adopter pour le contenu à l’échéance des contrats.
4) Une prise de position ouvrière sur la question des loyers.
Assemblée générale des ouvriers et étudiants, samedi 28 juin à 16H30, Palazzo Nuovo de l’Université, angle rue S. Ottavio et Cours S. Maurizio, sous la statue de la place Vittorio.
Vive la lutte unie de la classe ouvrière !
Ouvriers et étudiants
IV
PATRONS ET SYNDICATS S’ACCORDENT POUR BRISER LE MOUVEMENT
CAMARADES OUVRIERS ET ETUDIANTS !
La lutte des ouvriers de la FIAT est entrée dans sa cinquième semaine. Elle a tenu en échec toutes les tentatives patronales et syndicales pour la morceler et la saboter avec les accords particuliers d’ateliers. Pour cela, la direction et les syndicats sont parvenus à un accord global qui devrait concerner 60.000 ouvriers.
L’accord porte sur les augmentations différenciées du taux de base de 5 à 84 lires, à des titres divers (combien vont toucher 5 lires et combien vont en toucher 84) : mais les ouvriers exigent 100 lires d’augmentation pour tout le monde.
L’accord maintient la différence entre les classes. Bien plus, il en prévoit une nouvelle : la classe III super.
Les différences de salaire et de classe sont toujours un moyen de diviser les ouvriers au profit du patron.
La lutte continue parce que les revendications des ouvriers n’ont pas été satisfaites.
La lutte continue parce qu’en même temps le patron s’affaiblit ; il arrive aux échéances en position de faiblesse et nous, nous nous sommes encore plus forts.
C’est seulement ainsi, unis avec les 130.000 métallos et les millions d’ouvriers qui sont en grève ou qui vont s’y mettre au moment du renouvellement des contrats, que nous obtiendrons les revendications de toute la classe ouvrière italienne :
– Augmentations du taux de base importantes et les mêmes pour tous.
– Réduction immédiate du temps de travail.
– Parité immédiate avec les employés.
Tout cela, les ouvriers de Rivalta l’ont déjà demandé. Hier, les ateliers 64, 72, 76 se sont arrêtés en même temps que les travailleurs de Lingotto, de Materferro, de Ricambi et ceux du Spa Stura et de Carmagnola.
A Mirafiori aussi, la production a été arrêtée par la grève des fours et du ferrage, et celle du 85. Ils ont obtenu le passage de 400 ouvriers en classe II, et pourtant ils continuent la lutte.
La lutte continue parce que les ouvriers n’ont rien à faire des accords syndicaux, qui ne visent qu’à nous détourner du combat.
L’accord des patrons, ce n’est pas le nôtre.
Ce n’est pas pour quelques lires que la production reprendra à la FIAT : ces lires-là, nous les tenons déjà !
Demain samedi 16 H, à l’université (Via S. Ottavio 20, près de la Via Antoneliana) :
Assemblée générale des ouvriers de la FIAT !
27 juin 1969 – fait par les ouvriers et les étudiants
FIM FIOM SIDA UILM
COMMUNIQUE DES SECRÉTAIRES DE FEDERATION RÉGIONAUX :
En de nombreuses occasions, les organisations syndicales ont présenté aux Autorités (maires, préfets, ministres), ainsi qu’aux industriels turinois, des revendications précises concernant :
Les loyers et les expulsions
1) Blocage des loyers (y compris les charges), arrêt immédiat des expulsions, mesures particulières pour les travailleurs immigrés.
2) Réglementation et contrôle des loyers et des contrats de location, de manière à déterminer un barème équitable, à assurer les droits des locataires.
3) Plan d‘urgence pour la construction d’immeubles, en particulier dans les nouvelles zones urbaines, avec priorité sur l’utilisation des crédits GESCAL et des fonds publics affectés aux Constructions et Travaux publics.
4) Intervention de l’Etat dans le plan de construction turinois de manière à éliminer tout retard et toute spéculation ; pour favoriser une redistribution des ressources économiques ; pour rétablir un équilibre entre les investissements du secteur productif et les investissements sociaux (immeubles, transports, écoles, etc…) dont le poids repose jusqu’ici essentiellement sur les entrepreneurs.
Les organisations syndicales n’ont toujours pas reçu de réponse. Au contraire, l’augmentation des loyers et la fréquence des expulsions est toujours plus grande.
Si dans les prochains jours, aucune réponse claire et positive ne leur est pas parvenue, les organisations syndicales appelleront les travailleurs à la
GREVE GÉNÉRALE
CAMARADES OUVRIERS DE LA FIAT
Depuis plus de cinq semaines, nous menons une grève dure dans l’usine. Cette grève, patrons et syndicats l’ont entourée d’un mur de silence.
La lutte qui avait commencé dans quelques secteurs s’est étendue à toutes les chaînes de montage, aux fonderies, aux ateliers de mécanique de Mirafiori, aux usines de Rivalta, de Lingotto et de Carmagnola. La grève touche tantôt un atelier, tantôt l’autre. Elle réussit à bloquer toute la production. Beaucoup de fournisseurs ont été obligés de fermer.
Nous exigeons 100 lires de l’heure pour tous, non réintégrables, et la classe II pour tous.
Nous voulons des augmentations égales pour tous, pour éliminer les différences que patrons et syndicats essaient sans arrêt de faire entre les ouvriers, pour les diviser. Nous voulons des augmentations non réintégrables, pour garantir les résultats de nos luttes actuelles : quand nous déciderons de revendiquer sur les contrats, nous nous y mettrons, avec tous les autres métallos.
C’est nous qui décidons quand nous luttons, avec quelles armes, pour combien de temps, et pour quels objectifs.
C’est nous seuls qui décidons de nous réunir avec les ouvriers des autres secteurs et des autres départements. C’est nous qui discutons de la poursuite de la lutte avec les étudiants qui se sont unis à nous.
Dès le départ, les syndicats on essayé de bloquer notre lutte, en l’isolant et en signant des compromis avec le patron : nous les avons systématiquement refusés en continuant à nous battre. En ce moment, la répression patronale frappe : seize camarades ont été licenciés, beaucoup d’autres ont été mis à pied, sans que les syndicats lèvent le petit doigt. Mais la lutte continue, elle se développe et se renforce.
La colère ouvrière, la volonté de combattre à mort contre les patrons ne cessent de croître chez tous les ouvriers de Turin. Pour essayer de détourner la lutte, les syndicats ont annoncé pour jeudi une grève générale pour le blocage des loyers. (C’est beau de bloquer les loyers quand ils nous mangent déjà la moitié du salaire !). Avoir contraint les syndicats à déclarer la grève générale au moment où toute la FIAT se bat, c’est une première victoire.
La question des loyers ne doit pas nous détourner du combat dans l‘usine. Le loyer, comme tous les problèmes de la condition ouvrière, est étroitement lié aux rapports de force entre les ouvriers et les patrons : les loyers augmentent quand les ouvriers sont faibles, ils baissent quand les ouvriers sont forts ! Quand nous serons assez forts, nous pourrons même nous organiser pour ne plus les payer du tout.
Mais, pour ce combat-là, il faut que se construise dans l’usine une véritable force ouvrière. En commençant par mettre Agnelli à genoux, on pourra mettre à genoux tous les patrons, et tous les pourris du monde. Dans cette lutte il faut qu’une organisation ouvrière de masse naisse et se développe, une organisation capable de prendre en main nos revendications dans tous les domaines. Et ce ne sera pas pour aller pleurnicher chez le préfet…
C’est pourquoi, nous ouvriers de la FIAT, nous demandons à tous les ouvriers de Turin de faire leurs nos objectifs et nos méthodes de lutte, de se joindre à nous et, pour préparer des combats plus durs et plus étendus, de participer à la manifestation que nous organisons jeudi.
28 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS DE RIVALTA !
A Mirafiori, les chaînes sont bloquées par la grève des préparations du 52 et du 53. Au 25, la grève est totale : huit heures à chaque équipe. A l’atelier 51, il y a eu un débrayage. Et surtout le combat a commencé à Rivalta aussi !
A la première équipe : grève sur le tas de deux heures à l’atelier 64. Débrayage à l’atelier 72 (vernissage 128). Débrayage à l’atelier 75 (chaîne du 128). Débrayage à l’atelier 76 (chaîne du 128).
A la deuxième équipe, grève à l’atelier 63 (trois équipes) de 8H45 à la fin. Débrayage d’une heure sur les deux chaînes de contrôle au 128 (atelier 72). Arrêt d’une demi-heure des trois équipes des monteurs du 128 (atelier 72).
Même s’ils n’ont pas duré longtemps, ces grèves et ces débrayages nous montrent que :
A Rivalta aussi, nous sommes forts. Nous pouvons organiser nos luttes nous-mêmes.
A Rivalta aussi, comme à Mirafiori, les nouveaux embauchés luttent aux côtés des autres ouvriers.
Pour répondre à nos arrêts de travail, le patron a envoyé tous les chefs d’équipes, chefs de départements et ceux du Comité d’entreprise qu’il avait sous la main pour essayer d’arrêter notre lutte. Les membres du C.E. qui se promènent maintenant au bras des chefs ont raconté des tas de calomnies. Mais nous sommes prévenus, et nos camarades de Mirafiori nous le disent : ceux-là, c’est la voix du patron. Ils sont là pour nous trahir, et pas pour nous encourager à la lutte.
Ce n’est pas vrai qu’on ne peut pas faire grève dans l’usine. Nos camarades de Mirafiori en font la preuve : depuis un mois, c’est comme cela qu’ils ont bloqué la FIAT.
La grève dans l’atelier est importante parce que le patron n’est jamais sûr qu’entre une lutte et l’autre, la production va continuer tranquillement, ou même augmenter pour récupérer la perte, comme c’était le cas pendant les grèves où on restait en dehors de l’usine.
La grève dans l’atelier renforce et unit les ouvriers parce qu’on utilise le temps de grève pour s’éclaircir les idées et organiser la poursuite de la lutte.
La grève dans l’atelier bloque la production non seulement là où on lutte, mais dans toute l’usine. Elle coûte plus cher au patron qu’aux ouvriers. Elle permet même aux ouvriers des ateliers suivants, qui sont arrêtés pour manque de travail, de discuter pour préparer à leur tour le combat.
Souvenons-nous qu’un mois de grève sur le tas dans quelques ateliers à la fois a fait perdre plus de 50 milliards à la FIAT.
Et si la grève se fait dans toute l’usine, la FIAT ne peut plus nous envoyer les flics pour nous casser les pieds et nous cogner dessus.
Préparons-nous et organisons notre combat dans l’usine.
Utilisons tous les temps libres (à la cantine, au vestiaire, devant les portes, dans les cars, dans les foyers).
Faisons des meetings à la sortie pour rencontrer les camarades d’autres départements et d’autres ateliers.
Nous luttons aujourd’hui parce que c’est aujourd’hui que nous en avons assez de ce travail.
Nous luttons pour obtenir ce que nous voulons :
1) 100 lires de plus sur le taux de base pour tous ;
2) passage en classe II sans essai pour tous ;
3) 10 minutes de pose payées par heure ;
4) une demi-heure de casse-croûte payée sur les huit heures.
En octobre, quand il y aura les contrats, nous utiliserons l’organisation née dans les luttes d’aujourd’hui pour combattre avec les 300.000 métallos d’Italie, et avec les millions d’ouvriers des autres branches.
Tous ceux qui veulent nous empêcher de nous battre maintenant en disant que le bon moment c’est le mois d’octobre, font le jeu du patron : c’est le patron qui, en ce moment, a intérêt à produire le maximum, et c’est ça qui fait sa faiblesse. C’est le patron qui a intérêt ce que les ouvriers ne se battent qu’une fois tous les trois ans.
Assemblée générale, samedi après-midi, à 16H30.
26 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
OUVRIERS DES ATELIERS 23, 24, 25, 26, 28, 41 !
La FIAT a licencié en bloc douze de nos camarades du 25 qui luttaient de façon autonome pour l’augmentation de 50 lires pour tous, et pour le passage en classe II. La FIAT a licencié ces ouvriers pour saboter la lutte du 25 qui était arrivé à paralyser toute la Mécanique, et pour démontrer le danger qu’il y a à lutter sans syndicat. Les ouvriers du 25 rejettent ce chantage infâme et répondent en continuant le combat. En outre, nous ajoutons à nos revendications précédentes une condition prioritaire : la levée immédiate des mesures de licenciement.
Par ailleurs, les ouvriers du 25 demandent à leurs camarades des ateliers 23, 24, 26, 28, 41 de répondre immédiatement aux provocations de la FIAT, par des débrayages, des meetings à la cantine, des pétitions à la direction pour l’arrêt des licenciements, des manifestations à la sortie du 25, des collectes pour soutenir la lutte et aider les camarades licenciés.
Camarades !
Nous devons riposter immédiatement pour défendre notre autonomie, notre lutte, nos revendications.
Nous ne sommes pas seuls. Tous les ouvriers de la FIAT sont en train de s’organiser. Ils généralisent le combat pour les augmentations, la classe II pour tous, contre l’accord bidon, et pour la réintégration immédiate des camarades licenciés.
Continuons la lutte, tous unis nous vaincrons
30 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
CAMARADES OUVRIERS !
La lutte se développe et s’étend. L’organisation autonomie des ouvriers, qui se renforce toujours plus, a porté un coup sérieux au patron :
Mirafiori : aujourd’hui, toute la production arrêtée.
Rivalta : de nombreux départements arrêtés par la grève du 25 de Mirafiori, et par celle du 65 de Rivalta.
Carmagnola : en grève depuis mercredi.
Lingotto : les débrayages se succèdent avec une importance toujours plus grande.
La lutte sort de Turin :
à la FIAT de Modène,
à la FIAT de Pise,
à la FIAT de Naples,
à la FIAT de Florence,
à la FIAT de Trieste,
à la Piaggio de Pontedera,
partout avec les mêmes méthodes, et pour les mêmes objectifs !
La grève de FIAT touche en plus toutes les entreprises fournisseuses. Le combat est de plus en plus résolu, l’organisation des ouvriers de plus en plus forte.
Le patron contre-attaque :
1) accord bidon : des augmentations ridicules, différenciées par classe, non sur le taux de base, et pas pour tous. Il prévoit une multiplication des classes (la 3 super en plus) pour cacher la faiblesse des augmentations de salaire ;
2) licenciements : après les deux ouvriers des chaînes de Mirafiori au début de la grève, c’est maintenant treize ouvriers des Fours et deux de l’aluminium (Carmagnola),
3) intimidations : la direction a donné des ordres au chefs pour multiplier les avertissements et les mises à pied, pour pouvoir ensuite licencier pour de « bons motifs »,
4) agressions : vendredi soir, une espèce de flic a frappé violemment un camarade étudiant devant la porte 5 à Rivalta.
Les syndicats ont accepté la manœuvre du patron, et essaient de la faire avaler aux ouvriers :
1) en signant l’accord que les ouvriers ont refusé,
2) en continuant à se taire sur les licenciements, et en ne bougeant pas le petit doigt pour que les camarades soient réintégrés.
Sur cette question, les ouvriers ont décidé de garder l’initiative pour la direction de la lutte. Ils ont décidé de la rendre encore plus ferme :
1) ils refusent l’accord patron-syndicats,
2) ils exigent la réintégration immédiate des camarades licenciés,
3) ils réaffirment leur volonté de lutter pour de fortes augmentations du taux de base, égales pour tous, pour le passage automatique en classe II de tous les ouvriers de la classe inférieure au bout de six mois.
Pour cela nous sommes prêts à intensifier la lutte, par la violence s’il le faut, s’il le faut nous irons jusqu’à l’occupation de l’usine.
Pour nous, la grève de jeudi est l’occasion d’échanger nos expériences de lutte, de nous réunir avec d’autres usines, de renforcer l’organisation ouvrière à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine.
Nous appelons tous les ouvriers à participer à une manifestation qui montrera nos méthodes et notre capacité de lutte, dans l’usine comme au dehors.
30 juin 1969 – Ouvriers et étudiants
V
LA BATAILLE DU 3 JUILLET LA VILLE ET L’USINE S’UNISSENT AU COMBAT
LA BATAILLE DE CORSO TRAIANO
Turin est une ville dégueulasse : un lit pour dormir y coûte 20.000 lires par mois, un repas 1.000 lires. Il n’y a pas d’appartements : dernièrement, la FIAT a décidé de construire pour les ouvriers qui venaient du Sud, des baraques pour quatre cents personnes dans un terrain vague. C’est un véritable camp de concentration. On n’en sort que pour aller travailler.
Ce n’est donc pas un hasard si les syndicats, au moment le plus chaud de la lutte de Mirafiori, ont appelé à une grève de vingt-quatre heures en dehors de l’usine pour le blocage des loyers et l’arrêt des expulsions. Le but de la manoeuvre, c’était de regagner la confiance des ouvriers en les mobilisant sur un de leurs problèmes les plus importants. Mais ce n’est pas une journée de grève-congé, ni même les pétitions inutiles qu’on nous a fait signer qui résolvent le problème des loyers : que signifie bloquer les loyers quand ils sont déjà hors de prix ?
C’est pourquoi l’Assemblée générale des Etudiants et des Ouvriers, qui se tenait toutes les semaines pour coordonner les luttes et les organiser, avait décidé de transformer cette grève en une grande journée de lutte : on irait dire à tous nos camarades de Turin ce qu’était notre lutte, on n’y irait pas en petits groupes, mais en masse, avec une manifestation, avec nos propres banderoles, nos mots d’ordre à nous.
Des milliers d’ouvriers et d’étudiants accourent au rendez-vous. A partir de là, on connaît les faits : la police intervient immédiatement, elle charge férocement la manifestation, sans même de sommations. C’est là qu’ont lieu les premières arrestations.
La manifestation se disperse, et se reforme cent mètres plus loin, vers le Corso Traiano. Alors la police charge à nouveau, encore plus durement, en lançant des grenades lacrymogènes, en arrêtant tous ceux qu’elle peut.
Ce n’est plus la peine de faire une manifestation : les manifestants ne sont plus seuls, c‘est tout le quartier qui descend dans la rue, les hommes et les femmes, les enfants et les vieux. La bataille s’étend jusqu’à Nichelino et Moncalieri 11 . Elle dure toute la nuit du 3 juillet et une partie de la matinée du 4. La police n’ose pas s’aventurer dans les quartiers. Les flics avancent par groupes de 200 ou 300, protégés par les paniers à salade.
En face d’eux, la foule barre les rues avec des barricades, des voitures enflammées ; pendant ce temps, des groupes mobiles de jeunes attaquant les flics sans répit sur leur flanc. Ils s’échappent ensuite en se réfugiant dans les immeubles. La police n’a plus qu’une solution : s’acharner sur la population. Elle lance de grenades dans les fenêtres des appartements. Immeuble par immeuble, jusqu’au dixième étage, les gens sont arrêtés chez eux. Mais les barricades continuent.
Toute la presse nationale et internationale a bien été obligée d’en parler. Mais la Stampa 12 , le journal des patrons, et l’Unita 13 avec elle, osèrent dire qu’il s’agissait de petits groupes de voyous, d’éléments étrangers à la classe ouvrière. Quel scandale, quand on sait que le combats ont duré plus de douze heures, que les vingt-neuf inculpés sont presque tous des ouvriers de la FIAT et des habitants du quartier. Parmi eux, une femme de 56 ans, et beaucoup de membres du PCI (bien que ce parti et les syndicats les aient invités à ne pas participer). Voilà ce que c’était « le petit groupe d’éléments étrangers à la classe ouvrière » : c’est tout un quartier de Turin, ça aurait pu être toute la ville.
Extrait de « LOTTA CONTINUA :
lettre des ouvriers de la FIAT, à leurs camarades du Sud » – août 1969
CAMARADES OUVRIERS !
Hier, la police a brutalement attaqué la manifestation de 10.000 ouvriers et étudiants qui venait à peine de quitter Mirafiori.
Le but de cette manifestation, c’était de faire connaître à toute la classe ouvrière les formes et les objectifs que la lutte s’était donnés au cours d’un mois et demi de grève sur le tas. En attaquant la manifestation, la police voulait empêcher cet échange d’expériences en vue de futurs combats.
Une fois de plus, les patrons et leurs larbins ont fourni l’occasion d’élargir le combat. Ainsi, l’attaque de la police a-t-elle provoqué l’intervention des habitants de Turin-Sud, qui sont entrés dans la lutte aux côtés des ouvriers et des étudiants. De plus, le combat s’est étendu à différents quartiers de Turin, mobilisant une grande masse d’ouvriers, en généralisant la lutte plus que n’aurait pu le faire n’importe quelle manifestation.
Pourquoi la police est-elle intervenue aussi massivement et aussi violemment ?
Depuis un mois et demi, les ouvriers de la FIAT luttent contre la production, en imposant leurs objectifs de combat :
– refus des conditions de vie et de travail, dans l’usine comme au dehors,
– refus du contrôle des syndicats et des partis sur le mouvement de la classe ouvrière,
– organisation autonome de la lutte pour les objectifs fixés par les ouvriers eux-mêmes.
Tels sont les objectifs exprimés dans les luttes de la FIAT, que les ouvriers veulent généraliser aux autres usines.
Cette action de la classe ouvrière à l’usine a provoqué la crise des structures politiques et syndicales que les patrons utilisaient jusque-là.
Cette crise ne se manifeste pas seulement à Turin : c’est une crise politique nationale que les patrons n’arrivent plus à résoudre aujourd’hui. C’est pour cela, pour bloquer le mouvement, qu’ils utilisent la répression par la violence.
Le combat d’hier
Les combats de rue très violents d’hier ont été une grande victoire ouvrière.
Depuis vingt ans (à part en 1962), les ouvriers de la FIAT n’avaient pas affronté longtemps et victorieusement les forces de police. Dans les combats d’hier, les ouvriers ont prouvé leur volonté et leur force de combat, non seulement dans l’usine, mais aussi dans la rue.
Certes, cette victoire a coûté son prix : une centaine d’arrestations, une vingtaine d‘inculpations. Mais cette lutte a prouvé que les ouvriers ont aujourd’hui une force suffisante pour imposer leurs objectifs dans l’usine, comme ils ont celle d‘imposer la libération des camarades arrêtés.
Cette force va se manifester immédiatement aujourd’hui même, dans l’usine : l’usine ce n’est pas la police qui la tient.
Il faut reprendre la lutte, l’étendre à toute la FIAT. En même temps, il faut consolider et organiser la puissance de lutte qui s’est manifestée pendant les affrontements d’hier, en ville et dans les quartiers.
Camarades ouvriers ! La lutte continue !
– Pour les objectifs que nous nous sommes fixés pendant ce mois et demi de lutte.
– Pour la libération immédiate des camarades arrêtés.
Turin, 4 juillet 1969 – Ouvriers et étudiants
OUVRIERS DE RIVALTA !
Le procès des 29 camardes arrêtés jeudi dernier Corso Traiano et à Nichelino a commencé hier.
Le jeudi 3 juillet a été une journée importante pour la lutte ouvrière. Il a fait la preuve que la lutte des ouvriers dans l’usine est la même que celle des ouvriers dans les quartiers ; à partir de maintenant, nous refusons tous cette vie de chien.
Les flics ont été appelés par le patron pour empêcher notre manifestation. La manifestation avait pour but de montrer pacifiquement à toute la ville de Turin, la force de l‘organisation de la lutte ouvrière à l’intérieur de la FIAT.
Des milliers de flics sur le pied de guerre essayaient de nous faire peur et d’empêcher le départ de la manifestation. Quand ils ont vu que les ouvriers commençaient à être plus de cinq mille, ils ont eu recours à la violence : charges, grenades, etc…
Mais, une fois de plus, ils se sont trompés : en voulant disperser la manifestation par la violence, les flics se sont trouvés devant un nouvel affrontement. Les habitants des quartiers sont descendus dans la rue, ils ont combattu jusqu’au matin, ils ont tenu en échec des milliers de policiers appelés en renfort de toute l’Italie. Toute la journée, la police a arrêté sans distinction tous ceux qu’elle pouvait : des ouvriers, des étudiants, des femmes, des passants : en tout deux cents personnes. Sur ces deux cents, 29 ont été inculpées. Ce sont presque tous des ouvriers, presque tous des habitants des quartiers où la bataille a eu lieu.
Cela aussi, c’est une grossière manœuvre du patron :
Quand il a vu que tous les autres moyens échouaient, il a voulu arrêter la lutte ouvrière avec son arme la plus dure et la plus répugnante : les arrestations, les dénonciations, les procès.
Quand il a vu que l’organisation des ouvriers en lutte, avec les étudiants à son côté, ne pouvait plus être contrôlée ni par les syndicats, ni par les partis, il a essayé de nous tromper, de nous dresser les uns contre les autres, les ouvriers contre les ouvriers, les ouvriers contre les étudiants.
Le procès des 29 inculpés pendant la lutte contre la FIAT et sa ville-usine a commencé hier à Turin.
Le procès des 17 étudiants arrêtés pendant la lutte contre l’école de classe a commencé hier à Milan.
Les commissaires, les inspecteurs, les flics, les juges ont reconnu ceux qui luttaient contre les patrons dans les usines, dans la rue, dans les écoles.
Les journaux, la radio et la télé mentent pour diviser et tromper ceux qui luttent.
Les étudiants et les ouvriers luttent ensemble parce qu’ils savent que le patron qui exploite les ouvriers dans l’usine, qui leur fait mener une vie de chien, c’est aussi celui qui fait de l’école une caserne où seront formés les imbéciles et les fidèles serviteurs du patron dans l’usine et à l’extérieur.
Les étudiants qui sont avec nous ont compris qu’ils devaient aller à l’usine, dans les quartiers, dans la rue, au côté des ouvriers, contre les patrons et leur système.
CAMARADES OUVRIERS !
Le patron utilise la répression pour nous diviser et nous effrayer.
– Il nous fait arrêter dans la rue et nous expédie au tribunal.
– Il nous menace, il nous déplace, il nous licencie (aux licenciements de Mirafiori, se sont ajoutés trois licenciements à Rivalta).
– Le patron espère que cette manœuvre réussira, car il espère que nous ne saurons pas répondre.
Notre réponse, c’est notre lutte et notre organisation.
Tous unis avec nos camarades inculpés, interdisons au patron de les licencier quand ils rentreront à l’usine.
La lutte continue, préparons l’élargissement de la lutte à l’intérieur de l’usine.
10 juillet 1969 – Ouvriers et étudiants
LOTTA CONTINUA
Aujourd’hui, en Italie, un processus révolutionnaire nouveau a commencé : il va au-delà même de ce qu’a signifié le mois de mai français. Ce n’est pas un mouvement improvisé, mais une lutte prolongée qui unit étroitement les ouvriers, les étudiants et les paysans, une lutte qui balaie l’une après l’autre toutes les contre-attaques des capitalistes.
La journée du 3 juillet n’est pas un épisode isolé, ni une explosion de révolte incontrôlée. Elle vient à la suite de cinquante jours de lutte à la FIAT, une lutte qui a rassemblé un très grand nombre d’ouvriers, une lutte qui a bloqué complètement la production, une lutte qui a atteint un niveau d’autonomie politique et organisationnelle inconnu jusque là, une lutte qui a balayé toute tentative de contrôle syndical. La portée politique profonde des luttes de la FIAT, leur caractère de masse permettent aujourd’hui à toute la classe ouvrière italienne de passer à un stade de luttes sociales généralisées sans que les objectifs, les formes ni les dates en soient fixés, sans considérer les exigences du développement capitaliste, des syndicats ou du parti ; ces luttes sont dirigées entièrement par l’organisation autonome des ouvriers. En même temps, la signification politique de cette situation va bien au-delà de la signature d’un accord quelconque. Les patrons le savent, car, pour pouvoir reprendre leur souffle, ils ont besoin d’utiliser les luttes pour tromper politiquement la classe ouvrière et redonner de forces aux syndicats.
C’est pourquoi la bataille sur les contrats est une bataille politique d’un bout à l’autre. La victoire ouvrière, c’est la capacité d’avancer en ayant fait place nette des faux défenseurs de la classe ouvrière et en renforçant sa propre organisation.
Une fois de plus, la FIAT donne l’exemple. Agnelli a déjà perdu beaucoup plus que ce qu’il aurait payé en acceptant les revendications des ouvriers. Mais aujourd’hui, Agnelli se rend compte qu’aucune concession ne peut freiner la lutte ouvrière. Au contraire, chaque concession stimule encore plus la reprise de la lutte.
Les ouvriers de la FIAT n’ont pas attendu l’échéance des contrats (en septembre), ils n’ont pas demandé au patron, comme le voulait le syndicat, des concessions ridicules sur le salaire et les cadences. La lutte des ouvriers FIAT est une lutte de masse ; elle a repris tous les objectifs déjà exprimés pendant les luttes de 1968-69, les objectifs des plus grandes concentrations ouvrières italiennes, de Milan à Porto Marghera, d’Ivrea à Valdagno.
Ces objectifs, ce sont :
– augmentations importantes du taux de base, égales pour tous ;
– suppression des classes ;
– réductions importantes du temps de travail sans diminution de salaire, et d’un seul coup ;
– égalité immédiate et complète entre les ouvriers et les employés.
Sur la base de leur expérience, les ouvriers de Turin, réunis en Assemblée après les combats du 3 juillet, proposent à tous les ouvriers italiens de commencer une nouvelle période de lutte de classe générale sur les objectifs qu’ils se seront fixés eux-mêmes. Ils proposent l’unification politique de toutes les expériences de lutte autonome déjà réalisées.
De la FIAT à Turin, de Turin à toute l’Italie, organisons-nous dans le feu des luttes pour marcher vers la prise du pouvoir.
5 juillet 1969 – L’Assemblée ouvrière de Turin
VI
AGNELLI EST A GENOUX JUSQU’AUX VACANCES, IL A PERDU LA PARTIE
Le patron accélère les cadences, Le syndicat fait élire ses délégués :
Camarades ouvriers !
Petit à petit, le patron essaie de reprendre le contrôle sur l’usine, mais la force et l’unité avec lesquelles nous avons lutté pendant 45 jours l’obligent à prendre des précautions. Alors, nous le voyons augmenter les cadences dans quelques ateliers (le 54 par exemple). Mais au premier signe de protestation de la part des ouvriers, les chefs remettent les mêmes cadences qu’avant.
Cela, c’est les premières tentatives du patron pour récupérer ce qu’il a perdu avec la lutte. Pour lui, cela ne veut pas seulement dire récupérer de l’argent, mais surtout, en se foutant de nous, reprendre le contrôle que nous lui avions arraché pendant la lutte.
Mais le patron sait que les ouvriers sont décidés à ne pas reculer, qu’ils sont décidés à ne plus lui permettre de parader dans l’usine comme avant. C’est pour cela qu’il cherche, en accord avec les syndicats, le meilleur moyen de canaliser et de contrôler notre révolte.
Aujourd’hui, il nous fait le coup des délégués. Car, dans les ateliers, la bande de complices des syndicats a disparu avec sa marchandise électorale.
Camarades ! A quoi servent ces délégués ?
Disons-le clairement une fois pour toutes :
– Ils servent à vérifier que les cadences fixées par la direction sont bien respectées.
– En cas d’abus de la part des chefs et des gardiens, le délégué, au lieu d’organiser un débrayage avec ses camarades, doit courir au bureau des délégués dans lequel il transmet, par la filière bureaucratique, sa protestation à la direction.
Dans ces conditions, les délégués deviennent obligatoirement les sergents du patron. Leur rôle, c’est d’arrêter les ouvriers quand ils vont commencer la lutte en leur faisant croire que tout se règle dans le bureau du patron.
Mais ce piège répugnant que nous tendent le patron et les syndicats ne peut marcher que si nous renonçons à la lutte pour nous jeter dans les bras des délégués et des bureaucrates syndicaux.
Camarades ! Nous ne devons compter que sur nos propres forces !
Ripostons à l’augmentation des cadences en débrayant ou en réduisant la production ; mais cela ne suffit pas, puisque notre meilleure défense, c’est l’attaque.
Organisons-nous atelier par atelier pour reprendre la lutte sur tous les points de la condition ouvrière !
Le salaire, l’horaire, l’égalité avec les employés.
9 juillet 1969 – Ouvriers – Étudiants
LES CADENCES AUGMENTENT : LES DÉBRAYAGES RECOMMENCENT
CAMARADES OUVRIERS !
Pendant les six semaines de lutte le patron a perdu sur deux tableaux :
– il a perdu 100 milliards de production,
– il a perdu le contrôle des ouvriers.
Maintenant, il essaie de récupérer tout cela :
– les cadences augmentent,
– les chaînes vont plus vite,
– les chefs vont voir les ouvriers et leur demandent de faire des heures supplémentaires,
– si une machine se casse, le patron nous oblige à récupérer la production.
Agnelli veut reconstituer son stock et récupérer les pertes de production, parce qu’il pense déjà aux luttes encore plus dures que nous reprendrons en automne, à la FIAT, et dans toute l’Italie.
La récupération de la production, cela veut dire surtout imposer aux ouvriers des cadences infernales qu’ils n’arrivent pas à supporter.
Ces cadences-là, nous les retrouverons en septembre si nous les acceptons maintenant !
Agnelli est passé à l’attaque parce qu’il voit que les ouvriers ont appris à se servir de l’usine pour s’organiser et pour lutter.
Il suffit d’entendre les chefs quand ils passent dans les ateliers : « Ceux qui commandent ici, ce n’est pas vous ! ».
Mais les ouvriers ont compris la manœuvre et ils ont commencé à s’organiser.
Ceux du 54 ont quitté la chaîne parce qu’elle allait trop vite. Tous unis, ils ont refusé les heures supplémentaires. Voilà l’organisation qu’il faut généraliser dans tous les ateliers !
Nous avons compris que nous ne devions plus nous occuper des délégués, qu’il fallait nous organiser nous-mêmes en dehors de l’usine, et à l’intérieur.
Pour le faire, et pour être toujours plus forts, réunissons-nous avec les autres ateliers à la sortie de l’usine.
Pour vaincre le patron, il faut savoir utiliser toues les possibilités de discuter entre nous et de nous organiser : pendant les pauses à la cantine, aux cabinets, partout où on peut ; à l’extérieur de l’usine, aux réunions devant les portes, dans les assemblées.
Nous devons être vigilants parce qu’en même temps que le patron, les syndicats reviennent à la charge avec la camelote usée des délégués. Eux aussi, ils veulent reprendre des forces avant le mois d’octobre pour nous imposer leur plateforme revendicative, leur programme de « lutte », et leurs accords bidons.
Organisons immédiatement les débrayages contre les cadences dans toute l’usine.
Dans les assemblées où nous décidons notre programme de lutte, commençons à fixer nos objectifs pour les luttes contre les contrats !
Le premier objectif, c’est de s’unir dans une même organisation avec les ouvriers de toutes les autres usines italiennes.
Maintenant déjà la lutte de Mirafiori est une lutte qui intéresse tous les ouvriers d’Italie et tous les patrons d’Italie. Si aujourd’hui les ouvriers de la FIAT arrivent à vaincre le patron à Mirafiori, c’est une victoire pour tous les ouvriers d’Italie, car les motifs et les objectifs de notre lutte sont aussi ceux de nos camarades.
Des millions d‘ouvriers sont en grève. Le problème est de savoir nous unir pour attaquer ensemble.
Tous les patrons d’Italie sont d’accord pour écraser la lutte de la FIAT parce qu’ils savent que si le combat continue, ils en subiront tous les conséquences. Ils auront en face d‘eux un front uni de tous les ouvriers et ils seront forcés de plier devant leur force.
Renforçons-nous !
Tous unis, refusons :
Les cadences !
Les heures supplémentaires !
14 juillet 1969 – Ouvriers et étudiant
Si la production augmente, débrayons !
Si on nous demande de faire
des heures supplémentaires, refusons !
Si on nous fait crever
de chaud et de fatigue, bloquons tout !
Nous comptons les jours qui nous séparent des vacances. Nous n’irons pas à la mer ni à la montagne : mais au moins, on s’en ira le plus loin possible de cette maudite usine. Et nous voulons arriver en vacances vivants.
Notre désir d’aller en vacances, Agnelli l’utilise à ses fins. Pour aller en vacances, il faut un peu d’argent. Alors voilà les heures supplémentaires. En attendant, voilà où nous en sommes : on a augmenté les retenues, les augmentations ont disparu, la prime a diminué. En vacances, on y va les poches vides. Et puis, comme on va se reposer d’ici peu, la FIAT a pensé qu’elle pouvait nous fatiguer encore plus. La production augmente tous les jours. Ce n’est plus un travail, c’est un vrai bagne.
Agnelli a été mis à rude épreuve, et maintenant il essaie de s’en remettre. Il attaque d‘abord sur le problème de la mutuelle, et bien sûr, les syndicats l’appuient. Puis c’est l’augmentation de la production. Puis c’est les fiches de paye fractionnées. Agnelli espère récupérer la production, d’autant plus qu’il sait très bien que nous reprendrons la lutte en automne. Il espère pouvoir à nouveau nous contrôler, nous convaincre qu’il n’y a rien à faire, que nous perdons toujours et que nous sommes les seuls à y perdre. Mais Agnelli tire un peu trop sur la laisse. La chèvre est mangée par le loup : cela, nous l’avons bien compris.
A l’atelier 54, toutes les tentatives pour accélérer les cadences ont échoué : les ouvriers ont riposté en débrayant. Tous refusent de faire les heures supplémentaires.
A l’atelier 53, grève d‘une demi-heure avant-hier, pour protester contre ce qu’il nous vole sur la fiche de paye.
A l’atelier 13, grève de deux heures. Les ouvriers sont prêts à la prolonger.
Avant-hier soir, aux ateliers 55 et 56, les ouvriers ont quitté les chaînes. Ils ont refusé de faire la production supplémentaire qu’on leur avait demandée.
Hier, aux ateliers 23 et 24, il y a eu plusieurs évanouissements. Aujourd’hui : débrayages.
Pendant trois jours, l’atelier 27 s’est opposé à l’augmentation de la production et a débrayé à la fin de l’équipe. Cela s’est passé aussi dans d’autres ateliers.
Cela veut dire que notre lutte n’a pas eu lieu pour rien.
Cela veut dire que les choses ne redeviendront pas comme avant.
C’est le patron qui nous oblige à lutter. Aujourd’hui nous ne sommes pas prêts à répondre partout aux attaques du patron. Non seulement parce que les 17 lires, il ne nous les a pas données tout de suite. Les 17 lires, c’est rien du tout, mais elles sont à nous, et pas à Agnelli, qui gagne sur notre dos en ne les déboursant pas tout de suite. Mais surtout, nous refusons de nous faire tuer par l’augmentation de la production.
Ces deux mois de lutte nous ont rendus plus forts : servons-nous de cette force. Le patron ne doit pas pouvoir utiliser ces quelques semaines avant les vacances pour récupérer la production et reprendre le contrôle des ouvriers.
Nous devons utiliser ces semaines pour renforcer notre organisation et pour nous préparer aux luttes futures. Nous devons arriver aux luttes pour le contrat en ayant défini nous-mêmes nos objectifs et la façon dont nous voulons lutter pour les atteindre.
17 juillet 1969 – Ouvriers et étudiants
LES POUX ET LA BALEINE
Ces jours-ci, les entrées de Mirafiori sont devenues une véritable foire. Il y a de tout : des syndicalistes, des gens du PCI, de gamins habillés en rouge, des flics habillés en vert, etc. Ils sont tous là à faire concurrence aux vendeurs ambulants, tous à faire de la propagande pour leur marchandise.
Les syndicalistes : quand les ouvriers luttaient, ils n’avaient plus le courage de se montrer. Aujourd’hui, ils pensent que la lutte est finie, et ils se ramènent en force. Ils essaient de se faufiler dans le rang des ouvriers qui étaient à la tête de la lutte. On a l’impression qu’ils disent : « Vous avez fait une fugue, mais on vous pardonne pourvu que vous reveniez dans les jupes du syndicat ».
Le P.C.I. : il est toujours absent des luttes. Il lui arrive aussi de raconter que les prolétaires qui se sont battus le 3 juillet étaient des « agents irresponsables et provocateurs » (aujourd’hui, ces mêmes ouvriers viennent d’être condamnés par un tribunal bourgeois). Le voilà qui vient nous raconter que les luttes décidées et dirigées par les ouvriers eux-mêmes sont dangereuses parce que les patrons peuvent utiliser la répression ! Il vient nous accuser d’être « des groupes étrangers à l’usine ». Mais il se garde bien d’expliquer comment « ces misérables groupuscules » ont réussi à mener une lutte aussi longue et aussi violente que celle que nous avons menée pendant ces deux derniers mois. En résumé, le P.C.I. veut entrer au gouvernement, et il doit donner des preuves toujours plus claires de sa respectabilité bourgeoise. Les luttes de masse qui se moquent des lois du patron sont un obstacle au progrès du PCI. C’est pourquoi le PCI devient un complice de la répression, c’est pourquoi il collabore à l’isolement des avant-gardes ouvrières et étudiantes et se met à brailler au danger fasciste.
Les flics : ils se montrent de plus en plus souvent. Le 3 juillet, ils se sont donnés bien du mal en se battant et en lançant des grenades au nom d’Agnelli et de l’Etat. Maintenant, ils viennent nous rappeler ce qu’ils sont. Si les ouvriers rentrent dans le rang et recommencent à obéir aux syndicats, tout va bien, sinon, c’est la matraque.
Les « marxiste-léninistes » : pendant les luttes, on ne les a pas vus. Aujourd’hui, ils viennent essayer de tirer les marrons du feu comme des vautours. Ils font de beaux discours révolutionnaires, mais ce qu’ils cherchent, c’est à placer des cartes et à vendre des journaux. Ce ne sont que des petits bureaucrates, les concurrents du PCI et des syndicats.
Les fascistes : ils viennent faire des provocations sous la protection bienveillante de la police, sans aucune réaction des syndicats. Ils cherchent le combat avec les étudiants et les ouvriers les plus actifs pour permettre aux flics, au PCI et aux syndicats de parler d’une « lutte entre extrémistes » et se présenter comme des arbitres impartiaux.
Les syndicalises, les bureaucrates du PCI, les faux « marxistes-léninistes », les flics et les fascistes ont tout une caractéristique commune : ils ont une peur terrible de la lutte ouvrière, de la capacité qu’ont les ouvriers d’envoyer promener le patron et ses valets pour décider et organiser la lutte eux-mêmes dans l’usine et à l’extérieur.
Tout cela, nous le disons parce que nous étions aux portes de l’usine avant la lutte. Nous y avons été pendant la lutte, les ouvriers à l’intérieur, les étudiants à l’extérieur, et nous y serons encore. Aujourd’hui, les sorties sont encombrés de ces messieurs. C’est un signe que nous leur avons fait peur. Aujourd’hui, ils arrivent tous pour essayer de récupérer les fruits d’une lutte qu’ils pensent terminée. Mais en réalité, le « cadavre » de la lutte ouvrière est bien vivant. Et ils s’en apercevront.
Quelqu’un disait que même les baleines ont des poux. La lutte de classe est une baleine, les flics, les bureaucrates du parti et les syndicats, les fascistes et les faux révolutionnaires sont les poux.
11 juillet 1969 – Ouvriers et étudiants