Après Marsile de Padoue, c’est l’anglais John Wyclif qui va de nouveau mettre en avant la thèse de la prédominance de la royauté sur l’Église.
Ayant étudié à Oxford, puis devenu docteur en théologie en 1371/1372, John Wyclif étudia par la suite la philosophie dans l’esprit dominant à Oxford, opposé au « nominalisme » dominant en Europe et considérant que les concepts ne représentaient pas authentiquement la réalité (le concept humanité représentant, par exemple, de manière synthétique, ou pas, l’humanité elle-même).
En pratique, John Wyclif était un religieux ayant conscience du caractère foncièrement opportuniste de l’Église. Il rejetait le confessionnal comme n’ayant pas existé au temps du Christ, ainsi que la transsubstantiation (la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ lors de l’Eucharistie).
Il n’acceptait pas le pape et son avidité, il considérait les prêtres comme des menteurs opportunistes et il affirmait que la grande qualité d’un croyant était la prédication.
Il rejetait les textes écrits sur la Bible, celle-ci étant « le livre de vie, la loi du Seigneur très complète et très salubre » et se suffisant à elle-même.
À ses yeux, toute personne ayant commis un péché mortel ne pouvait plus être évêque, prélat, ou même seigneur séculier, comme il le formulera, « Nul n’est seigneur s’il est en état de péché mortel. »
Pour cette raison, en 1403, 45 articles furent proclamés hérétiques par l’Église. Par la suite, l’ensemble de ses œuvres furent interdites d’étude et, enfin, en 1410, ses ouvrages furent brûlés.
Cependant, le point de vue de John Wyclif en faveur d’une séparation de l’Église et du pouvoir terrestre allait tout à fait dans le sens de la pointe de l’aristocratie anglaise, qui entendait s’approprier les biens de l’Église.
De fait, la position de John Wyclif correspondait simplement à la transformation de l’averroïsme philosophique en averroïsme politique. Déjà Averroès avait développé sa conception de la « double vérité » afin de s’appuyer sur la royauté contre le clergé, ce qui échoua.
John Wyclif, quant à lui, rencontra un écho favorable, ce qui fit son succès. Toutefois, les choses n’en restèrent pas là car le mouvement réel de l’histoire avait charrié une opposition populaire au sein du christianisme.
Les béguins et les béghards, les Pauvres de Lyon qui devinrent les vaudois, etc., sont les plus connus des mouvements considérés comme « hérétiques » par l’Église catholique, mouvements qui essaimèrent cependant dans toute l’Europe.
Oppositions laïques au catholicisme, ces mouvements exigeaient un retour à la pauvreté des apôtres, plaçant la foi au cœur de la croyance et rejetant la primauté du clergé.
Il est à noter ici que le catharisme n’était pas du tout un mouvement de ce type, mais bien une religion différente du christianisme. Les mouvements laïcs et populaires d’opposition (encore « interne » au catholicisme) sont nés dans la période d’installation de la religion catholique en Europe, aux âges roman et gothique.
Il y a ainsi une rencontre entre l’averroïsme politique, issu de l’averroïsme philosophique et directement produit au sein des intellectuels religieux des universités, et la protestation populaire contre la constitution par l’Église d’une caste au-dessus des masses populaires, alors que la religion avait été portée par les masses justement pour sortir de la barbarie des périodes précédentes.
C’est l’aspect principal et involontaire du « wyclifisme ». En effet, John Wyclif n’avait formulé sa conception que dans le sens de la royauté. Il comptait simplement ouvrir un espace intellectuel en mettant hors-jeu l’Église catholique et il n’était pas du tout sur une ligne populaire-révolutionnaire.
Il va pourtant réaliser une confluence : celle des protestations anti-féodales des masses avec une idéologie politique avancée de rejet ouvert du clergé.
Dans un contexte de crise du mode de production féodal, une telle confluence est explosive – dans ce qui sera la France a lieu la « Grande Jacquerie » en 1358, réprimée de manière atroce par les féodaux –.
Mais il mit également en branle les forces populaires, dans un contexte où la royauté pressurise massivement les paysans avec trois taxes spéciales pour financer la guerre de cent ans, en 1373, en 1379, et en 1380–1381 (les taxes étaient appelées « poll tax » et l’expression ne fut plus jamais employée par la suite, sauf par les détracteurs d’un nouvel impôt communal durant les années 1990, pour faire référence au caractère injuste de celui-ci).
Les tisserands notamment, issus d’une immigration hollandaise faite à l’appel de la royauté anglaise, étaient déjà influencés par des courants religieux mystiques et égalitaires : ils devinrent l’épicentre de la révolte.
Ceux qui furent appelés les lollards organisèrent un véritable soulèvement. Un grand rôle fut joué par John Ball, disciple de John Wyclif.
John Ball revendiquait une église égalitaire dans l’esprit d’un retour aux valeurs d’origine du christianisme. Dans un de ses sermons qui fut prononcé à Blackheath (Londres), il posa une question devenue célèbre en Angleterre : « Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le gentilhomme ? ».
Emprisonné pour ses prêches contre les classes dominantes, il fut rapidement libéré à l’occasion d’une grande révolte des paysans en 1381, mené par Wat Tyler, qui parvint même à prendre le contrôle de Londres.
Le roi feignit de négocier d’abolir « la servitude, le service féodal, les monopoles du marché et les restrictions sur les achats et les ventes » puis organisa très rapidement le massacre des insurgés.
C’en était fini du wyclifisme anglais. La devise de John Wyclif pourtant – « Je crois que la vérité finira par triompher » – deviendra pratiquement celui d’un mouvement similaire en Bohême.
Ses positions se diffusèrent en effet à l’étranger, et notamment en Bohême à partir de 1390.
Dans le royaume de Bohême, il y avait le même besoin qu’en Angleterre d’une idéologie affirmant la primauté de la royauté.
Ainsi, en 1409, à l’université de Prague, le roi renforça les positions wyclifistes grâce au Décret de Kutna Hora donnant trois voix, au lieu d’une seule, aux Tchèques contre une seule pour toutes les autres nations (Bavarois, Saxons, Polonais). Cela aboutit au départ des étudiants allemands, qui fondirent l’université de Leipzig, fournissant ainsi une prépondérance au courant wyclifiste.