Nadja se conclue sur une formule-choc, typique d’André Breton :

« La beauté sera CONVULSIVE OU ne sera pas. »

C’est là le principe des artistes en quête d’« événements » : il leur faut des choses qui se passent, qui soient « à la hauteur » de leur subjectivité. On a ici la même position que chez le romantisme, le « mal du siècle », où les romantiques s’imaginent nés à la mauvaise époque, étant capable de pleins de choses sans être reconnu institutionnellement malheureusement, etc.

Pétri de subjectivisme, les surréalistes se veulent donc « révolutionnaires » ; leur existence même serait une rupture avec la société inadéquate. Voici comment Antonin Artaud (1896-1948), souffrant de lourds problèmes psychiatriques, explique la nature du surréalisme en tant que responsable de la Centrale du bureau des recherches surréalistes.

Dès le départ, la dimension ultra-élitiste est soulignée.

Déclaration du 27 janvier 1925

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Eu égard à une fausse interprétation de notre tentative stupidement répandue dans le public,
Nous tenons à déclarer ce qui suit à toute l’ânonnante critique littéraire, dramatique, philosophique, exégétique et même théologique contemporaine :
1° Nous n’avons rien à voir avec la littérature,
Mais nous sommes très capables, au besoin, de nous en servir comme tout le monde.
2° Le SURRÉALISME n’est pas un moyen d’expression nouveau ou plus facile, ni même une métaphysique de la poésie;
Il est un moyen de libération totale de l’esprit
et de tout ce qui lui ressemble.
3° Nous sommes bien décidés à faire une Révolution.
4° Nous avons accolé le mot de SURRÉALISME au mot de RÉVOLUTION uniquement pour montrer le caractère désintéressé, détaché, et même tout à fait désespéré, de cette révolution.
5° Nous ne prétendons rien changer aux mœurs des hommes, mais nous pensons bien leur démontrer la fragilité de leurs pensées, et sur quelles assises mouvantes, sur quelles caves, ils ont fixé leurs tremblantes maisons.
6° Nous lançons à la Société cet avertissement solennel :
Qu’elle fasse attention à ses écarts, à chacun des faux pas de son esprit nous ne la raterons pas.
7° A chacun des tournants de sa pensée, la Société nous retrouvera.
8° Nous sommes des spécialistes de la Révolte.
Il n’est pas de moyen d’action que nous ne soyons capables, au besoin, d’employer.
9° Nous disons plus spécialement au monde occidental :
le SURRÉALISME EXISTE
– Mais qu’est-ce donc que ce nouvel isme qui s’accroche maintenant à nous ?
– Le SURRÉALISME n’est pas une forme poétique.
Il est un cri de l’esprit qui retourne vers lui-même et est bien décidé à broyer désespérément ses entraves,
et au besoin par des marteaux matériels.
DU BUREAU DE RECHERCHES SURRÉALISTES
15, rue de Grenelle

André Breton a lui-même théorisé la conception surréaliste, au moyen de deux « manifestes ». Il y présente le surréalisme comme l’activité donnant libre cours à « l’inconscient » : André Breton se revendique ouvertement de Sigmund Freud.

Libérer « l’inconscient », ses pulsions, s’adonner à la « spontanéité » et – André Breton ne le dit pas – l’intuition comme formulé par Henri Bergson, serait la clef de la « révolution » surréaliste. L’écriture dite « automatique » serait la preuve de l’activité de l’inconscient ayant brisé ses chaînes. André Breton raconte ainsi dans le premier manifeste, publié en 1924 :

rev_sur-2.jpg« Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres.

Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase, étrangère à notre pensée consciente, qui ne demande qu’à s’extérioriser.

Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de l’autre, si l’on admet que le fait d’avoir écrit la première entraîne un minimum de perception. Peu doit vous importer, d’ailleurs ; c’est en cela que réside, pour la plus grande part, l’intérêt du jeu surréaliste. »

André Breton se voulant le grand théoricien du suréalisme, il concepturalise de la manière la plus précise :

« Je le définis donc une fois pour toutes :

SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. Ont fait acte de SURRÉALISME ABSOLU MM. Aragon, Baron, Boiffard, Breton, Carrive, Crevel, Delteil, Desnos, Éluard, Gérard, Limbour, Malkine, Morise, Naville, Noll, Péret, Picon, Soupault, Vitrac. »

Le surréalisme appelle ainsi à prendre au sérieux une imagination purement subjectiviste, formant une « merveille » amenant une confusion entre réel et rêve qu’on dépasse en suivant des sortes de signe, tel Arthur Rimbaud en tant que « poète-voyant ».

Ce que cela peut donner en pratique, André Breton ne le dit pas, puisque de toutes manières « l’inconscient » peut s’exprimer de multiples manières : la vie elle-même deviendrait ici poésie. Cela est naturellement formulé de manière très provocatrice, comme ici dans le second manifeste du surréalisme, publié en 1930 :

« L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolver aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur de canon. »

Ce goût pour la provocation est inévitable, dans la mesure où le surréalisme se veut la véritable force révolutionnaire, la vraie rupture. Le rapport conflictuel au communisme était également inévitable, tout comme la tentative d’y former une cinquième colonne.


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