Le Parti Communiste yougoslave a été constitué par les organisations de l’ex-parti social-démocrate dans les provinces qui forment actuellement la Yougoslavie ; sa création a été le résultat de l’exclusion des éléments de droite et du centre et de l’adhésion à l’Internationale Communiste au Congrès de Boukovar en 1920.

L’essor du Parti Communiste a été favorisé par l’effervescence révolutionnaire qui avait envahi alors l’Europe centrale (avance de l’armée rouge sur Varsovie, occupation des usines métallurgiques en Italie, grèves spontanées en Yougoslavie). En un temps très court, le Parti devint une grande organisation exerçant une influence considérable sur les masses ouvrières et paysannes.

Dmitri Manouïlski et des délégués français au IVe congres de l'IC.

Dmitri Manouïlski et des délégués français au IVe congres de l’IC.

Les résultats des élections municipales où le Parti conquit de nombreuses municipalités (entre autres celle de Belgrade) de même que ceux des élections parlementaires, où le Parti conquit 59 sièges, en sont une preuve.

Cet essor menaçant du Parti Communiste provoqua une panique dans les rangs de l’oligarchie militaire et financière, qui engagea une lutte systématique pour anéantir le mouvement communiste. Après la répression de la grève générale des cheminots (avril 1920), les conseillers municipaux communistes furent chassés de la municipalité d’Agram par cette oligarchie ; la municipalité communiste de Belgrade fut dissoute (août 1920), et le 29 septembre, un décret spécial prononça la dissolution de toutes les organisations communistes et syndicales, ferma tous les organes de la presse communiste et livra les clubs communistes aux social-patriotes.

Au mois de juin fut promulguée la loi sur la défense de la sûreté de l’Etat, qui mettait le Parti Communiste hors la loi et le chassait de ses derniers refuges, le parlement et les municipalités.

Outre les causes objectives provenant de la situation générale du Parti, l’anéantissement du Parti Communiste yougoslave doit être en grande partie attribué à sa faiblesse intérieure : son essor extérieur ne correspondait ni au développement, ni à l’homogénéité de l’organisation, ni au niveau de conscience communiste de ses membres.

Le Parti n’avait pas encore eu le temps d’accomplir son évolution dans la direction du communisme. A l’heure actuelle, il est évident que l’organe directeur du Parti a commis une série de fautes graves dues à sa compréhension erronée des méthodes de lutte dictées par l’Internationale.

Ces fautes ont facilité la tâche du gouvernement contre-révolutionnaire. Pendant que les masses ouvrières, par des grèves spontanées, montraient leur énergie et leur volonté révolutionnaire, le Parti ne fit preuve que d’une très faible initiative. Ainsi en 1920, la police ayant interdit la manifestation du 1° mai à Belgrade, le Comité Central n’essaya même pas de soulever les masses pour protester. Il en fut de même l’année suivante.

De même, le Parti ne prit aucune mesure pour défendre les conseillers municipaux d’Agram et de Belgrade, chassés de leurs municipalités. Sa passivité encouragea le gouvernement et lui donna l’audace d’aller jusqu’au bout. Effectivement, à la fin de décembre, ce dernier profita de la grève des mineurs pour procéder à la dissolution du Parti et des syndicats. Et, même à ce moment critique, ce Parti, qui avait obtenu 59 sièges aux élections parlementaires, n’entreprit aucune action de masse !

Si le Parti restait passif devant les coups terribles que lui portait la réaction, c’est qu’il manquait d’une base communiste solide.

Les vieilles conceptions social-démocrates pesaient encore sur lui. Quoique le Parti eût adhéré à l’Internationale Communiste (ce qui montrait que les masses étaient disposées à la lutte), ses chefs ne se sentaient pas encore à leur aise dans la nouvelle voie. Ainsi, ils n’osèrent pas publier les 21 conditions adoptées par le 2° Congrès mondial, non plus que les thèses sur le parlementarisme révolutionnaire. Et ainsi le Parti et les masses qui le suivaient ignoraient complètement les exigences que l’Internationale Communiste posait aux partis qui désiraient entrer dans son sein.

Les chefs du Parti ne prirent également aucune mesure sérieuse pour préparer le Parti et les masses à la lutte dans tous les domaines contre le réaction menaçante. Ils concentrèrent toute leur attention sur les victoires électorales du Parti et se gardèrent d’effrayer les éléments petits-bourgeois en leur montrant ce qu’était un parti communiste et quelles étaient ses méthodes de lutte. Pendant que l’oligarchie militaire et financière de Belgrade se préparait à une lutte décisive, impitoyable et furieuse contre le mouvement révolutionnaire ouvrier, le Comité Central du Parti Communiste yougoslave, consacrait toute son attention et toutes ses forces à des questions secondaires, telles que le parlementarisme, et laissait le Parti inorganisé et exposé à tous les coups.

Ce fut là l’erreur fondamentale.

Le Parti yougoslave s’est montré complètement impuissant et incapable de se défendre contre la terreur blanche. Il ne possédait pas d’organisations clandestines lui permettant d’agir dans les nouvelles conditions et de se maintenir en liaison avec les masses. Jusqu’à la dissolution du groupe parlementaire, les députés communistes avaient été le seul lien entre le centre et les provinces. Ce lien fut rompu par la dissolution du groupe parlementaire. L’arrestation des principaux chefs, au centre et dans la province, décapita le mouvement.

Par suite, le Parti cessa presque d’exister. Le même sort atteignit les organisations locales qui se virent abandonnées des ouvriers livrés à eux-mêmes. Les social-démocrates, avec l’aide de la police, essayèrent de profiter de la situation, mais sans grand succès.

Sous le régime de la terreur, l’organe central du Parti fixa petit à petit de nouvelles formes d’organisation et de nouvelle méthodes de lutte dictées par les nouvelles conditions.

Il resta longtemps passif dans l’attente que la terreur cesserait d’elle-même, sans une intervention active des masses prolétariennes. Il comptait presque exclusivement sur les dissensions intestines éventuelles entre les classes et les partis dirigeants. Ce n’est que lorsque expira l’espoir de l’amnistie attendue pour les communistes condamnés, que le Comité Central commença à se réorganiser, afin de rappeler le Parti à la vie.

Ce n’est qu’en juillet 1922 que fut tenue la première séance plénière élargie du Comité Central à Vienne.

La conférence de Vienne mérite d’être saluée comme le premier essai de restauration du Parti, malgré les défauts de sa composition et son attitude envers les statuts du Parti. Les conditions dans lesquelles se trouvait alors le pays, les changements survenus dans la composition du Parti à la suite des arrestations de ses membres, de la trahison de quelques autres et surtout de sa passivité d’un an et demi, ne permettaient pas d’escompter à cette conférence une représentation véritable du Parti.

C’est pourquoi le Comité Exécutif de l’I.C. agit sagement en reconnaissant comme représentation suffisamment autorisée du Parti yougoslave le groupe des délégués de la conférence de Vienne dont il confirma les résolutions, en y introduisant toutefois quelques changements parfaitement justifiés sur la composition du nouveau Comité Central. C’est pourquoi la tentative de quelques camarades yougoslaves de faire échouer la conférence en refusant d’y prendre part doit être, malgré la loyauté des intentions de ces camarades, considérée comme nuisible aux intérêts du Parti et, par suite, condamnable.

Les résolutions de la conférence de Vienne sur la situation générale en Yougoslavie et les tâches prochaines du Parti Communiste, sur le mouvement professionnel, la réorganisation du Parti, et la résolution de la 3° Conférence de la Fédération Communiste des Balkans, confirmées sans réserve par le Comité Exécutif de l’I.C., ne provoquèrent aucun désaccord essentiel entre les représentants de la majorité et de la minorité de la conférence.

Cette unanimité dans les questions essentielles, au moment actuel, est une preuve convaincante qu’il n’y a aucune raison de diviser le Parti yougoslave en fractions sous le nom de majorité et de minorité, et que la scission survenue à la conférence de Vienne entre les groupes dirigeants fut exclusivement provoqués par des raisons personnelles.

Au moment de sa renaissance, le Parti yougoslave doit être considéré comme un tout ayant une unité intérieure parfaite.

Cette unité doit être sauvegardée dans l’avenir. En face de la furieuse réaction capitaliste et social-démocrate, rien ne peut être plus nuisible au Parti et au mouvement révolutionnaire yougoslave que le fractionnement. C’est pourquoi il est du devoir du nouveau Comité Central yougoslave de faire tout ce qui dépend de lui pour prendre les mesures nécessaires propres à apaiser les esprits à l’intérieur du Parti, à dissiper les méfiances personnelles, à restaurer la confiance mutuelle des membres du Parti et à rallier tous les militants restés à leur poste et exposés aux rigueurs de la contre-révolution.

A cet effet il est nécessaire, d’un part, de réaliser les décisions de la conférence de Vienne en ce qui concerne l’épuration du Parti de ses éléments indignes ; d’autre part, de confier des travaux importants aux militants de la minorité de la conférence de Vienne. Sous ce rapport, la Fédération Communiste des Balkans peut être d’une aide précieuse ; mais pour cela, il est nécessaire d’entrer en liaison avec elle et, à l’exemple des autres partis communistes des Balkans, d’envoyer immédiatement un représentant au Comité Exécutif de la Fédération des Balkans.

L’Internationale Communiste doit aider effectivement au relèvement du Parti yougoslave. Le Comité Exécutif doit, plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent, se tenir en liaison étroite avec le Comité Central du Parti yougoslave. Mais l’avenir du Parti est surtout entre les mains des militants actifs, politiquement et moralement sains.

C’est sur eux que compte l’Internationale Communiste et c’est à eux qu’elle s’adresse. Riches de la dure expérience d’un passé récent, bien organisés, unis dans le même idéal, animés d’une foi ardente dans le triomphe de la révolution mondiale, ces militants sauront réunir et grouper derrière eux les éléments prolétariens dispersés et restés sans chef, organiser et fortifier le secteur yougoslave de la Fédération Communiste des Balkans. Le Congrès charge le Comité Exécutif de l’I.C. de prendre toutes les mesures d’organisation nécessitées par les circonstances.


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