Les 2° et 3° Congrès de l’Internationale Communiste se sont déjà occupés en détail de la question italienne. Le 4° Congrès est donc en mesure de tirer certaines conclusions.

Vers la fin de la guerre impérialiste mondiale, la situation en Italie était objectivement révolutionnaire.

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La bourgeoisie avait lâché les rênes du pouvoir. L’appareil de l’Etat bourgeois était détraqué, l’inquiétude s’était emparée de la classe dominante. Les masses ouvrières étaient lasses de la guerre et dans diverses régions se trouvaient même en état d’insurrection. Des fractions considérables de la classe paysanne commençaient à se soulever contre les propriétaires fonciers et contre l’Etat et étaient disposées à soutenir la classe ouvrière dans sa lutte révolutionnaire. Les soldats étaient contre la guerre et prêts à fraterniser avec les ouvriers.

Les conditions objectives d’une révolution victorieuse étaient réalisées. Il ne manquait plus que le facteur subjectif ; il manquait un parti ouvrier décidé, prêt au combat, conscient de sa force, révolutionnaire, en un mot : un véritable Parti Communiste.

D’une façon générale, à la fin de la guerre, une situation analogue existait dans presque tous les pays belligérants. Si la classe ouvrière n’a pas triomphé en 1919-1920 dans les pays les plus importants, cela provient précisément de l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire. C’est ce qui s’est manifesté plus particulièrement en Italie, pays qui était le plus rapproché de la révolution et qui traverse actuellement une période de contre-révolution.

L’occupation des usines par les ouvriers italiens, en automne 1920, a constitué un moment décisif dans le développement de la lutte des classes en Italie. Instinctivement, les ouvriers italiens poussaient à la solution de la crise dans un sens révolutionnaire.

Mais l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire décida du sort de la classe ouvrière, consacra sa défaite et prépara le triomphe actuel du fascisme. La classe ouvrière n’a pas su trouver suffisamment de forces, au point culminant de son mouvement, pour s’emparer du pouvoir ; voilà pourquoi la bourgeoisie, en la personne du fascisme, son aile la plus énergique, réussit bientôt à faire mordre la poussière à la classe ouvrière et à établir sa dictature.

Nulle part, la preuve de la grandeur du rôle historique d’un Parti Communiste pour la révolution mondiale n’a été fournie d’une façon plus nette que dans ce pays, où précisément, faute d’un tel parti, le cours des événement a pris une tournure favorable à la bourgeoisie.

Non pas qu’il n’y ait pas eu en Italie, pendant ces années décisives, de parti ouvrier : le vieux Parti Socialiste était considérable par le nombre de ses membres et jouissait, extérieurement du moins, d’une grande influence. Mais il abritait dans son sein des éléments réformistes qui le paralysaient à chaque pas.

Malgré la première scission qui avait eu lieu en 1912 (exclusion de l’extrême-droite) et en 1914 (exclusion des Francs-Maçons), il restait encore dans le Parti Socialiste Italien, en 1919-1920, un grand nombre de réformistes et de centristes. A tous les moments décisifs, les réformistes et les centristes étaient comme un boulet aux pieds du Parti. Nulle part ils n’étaient autre chose que des agents de la bourgeoisie dans le camp de la classe ouvrière.

Aucun moyen ne fut négligé pour trahir la classe ouvrière au profit de la bourgeoisie. Des trahisons analogues à celles qui furent commises par les réformistes pendant l’occupation des usines en 1920 se rencontrent fréquemment dans l’histoire du réformisme, qui n’est qu’une chaîne ininterrompue de trahisons. Les souffrances effroyables de la classe ouvrière italienne sont dues en première ligne aux trahisons des réformistes.

Si la classe ouvrière italienne est obligée en ce moment de reprendre, pour ainsi dire, par le commencement, un chemin terriblement dur à parcourir, c’est parce que les réformistes ont été trop longtemps tolérés dans le Parti Italien.

Au début de 1921 se produisit la rupture de la majorité du Parti Socialiste avec l’Internationale Communiste. A Livourne, le centre préféra se séparer de l’Internationale Communiste et de 58.000 communistes italiens, simplement pour ne pas rompre avec 16.000 réformistes.

Deux partis se constituèrent : d’une part, le jeune Parti Communiste qui, en dépit de tout son courage et de tout son dévouement, était trop faible pour mener la classe ouvrière à la victoire ; d’autre part, le vieux Parti Socialiste dans lequel, après Livourne, l’influence corruptrice des réformistes alla grandissante. La classe ouvrière était divisée et sans ressources. Avec l’aide des réformistes, la bourgeoisie consolida ses positions.

C’est alors seulement que commença l’offensive du capital dans le domaine tant économique que politique. Il fallut presque deux années entières de trahison ininterrompue de la part des réformistes pour que même les chefs du centre, sous la pression des masses, reconnaissent leurs erreurs et se proclament prêts à en tirer les conséquences.

Ce n’est qu’au Congrès de Rome, en octobre 1922, que les réformistes furent exclus du Parti Socialiste. On en était arrivé au point que les chefs les plus en vue des réformistes pouvaient se vanter ouvertement d’avoir réussi à saboter la révolution en restant dans le Parti Socialiste Italien et en paralysant son action aux heures décisives. Les réformistes ont maintenant quitté les rangs du Parti Socialiste Italien et sont passés ouvertement dans le camp de la bourgeoisie. Ils ont cependant laissé dans les masses un sentiment de faiblesse, d’humiliation et de déception et affaibli considérablement, numériquement et politiquement, le Parti Socialiste.

Cette triste, mais très édifiante leçon des événements d’Italie doit profiter à tous les ouvriers conscients du monde entier.

1° Le réformiste : voilà l’ennemi.

2° Les hésitations des centristes constituent un danger mortel pour un parti ouvrier.

3° La condition la plus importante de la victoire du prolétariat, c’est l’existence d’un Parti Communiste conscient et homogène.

Tels sont les enseignements de la tragédie italienne.

En considération de la décision par laquelle le Congrès du Parti Socialiste Italien à Rome (octobre 1922) exclut les réformistes du parti et se déclare prêt à adhérer sans réserves à l’Internationale Communiste, le 4° Congrès de l’Internationale Communiste décide :

1. La situation générale en Italie, surtout après la victoire de la réaction fasciste, exige impérieusement la fusion rapide de toutes les forces révolutionnaire du prolétariat. Les ouvriers italiens reprendront courage s’ils voient se produire,après les défaites et les scissions, une nouvelle concentration de toutes les forces révolutionnaires.

2. L’Internationale Communiste adresse au prolétariat italien, si lourdement éprouvé, ses salutations fraternelles. Elle est parfaitement convaincue de la sincérité des éléments prolétariens du Parti Socialiste Italien et décide de recevoir ce parti dans l’Internationale Communiste.

3. Le 4° Congrès mondial considère l’application des 21 conditions comme une chose hors de toute discussion. Il charge donc l’Exécutif de l’I.C., en raison des précédents italiens, de veiller avec un soin particulier à l’application de ces conditions, avec toutes les conséquences qui en résultent.

4. Vu qu’au Congrès du Parti de Rome, le député Vella s’est déclaré contre l’acceptation des 21 conditions, le 4° Congrès estime impossible d’accepter Vella et ses partisans dans l’Internationale Communiste et invite le Comité Directeur du Parti Socialiste Italien à exclure du Parti Vella et ses partisans.

5. Attendu qu’en vertu des statuts de l’Internationale Communiste, il ne saurait y avoir dans un pays plus d’une section de l’I.C., le 4° Congrès mondial décide la fusion immédiate du Parti Communiste et du Parti Socialiste italien. Le Parti unifié portera le nom de « Parti Communiste Unifié d’Italie (section de l’Internationale Communiste) ».

6. Pour la réalisation pratique de cette fusion, le 4° Congrès désigne un Comité spécial d’organisation, composé de deux membres de chaque parti, comité qui fonctionnera sous la présidence d’un membre de l’Exécutif.

Sont élus à ce Comité d’organisation :

Pour le Parti communiste, les camarades Bordiga et Tasca.

Pour le Parti Socialiste, Serrati et Maffi.

Pour l’Exécutif, Zinoviev (avec le droit pour l’Exécutif de remplacer, en cas de besoin, Zinoviev par un autre membre de l’Exécutif, de même que les quatre autres membres du Comité).

Ce Comité devra élaborer dès à présent, à Moscou, les conditions détaillées de la fusion en Italie. Il est subordonné dans tout son travail à l’Exécutif.

7. Dans les diverses régions et dans les grandes villes, des comités d’organisation analogues seront également constitués et seront composés de deux membres du Parti Communiste (un de la majorité, un de la minorité), deux camarades du Parti Socialiste (un des maximalistes, un des terzinternazionalistes), le président étant nommé par le représentant de l’Exécutif.

8. Ces comités d’organisation ont pour tâche, non seulement de préparer, au centre et dans la périphérie, la fusion organique, mais aussi de diriger désormais les actions politiques communes des deux partis.

9. En outre, un Comité Syndical sera immédiatement constitué et aura pour tâche de flétrir, à la Confederazione del Lavoro, la trahison des hommes d’Amsterdam et de gagner la majorité de l’organisation à l’Internationale Syndicale Rouge. Ce Comité sera également composé de deux représentants de chaque parti (un de la majorité, un de la minorité du Parti Communiste ; un des maximalistes et un des terzinternazionalistes), sous la présidence d’un camarade désigné par l’Exécutif de l’Internationale Communiste ou par son Présidium.

10. Dans les villes où existent un journal communiste et un journal socialiste, ils devront fusionner au plus tard le 1° janvier 1923. Le 1° janvier 1923 au plus tard, un organe central commun devra commencer à paraître. La rédaction de cet organe central sera désignée par l’Exécutif pour l’année prochaine.

11. Le Congrès de la fusion devra avoir lieu au plus tard le 15 février 1923. Si, avant ce Congrès commun, des congrès spéciaux des deux partis sont nécessaires, c’est l’Exécutif qui décidera de la date, du lieu et des conditions de ces congrès.

12. Le Congrès décide de lancer un manifeste sur la question de la fusion, manifeste qui devra être immédiatement publié avec la signature du Présidium et des délégués des deux Partis au 4° Congrès.

13. Le Congrès rappelle à tous les camarades italiens la nécessité de la plus stricte discipline. Tous les camarades, sans exception, sont tenus de faire tout leur possible pour que la fusion s’opère sans gêne et au plus tôt. Toute faute contre la discipline constituerait dans la situation actuelle un crime contre le prolétariat italien et l’Internationale Communiste.


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