logo_du_profintern_en_1922-2.pngLes Comités Exécutifs de l’Internationale Communiste et de l’Internationale des Syndicats Rouges, après avoir étudié au cours de trois séances la situation mondiale et celle du prolétariat international, ont acquis la conviction que les circonstances présentes rendaient nécessaires la concentration de toutes les forces du prolétariat mondial et la formation sur un front unique de tous les partis qui ont leur appui dans la classe ouvrière, sans égards aux divergences qui les séparent, pourvu qu’ils soient tous animés du désir de combattre pour les revendications les plus pressantes de la classe ouvrière.

L’Exécutif de l’I.C. convoque pour le 10 février 1922 une Conférence Internationale pour laquelle toutes les sections de l’I.C. sont priées de mandater une représentation double de leur représentation ordinaire. L’Exécutif de l’I.C. invite tous les Partis Communistes à se déclarer hautement pour l’unité du front prolétarien.

Travailleurs et travailleuses ! Trois années se sont écoulées depuis la fin de la guerre impérialiste au cours de laquelle vos existences ont été sacrifiées sans mesure aux intérêts du capital. En ces trois années, le capital international, jouissant de sa pleine liberté d’action, s’est trouvé en mesurée de montrer qu’il était incapable de créer un ordre social assurant aux masses laborieuses un minimum de bien-être et de sécurité.

Le résultat est clair.

Le chaos de l’économie mondiale

Six millions de chômeurs aux Etats-Unis ; en Angleterre, deux millions ; dans les pays neutres enrichis par la guerre, chômage croissant par suite du manque de débouchés pour l’exportation.

Misère navrante des pays ruinés de l’Europe orientale et centrale : Russie, Balkans, Turquie, etc., etc.

Pour rétablir leur vie économique, c’est-à-dire pour que les pays ruinés puissent entretenir leur industrie, ils ont besoin d’importer des quantités énormes d’articles variés.

Au centre de l’Europe, l’Allemagne, déployant une activité fiévreuse, exporte dans le monde entier ses marchandises à des prix défiant toute concurrence. Si elle ignore le chômage, la condition de ses travailleurs est néanmoins pire que celle des sans-travail anglais. La crise des logements s’aggrave, les impositions s’alourdissent.

Le monde qui retentissait naguère du cri de : « Malheur aux Vaincus ! » entendra bientôt le : « Malheur aux Vainqueurs ! » La bourgeoisie ne réussit pas à y ramener la paix. Les ruines du Nord de la France, de la Belgique, de la Serbie, de la Roumanie, de la Pologne, de la Russie ne sont pas encore déblayées. Et le capital des pays victorieux cherche à imposer les charges du relèvement de l’Europe à la seule Allemagne. La conséquence de ce fait est que celle-ci est condamnée à succomber à son tour sous un fardeau écrasant. Où la bourgeoisie tente une œuvre de restauration, elle en fait l’objet de marchandages et de combinaisons destinés à engendrer infailliblement de nouveaux conflits.

Trois ans de guerre impérialiste, puis trois ans d’interventions armées de l’Entente, ont, en dépit de l’héroïque résistance du pouvoir des Soviets, ravagé la Russie, grenier de l’Europe. La sécheresse de l’été dernier, menaçant de provoquer la mort par la famine de 25 millions d’hommes, fait en outre de la reconstitution de la Russie un problème de vie ou de mort pour des millions d’ouvriers et de paysans russes. Aussi les gouvernements bourgeois les plus aveugles commencent-ils à se rendre compte qu’on ne peut, sans reconnaître diplomatiquement la Russie des Soviets et sans la restaurer économiquement, ni résoudre la crise économique mondiale, ni pallier même temporairement aux difficultés politiques internationales.

Tant que la Russie ne reparaîtra pas sur le marché à la fois en qualité de débouché pour l’exportation et de fournisseur de matières premières l’économie mondiale restera mutilée. Tant que la Russie Soviétiste ne sera pas garantie contre de nouvelles agressions, elle devra entretenir sous les armes une puissante armée rouge, et les petits Etats capitalistes, ses voisins, pourront toujours, par leurs agressions réitérées, provoquer une nouvelle conflagration mondiale.

La bourgeoisie refuse cependant tout secours aux affamés de Russie, espérant que leurs souffrances rendront les Soviets plus accommodants. Les exigences du capital mondial tendent à amener le gouvernement des Soviets à abdiquer, pour être reconnu, sa souveraineté en faveur d’un consortium financier international qui se conduirait en Russie comme en Chine ou en Turquie.

Le peuple russe, après avoir pendant quatre années résisté les armes à la main aux tentatives d’instaurer en Russie, par la dictature des Blancs, un régime semblable, résistera de tout son pouvoir à ces nouvelles tentatives de le réduire « pacifiquement » en esclavage. C’est pourquoi la rentrée de la Russie dans la vie économique du monde et le problème de la paix générale vont être les objets de luttes nouvelles.

Mais les rapports du capital mondial avec la Russie Soviétiste et l’Allemagne ne constituent pas la seule source de nouveaux ébranlements. La Conférence de Washington, qui s’est évertuée à résoudre les problèmes de l’Extrême-Orient, les a laissés sans solution. Le peuple chinois de 400 millions d’hommes continue à être l’objet de marchandages et de compétitions entre les puissances.

Conscientes de leur incapacité à résoudre ces conflits ou à renoncer au pillage de la Chine, les puissances viennent de conclure une quadruple alliance qui prouvent seulement qu’elles reconnaissent la grandeur du péril et qu’elles s’efforcent de s’empêcher les unes les autres d’agir séparément. Les armements terrestres, on n’a pas osé les diminuer, même sur le papier. Le désarmement maritime, dont on avait tant parlé, se réduit à une dérisoire comédie : retraite des unités vieillies, restriction de construction de dreadnoughts, développement de la flotte sous-marine et aérienne, recherche de nouveaux gaz asphyxiants pour empoisonner quelque jour des peuples entiers.

L’offensive capitaliste

Incapables de s’unir entre eux pour la restauration de la société, incapables de lui assurer le pain et la paix, les capitalistes de tous les pays se liguent pour prendre l’offensive contre la classe ouvrière. Partout ils s’évertuent à réduire encore des salaires qui ne permettent même plus aux travailleurs de mener leur misérable train de vie d’avant-guerre. Partout, malgré le chômage, ils veulent prolonger la journée de travail. C’est dans le monde entier que le capital a déclenché son offensive contre la classe ouvrière. Il ne peut pas agir autrement. La guerre l’a accablé de dettes publiques accrues encore par la paix impérialiste. Les gouvernements capitalistes n’osent pas annuler ces dettes de guerre. Quelqu’un doit cependant en supporter le poids : ce sera évidemment la classe ouvrière.

Qu’est-ce que les dettes publiques ? Elles ne représentent que le droit des capitalistes de s’approprier, sans participer à la production, une part nouvelle du produit du labeur prolétarien.

Et l’offensive patronale tend à forcer les ouvriers à produire davantage afin que les profiteurs de la guerre et les spéculateurs de la paix puissent s’approprier une part sans cesse croissante du produit du labeur prolétarien.

Le prolétariat qui, pendant la guerre, permit aux capitalistes, par sa docilité et son travail, de dévaster le monde, devrait maintenant, au prix d’un labeur excédant, permettre aux profiteurs de continuer, sur les ruines accumulées, une existence fastueuse.

Les résultats du réformisme

Pendant trois ans, travailleurs, vous avez espéré que votre sort s’améliorerait, que les capitalistes tiendraient leurs promesses de guerre, que vous auriez enfin la démocratie, l’indépendance, la paix, la liberté. Vos illusions sont aujourd’hui dissipées. Au lieu d’obtenir la nationalisation des mines, les mineurs anglais ont dû subir des réductions de salaires. Les travailleurs allemands, qui se sont longtemps leurrés de l’espoir de socialiser pacifiquement les moyens de production, voient maintenant les rois de l’industrie allemande, les Stinnes et leurs pareils, tenter l’expropriation des chemins de fer de l’Etat et exporter leurs richesses à l’étranger afin d’en éviter la saisie. La France est de plus en plus à la merci d’un capitalisme que la guerre a rendu plus homogène.

Aux Etats-Unis, le gouvernement du parti républicain signifie le règne avoué des grands trusts. Partout, les allocations de cherté de vivres sont supprimées. Qui ne peut payer le pain au prix fort n’a qu’à mourir de faim. La démocratie d’après-guerre n’est que l’écran qui masque le pouvoir réel des spéculateurs de guerre et les complots, forgés contre les peuples, d’une diplomatie sans cerveau.

Dans nombre de pays capitalistes, la terreur blanche sévit. Aux Indes et en Egypte, c’est par le terrorisme, jusqu’ici resté le privilège des minorités infimes contre les masses, que l’oligarchie anglaise se maintient. Aux Etats-Unis, en Pologne, en Roumanie, en Yougo-Slavie, en Espagne, les syndicats sont hors la loi.

Toutes les promesses des Internationales 2 et 2½ et de la Fédération Syndicale d’Amsterdam sont tombées à l’eau. Ces unions internationales n’ont pas su vous mener au combat, ne fût-ce que pour la démocratie et pour les réformes, parce que leur coalition avec la bourgeoisie les condamne à l’impuissance et que, bon gré mal gré, elles ne peuvent plus que servir à l’affermissement de la classe possédante.

Le front unique est indispensable

Prolétaires ! Ces expériences devraient montrer, même aux plus aveugles, combien l’Internationale Communiste avait raison de dire que la classe ouvrière ne peut s’émanciper qu’en brisant le pouvoir de la bourgeoisie, en érigeant le sien propre, en s’associant internationalement pour déblayer les ruines de la guerre et commencer l’œuvre de reconstitution. Nous savons cependant quelle est encore la force des liens du passé, des influences de l’école, de la presse et des églises capitalistes.

Nous n’ignorons pas combien les grandes masses ouvrières redoutent encore la prise du pouvoir et d’avoir à se forger elles-mêmes leur propre destinée. Nous savons combien les grandes masses ouvrières ont été intimidées par les défaites que les minorités communistes ont essuyées dans leur lutte contre la mise en esclavage du prolétariat. Nous connaissons les menées de la presse capitaliste internationale, qui cherche à vous impressionner en montrant les blessures que le prolétariat russe isolé a reçues dans son duel inégal avec le capitalisme international. Et c’est justement parce que nous savons tout cela que nous vous crions :

Vous n’osez pas encore engager une nouvelle bataille, vous n’osez pas encore prendre les armes pour la dictature du prolétariat et donner l’assaut aux forteresses de la réaction mondiale. Ralliez-vous du moins pour défendre votre existence quotidienne, pour conquérir plus de pain et la paix ! Pour cette action, ne formez qu’un front unique. Opposez la classe ouvrière tout entière à la classe des exploiteurs ! Détruisez les obstacles qu’on a dressés entre vous ! Communistes, social-démocrates, anarchistes, syndicalistes, prenez place dans le rang pour combattre la misère présente.

L’Internationale Communiste a toujours appelé les travailleurs qui reconnaissent les principes de la dictature du prolétariat et du régime des Soviets à se former en parti indépendant. Elle ne rétracte pas un mot de ce qu’elle a dit jusqu’à présent de la nécessité de former des Partis Communistes. Elle est convaincue que des masses chaque jour accrues se rendront compte de la justesse de ses vues. Mais en dépit de tout ce qui les sépare, les travailleurs communistes des autres organisations politiques, l’I. C. tient à leur dire à tous :

Travailleurs et travailleuses de tous les pays ! Serrez les rangs pour défendre les revendications qui vous sont communes à tous et qui doivent vous unir !

Tous les travailleurs sans exception — y compris les adhérents des syndicats chrétiens ou libéraux — ne veulent pas d’une nouvelle réduction de salaires. Ils se refusent à travailler de plus longues tournées en souffrant de la faim et du froid. Il faut donc les unir en un front prolétarien unique contre l’offensive patronale.

Tous les travailleurs sans exception ne veulent pas quémander du travail de porte en porte. Tous ils appréhendent d’être jetés sur le pavé. Ils doivent donc s’unir pour combattre tout ce qui aggrave le chômage. Et le chômage s’étendra encore dans les pays industriels si le prolétariat allemand, réduit à l’esclavage par le capital germanique et par celui de l’Entente, continue à peiner pour des salaires avilis, permettant ainsi à l’Allemagne de payer ses tributs de guerre et d’inonder les marchés étrangers d’articles à bon marché.

Le chômage s’étendra encore si le monde capitaliste impose à la Russie Soviétiste l’asservissement et l’esclavage ou l’oblige, affamée, à se défendre encore les armes à la main.

Unissez-vous donc, travailleurs, pour exiger l’annulation des dettes de guerre, pour résister à l’égorgement de l’Allemagne, pour que les conditions de reconnaissance de la Russie des Soviets soient conformes aux intérêts du prolétariat international.

Le chômage n’est pas la seule blessure du prolétariat. Le gâchis de la production, la liberté de produire et d’exporter laissée aux seuls capitalistes, le menacent aussi. Le monde appauvri a besoin d’une répartition systématique et d’une exploitation méthodique des matières premières. Il a besoin du contrôle de la production, tant que ses organes élus n’auront pas la possibilité de contrôler les agissements des désorganisateurs de la production. Unissez-vous donc, travailleurs, pour conquérir le contrôle de la production, exigé non seulement par les intérêts du prolétariat, mais encore par les intérêts des couches les plus larges de la petite bourgeoisie, gravement atteintes, elles aussi, par la hausse continue des prix.

Tous les travailleurs, qu’ils soient communistes, social-démocrates, syndicalistes, ou même adhérents des syndicats chrétiens et libéraux, ont un intérêt égal à empêcher la diplomatie capitaliste de provoquer une nouvelle conflagration mondiale, et à mettre fin à ses menées criminelles. Unissez-vous donc, travailleurs, contre les armements et contre les intrigues capitalistes.

Préparez le front unique à l’atelier !

L’Internationale Communiste invite les travailleurs communistes et avec eux tous les travailleurs honnêtes à s’unir partout et dans tous les pays, à l’atelier comme dans les réunions publiques, et à ne former qu’une famille étroitement solidaire en présence de toutes les misères du temps présent. Suscitez la volonté de fer de l’unité prolétarienne, contre laquelle toutes les tentatives de division, d’où qu’elles puissent venir, se briseront infailliblement. Si vous vous unissez, prolétaires des villes et des champs, tous les partis qui veulent être écoutés du prolétariat seront, eux aussi, contraints de s’unir contre le capital et de rompre leur alliance avec les partis capitalistes.

Aussitôt que le prolétariat se sera rallié, il lui deviendra possible d’user des droits que lui confère la prétendue démocratie capitaliste, en vue d’améliorer son sort et de consolider ses positions acquises. Et nous vous le disons à l’avance : le géant prolétarien ne peut déployer sa force dans le poulailler bourgeois.

Quand vous aurez commencé l’action, vous verrez qu’il faut, pour vaincre, l’épée de la dictature. Mais nous n’ignorons pas que cette dictature ne sera possible que lorsque la grande majorité du prolétariat y adhérera en vertu de ses propres expériences. C’est pourquoi l’Internationale et les Partis Communiste veulent, avec patience et fraternité, marcher de pair avec tous les autres prolétaires, si même ceux-ci se placent sur le terrain de la démocratie capitaliste. Si vous vous unissez, si l’ensemble du prolétariat se met en mouvement, nous savons qu’il reconnaîtra bientôt la grandeur de ses forces et que les bourgeoisies, aujourd’hui maîtresses de la situation, baisseront vite le ton.

Convaincus inébranlablement que vous finirez par entrer dans la voie déjà marquée du sang des meilleurs d’entre vous, dans laquelle des centaines de millions d’ouvriers russes ont persévéré jusqu’à la mort, dans laquelle Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Leo Jogiches et des centaines de militants inconnus ont donné leur vie, tandis que d’autres étouffent dans les prisons, convaincus inébranlablement que le prolétariat militant finira par entrer dans la voie du Communisme, nous vous crions :

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Pour l’unité du front prolétarien contre la bourgeoisie ! Contre l’offensive patronale ! Pour le contrôle de la production ! Contre les armements et les complets capitalistes ! Contre l’asservissement des travailleurs d’Allemagne ! Bas les mains devant la Russie des Soviets ! Du pain et des machines pour le prolétariat russe ! Vive la solidarité prolétarienne dans chaque pays et dans le monde entier.

L’Exécutif de l’Internationale Communiste.

L’Exécutif de l’Internationale Syndicale rouge.

Moscou, 1er janvier 1922.


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