On sait qu’Amada défend la théorie selon laquelle nous devrions passer par une étape intermédiaire (baptisée « démocratie populaire ») avant de pouvoir assister à ta révolution prolétarienne, cette étape ne serait plus tout à fait la dictature de la bourgeoisie mais ne serait pas encore la dictature du prolétariat. Amada s’oppose au maintien du mot d’ordre de révolution prolétarienne. Un de ses arguments principaux est que celui-ci entre en contradiction avec les nécessités de la lutte pour l’indépendance nationale. Mais, avant d’aborder ces questions, nous devons examiner une théorie particulière défendue par Amada avec persévérance, celle de l’occupation inévitable de la Belgique.
« Notre pays sera occupé par le social-impérialisme » (Libelle anti-parti diffusé le 4 mars 1978, page 14) ; « La classe ouvrière de Belgique sera confrontée avec une agression fasciste qui conduira à un régime d’occupation étrangère et de terreur fasciste » (Programme pour la Paix, l’indépendance Nationale, la Démocratie et le Socialisme, p. 59).
Voilà ce que prophétise Amada depuis plusieurs années déjà. Il s’agit bien là en effet d’une prophétie et de rien d’autre, c’est un simple préjugé qui ne repose sur aucune base sérieuse. Ce n’est pas que l’éventualité de l’occupation de l’Europe soit à exclure. Au contraire, ce danger existe et nous devons en tenir sérieusement compte.
Les marxistes-léninistes estiment que la rivalité des deux super-puissances impérialistes, l’URSS et les USA, mène nécessairement à la guerre ; ils estiment que le point-clef de cette rivalité est l’Europe, parce que celle des deux super-puissances qui pourrait prendre le contrôle de l’Europe emporterait un avantage stratégique décisif sur l’autre ; ils estiment enfin que l’Union Soviétique constitue le danger le plus grand pour l’indépendance nationale des pays d’Europe occidentale et que les dirigeants soviétiques rêvent furieusement de déclencher un jour où l’autre une agression contre celle-ci. Mais pouvons-nous en déduire que cette agression sera nécessairement victorieuse et que la Belgique, voire l’Europe entière tombera inéluctablement sous la botte soviétique ?
Assurément pas !
Pourquoi ?
Premièrement, parce que nous sommes des marxistes et pas des devins et parce qu’il est puéril de vouloir déterminer d’avance le déroulement historique comme le fait Amada.
Deuxièmement et surtout, parce que nous devons nous préparer à faire face à une telle agression soviétique et que nous luttons non pas pour la beauté du geste mais pour la victoire. Prophétiser la défaite, l’occupation inéluctable comme le fait Amada ne peut qu’affaiblir notre résolution, ne peut avoir qu’un effet démobilisateur. Aujourd’hui, c’est vrai, le social-impérialisme parait puissant, tandis que l’Europe est encore relativement désunie et faible.
Mais devons-nous tenir cette situation pour immuable ? Non. Nous devons voir les deux aspects des choses tout d’abord, le social-impérialisme est une puissance montante, offensive mais qui voit se former contre elle un front uni mondial toujours plus tort ; ensuite, l’Europe est faible mais elle lutte pour s’unir et se renforcer devant la menace. Devons-nous lutter pour développer cette tendance ou bien pousser de grands cris sur l’occupation future inévitable de la Belgique ? Nous devons lutter bien, entendu, et lutter dans le but de vaincre.
Que signifie « se préparer à la guerre » Cela signifie que les pays et les peuples d’Europe doivent mettre à profit la période actuelle pour se renforcer moralement et matériellement et qu’ils doivent porter des coups toujours plus forts aux deux super-puissances et avant tout l’URSS. Ainsi, nous pourrons affaiblir l’agresseur potentiel et retarder au maximum le moment de l’agression afin de nous trouver dans les meilleures conditions possibles pour y faire face.
Le deuxième Congrès du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Belgique affirme que la bourgeoisie monopoliste est la cible de la révolution prolétarienne en Belgique. Quelle est l’attitude d’Amada sur cette question ?
« Nous ne la combattons pas (la bourgeoisie monopoliste) avec un programme qui vise son renversement armé immédiat, dit Amada (« Tout le Pouvoir aux Ouvriers numéro 15, 1977, p. 11). Nous luttons contre la bourgeoisie monopoliste pour le maintien (!) et le développement (!) des droits démocratiques et pour l’amélioration (!!!) des conditions de vie et de travail».
Relisez ce passage, camarades, car il est extrêmement révélateur de la politique réelle d’Amada ; il dit presque franchement ce qui est dit de façon détournée dans toute la propagande de cette organisation. Lisez-le, c’est une profession de foi réformiste ! « Nous ne voulons pas le renversement armé de la bourgeoisie », disent les amadistes mais seulement le « maintien », le « développement », l’« amélioration »… N’est-ce pas clair ? Voilà l’explication du mot d’ordre d’Amada « pour la démocratie, l’indépendance nationale et le progrès social » c’est un mot d’ordre de réformes sous le régime bourgeois.
On ne doit pas se méprendre sur le sens du mot immédiat dans la citation, il ne signifie pas à bref délai (personne d’ailleurs n’a prétendu que le renversement de la bourgeoise serait possible à bref délai) ; c’est bien pour toute une période historique qu’Amada refuse de lutter pour le renversement de la bourgeoisie.
L’argument essentiel invoqué par Amada pour justifier ce renoncement à la révolution prolétarienne est celui de la menace soviétique. La lutte révolutionnaire, voyez-vous, constituerait une entrave au développement de la lutte pour l’indépendance nationale face aux deux super-puissances.
Ce raisonnement n’est pas correct, c’est un raisonnement métaphysique et non un raisonnement dialectique. Car la lutte du prolétariat pour l’indépendance nationale est partie intégrante de sa lutte révolutionnaire d’ensemble.
Le programme de la bourgeoisie en matière d’indépendance n’est pas, et ne peut être, un programme conséquent. La bourgeoisie belge présente une certaine tendance à s’opposer aux deux super-puissances, mais elle montre aussi la tendance à se compromettre avec elles, une tendance munichoise ; elle tend à resserrer les liens avec les pays du Tiers-Monde, mais elle n’abandonne pas pour autant ses prérogatives impérialistes ; en matière de défense, elle s’appuie essentiellement sur une armée de métier séparée du peuple et sur des alliances internationales, elle est incapable de cesser d’exploiter et d’opprimer le peuple tout autant que d’appliquer sainement le principe de compter sur ses propres forces.
Ce sont là les contradictions propres à la politique d’indépendance de la bourgeoisie, elles découlent de sa nature de classe ; elles ne peuvent être résolues sans qu’il soit en même temps mis fin au règne de la bourgeoisie elle-même.
Tout en soutenant les aspects positifs de la politique bourgeoise, le prolétariat maintient fermement son propre programme conséquent.
La victoire de la révolution prolétarienne dans un pays du second monde comme la Belgique amènerait-elle un renforcement de la capacité de défense de ce pays ? Cela ne peut faire le moindre doute. Mais cela signifierait-il un renforcement du front uni mondial contre les deux super-puissances ? Poser cette question, c’est y répondre, n’est-ce pas, camarades d’Amada ? La victoire ou le progrès de la révolution prolétarienne dans un ou plusieurs pays du second monde, de même que la victoire ou les progrès de la révolution nationale-démocratique dans les pays du Tiers-Monde impliquent inévitablement un renforcement de la lutte contre les deux super-puissances et non l’inverse.
Aujourd’hui, en Belgique, c’est la bourgeoisie monopoliste qui porte la responsabilité principale de la politique de défense. Dans ces conditions, le prolétariat révolutionnaire ne peut se soustraire à l’obligation de participer à la défense contre les deux super-puissances, et surtout, bien sûr, la menace soviétique ; mais il ne peut non plus cesser de lutter pour prendre la direction de la défense et de la lutte contre les super-puissances en général ; les nécessités de la lutte pour l’indépendance nationale elle-même imposent donc au prolétariat non pas d’atténuer, mais d’accentuer sa lutte pour le pouvoir.
Au contraire de cela, tout se passe chez Amada comme si elles étaient incompatibles, comme si l’une devait chasser l’autre. N’est-ce pas là de la métaphysique ?
« Quand notre pays sera occupé par le social-impérialisme, demande Amada, est-ce que nous nous battrons sous le mot d’ordre : « pour la dictature du prolétariat » ? Est-ce que le front uni mènera la lutte armée pour l’instauration de la dictature du prolétariat ? Bien sûr que non ! Alors, il y aura bien quelque chose comme une étape intermédiaire » non ? » (Libelle anti-parti, distribué le 4 mars 1978, p 14).
Le passage ci-dessus présente une confusion manifeste.
La Belgique est un pays arrivé au stade du capitalisme monopoliste, de l’impérialisme ; à cette phase de développement, nous ne sommes séparés du socialisme par aucune phase intermédiaire. Une occupation du pays par une ou l’autre des super-puissances impérialistes ne changerait pas cette réalité économique fondamentale, elle ne changerait pas non plus le fait que le prolétariat constituerait encore et toujours la force principale et la force dirigeante de la révolution.
Seulement la révolution prolétarienne n’a pas pour seule tâche l’« instauration » du socialisme elle doit aussi accomplir d’autres tâches non spécifiquement socialistes, au rang desquelles on doit compter la tâche d’assurer de façon conséquente l’indépendance nationale. En cas d’agression ou d’occupation par une super-puissance comme l’Union Soviétique, cette tâche (lutter pour l’indépendance) passe au premier rang, elle devient la tâche principale à laquelle toutes les autres tâches doivent être subordonnées. Le mot d’ordre à ce moment doit être « tout pour la défense » (ou « tout pour la lutte d’indépendance ») ; dans un tel moment, non seulement il ne serait pas juste de disserter sur la « dictature du prolétariat », le « socialisme », etc., mais encore il peut devenir souhaitable de faire des compromis dans ces domaines. Cela n’empêche pourtant nullement que le contenu fondamental de la révolution reste socialiste, prolétarien.
En cas d’agression ou d’occupation par une puissance impérialiste, le but immédiat, la forme de la révolution devient la conquête (ou la défense) de l’indépendance nationale, mais son contenu économique ne change pas. La lutte contre la bourgeoisie, la lutte pour le pouvoir ne cesse pas non plus mais elle prend d’autres formes. La lutte résolue du prolétariat pour l’indépendance peut (et normalement doit) mener ce dernier au pouvoir.
Cela n’empêche nullement que certaines forces bourgeoises patriotiques et démocratiques puissent être associées au pouvoir. L’expérience de la dictature du prolétariat en Chine le montre bien.
Voir ce qui distingue les différentes tâches de la révolution prolétarienne en Belgique et ce qui les unit représente un effort dialectique qui semble bien au-dessus des forces des « théoriciens » d’Amada.