Éditeur : Collectif Francisco Javier Martínez Eizaguirre
Juin 2004
Introduction
La fondation de l’OMLE dans l’exil
1.1 Pire que la guerre: après-guerre fut encore
1.2 La dégénérescence révisionniste du PCE
1.3 L’essor du mouvement ouvrier et populaire
1.4 La confluence de plusieurs groupes communistes à Bruxelles
1.5 Les deux fédérations de l’intérieur: Cadix et Madrid
1.6 Pour un centre unique de toute l’Organisation
Le changement d’orientation
2.1 La V Réunion Générale
2.2 La lutte contre le spontanéisme
2.3 Organiser à la classe ouvrière en étroite relation avec le Parti
2.4 L’orientation dans le travail de propagande
2.5 La fusion des communistes galiciens avec l’OMLE
2.6 Les tentatives de reformer le parti révisionniste depuis l’intérieur
2.7 La Grève Générale Révolutionnaire de Vigo et la fusion d’Organisation Ouvrière avec l’OMLE
La célébration de la Ière Conférence
3.1 Préparation de la Conférence
3.2 Les résolutions de la Conférence
3.3 La professionnalisation des cadres
3.4 L’ouverture du régime commence
3.5 L’style communiste dans le travail de propagande et d’agitation
3.6 Les premières arrestations
3.7 Les erreurs de l’été
3.8 Convocation du Congrès reconstitutif
La bataille contre la réforme fasciste
4.1 Le Congrès reconstitutif du Parti
4.2 L’été de la terreur
4.3 IBM et le système offset dans l’appareil de propagande
4.4 Le prolétariat a désormais son avantgarde
4.5 Apprendre le maniement des armes
4.6 Du silence à l’intoxication, et toujours la terreur
4.7 Transit pacifique à la démocratie ou processus révolutionnaire ouvert?
4.8 La création du Comité de Lien
4.9 Critique des méthodes bureaucratiques de direction
Une vraie campagne d’encerclement et d’anéantissement
5.1 Le IIème Congrès du Parti
5.2 L’arrestation du Comité Central
5.3 Les pactes de la Moncloa
5.4 Le dilemme international
La situation politique en Espagne pendant les années 60, lorsque l’OMLE (Organisation des Marxistes Léninistes d’Espagne) était en période de formation, était caractérisée se par trois traits fondamentaux : le régime fasciste régnant, l’essor du mouvement ouvrier et populaire, et le révisionnisme qui s’était emparé du Parti Communiste.
Par opposition à d’autres pays, le fascisme en Espagne s’était imposé en 1939, après trois années de guerre et pas pacifiquement, au moyen d’élections. Cela octroya aux militaires un rôle décisif dans le régime: à la différence des autres chefs fascistes européens, Franco était général de l’Armée. C’est pourquoi ce qui singularisa le franquisme par rapport à ses homologues italiens et allemands fut précisément le rôle décisif des militaires aussi bien pendant la guerre qu’à l’après-guerre.
Le fascisme en Espagne n’a pas duré seulement quelques années mais il est resté en place, avec diverses vicissitudes, jusqu’à nos jours, en forgeant la classe ouvrière et la dotant d’une expérience de luttes que très peu d’autres ont connue. La lutte de classes en Espagne a été et continue à être profondément marqué par la guerre civile et par une domination fasciste postérieure et prolongée. La liquidation du PCE(r) contribua à cela dans une grande mesure bien qu’il ait continué la lutte de résistance après la défaite de la République.
Comme signale le Programme du PCE(r) :
« Le fascisme a réussi à écraser les organisations syndicales et les partis démocratiques, mais pas le Parti de la classe ouvrière. Le PCE a poursuivi la lutte dans les usines, les mines, les villes et les campagnes.
Le coup le plus dur, celui qui a détruit le Parti, n’est pas arrivé par la répression, mais par le travail de sape mené dans son sein par le révisionnisme carrilliste […] Cette activité contre-révolutionnaire a été possible à cause des mêmes faiblesses, insuffisances et erreurs traînées par le Parti depuis l’étape antérieure, jamais analysées à fond ni, par conséquent, corrigées […]
À tout cela, il faut ajouter d’autres facteurs comme la dispersion de la direction, l’attention nulle prêtée au développement de la théorie révolutionnaire et à la formulation d’une ligne politique adaptée aux nouvelles conditions de l’Espagne, ainsi que le progressif abandon des principes léninistes de fonctionnement et d’organisation. De cette façon, se sont créées les conditions qui ont permis à l’opportunisme de se développer dans les rangs du Parti et d’attendre l’occasion propice pour prendre la direction et faire triompher son œuvre destructive, sans que les vieux dirigeants, pétris de dogmatisme et d’habitudes conciliatrices, fussent capables de l’empêcher […]
Vers le milieu des années 60, dans les pays capitalistes de haut niveau de développement économique, surgit parmi la jeunesse un puissant mouvement de contenu clairement politique. Déjà, à l’intérieur de ces pays, apparaissaient tous les symptômes de la nouvelle phase de la crise générale du système, en gestation après la courte période d’essor économique de la post-guerre. Les théories au sujet d’une prétendue société post-industrielle – où disparaîtraient les crises économiques et la lutte de classes pour faire place à l’entente et au bien-être général, à une société de consommation et à un développement économique soutenu – s’écroulèrent comme un château de cartes, si bien que la critique du système capitaliste a réoccupé le premier plan de l’actualité […]
Ce mouvement de critique du capitalisme sera stimulé par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne Chinoise et par la critique marxiste-léniniste effectuée par le PCCh et les communistes d’autres pays contre les thèses révisionnistes : la transition pacifique et parlementaire au socialisme, l’État de tout le peuple, l’émulation économique entre le socialisme et le capitalisme, etc.
À la fin de la décennie, deux événements nouveaux et importants, qui ébranlèrent la vie de tous les pays, sont venus s’ajouter aux précédents: l’héroïque lutte de résistance du peuple vietnamien contre l’agression nord-américaine et le mouvement de masses, de caractère révolutionnaire, déclenché au mois du mai 1968 à Paris et dans d’autres villes de France.
La crise économique capitaliste mondiale a eu aussi une forte répercussion en Espagne, à un moment où les plans de développement industriel touchaient au but, le régime entrait en plein dans une crise politique et commençait, prudemment, la manœuvre ‘d’ouverture’ par laquelle il cherchait une sortie. Le mouvement ouvrier et populaire s’était remis des effets de la défaite supportée en 1939 et des longues années de terreur fasciste ouverte et, étant donné que la politique de réconciliation carrilliste et ses consignes pour une ‘grève nationale pacifique’ avaient échoué, il commençait à s’orienter sur la voie de la résistance et de la lutte armée.
Ce contexte général donnera lieu à l’apparition du nouveau mouvement ouvrier organisé. L’Organisation des Marxistes-Léninistes d’Espagne (OMLE) fut une des premières organisations communistes nées à cette période (1968). C’est en partant d’elle, qu’on reconstruira le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière, dont la nécessité se faisait sentir depuis déjà longtemps. »
1.1 Pire que la guerre: l’après-guerre fut encore
Après la guerre, il n’y eut pas un seul instant de paix. La répression de l’après-guerre a occasionné plus de dommages encore aux organisations communistes, ouvrières et paysannes, qui ont été férocement pourchassés et leurs dirigeants assassinés par milliers. L’importance de la répression n’a pas eu parangon dans l’histoire : « Le fascisme es Espagne chercha à raser toute trace des communistes espagnols. Les prisons débordèrent et il a fallu que les camps de concentration prennent leur place, des espaces à plein air, clôturés et fortement surveillés. À la fin de la guerre, la propagande officielle changea leurs noms pour d’autres comme ‘des camps de travail’, ‘des bataillons disciplinaires’, ‘des colonies pénitentiaires militarisées’, etc. Les prisonniers vivaient mal cette situation, soumis aux intempéries, à la faim, aux plaies et aux maladies ».
Aujourd’hui encore, l’Armée n’a pas autorisé l’accès des archives de la répression aux historiennes. Cependant d’après les données officielles de l’époque, 8 pour cent de la population passa par le bagne pendant l’après-guerre; environ un million de personnes ont été condamnées par les conseils de guerre les six premières années de l’après-guerre, la plus part à la peine de mort, accusées de rébellion militaire.
On évalue les fugitifs entre 700.000 et 800.000, dont un demi-million fuirent, à la fin des combats ; presque la moitié revint ; il y en eut 300.000 qui ne purent jamais rentrer de l’exil et 35.000 qui décédèrent, victimes de la faim et des maladies, dans les camps de concentration français et d’Afrique du Nord, une quantité à la quelle il faut encore ajouter les 7.000 des camps de concentration nazis.
Les communistes et d’autres antifascistes assassinés depuis la guerre s’élèvent à quelque 200.000. Le régime de Franco n’eut aucune compassion pour l’Armée républicaine, vaincue et désarmée.
Les plus hauts responsables de ce massacre gigantesque, des procureurs militaires comme José Solís Ruiz ou Carlos Arias Navarro occupèrent, ensuite, les plus hauts postes du régime. Les partis, syndicats et associations, liés de loin ou de près au Front Populaire, furent dissous et leurs biens confisqués, tout en étant l’objet d’un pillage organisé sur lequel de nombreux oligarques actuels fondèrent leurs immenses fortunes.
Cependant, le chiffre des prisonniers, morts, exilés n’épuise pas le chapitre répressif de la première époque franquiste. Il y eut aussi un secteur très important de la population qui a perdu pour toujours son poste de travail; d’autres n’ont plus jamais réussi à exercer leur profession et beaucoup d’entre eux eurent à supporter des humiliantes enquêtes d’aptitude. Les républicains devaient toujours porter des sauf-conduits et certificats de bonne conduite, ce qui les transformait en parias. Incarcérés, torturés, assassinés, exilés…
Le fascisme n’en eut pas assez et déchaîna une vaste épuration si bien que, la moindre suspicion d’opposition, donnait lieu à des représailles. Des parents de communistes et de républicains furent aussi persécutés et obligés d’abandonner leurs professions et leurs emplois, en même temps que leurs propriétés étaient confisquées.
Quelque 300.000 fonctionnaires de la République perdirent leur poste de travail, un chiffre qui est encore plus significatif si on considère que, par exemple, 80 pour cent des maîtres d’école furent renvoyés. Les chiffres seraient encore plus élevés si nous considérions ceux qui furent expulsés par des tribunaux d’honneur dans le corps du fonctionnariat et le corps professionnel; le nombre est très difficile à mesurer pour le moment ; en 1969 il y avait encore des enquêtes en cours contre des maîtres de l’Éducation Nationale.
On instaura, partout en Espagne, une censure implacable et absolue sur la presse, la radio ou le théâtre. Le jour du soulèvement, pendant une allocution en Pampelune, le général Mola l’avait très clairement averti : « Il faut semer la terreur, il faut laisser la sensation de maîtrise absolue, en éliminant sans aucun scrupule et aucune hésitation tous ceux qui ne partagent pas nos idées. »
Le niveau de vie des masses est descendu à des niveaux insoupçonnés. « À la fin de la guerre, un quart de la population courrait le risque de mourir de faim » et pas parce que la nourriture manquait sinon parce que, pendant la seconde Guerre Mondiale, la spéculation gigantesque et les exportations en tout genre dans l’Allemagne de Hitler ont désapprovisionné le marché intérieur.
L’oligarchie accumula d’immenses fortunes par les travaux forcés de centaines de milliers de prisonniers de guerre qui grossirent les bataillons de travailleurs.
Les entreprises du bâtiment, florissantes pendant les années soixante, accumulèrent leur capital aux dépens de la main d’œuvre gratuite apportée par les antifascistes réduits à l’esclavage. Mais aussi les entreprises minières d’Almadén, la MSP à Ponferrada, Duro Felguera et celles de la métallurgie comme Babcock & Wilcox, la Maquinista et autres. La dénutrition et l’avitaminose entraînèrent une vague d’épidémies qui affectèrent l’ensemble de la population. Les chroniques de l’Espagne de l’après-guerre sont remplies d’épisodes du marché noir d’un côté et de la faim de l’autre. À la démoralisation de la défaite, venait s’ajouter la recherche quotidienne du pain.
Des nombreuses fortunes et des nombreuses promotions dans l’échelle du pouvoir économique se construisirent à cette période, grâce aux bénéfices du marché noir, de la faim et de la spéculation de l’après-guerre.
En plus de l’état de guerre permanent, l’Espagne endura une véritable économie de guerre durant les années de l’autarcie: jusqu’à 1962, des militaires étaient à la tête de ministères comme celui de l’Industrie et du Commerce, des Travaux publies ou de la Direction de l’Institut National de l’Industrie et des grands monopoles de l’État. L’oligarchie amassa des richesses fabuleuses dans le cadre épouvantable du chômage, de la faim et des maladies.
Donc, l’État fasciste n’a pas constitué un empêchement pour qu’un processus intense d’accumulation capitaliste s’ouvrait mais au contraire : il fut l’un de ses grands moteurs, grâce à la coercition persistante sur le prolétariat. Le régime changea tout ce qu’il était obligé de changer pour le bénéficie de l’oligarchie financière et des propriétaires fonciers.
Il l’a fait au moment où il fallait le faire sans tenir compte de ceux à qu’il pouvait porter préjudice. Sous une propagande officielle triomphaliste qui avait l’air d’une domination monocorde des grands hiérarchies du régime, était sous-jacente une guerre sourde des camarillas en lutte permanente pour le contrôle de l’appareil de l’État: phalangistes, carlistes, catholiques, monarchistes, technocrates, militaires, etc., se succédaient ou coexistaient dans les hauts postes de l’Administration, dans un équilibre difficile soutenu uniquement par le besoin d ‘exploiter les masses populaires et de noyer dans le sang n’importe quelle opposition à leurs projets.
Depuis le début des années 50, le capital monopoliste avait décidément opté pour la voie de la modernisation puisque la voie de l’autarcie et du corporatisme s’était rapidement épuisé. Au milieu des années 50, la reforme administrative de l’État a été entamé, ce qui correspondait a des critères technocratiques qui vont permettre l’accumulation et la concentration du capital des années soixante et la reforme politique des années soixante-dix.
Le point de départ de tout ce processus est la création, en décembre 1956, de l’Office de Coordination et de Programmation économique, dirigé par Lopez Rodó, sous la tutelle directe de l’Amiral Carrero Blanco. Son premier résultat fut, l’année suivante, la Loi de Régime Juridique de l’Administration de l’État, dont l’article 13.6 établissait, parmi les compétences de la Présidence du Gouvernement − c’est-à-dire, de l’amiral Carrero Blanco − l’élaboration de plans de développement économique. Cette réforme administrative a précédé les plans de développement qui, à leur tour, renfermaient d’importantes mesures administratives.
Sous le gouvernement des catholiques de l’Opus Dei, l’oligarchie entreprit, en 1959, un plan ambitieux d’expansion économique, avec la collaboration active des USA, des autres puissances occidentales et du Vatican. Il agissait d’en finir avec l’autarcie et d’introduire l’Espagne dans le circuit économique impérialiste qui, en ces années là, commençait à resurgir du marasme de la guerre mondiale.
Toutefois, l’Espagne se trouvait à l’époque sur le bord de la cessation de paiement ; il était impossible de renouveler l’appareil productif sans faire des importations ; la nourriture était rationnée et l’appareil productif sur le point de se paralyser. L’un des objectifs fondamentaux du Plan de Stabilisation de 1959 fut donc la convertibilité de la peseta pour profiter de la conjecture mondiale et faciliter l’intégration de l’économie espagnole dans l’économie internationale.
À partir de 1959, la scène économique espagnole va changer radicalement: d’un pays sous-développé et à moitié féodal, l’Espagne en vient à s’intégrer à la liste des pays capitalistes monopolistes d’État.
Dans la décennie des années 60, des taux de croissance annuelles d’environ 7 pour cent ont été obtenus. Beaucoup de choses ont changé très rapidement, non seulement sur le plan politique mais aussi sociologique. La campagne se dépeupla, tant par l’effet de l’émigration à l’extérieur (deux millions de journaliers) qu’à l’intérieur, vers les nouveaux pôles industriels. On peut calculer que l’émigration intérieure, de la campagne vers la ville, a été de trois millions et demi de travailleurs entre les années 1962 et 1970.
La main d’œuvre agricole, qui constituait la moitié de la force de travail en 1959, se réduisit drastiquement jusqu’à se situer à 12 pour cent en 1977. Espagne avait cessé d’être un pays agricole et les anciennes structures du féodalisme disparaissaient.
Naturellement, le chômage, l’une des plaies de la période autarcique, disparut de façon foudroyante et il se produisit un agrandissement des villes qui changea soudainement leur physionomie, presque du jour au lendemain, avec l’apparition de nouveaux quartiers et de banlieues où les ouvriers s’entassèrent, dans des conditions lamentables par manque de logements, de services de santé, d’hygiène, de transports en commun, etc.
La population paysanne vieillit et, par contre, le prolétariat dans les usines était très jeune: une nouvelle génération assimila rapidement les nouvelles coutumes urbaines et adopta les nouvelles habitudes. En 1970, pour une population active inférieure à 13 millions, il existait plus de trois millions de travailleurs à l’étranger.
Dans ce processus, ce furent les ouvriers et les paysans qui, encore une fois, supportèrent les plans de règlement et de surexploitation. Les grèves étaient sanctionnées en tant que délit de rébellion militaire et les libertés les plus fondamentales étaient absentes.
Le développement économique des années soixante fut lié directement et étroitement à la misère des larges masses de travailleurs; mais pas seulement à cela: ce développement fut aussi lié au terrorisme du régime fasciste. L’oligarchie financière s’est servie de l’État comme moyen essentiel de sa politique économique, pour multiplier ses profits et pour renforcer sa domination sur tous les secteurs de l’économie.
L’accumulation accélérée de capital des années 60 était rattachée à l’extérieur par trois liens fondamentaux: les importations de capital, l’émigration et le tourisme.
Alors se déclencha un processus à l’opposé du précédent, fondé sur l’autarcie, l’interventionnisme et la voie prussienne dans le développement agraire. L’ouverture à l’extérieur était une exigence fondamentale puisque les réserves de devises étaient pratiquement épuisées, l’Espagne manquait de la moindre capacité d’endettement et l’envolée de l’inflation était spectaculaire. En conséquence, cette croissance aurait été impossible si l’impérialisme n’avait pas cautionné les plans du régime.
Dans une grande mesure, les plans économiques ont été dessinés aux USA de façon directe ou à travers les organismes financiers internationaux comme la Banque Mondiale ou le Fond Monétaire International.
Le soutien de l’impérialisme, notamment américain, eut un double objectif économique et militaire. En février 1940, le Chase National Bank accorda déjà un premier prêt de 25 millions de dollars au gouvernement de Madrid pour l’achat de nourriture; la même année, du mois de mai, les impérialistes autorisent l’Export Import Bank à ouvrir une ligne de crédit allant jusqu’à 62,5 millions, destiné à favoriser le commerce extérieur des oligarques espagnols, etc.; en 1950, le Sénat américain approuve un emprunt officiel de l’Espagne.
Les États-Unis ont fourni l’armement de l’Armée et la police fasciste et, en échange, le régime autorisa l’utilisation des ports espagnols à la Marine de guerre et à l’Armée de l’Air des USA. La présence nord-américaine sur le territoire espagnol et son appui à l’extérieur permet au régime de concentrer ses forces sur l’écrasement de la résistance intérieure. L’Armée américaine et l’Armée espagnole réalisaient des grandes manœuvres mixtes, basées sur l’écrasement d’insurrections internes.
Non moins important fut le progressif appui diplomatique. L’ONU autorisa l’entrée de l’Espagne qui, peu après, réussit son entrée dans la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation) et qui signa un concordat avec le Vatican. Le processus culmina en 1953 avec les accords militaires et économiques grâce auxquels les bases militaires de Rota (Cadix), Morón (Séville), Torrejón (Madrid) et Sanjurjo (Saragosse) ont été construites. Ainsi, l’Espagne devint une plate-forme d’agression contre les pays socialistes et contre les États émergents du Tiers Monde et, plus particulièrement, du Moyen Orient.
La collaboration était mutuelle et concernait aussi bien le domaine militaire que le domaine économique. En échange des bases militaires, le régime reçut un ballon d’oxygène vital pour assurer la permanence de sa domination à long terme. Les puissances impérialistes appuyaient la continuité du fascisme en Espagne et accompagnaient son projet d’ouverture économique.
Entre 1961 et 1964, le Produit Intérieur Brut augmenta, en moyenne, au rythme annuel des 7 pour cent. L’envoi de devises par l’émigration est passé de 55 millions de dollars en 1960 à 469 millions en 1970. Les devises envoyées par mandat postal par nos travailleurs entre 1960 et 1966 surpassent la somme de capital social de toutes les banques privées en 1965.
L’émigration éleva les salaires des journaliers et obligea à la mécanisation des labours dans la campagne, tout en provoquant la faillite de la petite exploitation agricole traditionnelle. À partir de 1968 immédiatement derrière les journaliers ce sont les petits propriétaires ruraux qui émigrent. Pareillement, la vieille aristocratie des propriétaires terriens, l’un des piliers du fascisme, perdit du terrain très vite et finit par fusionner avec le capital financier.
L’État compensa les grands propriétaires fonciers de la diminution de la rente de la terre − grâce aux prêts à bas taux d’intérêt −, tout en soutenant artificiellement les prix agricoles, ainsi que par des dédommagements pour l’amélioration et la modernisation de leurs propriétés rurales à travers l’Institut National de la Colonisation.
L’aristocratie déplaça ses capitaux vers les finances, ce qui réduisit les tensions existantes entre les deux secteurs de l’oligarchie et contribua à l’accumulation accélérée de capital. Le pouvoir de l’aristocratie des grands propriétaires fonciers ne pouvait se maintenir que dans un cadre sociologique essentiellement agraire et au prix d’une politique économique et agricole fortement protectionniste et interventionniste. C’est justement cela qui changea en 1959. L’Espagne était déjà un pays de capitalisme monopoliste.
L’État terroriste implanté en 1939 sur plus d’un million de morts fut l’instrument qui rendit possible la gigantesque accumulation de capital dont la propagande fasciste se flatta en parlant de paix et de bien-être. Ce fut un développement capitaliste lié au terrorisme d’État. Mais le développement capitaliste créa en même temps les conditions pour en finir avec ce système.
La conversion de l’Espagne, un pays semi-féodal, avec une économie basée sur l’agriculture, en un pays capitaliste, avec une industrie développée, fait que le prolétariat devint la classe la plus nombreuse de la population, qui agit comme avant-garde du peuple dans la lutte contre le fascisme. Par conséquent, en 1970, l’Espagne n’était plus un pays semi-féodal et il n’y avait pas de révolution démocratico-bourgeoise à réaliser.
La transformation économique de l’Espagne s’est produite sans qu’il y ait une révolution au sens strict ; mais cela ne veut pas dire qu’elle s’est effectuée de façon pacifique. La persistance du régime témoigne le contraire : le fascisme s’a servir au capital financier pour noyer dans le sang les contradictions aiguës qu’entraînait cette transformation.
Les révisionnistes parlèrent démagogiquement des restes du féodalisme, qui persistaient dans la société espagnole, pour essayer ainsi de justifier leurs agissements destinés à attacher les ouvriers au char de la bourgeoisie. Finalement, l’Espagne n’était pas non plus une colonie de l’impérialisme yankee, comme certains groupes petits-bourgeois l’affirmaient. Au contraire, c’était déjà un pays capitaliste avec un degré relativement avancé d’industrialisation : en Espagne, l’oligarchie détenait directement le pouvoir économique et politique, mais le prolétariat constituait la force principale.
La résistance à l’oppression et à l’exploitation fasciste-monopoliste ne s’arrêta pas en 1939, à la suite de la défaite momentanée des forces populaires; elle a continué à se développer et à s’accroître à tel point que la position des forces sociales en lutte a changé par rapport aux années quarante.
Dans le Programme du PCE(r), cette période historique est résumée de la façon suivante :
« Le fascisme fut l’instrument principal que l’oligarchie propriétaire terrienne et financière utilisa pour soumettre les masses populaires et pour mener à bien le développement économique du pays par la voie monopoliste. Ce caractère double, monopoliste (impérialiste) et en même temps fasciste, est la caractéristique principale de l’État espagnol.
En développant la grande industrie, l’agriculture capitaliste, le commerce à grande échelle, les transports, etc., et en menant à bien la fusion de tous les secteurs économiques avec la Banque et l’État à son service, l’oligarchie a créé les conditions matérielles pour la réalisation du socialisme puisqu’elle a fait grandir le prolétariat et l’a élevé à l’école d’une guerre civile quasi permanente […]
Le fascisme est la superstructure politique, juridique, idéologique, etc., qui correspond au système d’exploitation monopoliste implanté en Espagne en 1939. Il s’est développé avec lui et il se maintient aujourd’hui encore comme forme de pouvoir parce qu’ils ne pourraient pas exister l’un sans l’autre. »
1.2 La dégénérescence révisionniste du PCE
Ce ne fut pas l’oligarchie ni son régime de terreur, ce ne furent pas les promenades et les assassinats à l’aube, qui en finirent avec le Parti communiste d’Espagne. Ce fut le révisionnisme, niché dans son sein, qui permit au régime de se maintenir au pouvoir et, de plus, en étant sûr d’un calme au moins relatif.
Avec Santiago Carrillo au Secrétariat général du Parti depuis 1956, le PCE finit par proposer l’embrassade du peuple et de ses irréconciliables ennemis fascistes. Les révisionnistes abandonnèrent même l’idée de recourir aux armes contre le régime.
Au contraire, depuis le début des années soixante, Carrillo commença à négocier avec Franco, non seulement à l’insu des travailleurs espagnols, mais même des adhérents de son parti, qu’il n’informa jamais de ses manigances. En 1973, les négociations continuèrent à Bucarest par l’intermédiaire de Ceaucescu (ami intime de Carrillo), avec le général Díez Alegría et le colonel San Martín, deux hommes des services secrets de l’amiral Carrero Blanco.
La nouvelle stratégie symbolisée par des consignes telles que la réconciliation nationale, le pacte pour la liberté ou la grève générale pacifique, impliquait la renonciation aux méthodes révolutionnaires, mais était dépourvue de contreparties de la part du régime qui n’hésita pas à faire fusiller Grimau ainsi que les anarchistes Granados et Delgado en 1963. Les carrillistes se réconcilièrent avec le fascisme, mais le fascisme ne se réconcilia avec personne.
On peut dire qu’à ce moment se termina une étape de l’opposition antifranquiste, prolongation de la Guerre civile, et que s’amorça une nouvelle, même dans l’aspect générationnel.
Sans qu’on puisse dire que les activités armées aient cessé complètement, des phénomènes plus massifs firent leur apparition, focalisés sur les grands noyaux industriels, différents des noyaux armés qui avaient opéré dans la montagne. L’Université également commença à se transformer en un foyer d’agitation quasi permanente, indice de l’incorporation de secteurs sociaux plus larges à la lutte.
Les révisionnistes justifiaient leur stratégie de collaboration avec les éléments dynamiques de l’oligarchie en faisant allusion à certaines frictions supposées au manque de corrélation entre la croissance économique et l’immobilisme politique, entre l’infrastructure économique et la superstructure politique.
Carrillo et son parti ne parlaient que de dictature et de franquisme, en les considérant comme un régime personnaliste qui tournait autour du général Franco et de sa famille. La démocratie arriverait si on éliminait du pouvoir ce cercle étroit et ses collaborateurs. C’est justement à cause de cette influence du révisionnisme qu’en Espagne on parlait du franquisme à la place de fascisme, comme s’il s’agissait d’un régime personnel qui jamais n’exista.
Le PCE considérait le régime comme quelque chose d’étranger à la nature de classe de la bourgeoisie monopoliste, comme un obstacle à ses projets. Les révisionnistes cachaient que le fascisme − comme disait Dimitrov − n’était que la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du grand capital.
Ils cachaient la nature de classe du fascisme, en plus de cacher que la grande bourgeoisie avait besoin du fascisme pour poursuivre et intensifier l’accumulation capitaliste et pour consolider sa domination politique. Le régime, loin d’y être un obstacle, était sa meilleure et plus efficace arme. L’oligarchie va se servir de l’État comme principal instrument pour la soumission et l’exploitation des masses ouvrières et populaires, mais aussi va utiliser l’État comme moyen essentiel de sa politique économique.
Très tôt, l’OMLE prêta grande attention à la caractérisation du régime et maintint que ce facteur politique était déterminant pour élaborer une stratégie conforme aux besoins du prolétariat espagnol.
Le fascisme avait surgi de la liquidation des libertés démocratiques révolutionnaires, conquises par des décennies de luttes et, par conséquent, elles ne pouvaient être regagnées qu’en en finissant avec le régime. Cela ne voulait dire en aucune façon qu’il soit nécessaire de développer une révolution démocratique bourgeoise, puisque le régime des monopoles l’avait dépassée pour l’essentiel.
Cependant, la persistance du fascisme empêchait de faire le saut vers la dictature du prolétariat et le socialisme, sans tenir compte de la nécessité de pratiquer, pendant une brève période, la démocratie la plus large et la plus résolue, afin de préparer les masses et les gagner à la cause du socialisme.
Ce principe de base commençait à différencier l’OMLE des révisionnistes et aussi d’autres groupes soi-disant de gauche de l’époque. En effet, non seulement les révisionnistes s’alliaient avec le diable − comme ils disaient eux-mêmes −, mais, en réalité, tous les groupes de gauche soutinrent des semblables positions idéologiques et politiques, en marchant à l’ombre de l’oligarchie. Ce qui singularisait ces groupes est qu’ils ne prenaient pas en considération la nature fasciste du régime et insistaient sur une supposée dépendance de l’Espagne de l’impérialisme nord-américain, qu’ils considéraient comme l’ennemi principal, laissant l’oligarchie autochtone à l’écart.
À la fin des années soixante, une série d’évènements internationaux remirent en question tous les bobards révisionnistes: la Révolution culturelle chinoise, la guerre de Vietnam, la révolution cubaine, l’assassinat du Che en Bolivie et, finalement, le mai français. Ainsi surgit un puissant mouvement de la jeunesse d’une nette teneur anti-impérialiste.
Le nouveau mouvement révolutionnaire qui surgit à la fin des années soixante avait une nette teneur anti-impérialiste non seulement du fait de la guerre de Vietnam, mais aussi grâce à la force des jeunes États émergents en Afrique et Asie, qui venaient de rompre avec le colonialisme et d’obtenir leur indépendance. De ce fait, à côté d’une juste dénonciation du révisionnisme, les mouvements de gauche traînaient toute une conception petite-bourgeoise tiers-mondiste.
La crise économique des pays capitalistes, qui commence en 1968 et qui va s’aiguiser en 1973, s’ajoute à cette crise du révisionnisme. Les luttes acquièrent un caractère massif et la bourgeoisie ne peut pas faire appel aux masses. En Espagne, étaient apparus de nouveaux courants petits-bourgeois, comme le Front de Libération Populaire et, plus tard, d’autres comme le Mouvement communiste, l’Organisation Révolutionnaire de Travailleurs, etc., avant même que n’éclatent publiquement les divergences au sein du mouvement communiste.
Ce ne fut pas non plus par hasard qu’autant de groupes de caractéristiques semblables apparurent. Ces courants n’auraient jamais autant proliféré s’il n’y avait pas eu la décomposition révisionniste.
En tout cas, le phénomène gauchiste montrait les conditions dans lesquelles se trouvait un large secteur de la petite-bourgeoisie en Espagne, privé de libertés et continuellement saigné à blanc par les monopoles. Ce secteur s’enhardit par la renaissance des luttes du prolétariat et des éléments qui essayaient de s’organiser, sortirent de ses rangs. Cependant, ils ne pouvaient se présenter devant les masses avec l’idéologie vermoulue de la bourgeoisie et se couvraient donc de la phraséologie marxiste.
Aussi au sein du PCE − déjà aux mains des carrillistes −, s’est manifestée depuis 1963 une forte opposition contre le révisionnisme, surtout dans les organisations résidantes à l’étranger.
Cette opposition réussit à se regrouper et de là sortit le PCE(m-l), sur une base Programmatique qui était une mauvaise copie, taillée dans le programme du PCCh pour la Révolution démocratique populaire ou la Nouvelle démocratie en Chine, lorsque ce pays demi-féodal avait été envahi par le Japon. De façon qu’à la place du Japon, le PCE(m-l) décida, dans un effort d’originalité, que l’Espagne serait une colonie de l’impérialisme yankee.
Plus tard, l’aggravation de la crise capitaliste et les grandes vagues de luttes de la classe ouvrière provoquèrent une autre importante scission dans le parti révisionniste en Catalogne, dont surgit le PCE(i), qui ne prit pas en considération l’existence d’un régime politique fasciste en Espagne, même s’il établissait correctement la nécessité d’une révolution de type socialiste.
À l’origine, les énoncés politiques de l’OMLE n’étaient pas moins confus que ceux de tous ces groupes à qui, depuis le début, nous posions la question de l’unité. Mais ils n’acceptèrent pas parce qu’ils considéraient avoir déjà reconstruit le Parti, alors qu’en réalité, la seule chose qu’ils faisaient était de traîner derrière le parti carrilliste.
1.3 L’essor du mouvement ouvrier et populaire
En Espagne, en raison du profond changement économique des années soixante, on observe l’incorporation de larges secteurs sociaux à la lutte antifasciste. De plus, s’est produit la relève des générations, appréciable lors des luttes des étudiants au milieu des années cinquante.
Le conflit des étudiant de l’Université de février 1956 amorce la création d’une constellation gauchiste qui essaie de remplir − de façon rhétorique, la plupart du temps − le vide laissé par la trahison du parti communiste.
C’est un moment d’essor où le mouvement de résistance souffre, néanmoins, d’une énorme désorientation et d’une forte faiblesse idéologique, politique et d’organisation. Le Parti communiste se voit dépassé par la propre lutte des masses et sa stratégie fait naufrage, ce qui est vérifiable lors de l’échec de la grève générale de 24 heures, convoquée pour le 18 juillet 1959.
L’extension quantitative de l’opposition fur accompagnée d’une grande fragilité qualitative, d’un manque alarmant de direction politique. C’est ce qui explique la paradoxe que, malgré l’accroissement de la lutte antifasciste, la décennie des années soixante soit celle de la stabilité maximale de la dictature. Une situation qui se prolongera jusqu’en 1969, l’année où commence la crise politique du régime, suivie tout de suite de l’économique. L’Université servit de détonateur pour le premier état d’exception décrété, en février 1956.
L’augmentation des luttes ouvrières, plus tard, obligea à la rédaction d’une nouvelle Loi d’ordre public, le draconien Décret du Banditisme et du terrorisme de 1960 et, finalement, à la création du Tribunal d’ordre public, en 1963.
Les formes d’opposition massive au régime qui commençaient à éclater ces années-là son quantifiables par la croissance de certaines catégories de délits attribués au Tribunal d’ordre public comme les manifestations, la propagande ou l’association illégale qui ont augmenté à un rythme moyen très proche des 8 pour cent par an depuis 1969.
L’importance de l’activité armée révolutionnaire est reflétée par le fait que, en 1974 et 1975, sur les 3.000 procès instruits par les tribunaux militaires, 740 étaient spécifiquement militaires.
L’apparition du Tribunal d’ordre public servit seulement à alléger le volume de travail des conseils de guerre en affaires de gravité, telles que les suppositions d’association, propagande ou manifestation illégales. Cependant, le meilleur indice du caractère des années soixante apparaît dans le fait qu’en 1966 ne soit comptabilisé aucun conflit du travail pour des motifs politiques, sociaux ou de solidarité.
Ce furent aussi les années où le régime s’offrit le luxe de promulguer des lois comme celle d’Association (1964) et celle de la Presse; ou bien de promouvoir des élections syndicales, d’annuler des responsabilités civiles ou de convoquer le référendum de la Loi organique de l’État, tout cela en 1966.
L’essor du mouvement ouvrier commença en 1962 avec les mobilisations en Euskal Herria et aux Asturies, bien qu’à ce moment le révisionnisme réussit à détourner les luttes pendant un certain temps.
La Lois des Conventions collectives de 1958 était suspendue pour mettre en marche le plan de stabilisation et les premières conventions commencèrent à être négociées en 1961, suivies de mobilisations conséquentes, car les salaires étaient gelés depuis 1957 et la situation des masses extrêmement précaire. La lutte se déclencha contre le gel des salaires, les maxima salariaux et la politique de se serrer la ceinture.
En février 1962, toute une série de grèves éclata dans la Sidérurgie Basconia à Bilbao, la Bazán à Cadix, Matériaux et Constructions à Valencia et Carbones de Berga à Barcelone. Au mois d’avril, les grèves s’étendirent à l’ensemble des mines des Asturies et se prolongèrent jusqu’au mois de juin, incluant des entreprises électriques, métallurgiques et chimiques d’Euskal Herria, León, Catalogne et Madrid, de même que les mines de Río Tinto à Huelva, Linares (Jaén) et Puertollano (Ciudad Real) et des journaliers d’Andalousie et d’Estrémadure.
Ce fut le plus large mouvement de grève depuis la fin de la guerre, ce qui obligea le régime à déclarer l’état d’exception dans les Asturies, le Gipúzkoa et la Bizkaia. Pendant la première semaine, la police arrêta 100 antifascistes. Les manifestations se reproduisirent l’année suivante à partir le mois de juin et se prolongèrent jusqu’en novembre.
Le mouvement ouvrier et populaire s’était rétabli des effets de la défaite de 1939 et des longues années de terreur fasciste ouverte et, une fois échouée la politique de réconciliation et les consignes du révisionnisme carrilliste pour une grève générale, les masses commençaient à se diriger sur la voie d’une lutte décidée et résolue.
C’est à cette époque qu’apparurent les caractéristiques qui marquèrent la nature de ce mouvement: les grèves économiques se transformant en véritables batailles politiques. Entre 1967 et 1971, 45 pour cent des grèves furent des grèves de solidarité ou bien de nature nettement politique.
Les manifestations de rue débouchèrent sur de durs affrontements avec la police et les ouvriers gagnèrent la solidarité de toute la population, qui seconda leurs appels; leurs luttes devinrent des véritables vagues de protestation qui visaient contre la structure même de l’État.
Pendant les manifestations de 1962, surgissent les premières Commissions ouvrières, instruments de lutte et d’organisation indépendante des travailleurs. Ces Commissions étaient élues de façon démocratique dans les assemblées d’usine et négociant avec le patronat en marge des syndicaux verticaux et des voies légales ; une fois leur tâche finie, les commissions se dissolvaient.
Cette méthode empêchait le travail policier de contrôle. Lors des grèves de 1962, les révisionnistes n’eurent rien à voir avec l’apparition des Commissions ouvrières puisque tout leur travail syndical se développait à travers un modèle d’organisation bien différent : l’Opposition Syndicale ouvrière qui, comme l’indique son propre nom, prétendait développer sa tâche d’opposition à l’intérieur du syndicat fasciste.
Cependant, on ne peut pas non plus négliger le caractère spontané de ces manifestations et l’absence de direction politique.
Le fait que des protestations d’une telle ampleur puissent se déclencher en absence d’une direction politique n’est concevable qu’en raison de la dure situation d’exploitation et de cherté de la vie, de la répression brutale déclenchée par le régime et, finalement, de la haine et la conscience antifasciste enracinée dans le prolétariat. Ainsi, des luttes débutant par des revendications professionnelles élémentaires débordent et deviennent de véritables batailles politiques contre le fascisme.
En août 1966, se produisit un large mouvement de grèves qui embrassa le bassin minier du Nalon et du Caudal, la Duro Felguera et Chemins de Fer de Langreo aux Asturies; les ouvriers de Babcock, de Firestone et d’Hispano Olivetti à Barcelone firent aussi de la grève ; à Madrid, les ouvriers de Perkins, Marconi, Ibérica d’Électricité, Kelvinator, Standard, AEG, etc. arrêtent le travail. Le 30 novembre de cette même année commença la grève de Laminaciones de Bandas en Frío d’Echevarri, une grève qui durera plusieurs mois.
En janvier 1967, les ouvriers de la Seat, de la Maquinista et Olivetti, à Barcelone, se mobilisèrent pour empêcher les licenciements de 3000 grévistes des mines des Asturies. De fortes manifestations et d’affrontements avec la police eurent lieu dans les rues et les places de Madrid. En Catalogne aussi, plus de 45 entreprises du textile de Sabadell et Tarrasa, ainsi que les ouvriers de Siemens, Uralita et d’autres entreprises, se solidarisèrent avec les mineurs de Mieres. En avril, l’état d’exception fut décrété à Bizkaia.
Les étudiants des universités se mobilisèrent également. Toutes ces luttes eurent leur couronnement dans les actions de masses du 27 octobre, dans la ceinture industrielle de Madrid où plus de 25.000 ouvriers s’affrontèrent ouvertement à la police à Getafe, San Blas, Place d’Atocha, etc.
Telle était la situation réelle du mouvement ouvrier des années soixante, tandis que la politique révisionniste suivait d’autres vois bien différentes. Au commencement même des grèves de 1962, la police arrêta les dirigeants de l’Opposition syndicale ouvrière, c’est pourquoi les révisionnistes changèrent leurs projets et jetèrent les yeux sur les Commissions ouvrières. Tous les projets révisionnistes, soutenus par les phalangistes du syndicat vertical visèrent à institutionnaliser la commission de délégués et à les intégrer au syndicat officiel.
Pour en convaincre les ouvriers, ils convoquaient des grèves liquidatrices, prédestinées à l’échec. D’un côté, au moyen de ces grèves, les révisionnistes essayaient de démontrer l’inutilité des méthodes révolutionnaires de lutte et la nécessité d’entrer dans la légalité et les institutions fascistes.
D’autre côté, les révisionnistes utilisaient ces épreuves de force pour faire chanter le régime et l’amener à la table de négociations. Ils essayaient de conquérir la Direction et le contrôle du mouvement ouvrier, désorganisé mais menaçant, pour gagner en respectabilité et capacité de négociation.
Néanmoins, comme nous disons, le fascisme ne se réconcilie avec personne, pas même avec les révisionnistes; en mars 1967, le Tribunal suprême déclara les Commissions ouvrières hors la loi. À partir de ce moment-là, les ouvriers les plus combatifs étant à découvert, les arrestations seront massives puisque l’action légale et ouverte avait permis la police de repérer les ouvriers les plus avancés.
De nombreux autres furent licenciés de leurs entreprises et les enquêtes se multiplièrent.
La démoralisation, la discorde et la confusion se répandirent : « Les révisionnistes ont chevauché chaque lutte dans la nette intention de désorganiser encore plus et de diviser les ouvriers; ils ont placé leurs meilleurs hommes au syndicat où en prison lorsqu’ils refusaient de suivre leur jeu; ils ont désarmé la classe ouvrière et le reste du peuple face à la répression fasciste, en prêchant des idées pacifistes et conciliatrices et ils ont essayé de démoraliser en provoquant de continuelles ‘grèves générales’. De cette façon, le révisionnisme agit en avant-garde du capital financier dans les rangs ouvriers et, par conséquent, est leur ennemi le plus dangereux, l’agent du fascisme que nous devons combattre sans trêve. »
Durant les années 1967 et 1968, les révisionnistes commencèrent à perdre de l’influence, la crise économique se déclencha et le gouvernement ordonna le gèle des salaires. Au mois d’avril 1968, l’état d’exception fut décrété. Au mois de juillet Etxebarrieta fut assassiné par la Garde civile et plus de 5.000 personnes participèrent à son enterrement.
Au mois d’août, l’organisation indépendantiste exécuta le célèbre tortionnaire Melitón Manzanas. Le 25 janvier 1969, le gouvernement décréta l’état d’exception partout en Espagne ; toutefois, il fut incapable d’empêcher le déclenchement des grèves dans la métallurgie à Bilbao, aux Altos Hornos de Sagunto et au Ferrol, où la grève de Peninsular Maderera dura 37 jours.
En 1969, le nombre de grèves réalisées en Espagne, par rapport à l’année précédente, passe de 309 à 491, selon les données statistiques nationales. Ce formidable mouvement de grève à caractère politique révolutionnaire aggrava la crise interne du système. Le scandale Matesa sera le prétexte qui mènera les deux secteurs fondamentaux de l’oligarchie à un affrontement ouvert.
Les travailleurs remettent en pratique les anciennes méthodes de lutte et la répression est de plus en plus brutale.
Le mouvement ouvrier n’est pas paralysé pour autant, au contraire les heures de grève enregistrées et le nombre de grévistes augmentent chaque année. Les grèves de solidarité et les grèves politiques commencent, les ouvriers occupent les usines et les délégués syndicaux démissionnent.
Des mobilisations à caractère quasi insurrectionnel ont lieu dans de nombreuses localités ; en plus des ouvriers, y participent de nombreux secteurs sociaux.
Les méthodes de lutte que la classe ouvrière met en pratique sont les mêmes: les assemblées de travailleurs qui deviennent véritables organismes démocratiques où se forge l’unité et où des accords sont conclus ; les grèves politiques ou de solidarité qui entraînent d’innombrables secteurs de la population ; des manifestations sont convoquées ; des barricades se lèvent; des usines sont occupées et les patrons sont séquestrés ; les piquets de grève deviennent des détachements de combat qui s’affrontent quotidiennement à la police.
Pour la première fois apparaît ce qui sera, peu de temps après, l’une des formes de lutte le plus significative: les grèves zonales généralisées et semi-spontanées, en ayant un contenu de solidarité anti-répressive.
En général, il s’agira d’actions développées à la suite d’une répression violente -et très souvent sanglante-, d’une grève ou d’une manifestation ouvrière ou populaire. Une action où la presque totalité de la population travailleuse prendra part et qui comportera fréquemment la mise en pratique de la violence de masses face à l’agression des forces répressives.
Bien de fois, les manifestations adoptent la forme de guérilla urbaine: à la place des occupations d’églises et des listes de signatures, préconisées par les révisionnistes, se produisent des assauts effectués par de petits groupes pour distribuer des tracts, placer de banderoles, faire des graffitis, préparer des sabotages ou dresser des barricades.
La police se montrait impuissante parce que, lorsqu’elle arrivait sur place, les manifestants avaient disparu pour se rendre à un autre endroit.
Après la brutale répression de l’après-guerre, les masses avaient perdu la peur du fascisme. Un important progrès de la conscience politique et de la capacité de lutte des ouvriers était en train de se produire.
Non seulement les méthodes de lutte se développaient en marge de la légalité, mais contre cette légalité elle-même: il y avait des grèves bien que ce soit un délit, des piquets se formaient malgré la répression, on participait à des manifestations malgré la violence policière, les coups de feu, etc.
Le mouvement ouvrier tourna le dos aux carrillistes, mais il continua à être désorganisé et à agir instinctivement et spontanément. Depuis lors, la situation n’a pas changé substantiellement parce que le mouvement spontané, de lui-même, ne peut rien faire de plus ; c’est aux communistes que revient la tâche de doter le mouvement ouvrier de la tactique et l’organisation nécessaires à poursuivre la lutte pour atteindre ses objectifs politiques de classe.
1.4 La confluence de plusieurs groupes communistes à Bruxelles
L’Organisation de Marxistes-Léninistes d’Espagne fut l’une des premières organisations nées en l’exil à la fin des années soixante, dans cette période d’essor du mouvement ouvrier et populaire.
En partant de l’OMLE, le parti révolutionnaire dont la classe ouvrière avait besoin fut reconstitué. Cependant, comme il arrive toujours avec chaque mouvement nouveau en gestation, l’OMLE était au début une organisation très faible et portait toutes les tares idéologiques et politiques caractéristiques du moment.
Ce serait plus tard que l’OMLE deviendrait un véritable détachement communiste, au travers d’un long processus de travail politique qui permettrait de mieux assimiler et appliquer le marxisme-léninisme aux conditions de l’Espagne.
Ce n’est pas par hasard que l’OMLE, de même que d’autres groupes, surgit en l’exil. Une organisation de ce caractère n’était pas possible à l’intérieur de l’Espagne, où les fascistes et les révisionnistes se préoccupaient à l’unisson d’empêcher que les ouvriers puissent avoir l’accès aux œuvres du marxisme-léninisme, à l’expérience des exilés qui poussaient à la révolution en Espagne.
Ces conditions n’existaient pas à l’intérieur, où les ouvriers les plus avancés ne se méfiaient que d’une façon instinctive de certaines manœuvres des carrillistes.
Comme on l’exposa quelques années plus tard : « L’époque de la fondation de l’OMLE fut une période d’une grande confusion parce que c’était alors que beaucoup de personnes inquiètes commençaient à se poser à nouveau tous les problèmes de la lutte de classes en Espagne. Le révisionnisme ne trompait plus ; c’était alors qu’il commença vraiment à battre en retraite, que sa Ligne s’effondra et qu’on en découvrit une nouvelle ».
On peut dire que le noyau initial de l’OMLE naquit en France de la fusion de plusieurs groupes, parmi lesquels il y en avait deux qui se détachaient, non seulement par le nombre de leurs membres, mais aussi, et particulièrement, par leur fidélité à la cause révolutionnaire et par les expériences et les habitudes acquises en matière d’organisation.
Le premier se rassemblait autour du journal Mundo Obrero Revolucionario ; il était le résultat d’une scission qui eut lieu en 1964 au sein de l’organisation du parti carrilliste en Suisse.
Cet organe de presse obtint la reconnaissance et le soutien du Parti Communiste de Chine, à l’époque où ledit Parti soutenait le mouvement marxiste-léniniste des pays de l’Europe occidentale. Son dirigeant le plus marquant était un ancien cadre du PCE (Suré) qui s’était distingué pendant la guerre révolutionnaire comme dirigeant de la guérilla et qui bénéficiait d’une grande influence parmi les communistes exilés.
Malgré le soutien que le Parti Communiste chinois et l’Humanité nouvelle en France accordaient à cette organisation, au milieu des années soixante, elle traversa une période de crise après laquelle les militants de base réussirent à former − à la fin de 1967 − un nouveau Comité de coordination à Paris, avec le but de reconstituer le Parti communiste.
L’autre groupe qui prit part active à la fondation, et qui par la suite aura une importance spéciale dans l’OMLE, est l’Organisation communiste marxiste-léniniste, dont Francisco Javier Martínez Eizaguirre était à la tête à Paris ; il était un ouvrier basque né à Erandio (Bizkaia), provenant des Comités de Soutien à la Lutte de Libération du peuple vietnamien et des organisations guevaristes partisanes d’organiser la lutte armée en Espagne.
Martínez Eizaguirre fut membre actif du Comité des Commissions Ouvrières jusqu’au moment de sa rupture avec les carrillistes. L’Organisation communiste marxiste-léniniste avait aussi dans ses buts la reconstruction du Parti Communiste.
Les autres membres de l’Organisation en herbe étaient aussi militants des Comités de soutien à la Lutte de Libération du peuple vietnamien et jouèrent un rôle remarquable parmi l’émigration espagnole et durant les événements de mai 1968 à Paris et dans d’autres villes de France. Parmi ces derniers, il y avait plusieurs jeunes en relation avec des ouvriers et des étudiants de Madrid.
En pleine explosion de mai 1968, des représentants de ces groupes eurent une série de discussions à Paris, où finalement il fut décidé de réaliser un travail politique commun. On fit des préparatifs pour mener à bien une Conférence, en créant un Comité de Liaison où chacun des groupes intéressés au projet eut sa représentation.
Compte tenu la dispersion régnante parmi les communistes opposés à la politique de réconciliation nationale préconisée par les carrillistes, la Conférence ne se proposa que tenter de grouper les forces pour reconstruire le Parti, puisqu’on considérait que le Parti Communiste d’Espagne, avec sa ligne politique révolutionnaire, avait cessé d’exister aux mains de Carrillo et ses partisans. Il était nécessaire, avant tout, de se mettre au travail pour relever le Parti sur la base d’un programme révolutionnaire marxiste-léniniste.
La Conférence constitutive de l’Organisation eut lieu à Bruxelles en novembre 1968 et 25 militants de deux groupes y participèrent. Tous se sentaient fortement influencés par l’expérience de la Révolution chinoise, ce qui se manifesta lors de la Conférence au moment d’adopter les résolutions relatives à la ligne politique.
On explique de cette façon qu’ils définirent l’Espagne comme étant un pays semi-féodal et colonial, oppressé et exploité par l’impérialisme yankee et qu’en accord avec ces postulats, ils établirent une Ligne de lutte et d’alliance de classes pour la libération nationale.
À cette époque-là, l’OMLE créa les Commissions Ouvrières de quartier parmi les travailleurs émigrants de Paris, participa à la Ière assemblée de Commissions Ouvrières d’Europe en juin 1970 et dirigea l’organisation de masses L’Émigrant, qui éditait un journal portant le même nom : « Alors, l’OMLE était complètement immergé dans le mouvement de gauche qui dénonçait le révisionnisme d’une façon littéraire pour pratiquer le suivisme ; c’est-à-dire qu’elle restait à l’ombre du PCE, en soutenant la même ligne. Les exilés et les émigrants avaient un rôle important pour mettre en relief l’inexistence d’un vrai parti communiste et la nécessité de le reconstruire; ils commencèrent à percevoir les problèmes avant que ne le fassent les ouvriers avancés d’Espagne, dû à leur contact avec le mouvement communiste international, mais ils étaient fort limités à cause de leur éloignement du pays. Cela ne leur permettait pas d’apercevoir la réalité de l’Espagne ».
Bien qu’à la Conférence de Bruxelles ils aient formé un Comité Central et une Commission exécutive pour diriger tout le travail politique, ils négligèrent le centralisme démocratique. L’Organisation se structura en diverses fédérations, toutes à l’étranger. Seul un petit nombre de militants fut envoyé à l’intérieur, où ils constituèrent deux autres fédérations à Madrid et à Cadix.
Pour la propagande fut pareil. L’OMLE avait commencé la diffusion d’un journal unique (Bandera Roja) édité à Paris, mais l’éloignement les empêchait de refléter la situation réelle d’Espagne.
Ces premiers problèmes auxquels l’Organisation se heurta peu après sa naissance s’aggravèrent à cause des désaccords et des contradictions qui opposaient chacune des fédérations à la Direction. Le Comité Central et le Comité exécutif commençaient à faire eau de toute part. Plusieurs réunions générales de représentants de chacune des fédérations avec le Comité Central eurent lieu; c’étaient des réunions où se manifestait, toujours, un plus grand nombre de problèmes sans résolution, en même temps que le travail politique de toute l’Organisation stagnait.
Seul Eizaguirre, à la tête d’une poignée de militants de la fédération de Paris, et d’autres militants qui développaient leur travail à l’intérieur poursuivirent le travail malgré les difficultés. Membre fondateur de l’Organisation, Eizaguirre resta ferme à sa place à travers tous les avatars et les désagréments de la lutte révolutionnaire, à travers les querelles des groupes politiques de l’émigration et de la dissolution presque totale de l’OMLE avant de contacter les groupes communistes de l’intérieur.
Dans une bonne mesure, on lui devait les progrès de l’Organisation. Il avait porté sur ses épaules la plus grande partie du travail politique et les frais économiques qui en découlaient, avant que soit constitué le Centre dirigeant. C’était lui qui avait assuré pendant longtemps l’édition de l’organe de presse et son introduction en Espagne.
L’une des consignes les plus importantes de cette première époque était la nécessité de l’union, de regrouper tous les communistes autour de la tâche de reconstruire le Parti, ce qui n’était pas conçu comme une tâche exclusive de l’OMLE, mais de tous les groupes qui avaient rompu avec le révisionnisme.
On peut dire que cette simple consigne fut celle qui sauva l’OMLE, contrairement aux autres groupes de l’époque : « Il y avait quelque chose qui la différenciait des autres organisations, car tandis que les autres étaient déjà le ‘Parti’, l’OMLE cherchait sa reconstruction et, malgré qu’elle ait une ligne incorrecte, on pouvait encore faire quelque chose avec elle. Cela amena l’organisation à une promotion de camarades plus liés aux conditions du pays. Logiquement, la lutte idéologique interne commença dès le moment même où on commença à travailler ».
L’OMLE fut la seule organisation qui ne surgit pas comme étant le Parti, mais qui se proposait de le reconstruire. Cependant, comme le temps le démontrera, cette reconstruction ne découlerait pas de l’union avec d’autres groupes dits communistes, mais de la critique implacable de ceux-ci.
Trois longues années s’écoulèrent avant de nous en rendre compte.
1.5 Les deux fédérations de l’intérieur : Cadix et Madrid
En même temps que les fédérations de l’étranger se dissolvaient, opposées les unes aux autres et ne surmontant pas les nombreux problèmes, le travail de l’Organisation à l’intérieur progressait. Les militants, peu nombreux, qui réalisaient leur travail politique clandestin à l’intérieur réussirent à établir le contact avec certains groupes d’ouvriers et d’étudiants à Madrid et à Cadix et commencèrent à diffuser le journal, Bandera Roja, édité par l’Organisation en France par leur biais. On commença à créer de cette façon les conditions pour le développement de l’OMLE.
Au début de l’activité de l’Organisation en Espagne, au seuil des années soixante, les quartiers de Vallecas et de Quintana à Madrid furent la base principale du travail. C’est à partir de ces quartiers que le rayon d’action de l’OMLE s’étendra aux autres quartiers, aux usines et aux facultés pour ensuite développer son activité à d’autres régions et à toutes les nationalités de l’État sur une base d’organisation plus solide.
Enrique Cerdán Calixto, Pepa Alarcón Lafuente et beaucoup d’autres furent militants de cette première heure de l’organisation à Madrid. Ces jeunes apprirent bientôt, à travers la lutte, ce que beaucoup d’ouvriers savaient déjà alors: que le parti révisionniste et sa politique de réconciliation n’étaient qu’un bobard que la bourgeoisie utilisait contre les travailleurs. Ils apprirent aussi à faire des graffitis, à distribuer de tracts, à fabriquer des cocktails Molotov et à organiser des commandos d’agitation pour la dénonciation politique.
L’été de 1970, ils dénoncèrent, par exemple, les assassinats d’ouvriers du bâtiment à Grenade ; plus tard, ils firent appel à la lutte contre l’état d’exception décrété par le Gouvernement au Pays Basque et participèrent aux manifestations de solidarité avec les accusés devant le conseil de guerre de Burgos, en décembre de cette année.
Cette première poignée de jeunes avait beaucoup d’enthousiasme et de volonté; toutefois, les problèmes de toute sorte qu’ils devaient affronter étaient nombreux et, à cette époque-là, les solutions adéquates manquaient toujours. Leurs idées en matière d’organisation étaient erronées et ils manquaient d’expérience de travail de parti.
En outre, la direction de l’Organisation était bien loin d’avoir établi clairement une stratégie et une tactique politiques, c’est pourquoi l’Organe central se contentait de diffuser des idées vagues sur une hypothétique domination impérialiste yankee en Espagne et des consignes de lutte pour la République Démocratique populaire.
Par ailleurs, on ne savait pas très bien comment mettre en pratique l’idée de la reconstruction du Parti, la seule idée vraiment claire et juste sur laquelle on devait baser la plus grande partie du travail à ce moment-là.
Depuis ces jours, à l’OMLE on apprit tout en marchant: le sens profond de la solidarité qui animait ces jeunes, le vif instinct de classe des ouvriers, la clandestinité et la lutte contre l’État capitaliste détesté, si enracinés parmi la classe ouvrière d’Espagne, firent au début ce que le marxisme-léninisme ne pouvait faire, simplement parce qu’on ne le connaissait pas.
Cette ignorance était l’héritage de trente ans de dictature fasciste et surtout de beaucoup d’années de désorganisation et de confusion fomentées par le révisionnisme. La répression fasciste et le révisionnisme avaient conspiré contre le mouvement ouvrier, mais ils ne purent étouffer l’instinct de classe.
Les premiers pas sont faits aussi à Cadix à cette époque. Dans cette ville, la naissance de l’OMLE pivotait autour du groupe de théâtre Quimera, Théâtre populaire. Ce groupe avait des caractéristiques très particulières. Ses membres étaient tous travailleurs, et lors de ses représentations ils se préoccupaient plus du fond, du contenu, que des formes ; ils se consacraient plutôt à faire de l’agitation qu’à jouer des œuvres artistiques.
José María Sánchez Casas était à sa tête ; c’était un autodidacte ; son père travaillait comme employé dans un magasin et sa mère était cuisinière chez des citoyens huppés. Sánchez Casas travaillait sur le quai de Cadix. Le groupe de théâtre attira l’attention non seulement des autorités, qui tentaient d’empêcher ses représentations en envoyant la Garde civile, mais aussi de différents groupes politiques de gauche.
L’été de 1969, un jeune, qui sera surnommé après Le Français, apparut dans les locaux où ils répétaient l’œuvre de Bertot Brecht La Vie de Galilée. Ce jeune donna quelques exemplaires du journal Bandera Roja aux membres du groupe de théâtre. Lors de sa deuxième visite à Cadix, quelques mois après, il portait un duplicateur et la proposition de s’organiser dans l’OMLE.
Sánchez Casas et son groupe ne savaient pas plus de l’Organisation que ce qu’ils avaient lu dans ces numéros de Bandera Roja, mais ils avaient remarqué quelque chose qui le rendait différent des autres journaux édités par d’autres groupes opportunistes de gauche et ils décidèrent d’y adhérer. Trois formèrent le noyau de l’Organisation de l’OMLE à Cadix, parmi lesquels Sánchez Casas.
Au début, les actions politiques de ce groupe étaient sporadiques et le spontanéisme y prédominait; de plus, ils ne trouvaient pas de directives précises pour les orienter dans leur travail dans le journal arrivé de France par la poste. Les seuls contacts qu’ils avaient avec la Direction consistaient dans les visites qui leur venaient de Madrid tous les six mois.
Pourtant, le noyau commencera bientôt à développer une activité énorme. Le groupe de théâtre servait d’agglutinant pour de nombreux jeunes travailleurs de la localité et d’organe de propagande. On jouait des œuvres où on criait les consignes diffusées en tracts clandestins auparavant par toute la ville. Des réunions avaient lieu avec tous ces jeunes dans les locaux où le groupe de théâtre répétait et on y discutait sur les problèmes politiques et syndicaux.
Toutefois, on ne pouvait encore parler d’une vraie organisation communiste ; on agissait plus par intuition et par élan de rébellion devant la répression et l’exploitation que les masses travailleuses subissaient.
Ces jours-là, on prit contact avec Juan Carlos Delgado de Codes, qui étudiait la Navigation et qui travaillait comme concierge à l’ordre des médecins de Cadix pour se payer les études. C’était un jeune décidé qui donna des signes d’une capacité d’analyse peu commune dès le premier moment.
D’origine ségovienne, la politique fut toujours la raison de sa vie, et la lutte de classes, la lutte pour le socialisme, la seule politique possible ; il sera assassiné à Madrid, Place de Lavapiés, en avril 1979 d’une balle dans la nuque.
Plus tard, on réussit à établir des contacts dans les chantiers navals de Cadix et dans la corporation du bâtiment ; quelques-uns étaient militants des Jeunesses ouvrières catholiques et des Commissions Ouvrières, aussi attirés pour la propagande de l’OMLE qui commençait à se répandre à Cadix. À une occasion, les responsables de la propagande avaient besoin d’une cachette pour le duplicateur et ils décidèrent d’en parler avec un jeune ouvrier du bâtiment qui méritait leur confiance.
Il s’appelait Juan Martín Luna. On lui parle de l’affaire et Luna n’hésita pas un seul moment. Depuis lors, il s’engagea dans l’Organisation étant l’un de ses militants les plus actifs. Malgré sa jeunesse, Martín Luna gagna bientôt le respect de tous ses camarades, beaucoup d’entre eux plus âgés; il fit des meetings et du prosélytisme, organisa des groupes de sympathisants dans le bâtiment et promut quelques luttes ; c’étaient les débuts d’un travail de parti auquel il consacra toute sa vie.
À cette époque, un fait capital se produisit dans l’OMLE. Manuel Pérez Martínez venait de sortir de la prison de Carabanchel (Madrid) – où il était resté quelques mois pour un délit de propagande et d’association illégale – et il prit contact avec l’Organisation dans son quartier, El Pozo del Tío Raimundo.
Il apportera au groupe initial de l’OMLE à Madrid des choses fondamentales, dont elle avait manqué jusqu’alors: de l’expérience dans le travail de parti, des idées précises sur la façon dont il ne fallait pas continuer à travailler et la connaissance des principes fondamentaux du marxisme-léninisme.
Manuel Pérez Martínez était un ouvrier du bâtiment comme son père. Il avait milité dans le PCE depuis 1963, dès sa jeunesse la plus précoce, jusqu’à 1968, date où il se sépara avec d’autres camarades du parti à la suite d’une assemblée des Commissions Ouvrières qui eut lieu dans le village de San Fernando de Henares, aux alentours de Madrid.
Il avait créé l’organisation des Jeunesses Communistes à Vallecas et il dirigea les luttes des habitants du quartier du Pozo del Tío Raimundo pour l’amélioration des conditions de vie, avec de jeunes militants catholiques. En 1965, répondant à un appel de tracts faits par les jeunes des deux tendances, les habitants du Pozo et d’Entrevías firent une grève du transport public. Lors de cette grève, de nombreux groupes d’ouvriers détruisirent la pratique totalité des véhicules de l’entreprise Vallejo. Le service fut amélioré immédiatement.
Stimulés par ces réussites, les jeunes qui avaient dirigé cette action de masses décidèrent d’étendre leur coopération à d’autres camps d’activité. C’est ainsi que naîtra la première Commission ouvrière de la jeunesse – intégrée par de jeunes communistes et catholiques -, une expérience qui donnera lieu les années suivantes à un large mouvement organisé de la jeunesse ouvrière à Madrid et dans d’autres capitales. La Direction carrilliste tentera bientôt d’utiliser ce mouvement de la jeunesse pour ses tractations politiques avec la bourgeoisie.
Manuel Pérez Martínez et d’autres camarades s’opposèrent dès le début, de la façon la plus résolue, à ces manœuvres et à toute renonciation à la lutte révolutionnaire pour faire un marché avec la bourgeoisie monopoliste. Il y avait longtemps qu’ils critiquaient au sein du parti carrilliste la ligne idéologique et la politique réformiste et traîtresse de la Direction.
Ces critiques s’accentuèrent à mesure que le temps s’écoulait et que la trahison carrilliste aux intérêts ouvriers était de plus en plus claire, jusqu’au moment où Pérez Martínez et ses camarades décidèrent de dénoncer publiquement et ouvertement les carrillistes, et rompirent avec eux et avec les Commissions Ouvrières de la jeunesse qu’ils contrôlaient.
Cette rupture toucha de nombreux jeunes ouvriers et étudiants, qui n’hésitèrent plus à l’heure de s’affronter aux carrillistes ; cela ouvrira la porte à tout un courant de critique du révisionnisme et à la création des nombreux groupes qui conformeront plus tard le mouvement de la gauche radicale à Madrid et dans d’autres endroits.
Cependant, bientôt se fera sentir la nécessité d’une organisation unifiée, qui agisse conformément aux principes idéologiques et politiques et aux normes de fonctionnement marxiste-léniniste.
Entre-temps, Manuel Pérez développait une large activité de propagande des idées communistes et pour l’organisation syndicale des ouvriers du bâtiment. Ces activités se feront remarquer plus tard, durant la grève du bâtiment de septembre 1971 et dans celles qui auront lieu à Madrid les années suivantes, des grèves où les Cercles Ouvriers du bâtiment, promus par l’OMLE, feront sentir leur présence de plus en plus.
Le travail développé par Manuel Pérez Martínez parmi les ouvriers et la jeunesse l’emmènera à la prison de Carabanchel le printemps de 1970. En sortant de prison, il s’engagea dans l’OMLE dans un groupe composé d’ouvriers et d’étudiants qui avaient rompu avec le révisionnisme auparavant, après être passés par l’épreuve du feu des débats et des dissensions sur n’importe quoi dans le meilleur style de l’époque, avant d’élaborer patiemment de justes conclussions politiques.
L’incorporation de ces nouveaux militants à l’OMLE se fit sentir rapidement dans l’organisation de Madrid, et leurs idées se reflétèrent dans le travail politique. Bientôt, on commença à organiser des cellules dans les quartiers, dans les entreprises, dans l’université, et petit à petit le libéralisme et la copinage régnants dans les relations des camarades furent bannis. On commença à étudier et à discuter à tous les niveaux les textes marxistes dont on disposait.
On obtint aussi un duplicateur qui se substitua à celui emprunté qu’on utilisait, et on commença à éditer de tracts d’agitation qui analysaient la réalité quotidienne sur les lieux de travail et dans les quartiers. Bandera Roja arrivait encore de Paris, mais il s’éloignait de plus en plus des vrais problèmes et ne répondait plus aux exigences du travail pratique.
On commença à entreprendre avec fermeté beaucoup de tâches, à analyser les événements politiques et les luttes des ouvriers en Espagne et à diffuser des consignes d’organisation, d’unité et de résistance, tous convaincus que ce qu’ils ne feraient pas pour reconstruire le Parti, personne ne le ferait. Pour toutes ces raisons, 1971 allait devenir une année clef et pas seulement pour l’organisation de Madrid.
Le Premier mai de cette année-là, l’OMLE organisa des manifestations, ou plutôt des sauts de type commando, à Palomeras et dans la zone d’Ascao, l’une durant la matinée et l’autre durant la soirée. La manifestation du matin à Palomeras fut l’une de celles qui se gravent dans la mémoire: en plein soleil et avec tout le quartier dans la rue en criant À bas le fascisme ! et en saluant les drapeaux rouges.
Divers piquets avaient passé toute la nuit à faire des graffitis avec des seaux et des pinceaux. Les rues des quartiers d’El Pozo et de Palomeras parurent remplies de consignes de Vive le Premier mai et Boycott des élections syndicales: l’impact parmi les gens fut immense et entraîna la venue d’une tradition d’agitation qui accompagnera partout l’OMLE, et après le PCE(r).
La manifestation commença à midi dans la rue Pedro Laborde et finit à Palomeras Bajas, à côté la voie du chemin de fer. On parcourut tout le quartier, en pendant des drapeaux rouges sur les câbles électriques et en distribuant des tracts qui expliquaient uniquement le cas des dix ouvriers pendus à Chicago, parce qu’une manifestation du Premier mai ces années-là n’avait pas besoin de beaucoup d’explications.
Quelque deux cents personnes l’avaient commencé et plus de mille la finirent, une demi-heure plus tard. La police et les sapeurs-pompier arrivèrent pour retirer les drapeaux. Cette manifestation fut une grande fête ; le prêtre Llanos et son cortège de soutanes – parmi lesquelles se détachait le prêtre Palatin, ensuite conseiller municipal avec le PSOE d’où il passa au ministère de l’Intérieur – commencèrent à se préoccuper de l’activité de l’OMLE dans le quartier, qui en peu de temps leur arrachait leur pouvoir sur ce laboratoire d’expérimentation sociale avant-gardiste de la hiérarchie ecclésiastique.
Les luttes de l’usine Manufactures textiles, dans la banlieue de Vicávaro, furent un fait important pour l’organisation de Madrid aux alentours de cette date. Les conditions de travail dans l’usine étaient vraiment misérables, plus encore que dans les autres usines du textile ; en outre, la direction tenta un licenciement collectif des travailleuses, parmi elles une camarade.
Cependant, un nombreux cercle d’ouvrières restait à l’intérieur et elles réussirent à arrêter le travail avec les consignes de réadmission, contre la régulation du personnel et pour toute une série d’améliorations. La réponse du patronat fut la procédure de crise et la fermeture définitive de l’usine. Ses portes ne furent jamais ouvertes à nouveau, mais le groupe d’ouvrières à la tête de ces luttes sera la base de l’organisation du textile à Madrid dans les années suivantes et du travail de parti de l’OMLE dans cette branche industrielle.
1.6 Pour un centre unique de toute l’Organisation
La Conférence de constitution de l’OMLE avait eu une grande importance parce qu’on y formula d’une façon claire et concrète l’objectif principal des communistes en ces moments-là: le Parti n’existait plus, il avait été désagrégé par les agents de la bourgeoisie infiltrés au sein de la classe ouvrière et, par conséquent, il fallait se mettre au travail pour le reconstruire.
Les premiers pas faits dans cette direction commençaient à mettre en évidence deux conceptions opposées. D’une partie, ceux qui soulignaient, Manuel Pérez en tête, la nécessité d’un seul Centre dirigeant pour toute l’Organisation et qui faisaient de la contradiction entre le peuple et l’État fasciste la contradiction principale de la société, et d’une autre, les partisans du polycentrisme (de la structure fédérative de l’organisation), qui continuaient à parler de l’Espagne comme étant une colonie yankee.
Ces différences politiques de fond se reflétaient, surtout, à l’heure de mettre en pratique un fonctionnement et un style de travail vraiment léniniste pour la reconstruction du Parti. L’affrontement avec les vieilles conceptions connut un premier point critique à la suite du deuxième appel à la grève générale dans le bâtiment que lancèrent les Commissions ouvrières en septembre 1971 à Madrid.
Lors de leur premier appel, l’année précédente, les révisionnistes avaient réussi à entraîner derrière eux toutes les organisations de gauche, y compris l’OMLE. Maintenant, par contre, on comptait déjà sur cette expérience.
Manuel Pérez travaillait alors sur le chantier de l’Université de Cantoblanco et connaissait fort bien la situation d’effervescence dans le secteur: un appel de ce genre était criminel, comme l’avait été l’antérieur, car il ne servait qu’à augmenter la discorde, à paralyser les multiples luttes partielles et à manœuvrer tout le mouvement au profit de la réconciliation, la chose la plus contraire au sentiment des ouvriers. Il fallait donc dénoncer cet appel comme une provocation.
Toutefois, tout le monde n’était pas d’accord dans l’OMLE avec ce point de vue. On avait accepté par majorité quelques mois auparavant la consigne de Boycott des élections syndicales, contre les propositions des carrillistes de remporter le Syndicat Vertical ; en revanche, maintenant, il y avait ceux qui considéraient plus pratique de ne pas descendre de la charrette de Commissions Ouvrières et de continuer à leur traîne en appuyant l’appel. Manuel Pérez réussit à imposer son point de vue au sein du Comité Local de Madrid et fut responsable d’organiser la campagne.
On fit des réunions avec les ouvriers, on distribua des tracts avec la consigne de Boycott de la provocation bourgeoise et on organisa des assemblées explicatives et de piquets dans les centres de travail pour dénoncer la grève comme liquidatrice. C’est de cette façon − disait le numéro 15 de Bandera Roja quelques mois après − que l’OMLE se mit à la tête du mouvement et commença à indiquer le chemin.
Cette campagne apprit aux militants et aux sympathisants ce qu’est le révisionnisme plus que toutes les critiques parues dans Bandera Roja jusqu’alors, et aussi comment on devait le combattre dans la pratique si on voulait reconstruire le Parti, diriger le prolétariat et cesser d’être un petit groupe de plus de gauchistes faisant la sieste à l’ombre des carrillistes et traînés par leur inertie réformiste. La clef était de rompre réellement et définitivement avec le révisionnisme, de se mettre à la tête de la classe ouvrière et non de rester toujours à sa queue.
Ceci fut la première expérience pratique où l’OMLE se mit réellement à la tête du prolétariat. Une époque nouvelle commençait. Derrière restait une Organisation qui, comme celles surgies du révisionnisme, n’accumulait que confusion politique et d’organisation.
On rompit définitivement avec cette pratique, mais il fallait rompre aussi avec beaucoup d’autres choses. Maintenant, la bataille était dans les rangs mêmes de l’Organisation. La Vème Réunion générale convoquée pour octobre 1971 marquera le début de cette nouvelle étape.