Publié dans L’Exploité, le 17 septembre 1921
Forces murales (Louis Deltour, Edmond Dubrunfaut, Roger Somville)

Forces murales (Louis Deltour, Edmond Dubrunfaut, Roger Somville)

Documents sur la fondation du Parti Communiste de Belgique

SOMMES-NOUS « PARLEMENTARISTES » ?
(« L’Exploité », 17 septembre 1921)

Le congrès entérinant les propositions du Comité de fusion et se conformant aux indications de Moscou, a décidé que nous participerons aux élections. Nous ferons la campagne électorale, nous présenterons des candidats, nous nous efforcerons d’avoir des députés communistes. Pourquoi agissons-nous ainsi ? Que dirons-nous à nos électeurs ? Quelle sera notre plate-forme électorale ? Que feront nos députés au parlement ?

Autant de questions qu’il faudrait, je crois, examiner de très près.

Je laisse de côté la question de principe. Elle est résolue. Elle ne se pose plus, en effet, pour nos adhérents aux thèses du IIe Congrès de l’Internationale communiste. Il n’y a pas, il ne peut y avoir, dans nos rangs, d’antiparlementaristes de principe. Le camarade qui admettrait cette conception pourrait être anarchiste ou syndicaliste révolutionnaire, il ne serait pas communiste.

Un homme se réclamant de cette dernière doctrine admet la nécessité de l’action politique en général et, depuis le IIe Congrès International tout au moins, de l’action parlementaire. Mais s’il n’y a pas chez nous − s’il ne peut y avoir − d’antiparlementaristes de principe, il y a certains de nos affiliés qui estiment qu’il n’y a pas lieu en Belgique, en 1921, de faire de l’action parlementaire.

Leur antiparlementarisme est varié, mais circonscrit dans certaines limites. Il n’est pas le même chez tous, mais chez chacun il ne va pas jusqu’au refus total, absolu dans tous les temps et dans tous les lieux, de participer à l’action parlementaire. Leur refus n’est donc pas principiel. Mais chez les uns − et c’est le cas de nos camarades de Saint-Gilles − le refus a été jusqu’à la rupture avec le Parti Communiste belge et, par conséquent, avec la rue Internationale 1.

Chez d’autres − les membres de l’ancien Parti − la méfiance de l’action parlementaire n’a pas été jusqu’à la scission, et tout en réservant leur droit intégral de propagande et de discussion, ils ont estimé qu’une scission ne pourrait, en conscience, se faire sur une question qui, au point de vue communiste même, n’a d’ailleurs qu’une importance secondaire et, en fait, ils se sont inclinés. Puis-je ajouter que dans nos rangs de nombreux camarades − et l’auteur de ces lignes est du nombre − estiment que l’action parlementaire à laquelle ils adhèrent comporte de nombreux aléas et que nous devons mettre en éveil une vigilance communiste très avertie pour empêcher toute confusion et toute déviation.

Au fond, l’hostilité des « antiparlementaristes de tactique » procède des mêmes craintes que celles que nous ressentons. Constatant l’effrayante mentalité « parlementariste » de la classe ouvrière belge, la confiance qu’elle met dans la toute-puissance rénovatrice du Parlement, le fétichisme enfantin dont elle auréole ses députés, la formidable déviation psychologique, créée et entretenue par la tactique électoraliste constante du Parti ouvrier, ils craignent, non sans quelque raison, que le « confusionnisme » ne soit perpétué dans la masse par la pratique d’une forme d’action discréditée.

Nos craintes − mes craintes tout au moins − sont semblables. Je les repousse cependant pour plusieurs raisons.

Le Parlement, à mon sens, est une arme dont nous ne devons repousser l’usage que lorsque nous pouvons lui substituer un moyen d’action plus puissant et plus immédiat : l’action de masse.

Pouvons-nous le faire en Belgique ?

Non. Nous ne pouvons réellement faire participer les masses activement à la bataille qu’en période révolutionnaire, en période d’action, de lutte directe. Y sommes-nous en Belgique ? Pas encore. Nous en sommes à la période d’organisation et de propagande. Or, l’action parlementaire est une forme de propagande et − bien utilisée et cela dépend de nous − une forme excellente. Il ne s’agit pas − tâche très secondaire − de conquérir des « voix » et des sièges, mais de profiter de la période électorale, période d’agitation dans les esprits pour toucher de près les grandes masses, plus facilement, plus spécialement qu’à d’autres moments, et de faire de la propagande communiste.

Et arrivés au Parlement, nos camarades pourront par le fait, par la réalité, démontrer au prolétariat que le Parlement, excellente tribune de propagande, ne fera jamais la Révolution, et lui donner par là même une excellente leçon de choses, leçon qui ne lui a pas encore été donnée, car, on l’oublie un peu trop, nous n’avons jamais eu en Belgique des députés communistes ni des députés révolutionnaires.

Telle est, je crois, la situation réelle. Tels me paraissent être les arguments de tactique qui militent en faveur de l’action électorale parlementaire.

Nous devons faire, nous ferons les deux, tout au moins en ce qui concerne la seconde, si les circonstances le permettent. Mais peur bien préciser en quoi consiste notre « parlementarisme », il nous restera à examiner, après avoir établi pourquoi nous devons en faire, à indiquer comment nous en ferons, et à nous demander ce que nous dirons à nos électeurs, et ce que nos députés feront au Parlement.

Ch. MASSART.

  1. Le groupe de Saint-Gilles des « Amis de L’Exploité » était dirigé par Joseph Bracops (le futur député-bourgmestre d’Anderlecht). Déjà au IIe congrès de la fédération, en février, ce groupe avait réclamé, contre l’avis de Jacquemotte et Massart, la sortie immédiate du P.O.B. Au IIIe congrès, fin mai, Bracops se déclara opposé à la participation aux luttes électorales. Finalement le groupe de Saint-Gilles refusa de se joindre au Parti communiste, lors de la fusion de septembre 1921, en réaffirmant son hostilité à l’action parlementaire. Il disparut peu après et Bracops se consacra alors entièrement à ses activités dans le syndicat des instituteurs.

Revenir en haut de la page.