Le mercantilisme se fonde sur le cadre national, théorisé en France par Jean Bodin ; dans la logique du mercantilisme, un pays ne peut s’enrichir qu’aux dépens d’un autre, le niveau des richesses ne se modifiant pas.

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C’est là une vision bien entendu réductrice, dont la faiblesse réside dans la focalisation unilatérale sur l’argent, dans le cadre d’une évaluation de la balance commerciale. Il faut vendre plus que les autres, vendre plus cher, et ce moment-là le pays s’enrichit.

Au sens strict, le mercantilisme définit ce raisonnement en termes de balance commerciale ; Karl Marx considère à ce titre qu’on ne peut parler réellement de mercantilisme authentique que pour l’Angleterre, pays le plus avancé dans le capitalisme qui a, justement, su appliquer ce raisonnement en théorie mais aussi en pratique, économiquement mais également idéologiquement et politiquement.

Le mercantilisme a, de fait, existé à différents degrés, comme idéologie d’affirmation de l’État modernisé sortant du féodalisme, porté par le capitalisme ; dans le cas où le capitalisme n’allait pas encore dans le sens de contrôler l’État, le mercantilisme était déformé, atténué ou inexistant.

Pour cette raison, en France, de par la monarchie absolue, le mercantilisme n’a pu exister qu’économiquement, mais pas politiquement. La base du régime ne permettait pas une affirmation du mercantilisme, mais en même temps la monarchie absolue en tant que superstructure y voyait un intérêt certain.

Sa logique était aussi de renforcer l’État, ce en quoi l’aristocratie et le clergé n’avaient pas d’intérêt.

En ce sens, étant donné que le mercantilisme considère que tout ce qui renforce la possibilité de réaliser des échanges, donc la production notamment, est une bonne chose, cela satisfait tout à fait la monarchie absolue.

Les propos suivants de Jean Bodin, qu’il écrit dans les six livres de la république, sont extrêmement connus et reflète cette philosophie du « renforcement » national :

« Or il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes : et qui plus est la multitude des citoyens (plus ils sont) empêche toujours les séditions et factions: d’autant qu’il y en a plusieurs qui sont moyens entre les pauvres et les riches, les bons et les méchants, les sages et les fous : et il n’y a rien de plus dangereux que les sujets soient divisés en deux parties sans moyens : ce qui advient ès Républiques ordinairement où il y a peu de citoyens. »

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Il faut donc, selon le mercantilisme, encourager la natalité et l’activité. C’est une démarche déjà affirmée par le protestantisme et sa valorisation du travail, mais qui était totalement à l’opposé des traditions féodales, sans parler du clergé et de sa charité encadrant les plus pauvres.

Le mercantilisme encourageait de ce fait aussi le travail des femmes et des enfants, bousculant les valeurs traditionnelles et les mœurs ; il n’hésitait pas à rejeter l’antisémitisme, uniquement par pragmatisme évidemment, dans la mesure où à ses yeux il était bon d’intégrer tous ceux qui peuvent renforcer l’économie et la faire tourner.

La monarchie absolue pouvait-elle aller aussi loin, en France ? Elle ne le pouvait pas et c’était là sa contradiction. En soutenant relativement le mercantilisme, elle construisait sa propre tombe, renforçant son assassin, la bourgeoisie, lui donnant les moyens matériels de devenir ensuite son fossoyeur.

Historiquement, c’est Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) qui fut en France le héraut du mercantilisme, au point qu’on parle de « colbertisme ».

Lui-même a été contrôleur général des finances de 1665 à 1683, secrétaire d’État de la Maison du roi et secrétaire d’État de la Marine de 1669 à 1683 ; à ses yeux, le commerce était une « guerre d’argent ».

Il représente le principe de la monarchie absolue de soutenir l’émergence d’une forte production nationale. Dans Le Capital, Karl Marx raconte ainsi :

« Le minimum de la somme de valeur dont un possesseur d’argent ou de marchandise doit pouvoir disposer pour se métamorphoser en capitaliste varie suivant les divers degrés de développement de la production.

Le degré de développement donné, il varie également dans les différentes industries, suivant les conditions techniques particulières.

A l’origine même de la production capitaliste, quelques-unes de ces industries exigeaient déjà un minimum de capital qui ne se trouvait pas encore dans les mains des particuliers.

C’est ce qui rendit nécessaire les subsides d’État accordés à des chefs d’industrie privée – comme en France du temps de Colbert, et comme de nos jours cela se pratique encore dans plusieurs principautés de l’Allemagne, – et la formation de sociétés avec monopole légal pour l’exploitation de certaines branches d’industrie et de commerce, autant d’avant-coureurs des sociétés modernes par actions. »

Jean-Baptiste Colbert va, de fait, mener toute une série d’initiatives, à commencer par unifier au niveau pays les ordonnances civile (1667), criminelle (1670), celle des Eaux et Forêts (1669), du Commerce (1673), de la Marine (1681).

Il fonde plusieurs académies : celle des inscriptions (sur les monuments) et celle de peinture et de sculpture (qu’il réorganise, tous deux en 1663), celle des sciences et celle de France à Rome (tous deux en 1666), de musique (1669), d’architecture (1671).

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A cela s’ajoute le triplement du nombre de volumes de la bibliothèque du Roi en 18 ans, la fondation de l’Observatoire de Paris, la création de jetons de présence à l’Académie française, la réorganisation du Jardin des Plantes à Paris.

Il demanda aux intendants de province toute une série de statistiques. Il mène une enquête d’une minutie complète – type, nombre de voyages, capitaines, nombre d’hommes, types de trafics, origine – sur les bateaux commerciaux, ainsi que sur les ports.

Il fit la même chose pour les forêts et la production de bois, notamment pour les bateaux, avec la réformation des forêts royales, mettant un terme à l’importation de bois de Scandinavie.

Jean-Baptiste Colbert mit également en place une Caisse des emprunts, où l’on pouvait prêter de l’argent à l’État, à 5 % d’intérêt, lorsque celui-ci avait des dépenses extraordinaires. Il améliora les principales routes, il commence la construction du canal des deux mers, pour relier la Méditerranée à l’océan Atlantique.

Il donna naissance à de nombreuses compagnies commerciales : la Compagnie des Indes Orientales, celle des Indes Occidentales, celle du Levant ; il mit en place des comptoirs : celui de Pondichéry aux Indes, en Amérique du Nord avec la Nouvelle-France dont la capitale était Québec, sur l’île de Bourbon (qui deviendra La Réunion).

Il réduisit de moitié la charge de l’État en rachetant des offices ne servant pas, supprimant également des rentes, étendit l’obligation du papier timbré.

Il permit aux aristocrates de commercer, il établit des manufactures, organisa des règlements par exemple sur les taux d’intérêt, renforça les peines contre les banqueroutes, unifia les poids et les mesures, ajouta des taxes aux importations tout en baissant les tarifs douaniers pour les matières premières.

Les règlements sur la qualité étaient drastiques : les marchandises défectueuses peuvent être exposés en place publique avec les noms des fautifs, détruites, alors qu’à la troisième récidive les personnes sont attachées à des carcans pendant deux heures, etc.

Il amena la formation de 400 manufactures disposant de larges privilèges (pas d’impôt, monopole complet) ainsi que d’aides, comme les tapisseries des Gobelins, les glaces et miroirs du Faubourg Saint-Antoine, les soieries de Lyon, les draps d’Abbeville, etc.

Toute cette dynamique modernisatrice se fonde entièrement sur la monarchie absolue et on peut résumer sa philosophie avec ce que Jean-Baptiste Colbert explique à Louis XIV dans une lettre :

« la conduite universelle des finances doit toujours veiller et employer tous les soins et l’autorité de Votre majesté pour attirer l’argent dans le royaume. »


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