Mao Zedong
Notre étude et la situation actuelle 1
12 avril 1944

I

Depuis l’hiver dernier, les cadres supérieurs de notre Parti étudient le problème des deux lignes dans l’histoire du Parti, ce qui leur a permis d’élever considérablement leur niveau politique. Beaucoup de questions ont été soulevées par nos camarades au cours de cette étude; sur quelques-unes des questions importantes, le Bureau politique du Comité central est arrivé aux conclusions suivantes :

1) L’attitude à adopter dans l’étude de notre expérience historique. Le Comité central estime que nous devons aider les cadres à acquérir, du point de vue idéologique, une compréhension parfaite des questions touchant à l’histoire du Parti et que nous devons en même temps adopter une politique d’indulgence dans les décisions que nous prenons à l’égard des camarades qui ont commis autrefois des erreurs, afin que, d’une part, les cadres comprennent à fond l’expérience historique de notre Parti et ne retombent pas dans les erreurs du passé, et que, d’autre part, nous puissions unir tous les camarades en vue de l’œuvre commune. Notre Parti a mené, au cours de son histoire, de grandes luttes contre les lignes erronées de Tchen Tou-sieou et de Li Li-san ; ces luttes étaient absolument nécessaires. Mais il y avait des défauts dans les méthodes employées. D’abord, les cadres du Parti n’ont pas été amenés à comprendre à fond, du point de vue idéologique, les causes de ces erreurs, les circonstances dans lesquelles elles avaient été commises et les mesures précises pour les corriger, de sorte que des erreurs de même nature ont pu se répéter. Ensuite, on a par trop insisté sur les responsabilités personnelles de chacun; aussi n’avons-nous pas réussi à unir autant de camarades que nous aurions pu en vue de l’œuvre commune. Que ces deux défauts nous servent d’avertissement. Cette fois-ci, dans l’examen des questions touchant à l’histoire du Parti, nous devons mettre l’accent, non sur les responsabilités personnelles de certains camarades, mais sur l’analyse des circonstances dans lesquelles les erreurs ont été commises, sur ce qu’étaient ces erreurs, sur leurs origines sociale, historique et idéologique; il faut procéder suivant le principe : “tirer la leçon des erreurs passées pour en éviter le retour et guérir la maladie pour sauver l’homme”, afin d’atteindre le double but d’éclaircir les idées et d’unir les camarades. La circonspection avec laquelle nous réglons les cas des camarades intéressés, sans glisser sur leurs fautes et sans leur faire tort, est une preuve de la vitalité et de l’épanouissement de notre Parti.

2) Une question, quelle qu’elle soit, doit être traitée d’une manière analytique, et il faut se garder de tout rejeter en bloc. Par exemple, la ligne suivie par la direction centrale, durant la période qui s’étend de la quatrième session plénière 2 à la réunion de Tsouenyi, doit être analysée sous deux aspects. Il faut relever d’une part que la tactique politique et militaire et la politique des cadres adoptées par l’organe dirigeant central durant cette période étaient erronées dans leurs aspects principaux, et faire remarquer d’autre part que les camarades qui avaient commis des erreurs n’avaient pas de divergences avec nous sur des questions aussi fondamentales que la lutte contre Tchiang Kaïchek, la poursuite de la révolution agraire et la lutte de l’Armée rouge. L’aspect tactique lui-même demande d’ailleurs à être analysé. Sur la question agraire, par exemple, l’erreur de ces camarades a été d’adopter une politique gauchiste en vertu de laquelle on n’attribuait aucune terre aux propriétaires fonciers et on laissait les mauvaises terres pour les paysans riches; mais ils étaient d’accord avec nous sur la confiscation des terres des propriétaires fonciers en vue de les partager entre les paysans qui avaient peu de terre ou qui n’en avaient point. L’analyse concrète d’une situation concrète, a dit Lénine, est “la substance même, l’âme vivante du marxisme” 3. Beaucoup de nos camarades, à qui l’esprit analytique fait défaut, ne cherchent pas à analyser et à étudier les questions complexes, de façon répétée et approfondie, mais préfèrent tirer des conclusions simplistes, absolument affirmatives ou absolument négatives. Le fait qu’il n’y a guère d’articles analytiques dans nos journaux et que l’habitude de l’analyse n’est pas encore suffisamment cultivée au sein du Parti montre que ces insuffisances existent toujours parmi nous. Il faut désormais remédier à cet état de choses.

3) La discussion des documents du VIe Congrès du Parti. Il faut noter que ce Congrès a adopté une ligne juste pour l’essentiel, puisqu’il a défini la révolution actuelle comme une révolution de caractère démocratique bourgeois et la situation à cette époque-là comme un intervalle entre deux périodes d’essor révolutionnaire, qu’il a condamné l’opportunisme et le putschisme et qu’il a publié le Programme en dix points 4. Tout cela était juste. Cependant, le Congrès a eu aussi ses défauts. Citons, parmi ces lacunes ou erreurs, celle de ne pas avoir mis en évidence le caractère extrêmement prolongé de la révolution chinoise et la très grande importance des bases rurales dans cette révolution. Mais, quoi qu’il en soit, il a joué un rôle progressiste dans l’histoire de notre Parti.

4) La direction centrale provisoire constituée à Changhaï en 1931 et la cinquième session plénière 5 qu’elle convoqua par la suite étaient-elles légales ou non ? Le Comité central estime qu’elles l’étaient toutes deux, mais il faut faire remarquer que la procédure d’élection était défectueuse et qu’il y a lieu de retenir cela comme une leçon de l’histoire.

5) La question des groupes fractionnels dans l’histoire du Parti. Il convient d’indiquer qu’à la suite de maints changements intervenus depuis la réunion de Tsouenyi les groupes fractionnels, qui existaient jadis et qui ont joué un rôle néfaste dans l’histoire de notre Parti, ont disparu. Dans notre étude actuelle des deux lignes au sein du Parti, il est absolument nécessaire de montrer qu’ils ont bien existé et joué ce rôle néfaste. Mais il serait faux de penser qu’il puisse encore y avoir des groupes fractionnels, qui auraient les programmes politiques et les formes d’organisation erronés d’autrefois, après tous les changements survenus à la suite des nombreuses luttes qui se sont déroulées au sein du Parti: en janvier 1935, à la réunion de Tsouenyi ; en octobre 1938, à la sixième session plénière du Comité central issu du VIe Congrès ; en septembre 1941, à la réunion élargie du Bureau politique 6 ; au cours du mouvement de rectification mené dans tout le Parti en 1942 et du mouvement commencé en hiver 1943 pour l’étude des luttes qui avaient opposé les deux lignes au sein du Parti. Les anciens groupes fractionnels ont disparu. Il ne reste plus que des survivances des conceptions dogmatiques et empiriques, que nous pouvons d’ailleurs éliminer en poussant en profondeur notre mouvement de rectification. Mais aujourd’hui, un phénomène grave se constate pour ainsi dire dans tout notre Parti, c’est le particularisme montagnard 7, tendance caractérisée par la cécité politique. Il y a, par exemple, un manque de compréhension, de respect et de solidarité entre camarades de diverses catégories, en raison des différences liées à leur passé de lutte, des différences entre les régions où ils travaillent (entre telle et telle base d’appui, entre régions occupées par les Japonais, régions contrôlées par le Kuomintang et bases révolutionnaires) et des différences entre leurs secteurs de travail (entre telle et telle unité de l’armée, entre tel travail et tel autre) ; ce phénomène semble banal, mais en fait il nuit sérieusement à l’unité du Parti et au renforcement de sa capacité de combat. Les racines sociales et historiques du particularisme montagnard résident dans le fait qu’en Chine la petite bourgeoisie est particulièrement nombreuse et que nos bases rurales sont depuis longtemps coupées les unes des autres par l’ennemi ; la cause subjective en est l’insuffisance du travail d’éducation dans le Parti. Dégager ces causes, persuader nos camarades d’en finir avec leur aveuglement et d’élever le niveau de leur conscience politique, aplanir les divergences de vues entre camarades, développer la compréhension et le respect mutuels, de façon à réaliser la grande unité de tout le Parti, telle est l’importante tâche qui se pose à nous aujourd’hui.

Une claire compréhension de ces questions par tous les membres du Parti assurera non seulement le succès de l’étude que nous poursuivons actuellement, mais aussi la victoire de la révolution chinoise.

II

La situation actuelle a deux caractéristiques: l’une est le renforcement du front antifasciste et le déclin du front fasciste, l’autre est, au sein même du front antifasciste, la croissance des forces populaires et le déclin des forces antipopulaires. La première caractéristique est évidente et se constate aisément. Hitler sera bientôt vaincu et les agresseurs japonais, eux aussi, courent à la défaite. La seconde caractéristique n’est pas encore si évidente et tout le monde ne peut la discerner aisément, mais elle devient de jour en jour plus manifeste, tant en Europe, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis qu’en Chine.

Il faut expliquer la croissance des forces populaires en Chine en fonction du développement de notre Parti.

On peut distinguer trois étapes dans le développement de notre Parti durant la Guerre de Résistance. La première va de 1937 à 1940. En 1937 et 1938, soit pendant les deux premières années de la guerre, les militaristes japonais prenaient au sérieux le Kuomintang et faisaient peu de cas du Parti communiste, aussi lancèrent-ils leurs forces principales contre le front du Kuomintang; dans leur politique à l’égard de ce dernier, l’attaque militaire était l’élément principal, et l’action politique pour l’inciter à capituler, l’élément secondaire. Quant aux bases antijaponaises dirigées par notre Parti, ils leur accordaient peu d’importance, croyant n’avoir à faire qu’à une poignée de communistes engagés dans des actions de partisans. Mais, après avoir occupé Wouhan en octobre 1938, les impérialistes japonais se mirent à changer de politique, à prendre au sérieux le Parti communiste et à faire peu de cas du Kuomintang ; à l’égard de celui-ci, l’action politique pour l’inciter à capituler devint alors l’élément essentiel, et l’attaque militaire l’élément secondaire; en même temps, ils déplacèrent peu à peu leurs forces principales pour les lancer contre les communistes, s’étant alors rendu compte que ce n’était plus le Kuomintang mais le Parti communiste qu’il fallait redouter. En 1937 et 1938, le Kuomintang se montrait encore plus ou moins actif dans la Guerre de Résistance, et ses relations avec notre Parti étaient encore relativement bonnes; malgré de nombreuses restrictions, il laissait au mouvement populaire antijaponais une liberté d’action assez grande. Mais après la chute de Wouhan, ses défaites dans la guerre et son hostilité croissante à l’égard du Parti communiste le poussèrent à devenir peu à peu plus réactionnaire, plus actif dans la lutte anticommuniste et plus passif dans la Guerre de Résistance. A la suite des revers subis dans la guerre civile, le Parti communiste n’avait en 1937 qu’environ 40.000 membres bien organisés et une armée dépassant à peine 30.000 hommes; c’est pourquoi les militaristes japonais en faisaient peu de cas. Mais en 1940, l’effectif du Parti avait atteint le chiffre de 800.000, notre armée comptait près de 500.000 hommes, et la population des bases d’appui atteignait un total d’environ 100 millions d’habitants, si l’on compte tous ceux qui nous payaient l’impôt en céréales, y compris ceux qui devaient en outre le payer aux autorités fantoches 8. En quelques années, notre Parti a étendu à tel point le théâtre des opérations, formé par les régions libérées, que nous avons pu empêcher pendant cinq ans et demi toute offensive stratégique des forces principales de l’envahisseur japonais contre le front du Kuomintang, attirer ces forces autour de nous, sortir le Kuomintang de la situation critique qui régnait sur son propre théâtre d’opérations et soutenir une guerre de résistance prolongée. Mais, durant la première étape, certains de nos camarades ont commis une erreur: ils ont sous-estimé l’impérialisme japonais (ainsi ont-ils méconnu le caractère prolongé et acharné de la guerre, préconisé la primauté de la guerre de mouvement menée avec de grosses formations et minimisé le rôle de la guerre de partisans), ils ont compté sur le Kuomintang et, faute de lucidité, ils n’ont pas su appliquer une politique indépendante (d’où leur esprit de capitulation devant le Kuomintang et leur hésitation à mobiliser hardiment les masses pour créer des bases démocratiques antijaponaises sur les arrières de l’ennemi et à augmenter largement les effectifs des forces armées dirigées par notre Parti). D’autre part, les nouveaux membres que le Parti avait recrutés en grand nombre n’avaient pas d’expérience et nos bases d’appui nouvellement établies derrière les lignes ennemies n’étaient pas encore consolidées. Durant cette étape, une certaine suffisance apparut dans nos rangs en raison du cours favorable des événements, de l’essor de notre Parti et de nos forces armées, et beaucoup de nos membres s’enflèrent d’orgueil. Cependant, nous sommes venus à bout de la déviation de droite dans le Parti et nous avons appliqué une politique indépendante; nous n’avons pas seulement porté des coups à l’impérialisme japonais, créé des bases d’appui et développé la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée, nous avons aussi fait échec à la première campagne anticommuniste du Kuomintang.

Les années 1941 et 1942 constituent la deuxième étape. Afin de préparer et d’entreprendre la guerre contre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, les impérialistes japonais intensifièrent encore l’application de la politique qu’ils avaient adoptée après la chute de Wouhan en faisant porter leurs attaques principales non plus sur le Kuomintang mais sur le Parti communiste ; ils massèrent des effectifs encore plus importants de leurs forces principales autour de toutes les bases d’appui dirigées par le Parti communiste, firent se succéder leurs campagnes de “nettoyage” et appliquèrent leur politique brutale de “tout brûler, tout tuer, tout piller”, concentrant leurs attaques contre notre Parti. Aussi ce dernier se trouva-t-il, durant ces deux années, dans une situation extrêmement difficile. Nos bases d’appui se rétrécirent, la population tomba au-dessous de 50 millions d’habitants, la VIIIe Armée de Route fut réduite à quelque 300.000 hommes, nos pertes en cadres furent très lourdes, nos finances et notre économie durement touchées. Pendant ce temps, le Kuomintang, se sentant les mains libres, combattait notre Parti par tous les moyens; il déclencha sa deuxième campagne anticommuniste, conjuguant ses attaques avec celles des impérialistes japonais. Mais cette situation difficile fut pleine d’enseignements pour nous, communistes, et nous apprit beaucoup de choses. Nous avons appris à combattre les campagnes de “nettoyage” de l’ennemi, sa politique de “grignotage” 9, sa campagne “pour le renforcement de la sécurité publique” 10, sa politique de “tout brûler, tout tuer, tout piller” et celle d’arracher aux nôtres des rétractations de leurs opinions politiques. Nous avons appris ou commencé à apprendre comment appliquer le “système des trois tiers” dans les organes du pouvoir du front uni, comment mettre en pratique la politique agraire, comment entreprendre le mouvement de rectification des trois styles, style de notre étude, style du Parti dans ses relations intérieures et extérieures et style de nos écrits, comment appliquer la politique : “moins de troupes mais de meilleures et une administration simplifiée”, ainsi que celle de l’unification de la direction, comment étendre le mouvement pour “le soutien au gouvernement et l’amour du peuple”, et enfin comment développer la production ; nous avons éliminé maints défauts, dont cette suffisance qui s’était manifestée chez nombre de nos camarades au cours de la première étape. Bien que nous ayons subi de lourdes pertes durant cette deuxième étape, nous avons tenu bon ; nous avons repoussé d’un côté les attaques de l’envahisseur japonais, et de l’autre la deuxième campagne anticommuniste du Kuomintang. Les attaques du Kuomintang contre le Parti communiste et les luttes que nous avons dû soutenir pour notre légitime défense ont par ailleurs engendré dans le Parti une sorte de déviation gauchiste ; ainsi, par exemple, croyant à une rupture prochaine de la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste, on s’est attaqué outre mesure aux propriétaires fonciers et on a négligé de rallier les non-communistes. Mais là encore, nous sommes venus à bout de la déviation. Dans notre lutte contre les “frictions” créées par le Kuomintang, nous avons affirmé le principe que nous devions avoir le bon droit de notre côté, nous assurer l’avantage et garder la mesure; dans notre travail du front uni, nous avons montré la nécessité de pratiquer “l’union et la lutte, l’union par la lutte”, ce qui nous a permis de maintenir le front uni national antijaponais dans nos bases d’appui comme dans l’ensemble du pays.

La troisième étape va de 1943 à aujourd’hui. Nos mesures politiques sont devenues plus efficaces; en particulier, le mouvement de rectification des trois styles et le développement de la production ont donné des résultats si décisifs que notre Parti s’est acquis sur le plan idéologique et matériel une position inexpugnable. De plus, nous avons appris ou commencé d’apprendre, l’année dernière, à procéder à la vérification des cadres et à mener la lutte contre les agents secrets. C’est dans ces circonstances que nos bases d’appui ont repris leur expansion, que leur population s’est élevée à plus de 80 millions d’habitants — si l’on compte tous ceux qui nous paient l’impôt en céréales, y compris ceux qui doivent en outre le payer aux autorités fantoches —, que notre armée à vu ses effectifs passer à 470.000 hommes et notre milice populaire à 2.270.000 hommes, que notre Parti a pu porter les siens à plus de 900.000 membres.

En 1943, les militaristes japonais n’ont guère modifié leur politique à l’égard de la Chine; c’est en effet toujours sur le Parti communiste qu’ils font porter leurs attaques principales. Depuis plus de trois ans, soit à partir de 1941, plus de 60 pour cent des troupes japonaises en Chine pèsent de tout leur poids sur les bases antijaponaises dirigées par notre Parti. Durant ces années, les forces du Kuomintang laissées sur les arrières de l’ennemi — plusieurs centaines de milliers d’hommes — ont été incapables de résister aux coups de l’impérialisme japonais ; près de la moitié s’est rendue, près de la moitié a été anéantie ; un très petit nombre d’hommes seulement ont survécu ou se sont repliés. Les troupes qui ont capitulé devant l’ennemi se sont tournées ensuite contre notre Parti, qui a dû ainsi, par surcroît, résister à plus de 90 pour cent des troupes fantoches. Le Kuomintang a eu seulement à résister à moins de 40 pour cent des forces japonaises et à moins de 10 pour cent des troupes fantoches. Durant les cinq ans et demi qui se sont écoulés depuis la chute de Wouhan en octobre 1938, les militaristes japonais n’ont déclenché aucune offensive stratégique contre le front du Kuomintang ; ils se sont limités à quelques actions relativement importantes à l’échelle opérationnelle (dans le Tchékiang-Kiangsi, à Tchangcha, dans le Houpei occidental, dans le Honan du Sud et à Tchangteh), qui n’étaient au fond que de simples incursions, alors qu’ils concentraient l’essentiel de leur attention sur les bases antijaponaises dirigées par notre Parti. Dans cette situation, la politique adoptée par le Kuomintang a été de “se retirer dans les montagnes” et de “regarder les autres se battre” ; il se contentait de parer les coups quand l’ennemi attaquait et se croisait les bras quand il se retirait. En 1943, le Kuomintang pratiqua une politique intérieure encore plus réactionnaire et lança sa troisième campagne anticommuniste, que nous avons également fait échouer.

De 1943 au printemps de cette année, les agresseurs japonais n’ont cessé de perdre du terrain sur le front du Pacifique, tandis que les Etats-Unis intensifiaient leur contre-offensive ; et maintenant, à l’Ouest, Hitler chancelle sous les coups puissants de l’Armée rouge soviétique. Pour éviter la défaite, les impérialistes japonais ont conçu l’idée de s’emparer des voies ferrées Peiping-Hankeou et Hankeou-Canton sur toute leur longueur et, voyant que leur politique pour inciter le Kuomintang de Tchongking à capituler n’a pas encore donné de résultats, ils ont estimé nécessaire de lui porter un nouveau coup; c’est pourquoi ils ont élaboré pour cette année le plan d’une offensive de grande envergure contre le front du Kuomintang. La campagne du Honan 11 dure depuis plus d’un mois. L’ennemi n’y a engagé que quelques divisions, et pourtant les troupes du Kuomintang, fortes de plusieurs centaines de milliers d’hommes, se sont enfuies à la débandade sans livrer bataille ; seules les troupes dites d’amalgame 12 ont été capables d’offrir quelque résistance. Dans les forces commandées par Tang En-po, les officiers sont coupés de leurs hommes, et les soldats, de la population; c’est le désordre complet, et plus des deux tiers des effectifs ont été perdus. De même, les quelques divisions que Hou Tsong-nan a envoyées dans le Honan se sont effondrées au premier choc. Cette situation résulte uniquement de la politique réactionnaire appliquée par le Kuomintang depuis quelques années. Pendant cinq ans et demi, depuis la chute de Wouhan, le théâtre d’opérations des régions libérées, dirigées par le Parti communiste, a assumé la lourde tâche de résister aux forces principales de l’envahisseur et des fantoches; bien que certains changements soient possibles dans l’avenir, ils ne pourront être que passagers, car le Kuomintang, qui se trouve dans un état de dégénérescence extrême par suite de sa politique réactionnaire de résistance passive au Japon et de lutte active contre les communistes, subira certainement de graves revers, ce qui rendra plus lourde encore la tâche de notre Parti dans le combat contre l’envahisseur et ses fantoches. En assistant pendant cinq ans et demi aux événements les bras croisés, le Kuomintang a perdu sa capacité de combat. En menant pendant cinq ans et demi une lutte opiniâtre, le Parti communiste a renforcé la sienne. Voilà qui décidera du sort de la Chine.

Comme nos camarades ont pu le constater, au cours des sept années qui se sont écoulées depuis juillet 1937, les forces démocratiques populaires, dirigées par notre Parti, ont traversé successivement les trois phases suivantes: essor, recul, nouvel essor. Nous avons repoussé les furieuses attaques de l’envahisseur japonais, créé de vastes bases révolutionnaires, donné un développement considérable au Parti et à l’armée, fait échouer trois grandes campagnes anticommunistes du Kuomintang et surmonté les conceptions erronées de droite et “de gauche” au sein du Parti; ce dernier a donc acquis une riche et précieuse expérience. Tel est le bilan de notre travail durant ces sept dernières années.

Notre tâche actuelle est de nous préparer à assumer une responsabilité plus grande encore: celle de chasser de la Chine l’agresseur japonais, quelles que soient les circonstances. A cette fin, nous devons développer et consolider encore plus notre Parti, notre armée et nos bases d’appui; nous devons nous préoccuper du travail dans les grandes villes et le long des principales voies de communication et attacher au travail dans les villes la même importance qu’à celui dans les bases d’appui.

Pour ce qui est des bases d’appui, nos efforts nous ont permis de leur donner une large extension durant la première étape, sans pouvoir toutefois les consolider; aussi se sont-elles rétrécies au cours de la deuxième étape, dès qu’elles ont subi les coups violents de l’ennemi. Dans cette étape, toutes les bases antijaponaises dirigées par notre Parti ont passé par une sévère épreuve, si bien qu’on y a fait de grands progrès par rapport à la première ; les cadres et les membres du Parti ont considérablement élevé leur niveau idéologique et ont acquis une connaissance bien meilleure de notre politique; ils ont appris beaucoup de choses qu’ils ignoraient auparavant. Mais pour clarifier les idées et étudier la politique, il faut du temps, et nous avons encore beaucoup à apprendre. Notre Parti n’est pas encore assez fort, assez uni, assez solide; il ne peut donc se charger d’une responsabilité plus grande que celle qu’il assume actuellement. Il s’agit dorénavant de développer et de consolider encore notre Parti, notre armée et nos bases d’appui dans le cours même de la Guerre de Résistance; c’est la première tâche indispensable dans notre préparation idéologique et matérielle en vue de l’œuvre gigantesque de l’avenir. Si nous ne la remplissons pas, nous ne serons pas capables de chasser l’envahisseur japonais ni de libérer toute la Chine.

Quant à notre travail dans les grandes villes et le long des principales voies de communication, il a toujours été très insuffisant. Si, maintenant, nous ne nous efforçons pas de rallier autour de notre Parti les dizaines de millions d’hommes que représentent les masses laborieuses et les autres éléments de la population opprimés par les impérialistes japonais dans les grandes villes et le long des principales voies de communication, et ne les préparons pas à l’insurrection armée, nos troupes et nos bases rurales seront privées de l’appui des villes et auront à affronter de nombreuses difficultés. Depuis plus de dix ans, nous sommes dans les régions rurales; il a été nécessaire d’encourager les camarades à bien les connaître et de mettre l’accent sur la création de bases d’appui. Au cours de cette période, la tâche de préparer des insurrections dans les villes, telle qu’elle a été décidée par le VIe Congrès du Parti, n’a pas été exécutée et elle ne pouvait pas l’être. Mais maintenant c’est différent; la résolution du VIe Congrès sera appliquée après le VIIe. Celui-ci se tiendra sans doute sous peu et discutera les problèmes du renforcement de notre travail dans les villes et de la conquête de la victoire à l’échelle nationale.

La conférence industrielle de la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia, qui siège ces jours-ci, est d’une grande importance. En 1937, la Région frontière avait en tout et pour tout 700 ouvriers; en 1942, leur nombre est passé à 7.000 ; et, maintenant, il est de 12.000. La signification de ce chiffre ne doit pas être sous-estimée. Il nous faut, dans les bases d’appui mêmes, apprendre à bien administrer l’industrie, le commerce et les communications des grandes villes; sinon, le moment venu, nous serons pris au dépourvu. Aussi la seconde tâche indispensable dans notre préparation idéologique et matérielle est-elle de prendre des dispositions en vue des insurrections armées dans les grandes villes et le long des principales voies de communication et d’apprendre à administrer l’industrie et le commerce. Sans cela non plus, nous ne serons pas capables de chasser l’envahisseur japonais ni de libérer toute la Chine.

III

Pour remporter de nouvelles victoires, nous devons appeler les cadres du Parti à déposer leur fardeau et à mettre la machine en marche. “Déposer leur fardeau” signifie libérer leur esprit de ce qui l’encombre. Beaucoup de choses peuvent devenir un fardeau, une charge, si nous nous y attachons aveuglément et inconsciemment. Prenons quelques exemples. Si vous avez fait des fautes, peut-être avez-vous le sentiment que, de toute façon, elles vous resteront sur le dos, et vous voilà découragé; si vous n’avez pas commis d’erreurs, vous pouvez vous croire infaillible et en tirer vanité. Le manque de succès dans le travail peut engendrer le pessimisme et l’abattement, la réussite susciter l’orgueil et l’arrogance. Un camarade qui n’a encore qu’une brève expérience de la lutte peut, de ce fait, chercher à se dérober aux responsabilités, tandis qu’un vétéran peut se buter à cause de son long passé de lutte. Le camarade ouvrier ou paysan, fier de son origine de classe, peut regarder de haut l’intellectuel, tandis que celui-ci, à cause des quelques connaissances qu’il possède, peut avoir du dédain pour le camarade ouvrier ou paysan. Toute qualification professionnelle peut devenir un capital personnel, qui mène à l’arrogance et au mépris d’autrui. Même l’âge peut être un motif de vanité. Les jeunes, se croyant intelligents et capables, mésestiment les vieux; et ceux-ci, parce qu’ils sont riches d’expérience, dédaignent les jeunes. Tout cela devient charge ou fardeau quand la conscience critique fait défaut. Une raison importante pour laquelle certains camarades se placent au-dessus des masses, se coupent d’elles et commettent erreur sur erreur, c’est qu’ils portent un tel fardeau. Une condition préalable, indispensable, pour se lier aux masses et commettre moins d’erreurs est donc d’examiner les fardeaux qui pèsent sur soi, de s’en défaire et de libérer ainsi son esprit. A plusieurs reprises dans l’histoire de notre Parti, une grande suffisance s’est manifestée dans nos rangs, et nous en avons subi les conséquences. La première fois, ce fut durant la première moitié de l’année 1927. L’Armée de l’Expédition du Nord avait atteint Wouhan, et certains camarades en conçurent un tel orgueil, une telle suffisance, qu’ils oublièrent que le Kuomintang s’apprêtait à nous attaquer. Le résultat en fut la ligne erronée de Tchen Tou-sieou, qui conduisit alors à la défaite de la révolution. La deuxième fois, ce fut en 1930. Profitant d’une guerre de grande envergure menée par Tchiang Kaï-chek contre Feng Yu-siang et Yen Si-chan 13, l’Armée rouge gagna quelques batailles; et, de nouveau, certains camarades se laissèrent gagner par l’orgueil et la suffisance. Le résultat en fut la ligne erronée de Li Li-san, qui à son tour causa des pertes aux forces révolutionnaires. La troisième fois, ce fut en 1931. L’Armée rouge avait brisé la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” du Kuomintang et, immédiatement après, le peuple chinois avait déclenché, face à l’attaque japonaise, l’impétueux mouvement antijaponais ; alors, de nouveau, certains de nos camarades en conçurent de l’orgueil et de la suffisance. Le résultat fut l’apparition d’une ligne erronée encore plus grave, qui nous coûta environ les 90 pour cent des forces révolutionnaires que nous avions constituées avec tant de peine. La quatrième fois, ce fut en 1938. La Guerre de Résistance avait commencé et le front uni avait été établi; une fois de plus, certains camarades s’abandonnèrent à l’orgueil et à la suffisance, ce qui leur fit commettre une erreur assez analogue à la ligne de Tchen Tou-sieou. Cette fois encore, le travail révolutionnaire en souffrit énormément là où les effets de leurs idées erronées s’étaient fait le plus vivement sentir. Dans tout le Parti, les camarades doivent donc tirer la leçon de ces exemples d’erreurs nées de l’orgueil. Récemment, nous avons fait réimprimer l’essai de Kouo Mo-jo sur Li Tse-tcheng 14, pour que les camarades puissent dégager un enseignement de cette histoire et qu’ils ne se laissent plus gagner par la suffisance dans les moments de succès.

“Mettre la machine en marche” signifie faire bon usage de l’organe de la pensée. Certains camarades, bien qu’aucun fardeau n’accable leur esprit et qu’ils aient le mérite d’être liés aux masses, ne savent pas réfléchir et ne veulent pas se creuser la cervelle; aussi n’arrivent-ils pas à accomplir leur tâche. D’autres se refusent à se servir de leur cerveau parce que le fardeau qui pèse sur eux engourdit leur intelligence. Lénine et Staline ont souvent conseillé de bien réfléchir, et nous donnerons le même conseil. Le propre de cette machine que constitue le cerveau, c’est de penser. Mencius disait : “La fonction de l’esprit est de penser 15.” Sa définition du rôle du cerveau est juste. Nous devons toujours utiliser notre cerveau et bien réfléchir à chaque chose. Un dicton affirme: “Un froncement de sourcils, et un stratagème vient à l’esprit.” En d’autres termes, mûre réflexion engendre sagesse. Pour nous débarrasser de la pratique, répandue dans notre Parti, d’agir à l’aveuglette, nous devons encourager nos camarades à réfléchir, à apprendre la méthode de l’analyse et à en cultiver l’habitude. Cette habitude est loin d’être courante dans notre Parti. Si nous déposons nos fardeaux et mettons la machine en marche, si rien ne nous accable et si nous savons réfléchir, nous serons victorieux.

  1. De 1942 à 1944, l’organe dirigeant central et les cadres supérieurs du Parti communiste chinois ont tenu des discussions sur l’histoire du Parti, et plus particulièrement sur la période qui s’étend du début de 1931 à la fin de 1934 ; ces discussions ont beaucoup contribué à réaliser l’unité idéologique du Parti sur la base du marxisme-léninisme. La réunion élargie du Bureau politique du Comité central, tenue à Tsouenyi dans la province du Koueitcheou, en janvier 1935, avait corrigé la ligne erronée “de gauche” suivie du début de 1931 à la fin de 1934 ; elle avait modifié la composition de l’organe dirigeant central, établi une nouvelle direction, ayant à sa tête le camarade Mao Zedong, et ramené la ligne du Parti sur une voie juste, marxiste-léniniste. Toutefois, de nombreux cadres du Parti ne connaissaient pas à fond la nature des lignes erronées du passé. Afin d’élever davantage le niveau idéologique marxiste-léniniste des cadres du Parti, le Bureau politique discuta à plusieurs reprises, en 1942-1943, de l’histoire du Parti, puis dirigea en 1943-1944 des discussions de même nature parmi les cadres supérieurs de tout le Parti. Toutes ces discussions constituèrent une importante préparation en vue du VIIe Congrès du Parti, qui se tint en 1945 ; elles lui permirent de réaliser une unité idéologique et politique sans précédent dans l’histoire du Parti communiste chinois. “Notre étude et la situation actuelle” est le discours que prononça le camarade Mao Zedong, à une conférence des cadres supérieurs à Yenan, sur le thème de ces discussions.
  2. Il s’agit de la quatrième session plénière du Comité central issu du VIe Congrès du Parti communiste chinois ; elle se tint en janvier 1931.
  3. Voir “Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine”, note 10, Œuvres choisies de Mao Tsé-toung, tome I, p. 282.
  4. Voir “La Tactique de la lutte contre l’impérialisme japonais”, note 32, Ibidem, p. 196.
  5. Il s’agit de la cinquième session plénière du Comité central issu du VIe Congrès du Parti communiste chinois ; elle se tint en janvier 1934.
  6. Cette réunion examina la question de la ligne politique suivie par le Parti aux diverses périodes de son histoire, et plus particulièrement au cours de la Deuxième guerre civile révolutionnaire.
  7. Le particularisme montagnard est un esprit de coterie né principalement des conditions d’une guerre de partisans prolongée au cours de laquelle les bases révolutionnaires rurales étaient dispersées et coupées les unes des autres. Les premières de ces bases d’appui furent pour la plupart établies dans des régions montagneuses; se considérant comme une unité à part, chacune d’elles ressemblait à un massif isolé, d’où le nom de particularisme montagnard pour désigner cette tendance erronée.
  8. Dans les régions relativement stables des bases d’appui, la population ne payait l’impôt en céréales qu’au gouvernement démocratique antijaponais ; mais dans les régions périphériques de ces bases et dans les régions de partisans, constamment soumises aux harcèlements de l’ennemi, elle était souvent forcée de payer une seconde redevance en céréales aux autorités fantoches.
  9. Les impérialistes japonais passèrent de la méthode d’“engloutissement” rapide à celle du “grignotage” lent et progressif du territoire des bases antijaponaises, lorsque leurs vastes offensives contre celles-ci eurent échoué. Ils tentèrent, en consolidant méthodiquement les territoires conquis, en lançant des attaques soigneusement préparées et en enlevant secteur après secteur, de réduire le territoire des bases antijaponaises et d’étendre celui des régions qu’ils occupaient.
  10. En mars 1941, l’envahisseur japonais et les traîtres chinois dans la Chine du Nord annoncèrent une “campagne pour le renforcement de la sécurité publique” qui impliquait des perquisitions, l’établissement du système de caution solidaire du pao-kia, la vérification d’identité foyer par foyer et l’organisation de troupes fantoches, le tout dans le but de réprimer les forces antijaponaises.
  11. En mars 1944, l’agresseur japonais déclencha cette campagne dans laquelle il engagea 50.000 à 60.000 hommes. Les 400.000 hommes de l’armée du Kuomintang commandés par Tsiang Ting-wen, Tang En-po et Hou Tsong-nan se volatilisèrent littéralement devant l’envahisseur. Trente-huit districts, dont Tchengtcheou et Louoyang, tombèrent successivement aux mains de l’ennemi. Tang En-po perdit 200.000 hommes.
  12. Voir “Développer hardiment les forces antijaponaises, repousser les attaques des irréductibles anticommunistes”, note 8, Œuvres choisies de Mao Tsé-toung, tome II, p. 469.
  13. Ce conflit entre seigneurs de guerre, qui se déroula le long des voies ferrées Longhaï et Tientsin-Poukeou, dura six mois, de mai à octobre 1930; les pertes subies par les deux côtés atteignirent 300.000 hommes.
  14. Kouo Mo-jo écrivit en 1944 un essai : “Le Tricentenaire de l’Insurrection de 1644”, pour commémorer la victoire de ce soulèvement paysan conduit par Li Tse-tcheng dans les dernières années de la dynastie des Ming. Il y explique que l’armée des insurgés fut vaincue en 1645 parce que, après son entrée à Pékin en 1644, certains de ses chefs furent corrompus par une vie de luxe et de débauche, et qu’une lutte fractionnelle éclata dans ses rangs. L’essai parut d’abord à Tchongking, dans le quotidien Sinbouajepao; plus tard, il fut publié en brochure à Yenan et ailleurs, dans les régions libérées.
  15. Tiré de Mencius, livre XI, “Kaotse”, Ire partie.

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