Mao Zedong
La situation dans la guerre de résistance après la chute
de Changhai et de Taiyuan et les tâches qui en découlent1
12 novembre 1937

I. LA SITUATION ACTUELLE EST CARACTERISEE PAR LA TRANSITION ENTRE LA GUERRE DE RESISTANCE PARTIELLE ET LA GUERRE DE RESISTANCE GENERALE

1. Nous approuvons toute guerre de résistance, même partielle, contre l’attaque de l’impérialisme japonais, parce qu’une résistance partielle constitue un progrès sur la non-résistance, parce qu’elle revêt, dans une certaine mesure, un caractère révolutionnaire, parce qu’elle est, elle aussi, une guerre pour la défense de la patrie.

2. Toutefois, comme nous l’avons déjà signalé (lors de la Conférence des Militants actifs du Parti à Yenan en avril dernier, puis à la Conférence nationale du Parti en mai et dans la résolution adoptée en août par le Bureau politique du Comité central2), une guerre de résistance partielle, qui est conduite par le gouvernement seul et d’où sont exclues les masses populaires, ne peut aboutir qu’à la défaite. Car ce n’est pas une guerre révolutionnaire nationale dans le plein sens du terme, ce n’est pas une guerre des masses populaires.

3. Nous préconisons une guerre révolutionnaire nationale au plein sens du terme, une guerre qui implique la mobilisation de tout le peuple; autrement dit, nous sommes pour une résistance générale. Car elle seule sera une guerre des masses populaires et pourra assurer la défense de la patrie.

4. Bien que la guerre de résistance partielle préconisée par le Kuomintang soit aussi une guerre nationale et qu’elle ait, dans une certaine mesure, un caractère révolutionnaire, ce caractère est très limité. Une résistance partielle mènera inévitablement à la défaite, elle ne peut en aucune façon assurer la défense de la patrie.

5. Là réside la divergence de principe entre la position du Parti communiste et la position actuelle du Kuomintang en ce qui concerne la Guerre de Résistance. Si les communistes l’oublient, ils ne seront pas en mesure de diriger judicieusement cette Guerre, ils seront incapables de triompher du caractère partiel que lui confère le Kuomintang, ils iront jusqu’à abandonner leurs principes, ravalant le Parti communiste au niveau du Kuomintang. Ce serait commettre un crime envers la cause sacrée de la guerre révolutionnaire nationale et de la défense de la patrie.

6. Une guerre révolutionnaire nationale dans le plein sens du terme, une guerre de résistance générale, exige la mise en œuvre du Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie, proposé par le Parti communiste; elle exige de même un gouvernement et une armée qui appliquent intégralement ce Programme.

7. Après la chute de Changhaï et de Taiyuan, la situation se présente comme suit :

a) En Chine du Nord, la guerre régulière, dans laquelle le Kuomintang jouait le rôle principal, a pris fin, et la guerre de partisans, dans laquelle le Parti communiste joue le rôle principal, a passé au premier plan. Dans les provinces du Kiangsou et du Tchékiang, la ligne de front du Kuomintang a été percée, et les agresseurs japonais poussent leur offensive vers Nankin et le bassin du Yangtsé. Dès lors, il est clair que la résistance partielle du Kuomintang ne saurait durer.

b) Considérant leurs propres intérêts impérialistes, les gouvernements de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de la France ont fait entendre qu’ils aideraient la Chine, mais jusqu’ici ils se sont bornés à une sympathie verbale sans apporter aucune aide réelle.

c) Les fascistes allemands et italiens font tout leur possible pour soutenir l’impérialisme japonais.

d) Le Kuomintang continue à ne vouloir apporter aucun changement de principe à son régime de dictature d’un seul parti et à sa politique despotique envers le peuple, qui sont les instruments de sa guerre de résistance partielle.

Tel est l’un des aspects de la situation.

Voici l’autre:

a) Le Parti communiste et la VIIIe Armée de Route voient leur influence politique s’étendre avec une ampleur et une rapidité considérables, ils sont acclamés à travers le pays comme les “sauveurs de la nation”. Ils sont décidés à poursuivre sans défaillance la guerre de partisans en Chine du Nord, de façon à défendre tout le pays et à empêcher les envahisseurs japonais, en les immobilisant, de lancer leur offensive en direction des Plaines centrales et du Nord-Ouest.

b) Le mouvement de masse a fait un pas en avant.

c) La bourgeoisie nationale s’oriente vers la gauche.

d) Les forces favorables à un changement grandissent au sein du Kuomintang.

e) Le mouvement des peuples du monde contre le Japon et pour l’aide à la Chine s’élargit.

f) L’U.R.S.S. se prépare à apporter une aide matérielle à la Chine.

Tel est l’autre aspect de la situation.

8. Nous nous trouvons ainsi dans une période de transition entre la guerre de résistance partielle et la guerre de résistance générale. Tandis que la première ne peut déjà plus se poursuivre, la seconde n’est pas encore commencée. Cette transition, cette soudure constitue une période fort critique.

9. Durant cette période, la guerre de résistance partielle de la Chine peut prendre l’une des trois directions suivantes :

La première est la cessation de la résistance partielle et son remplacement par la résistance générale. C’est ce qu’exige la majorité du peuple, mais le Kuomintang ne s’y est pas encore décidé.

La deuxième est la cessation de la Résistance et son remplacement par la capitulation. C’est ce qu’exigent les agresseurs japonais, les traîtres et les éléments projaponais, mais la majorité du peuple chinois s’y oppose.

La troisième est la coexistence de la Résistance et de la capitulation. Ce cas pourra se produire lorsque les agresseurs japonais, les traîtres et les éléments projaponais, incapables d’orienter les choses dans la deuxième direction, mettront en œuvre leur plan perfide de rupture du front antijaponais en Chine. Ils manœuvrent actuellement dans ce sens. Ce danger est très réel.

10. A en juger par la situation actuelle, les facteurs intérieurs et internationaux qui empêchent l’esprit de capitulation de l’emporter prédominent. Ce sont, entre autres, la persistance du Japon dans sa politique d’asservissement de la Chine, qui ne laisse à cette dernière d’autre choix que de se battre; l’existence du Parti communiste et de la VIIIe Armée de Route ; la volonté du peuple chinois ; la volonté de la majorité des membres du Kuomintang ; la crainte de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de la France de voir leurs intérêts lésés du fait de la capitulation du Kuomintang ; l’existence de l’Union soviétique et sa politique d’aide à la Chine; les grands espoirs que le peuple chinois fonde (non sans raison) sur l’Union soviétique. L’utilisation judicieuse et coordonnée de tous ces facteurs nous permettra non seulement d’éviter la capitulation ainsi que la rupture du front antijaponais, mais aussi de balayer tous les obstacles qui empêchent le pays de dépasser le stade de la résistance partielle.

11. Par conséquent, la perspective de passer de la guerre de résistance partielle à la guerre de résistance générale existe. Et lutter pour cette perspective est la tâche urgente, commune à tous les membres du Parti communiste chinois, à tous les éléments progressistes du Kuomintang et à tout le peuple chinois.

12. La guerre révolutionnaire nationale de la Chine contre le Japon traverse actuellement une période critique. Celle-ci peut se prolonger, mais on peut aussi en sortir assez rapidement. Les facteurs décisifs sont: sur le plan intérieur, la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste, un changement dans la politique du Kuomintang sur la base de cette coopération, la puissance des masses ouvrières et paysannes; sur le plan extérieur, l’aide de l’Union soviétique.

13. Une réforme du Kuomintang sur le plan politique et sur celui de l’organisation est nécessaire et possible3. Cela tient principalement à la pression exercée par le Japon, à la politique de front uni du Parti communiste chinois, à la volonté du peuple chinois, à la montée des forces nouvelles au sein du Kuomintang. Notre tâche est d’amener celui-ci à réaliser cette réforme, qui doit servir de base à la refonte du gouvernement et de l’armée. Une telle réforme nécessite évidemment l’accord du Comité exécutif central du Kuomintang, et nous sommes seulement en position de la proposer.

14. On doit procéder à une refonte du gouvernement. Nous avons proposé la convocation d’une assemblée nationale provisoire, ce qui est également nécessaire et possible. Sans aucun doute, cette réforme exige aussi l’accord du Kuomintang.

15. La refonte de l’armée consiste à créer de nouvelles unités et à réorganiser les anciennes. Si une armée de 250.000 à 300.000 hommes, animée d’un esprit politique nouveau, peut être mise sur pied en six mois ou un an, la situation commencera à changer sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance. Cette nouvelle armée exercera son influence sur toutes les forces armées de type ancien et les unira autour d’elle. Voilà la base militaire qui permettra de passer à la contre-offensive stratégique dans la Résistance. Cette refonte exige également l’accord du Kuomintang. La VIIIe Armée de Route jouera un rôle exemplaire au cours de cette refonte. Elle doit accroître ses propres effectifs.

II. COMBATTRE L’ESPRIT DE CAPITULATION AU SEIN DU PARTI COMME DANS TOUT LE PAYS

COMBATTRE L’ESPRIT DE CAPITULATION DE CLASSE AU SEIN DU PARTI

16. En 1927, le capitulationnisme de Tchen Tou-sieou a conduit la révolution à la défaite. Aucun membre de notre Parti ne doit oublier cette leçon historique payée de notre sang.

17. En ce qui concerne notre ligne pour un front uni national antijaponais, le principal danger au sein du Parti était, avant l’Incident de Loukeoukiao, l’opportunisme “de gauche”, c’est-à-dire l’attitude sectaire de la “porte close”. Cela s’explique principalement par le fait que le Kuomintang ne résistait pas encore au Japon.

18. Depuis l’Incident de Loukeoukiao, le principal danger au sein du Parti n’est plus la déviation “de gauche”, l’attitude sectaire de la “porte close”, mais l’opportunisme de droite, c’est-à-dire l’esprit de capitulation. La principale raison en est que le Kuomintang a passé à la résistance contre le Japon.

19. Dès le mois d’avril, à la Conférence des Militants actifs du Parti tenue à Yenan, puis, de nouveau, en mai, à la Conférence nationale du Parti, et surtout en août, lors de la réunion du Bureau politique du Comité central (réunion de Louotchouan), nous avons posé la question suivante : Est-ce le prolétariat qui dirigera la bourgeoisie au sein du front uni, ou la bourgeoisie le prolétariat ? Est-ce le Kuomintang qui entraînera avec lui le Parti communiste, ou le Parti communiste le Kuomintang ? Si l’on considère la tâche politique concrète qui se pose actuellement, cette question revient à ceci : Faut-il élever le Kuomintang au niveau du Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie, au niveau de la résistance générale, préconisés par le Parti communiste, ou faut-il abaisser le Parti communiste au niveau de la dictature des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie exercée par le Kuomintang, au niveau de la résistance partielle ?

20. Pourquoi devons-nous poser cette question dans toute son acuité ? En voici les raisons :

Ce sont, d’une part: l’esprit de compromis de la bourgeoisie chinoise; la supériorité matérielle du Kuomintang ; les attaques calomnieuses et offensantes contre le Parti communiste ainsi que les vociférations sur le thème “Cessons la lutte des classes” dans la déclaration et les résolutions de la troisième session plénière du Comité exécutif central du Kuomintang ; l’espoir profond que nourrit le Kuomintang d’une “capitulation du Parti communiste” et la vaste propagande qu’il mène dans ce sens ; les tentatives de Tchiang Kaï-chek pour contrôler le Parti communiste ; la politique du Kuomintang visant à limiter et à affaiblir l’Armée rouge et les bases démocratiques antijaponaises ; le plan tramé en juillet pendant le cours d’instruction du Kuomintang à Louchan4. en vue de “réduire de deux cinquièmes les forces du Parti communiste dans la Guerre de Résistance” ; les tentatives du Kuomintang de séduire les cadres du Parti communiste en leur offrant honneurs et fortune, jouissances et plaisirs ; la capitulation politique de certains éléments radicaux petits-bourgeois (dont le représentant est Tchang Nai-ki5) ; etc.

Il y a, d’autre part : l’inégalité du niveau théorique des membres du Parti communiste ; le fait qu’à beaucoup d’entre eux manque l’expérience de la coopération pratiquée par les deux partis pendant l’Expédition du Nord ; la présence, au sein de notre Parti, d’un grand nombre de membres d’origine petite-bourgeoise ; la répugnance de certains membres du Parti à poursuivre une vie de dur combat ; l’existence, au sein du front uni, d’une tendance aux accommodements sans principe avec le Kuomintang ; l’apparition d’un nouvel esprit militariste de seigneur de guerre dans la VIIIe Armée de Route ; la question de la participation du Parti communiste au gouvernement du Kuomintang ; l’apparition de l’esprit d’accommodement dans les bases démocratiques antijaponaises ; etc.

La gravité de la situation que nous venons d’évoquer, sous ses deux aspects, nous oblige à poser dans toute son acuité la question de savoir qui dirigera et à combattre résolument l’esprit de capitulation.

21. Au cours de ces derniers mois, et surtout depuis le début de la Guerre de Résistance, le Comité central et les organisations du Parti à tous les échelons ont combattu avec détermination et sans aucune équivoque les tendances capitulardes ou pris les mesures nécessaires pour les empêcher de se manifester à l’avenir ; de bons résultats ont été obtenus.

Le Comité central a fait circuler un projet de résolution6 sur la question de la participation au gouvernement.

Au sein de la VIIIe Armée de Route, la lutte contre le nouvel esprit militariste a commencé. Depuis que l’Armée rouge a changé de dénomination, cet esprit s’est manifesté, chez certains, par le refus de se soumettre rigoureusement à la direction du Parti communiste, par la recherche de l’héroïsme personnel, par le sentiment de fierté qu’ils éprouvent en obtenant des nominations du Kuomintang (c’est-à-dire en accédant à des fonctions officielles), etc. Ce nouvel esprit militariste a la même origine (l’abaissement du Parti communiste au niveau du Kuomintang) et aboutit au même résultat (se séparer des masses) que l’ancien esprit militariste qui se manifestait par les sévices corporels, les injures, la violation de la discipline, etc., mais il est d’autant plus dangereux qu’il apparaît dans une période de front uni entre le Kuomintang et le Parti communiste ; nous devons donc lui vouer une attention particulière et le combattre avec résolution. Nous avons rétabli le système des commissaires politiques, qui avait été supprimé à la suite d’une intervention du Kuomintang, et la dénomination de “département politique”, qui, pour la même raison, avait été changée en “service d’instruction politique”. Nous avons formulé et appliqué résolument le nouveau principe stratégique de “la guerre de partisans menée avec indépendance et initiative dans les régions montagneuses”, ce qui, dans l’ensemble, assure à la VIIIe Armée de Route des succès dans ses opérations militaires comme dans l’accomplissement de ses autres tâches. Nous avons rejeté la demande du Kuomintang d’envoyer ses membres comme cadres dans la VIIIe Armée de Route et nous avons maintenu le principe de la direction sans partage dé celle-ci par le Parti communiste. De même, dans les bases révolutionnaires antijaponaises, nous avons adopté le principe de l’indépendance et de l’autonomie au sein du front uni. Nous avons surmonté la tendance au “parlementarisme” (il ne s’agit évidemment pas du parlementarisme de la IIe Internationale qui n’existe pas dans le Parti communiste chinois)7 et nous avons poursuivi sans relâche la lutte contre les bandits, les espions et les saboteurs.

A Sian, nous avons corrigé la tendance aux accommodements sans principe dans nos relations avec le Kuomintang et développé à nouveau la lutte des masses.

Dans le Kansou oriental, la situation est, dans l’ensemble, la même qu’à Sian.

A Changhaï, nous avons critiqué la ligne de Tchang Nai-ki : “moins d’appels et plus de suggestions”, et nous avons commencé à rectifier la tendance aux accommodements dans notre travail au sein du mouvement pour le salut de la patrie.

Dans le Sud, les régions de partisans constituent une partie des conquêtes de nos dix années de luttes sanglantes contre le Kuomintang, les points d’appui stratégiques de la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon dans les provinces méridionales ainsi que cette force que le Kuomintang tenta de détruire, même après l’Incident de Sian, par ses campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et qu’il chercha à affaiblir après l’Incident de Loukeoukiao en recourant à une nouvelle tactique, celle d’“attirer le tigre hors de la montagne”. Dans ces régions, nous avons été particulièrement attentifs 1° à ne pas concentrer nos forces sans tenir compte des circonstances (ce serait répondre au désir du Kuomintang de liquider ces points d’appui), 2° à ne pas admettre les gens mandatés par le Kuomintang, 3° à nous mettre en garde contre le danger d’un nouvel Incident Ho Ming (c’est-à-dire contre le danger de nous voir encerclés et désarmés par les troupes du Kuomintang)8

Dans les colonnes de l’hebdomadaire Kiéfangtcheoukan (Organe du Comité central du Parti communiste chinois fondé à Yenan en 1937.Il cessa de paraître en 1941, remplacé par le quotidien Kiéfangjepao.), nous avons maintenu fermement une attitude de critique juste et sévère.

22. Pour que la Guerre de Résistance puisse se poursuivre et aboutir à la victoire finale, et la résistance partielle se transformer en une résistance générale, il faut nous en tenir avec fermeté à la ligne de front uni national antijaponais, élargir et consolider ce front. Aucune vue qui tendrait à rompre le front uni entre le Kuomintang et le Parti communiste ne saurait être tolérée. Nous devons continuer à nous prémunir contre cette déviation “de gauche” qu’est l’attitude sectaire de la “porte close”. Mais en même temps, nous devons observer strictement le principe de l’indépendance et de l’autonomie dans tout travail concernant le front uni. Notre front uni avec le Kuomintang et tout groupement politique repose sur l’application d’un programme déni. Sans cette base, il ne peut y avoir de front uni, et la coopération deviendrait un acte sans principe, une manifestation de l’esprit de capitulation. C’est pourquoi la clé de la victoire dans la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon, c’est d’expliquer, d’appliquer et de maintenir le principe de l’indépendance et de l’autonomie au sein du front uni.

23. Dans quels buts agissons-nous de la sorte? D’un côté, c’est pour conserver les positions que nous avons conquises. Elles servent de points de départ à notre stratégie; leur perte signifierait la fin de tout. Mais d’un autre côté, et là est notre but principal, c’est pour élargir nos positions, c’est pour atteindre un objectif positif: “entraîner les masses par millions dans le front uni national antijaponais et abattre l’impérialisme japonais”. Le maintien et l’élargissement de nos positions sont indissolublement liés. Ces derniers mois, sous notre influence, des éléments de l’aile gauche de la petite bourgeoisie se sont unis en nombre croissant; dans le camp du Kuomintang, les forces nouvelles grandissent; la lutte des masses populaires a pris de l’essor dans la province du Chansi; et les organisations du Parti se sont développées en de nombreux endroits.

24. Mais nous devons bien comprendre que, dans l’ensemble du pays, l’organisation de notre Parti reste en général faible. De même, dans l’ensemble du pays, la puissance dont disposent les masses est très faible, car les masses fondamentales, ouvrières et paysannes, ne sont pas encore organisées. Cela tient, d’une part, à la politique de domination et d’oppression du Kuomintang et, d’autre part, à l’insuffisance de notre travail, voire à son absence complète. C’est là la faiblesse essentielle de notre Parti dans l’actuelle guerre révolutionnaire nationale contre le Japon. Si nous ne la surmontons pas, il nous sera impossible de vaincre l’impérialisme japonais. Pour atteindre ce but, il est indispensable d’appliquer le principe de l’indépendance et de l’autonomie au sein du front uni, de surmonter l’esprit de capitulation ou d’accommodement.

COMBATTRE DANS TOUT LE PAYS L’ESPRIT DE CAPITULATION NATIONALE

25. Nous avons parlé plus haut de l’esprit de capitulation de classe. Sous son effet, le prolétariat finirait par pactiser avec le réformisme bourgeois et l’inconséquence de la bourgeoisie. Si nous ne surmontons pas cette tendance, il nous sera impossible de mener avec succès la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon, de transformer la résistance partielle en une résistance générale, de défendre la patrie.

Mais il existe encore un autre esprit de capitulation — l’esprit de capitulation nationale — qui amènerait la Chine à répondre aux intérêts de l’impérialisme japonais, ferait d’elle une colonie japonaise et réduirait les Chinois à l’état d’esclaves. A l’heure actuelle, cette tendance se manifeste dans le groupe de droite au sein du front uni national antijaponais.

26. Le groupe de gauche, au sein du front uni national antijaponais, est composé des masses dirigées par le Parti communiste, et qui comprennent le prolétariat, la paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine. Nous devons tout faire pour l’élargir et le consolider. L’accomplissement de cette tâche est la condition fondamentale pour réformer le Kuomintang, le gouvernement et l’armée, fonder une république démocratique unifiée, transformer la résistance partielle en une résistance générale et abattre l’impérialisme japonais.

27. Le groupe du centre, au sein du front uni national antijaponais, est composé de la bourgeoisie nationale et de la couche supérieure de la petite bourgeoisie. Les éléments dont les grands journaux de Changhaï sont les porte-parole s’orientent maintenant vers la gauche9 ; une partie des membres du Fouhsingcheh se mettent à hésiter, de même qu’une partie du groupe C.C.10 Les forces armées qui résistent au Japon ont reçu de sérieuses leçons, et certaines d’entre elles ont commencé à introduire des réformes ou se préparent à le faire. Notre tâche est d’amener le groupe du centre à progresser et à changer sa position.

28. Le groupe de droite, au sein du front uni national antijaponais, est composé des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie; il est le foyer même de l’esprit de capitulation nationale. Ces gens tendent forcément à capituler, car ils craignent de voir la guerre détruire leurs biens et les masses se soulever. Nombre d’entre eux sont déjà des traîtres, beaucoup sont devenus projaponais ou sont en passe de le devenir, beaucoup d’autres sont hésitants ; un petit nombre seulement fait preuve de fermeté pour des raisons particulières. Certains participent pour le moment au front uni national, mais par contrainte et à contre-cœur. D’une façon générale, ils n’attendront pas longtemps avant de rompre avec lui. Effectivement, beaucoup des pires éléments parmi les gros propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie manœuvrent pour provoquer la rupture de ce front. Ils fabriquent des rumeurs. Des bruits tels que: “le Parti communiste se révolte” ou : “la VIIIe Armée de Route bat en retraite” ne manqueront pas de se multiplier. Notre tâche est donc de combattre énergiquement l’esprit de capitulation nationale, et, dans cette lutte, d’élargir et de consolider le groupe de gauche, ainsi que d’amener le groupe du centre à progresser et à changer sa position.

LE RAPPORT DE L’ESPRIT DE CAPITULATION DE CLASSE AVEC L’ESPRIT DE CAPITULATION NATIONALE

29. L’esprit de capitulation de classe est au fond la réserve qui alimente l’esprit de capitulation nationale dans la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon. C’est la tendance la plus nuisible, elle vient en aide au camp de la droite et mène à la défaite. Pour assurer la libération de la nation chinoise et l’émancipation de ses masses laborieuses et pour intensifier la lutte contre l’esprit de capitulation nationale, nous devons combattre la tendance à la capitulation de classe au sein du Parti communiste et du prolétariat, et cela dans tous les domaines de notre travail.

  1. Thèses pour le rapport présenté en novembre 1937 par le camarade Mao Zedong à la Conférence des Militants actifs du Parti, tenue à Yenan. Les opportunistes de droite s’opposèrent aussitôt à ces thèses, et ce n’est qu’en octobre 1938, lors de la sixième session plénière du Comité central issu du VIe Congrès, que la déviation de droite fut, pour l’essentiel, corrigée.
  2. Il s’agit de la “Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti”, adoptée le 25 août 1937 à la réunion du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois, tenue à Louotchouan, dans le Chensi du Nord. En voici le texte intégral :
    1) La provocation militaire des envahisseurs japonais à Loukeoukiao et l’occupation de Peiping et de Tientsin ne sont que le début d’une vaste offensive dirigée contre la partie de la Chine située au sud de la Grande Muraille. Ils ont déjà commencé à mobiliser leur pays en vue de la guerre. Leur propagande affirmant qu’ils n’ont “aucun désir d’aggraver la situation” n’est qu’un rideau de fumée destiné à camoufler leur offensive.
    2) Le gouvernement de Nankin, sous la pression des attaques des envahisseurs japonais et devant l’indignation populaire, commence à se décider à la résistance. L’organisation de la défense dans tout le pays et la résistance effective à l’ennemi en différents endroits ont commencé. Une guerre générale entre la Chine et le Japon est devenue inévitable. La résistance à Loukeoukiao, le7 juillet, marque le début de la Guerre de Résistance contre le Japon menée à l’échelle nationale.
    3) La situation politique en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle, celle de la Guerre de Résistance. L’étape de la préparation à la guerre est déjà dépassée. A cette nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la victoire. La conquête de la démocratie, qui n’a pu se faire à l’étape précédente par suite de la mauvaise volonté du Kuomintang et de la mobilisation insuffisante des masses populaires, doit désormais s’accomplir au cours de la lutte pour la victoire dans la Guerre de Résistance.
    4) A cette nouvelle étape, nos divergences et nos controverses avec le Kuomintang et d’autres groupements politiques antijaponais ne portent plus sur la question de savoir s’il faut ou non résister aux agresseurs, mais sur celle de savoir comment remporter la victoire.
    5) Développer la guerre, déjà déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la victoire finale. Le Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie, proposé aujourd’hui par notre Parti, nous montre de façon concrète la voie conduisant à la victoire finale.
    6) La façon dont la Guerre de Résistance est conduite actuellement comporte un immense danger. Il provient essentiellement du fait que le Kuomintang refuse toujours de faire participer tout le peuple à la guerre. Il considère, en effet, la Guerre de Résistance comme une affaire qui concerne uniquement le gouvernement; il redoute et limite en toute occasion la participation du peuple à la guerre, il s’oppose à l’union du gouvernement et de l’armée avec le peuple, il n’accorde pas à ce dernier les droits démocratiques nécessaires pour la résistance au Japon et le salut de la patrie, et il se refuse à réorganiser radicalement l’appareil gouvernemental de manière à transformer le gouvernement actuel en un gouvernement de défense nationale, un gouvernement de toute la nation. Une guerre de résistance menée de cette façon peut donner des succès partiels, mais ne peut certainement pas conduire à la victoire finale. Elle risque au contraire d’aboutir à une lourde défaite.
    7) Comme il subsiste de grandes faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de nombreuses difficultés peuvent encore surgir: revers et retraites, scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels. C’est pourquoi il faut s’attendre à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que, grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous les obstacles sur sa route. Nous devons surmonter toutes les difficultés et lutter résolument pour la réalisation du Programme en dix points proposé par notre Parti et destiné à assurer la victoire. Nous devons nous opposer avec fermeté à toute politique erronée qui irait à l’encontre de ce Programme, et combattre le défaitisme national, fait de pessimisme et de désespoir.
    8) De concert avec les masses populaires et les forces armées dirigées par le Parti, les communistes doivent s’empresser à aller prendre leur place en première ligne, devenir à l’échelle nationale le noyau de la Résistance et développer par tous les moyens le mouvement de masse antijaponais. Ils ne doivent pas se relâcher un seul instant ni laisser passer la moindre occasion de porter la propagande parmi les masses, de les organiser et de les armer. Si nous savons vraiment entraîner les masses par millions dans le front uni national, notre victoire dans la Guerre de Résistance est certaine.
  3. Au début de la Guerre de Résistance, le Kuomintang et Tchiang Kaï-chek promirent, sous la pression du peuple, de réaliser diverses réformes, mais ils ne tardèrent pas à faillir successivement à toutes leurs promesses. La “possibilité” de voir le Kuomintang procéder à des réformes auxquelles aspirait le peuple tout entier ne devint pas réalité. Comme l’a dit plus tard le camarade Mao Zedong dans son rapport “Du gouvernement de coalition” :
    A cette époque, tout le peuple, avec les communistes et les démocrates, fondaient de grands espoirs sur le gouvernement du Kuomintang : ils attendaient qu’à un moment où la nation était en péril et où l’élan populaire se déchaînait il procédât à des réformes démocratiques et mît en pratique les trois principes du peuple révolutionnaires du Dr Sun Yat-sen. Mais ces espoirs furent déçus.
  4. Cours organisé par Tchiang Kaï-chek à Louchan, province du Kiangsi, pour former, à l’intention du Kuomintang et de son gouvernement, le personnel des échelons supérieurs et moyens qui devait constituer l’ossature de son régime réactionnaire
  5. Tchang Nai-ki soutenait qu’il fallait “moins d’appels et plus de suggestions”. En fait, alors que le Kuomintang opprimait le peuple, se contenter de “suggestions” ne rimait à rien ; il fallait lancer des appels directs aux masses afin de les amener à se dresser contre lui. Sinon, il aurait été impossible de poursuivre la Guerre de Résistance et de combattre la politique réactionnaire du Kuomintang. Tchang Nai-ki avait donc tort.
  6. Il s’agit du “Projet de résolution du Comité central du Parti communiste chinois sur la question de la participation du Parti communiste au gouvernement”, élaboré le 25 septembre 1937. En voici le texte intégral :
    1) La situation actuelle de la Guerre de Résistance exige impérieusement la formation d’un gouvernement de front uni antijaponais qui représente toute la nation, car seul un tel gouvernement est capable de conduire efficacement la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon et de vaincre l’impérialisme japonais. Le Parti communiste est prêt à participer à ce gouvernement, c’est-à- dire à y assumer directement et officiellement des responsabilités administratives et à y jouer un rôle actif. Or, un tel gouvernement n’existe pas encore. Nous avons toujours aujourd’hui le gouvernement de la dictature d’un seul parti, le Kuomintang.
    2) Le Parti communiste ne participera au gouvernement que si celui-ci cesse d’être une dictature d’un seul parti, le Kuomintang, pour devenir un gouvernement de front uni représentant toute la nation, c’est-à-dire seulement à condition: a) que le gouvernement du Kuomintang accepte l’essentiel du Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie, proposé par notre Parti, et promulgue un programme de gouvernement en accord avec son contenu; b) qu’il commence à montrer, par des actes, la sincérité de ses efforts pour réaliser ce programme et qu’il obtienne des résultats appréciables; c) qu’il reconnaisse la légalité des organisations du Parti communiste et garantisse à celui-ci la liberté de mobiliser les masses, de les organiser et de les éduquer.
    3) Tant que le Comité central du Parti n’aura pas décidé de participer au Gouvernement central, les membres du Parti communiste ne devront, en règle générale, entrer dans aucun gouvernement local ni dans aucun conseil ou comité administratif rattaché à un organisme administratif du Gouvernement central ou du gouvernement local. En effet, leur participation ne ferait qu’estomper les traits distinctifs des communistes et prolonger la dictature du Kuomintang, et nuirait plutôt à l’effort visant à la création d’un gouvernement démocratique unifié.
    4) Toutefois, les membres du Parti communiste peuvent participer aux gouvernements locaux de certaines régions particulières, par exemple les régions d’opérations militaires, dans la mesure où les anciennes autorités, devant l’impossibilité de gouverner comme par le passé, acceptent dans l’ensemble d’appliquer la politique proposée par le Parti communiste, et où celui-ci a la liberté d’agir légalement, dans la mesure aussi où la participation du Parti communiste au pouvoir s’impose au peuple et au gouvernement comme une nécessité dans la situation critique du moment. Dans les régions d’occupation japonaise, le Parti communiste doit se manifester, encore plus qu’ailleurs, comme l’organisateur du pouvoir du front uni antijaponais.
    5) Avant que le Parti communiste ne soit entré officiellement dans le gouvernement, ses membres sont autorisés en principe à entrer dans un organe représentatif, comme l’assemblée nationale, en vue de l’élaboration d’une Constitution démocratique et d’une politique de salut national. C’est pourquoi le Parti communiste doit s’efforcer de faire élire ses membres à une telle assemblée, se servir de cette tribune pour faire connaître ses points de vue et, par là même, mobiliser le peuple, l’organiser autour de lui et hâter la création d’un gouvernement démocratique unifié.
    6) Le Comité central et les comités locaux du Parti communiste peuvent, sur la base d’un programme commun défini et selon le principe de l’égalité absolue, créer avec le Comité exécutif central et les comités locaux du Kuomintang des organisations de front uni, tels que divers comités mixtes (ligues pour la révolution nationale, comités pour les mouvements de masse, comités de mo- bilisation dans les zones d’opérations, etc.); c’est par de telles actions communes avec le Kuomintang que le Parti communiste doit arriver à la coopération des deux partis.
    7) Lorsque l’Armée rouge aura renoncé à sa dénomination en devenant partie de l’Armée révolutionnaire nationale et que l’organe du pouvoir rouge aura changé son nom en Gouvernement de la Région spéciale, leurs représentants pourront, en vertu du statut légal qu’ils auront acquis, participer à toutes les organisations militaires et à toutes les organisations de masse qui servent la cause de la Résistance pour le salut de la patrie.
    8) Il est de toute nécessité de maintenir la direction absolument indépendante exercée par le Parti communiste dans les unités qui, à l’origine, constituaient l’Armée rouge et dans tous les détachements de partisans, et on ne saurait admettre, de la part des communistes, la moindre hésitation quant à ce principe.
  7. Il s’agit de l’opinion de certains camarades du Parti qui proposaient alors de réorganiser le pouvoir politique des bases révolutionnaires — le système des assemblées populaires — à l’image du système parlementaire des Etats bourgeois.
  8. L’Incident Ho Ming eut lieu alors que la Guerre de Résistance avait déjà commencé. Lorsque l’Armée rouge centrale se déplaça vers le nord, en octobre 1934, les détachements de partisans de l’Armée rouge demeurèrent dans quatorze régions de huit provinces méridionales (le Kiangsi, le Foukien, le Kouangtong, le Hounan, le Houpei, le Honan, le Tchékiang et l’Anhouei) et y poursuivirent la guerre de partisans dans des conditions extrêmement dures. Quand la Guerre de Résistance commença, ces détachements, agissant conformément aux directives du Comité central du Parti communiste chinois, engagèrent des négociations avec le Kuomintang pour mettre fin à la guerre civile, se fondirent en une seule armée (la Nouvelle IVe Armée qui, par la suite, combattit résolument l’envahisseur dans les régions au nord et au sud du Yangtsé) et partirent au front pour résister au Japon. Mais Tchiang Kaï-chek utilisa insidieusement ces négociations pour liquider les détachements de partisans. Ho Ming était un des dirigeants des partisans qui opéraient dans l’une des quatorze régions: la région frontière du Foukien-Kouangtong. Comme il ne s’attendait pas à un complot de Tchiang Kaï-chek, plus de mille partisans placés sous son commandement furent encerclés et désarmés par le Kuomintang aussitôt après leur regroupement.
  9. Allusion à la fraction de la bourgeoisie nationale qui avait pour porte-parole des journaux comme le Chenpao.
  10. Le Fouhsingcheh (Association pour la Renaissance) et le groupe C.C. étaient deux organisations fascistes du Kuomintang qui avaient respectivement à leur tête Tchiang Kaï-chek et Tchen Li-fou et qui représentaient les intérêts de l’oligarchie des gros propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie. Mais ces organisations comptaient aussi bon nombre d’éléments petits-bourgeois incorporés de force ou par ruse. Les membres du Fouhsingcheh qu’on mentionne ici comprenait principalement des officiers de rang moyen et inférieur de l’armée du Kuomintang ; la partie du groupe C.C. dont il est question se composait surtout de membres n’occupant pas de postes dirigeants.

Revenir en haut de la page.