Mao Zedong
Etablir de solides bases d’appui dans le nord-est1
28 décembre 1945

1. Dans le Nord-Est, la tâche actuelle de notre Parti est d’établir des bases d’appui, de solides bases d’appui militaires et politiques dans la Mandchourie orientale, septentrionale et occidentale2. Ce n’est pas une tâche facile ; elle exige une lutte ardue. Pour établir de telles bases, il nous faut trois à quatre ans. Mais nous devons en jeter au cours de l’année 1946 les premières fondations solides, sinon nous risquerons de ne pas pouvoir nous maintenir.

2. Il faut avoir l’idée bien arrêtée que ces bases ne doivent pas être établies dans les grandes villes ou le long des principales voies de communication qui sont ou seront occupées par le Kuomintang ; les conditions actuelles ne le permettent pas. Il ne faut pas davantage les établir dans les régions voisines des grandes villes ou des principales lignes de communication tenues par le Kuomintang. Voici pourquoi : Une fois maître des grandes villes et des principales voies de communication, le Kuomintang ne nous laissera pas la possibilité d’établir, dans des régions très proches de celles-ci, des bases solides. Dans ces régions, notre Parti a tout un travail à faire et il doit y établir notre première ligne de défense militaire. Jamais ces régions ne devront être abandonnées à la légère. Elles seront cependant des zones de guérillas pour les deux partis et ne peuvent être pour nous des bases solides. C’est pourquoi les régions dans lesquelles il faut établir des bases solides sont les villes et les vastes campagnes relativement éloignées des centres de l’occupation du Kuomintang. Il s’agit maintenant de déterminer ces régions, de sorte que nous puissions disposer nos forces en conséquence et orienter tout le Parti vers ce but.

3. Quand nous aurons fixé les régions où établir nos bases solides, disposé nos forces et accru considérablement la puissance numérique de notre armée, la tâche principale de notre Parti dans le Nord-Est sera le travail de masse. Il faut faire comprendre à tous les cadres ceci : Pendant un certain temps, le Kuomintang sera plus fort que notre Parti dans le Nord-Est ; si nos actions ne partent pas du principe qu’il faut entraîner les masses dans la lutte, résoudre leurs problèmes et nous appuyer sur elles en toutes choses, si nous ne mobilisons pas toutes les forces pour faire soigneusement notre travail de masse et ne jetons pas les premières fondations solides d’ici une année et particulièrement dans les quelques mois décisifs à venir, nous serons, dans le Nord-Est, isolés, incapables d’établir des bases solides et de briser les attaques du Kuomintang, placés devant d’immenses difficultés, et nous risquerons même d’échouer. Par contre, si nous nous appuyons fermement sur les masses, nous surmonterons toutes les difficultés et nous atteindrons pas à pas notre but. Le travail de masse, c’est d’entraîner les masses populaires à lutter pour régler leur compte aux traîtres et de déclencher un mouvement pour la réduction des fermages et l’augmentation des salaires ainsi que pour la production. Au cours de ces luttes, nous devons créer diverses organisations de masse, former des noyaux du Parti, constituer des unités armées au sein des masses de même que des organes du pouvoir populaire, élever rapidement au niveau des luttes politiques les luttes économiques des masses et amener les masses à participer à l’édification des bases d’appui. La directive émise récemment par le Comité du Parti de la province du Jéhol sur la mobilisation des masses pour la lutte3 peut s’appliquer au Nord-Est. Notre Parti doit apporter au peuple des avantages matériels tangibles ; alors seulement les masses nous soutiendront et s’opposeront aux attaques du Kuomintang. Sinon elles ne seront pas en mesure de reconnaître lequel des deux partis, le Kuomintang ou le Parti communiste, est bon et lequel est mauvais, elles risqueront de se laisser duper quelque temps par la propagande mensongère du Kuomintang et pourront même se retourner contre notre Parti, ce qui créerait pour nous une situation extrêmement défavorable dans le Nord-Est.

4. Il existe actuellement pour notre Parti dans le Nord-Est une difficulté d’ordre subjectif. Beaucoup de nos cadres et de nos troupes ne sont dans le Nord-Est que depuis peu de temps, ils ne connaissent ni le pays ni les gens. Il y a des cadres qui sont mécontents parce que nous ne pouvons pas occuper les grandes villes et ils manquent de patience devant le travail ardu de mobiliser les masses et d’établir des bases d’appui. Cet état de choses est en contradiction avec la situation actuelle et les tâches du Parti. Nous devons sans cesse apprendre à tous les cadres venus d’autres régions à accorder une grande importance aux enquêtes et aux recherches, à se familiariser avec le pays et la vie des gens, en prenant la résolution de s’identifier avec le peuple de cette région ; nous devons former un grand nombre d’éléments actifs et de cadres issus des masses populaires. Il nous faut expliquer aux cadres que même si les grandes villes et les voies de communication sont entre les mains du Kuomintang, la situation dans le Nord-Est nous est favorable. Si nous arrivons à imprégner tous les cadres et combattants de l’idée qu’il faut soulever les masses et établir des bases d’appui, et si nous mobilisons toutes les forces et entreprenons rapidement la grande lutte pour établir ces bases, nous serons en mesure de nous implanter solidement dans le Nord-Est et dans le Jéhol, et la victoire nous sera assurée. Il faut dire aux cadres qu’ils ne doivent en aucune façon sous-estimer la force du Kuomintang, ni s’impatienter devant la difficulté du travail à la pensée que le Kuomintang va attaquer la Mandchourie orientale et septentrionale. En donnant ces explications, nous ne devons évidemment pas donner à penser aux cadres que le Kuomintang est terriblement fort et que ses attaques ne peuvent être brisées. Il faut faire remarquer que le Kuomintang n’a pas d’assises profondes et bien organisées dans le Nord-Est et que ses attaques peuvent être brisées ; par conséquent, il est possible pour notre Parti d’y établir des bases d’appui. Mais les troupes du Kuomintang attaquent maintenant la frontière Jéhol-Liaoning et si des coups ne leur sont pas portés, elles attaqueront sous peu la Mandchourie orientale et septentrionale. C’est pourquoi tous les membres de notre Parti doivent être décidés à entreprendre les tâches les plus ardues, à soulever rapidement les masses, à établir nos bases d’appui et à briser résolument et systématiquement les attaques du Kuomintang dans la Mandchourie occidentale et le Jéhol. Dans la Mandchourie orientale et septentrionale, nous devons nous hâter de préparer les conditions nécessaires pour briser les attaques du Kuomintang. Nous devons débarrasser complètement nos cadres de l’idée que nous pourrons remporter des victoires faciles grâce à des hasards heureux, sans lutter durement, sans les payer de notre sueur et de notre sang.

5. Délimiter promptement les régions et les sous-régions militaires dans la Mandchourie occidentale, orientale et septentrionale et diviser nos forces en armées de campagne et troupes locales. Répartir d’importantes troupes régulières entre les sous-régions militaires pour soulever les masses, exterminer les bandits, établir les organes du pouvoir, organiser des unités de partisans, des milices populaires et des forces d’autodéfense, de façon à assurer la défense de nos régions, et en coordination avec nos armées de campagne, à briser les attaques du Kuomintang. Toutes les troupes doivent être affectées à des secteurs déterminés avec des tâches définies ; c’est par ce moyen qu’elles pourront rapidement s’unir avec la population et établir des bases solides.

6. Plus de 100.000 hommes de nos troupes ont maintenant pénétré dans le Nord-Est et dans le Jéhol ; cette armée s’est récemment accrue de plus de 200.000 hommes et elle a tendance à continuer de s’accroître. Si l’on y ajoute les travailleurs du Parti et du gouvernement, nous estimons que le total dépassera 400.000 d’ici une année. Une situation où un nombre aussi considérable de personnes détachées de la production ne dépendent que de la population du Nord-Est pour leur approvisionnement ne peut assurément pas se prolonger et présente de grands dangers. C’est pourquoi toutes les unités de l’armée et toutes les administrations et organisations doivent participer à la production en dehors du combat ou de leur travail régulier, à l’exception des armées de campagne dont les troupes ont été concentrées pour des opérations militaires majeures. L’année 1946 ne doit pas s’écouler sans résultats ; il faut que tout le Nord-Est dresse promptement des plans en conséquence.

7. Dans le Nord-Est, la direction vers laquelle s’orientent les ouvriers et les intellectuels est d’une extrême importance pour établir nos bases d’appui et gagner les futures batailles. Notre Parti doit donc accorder toute l’attention nécessaire à son travail dans les grandes villes et le long des principales voies de communication, et spécialement au travail à faire parmi les ouvriers et les intellectuels pour les gagner à notre cause. Du fait que, dans les premières années de la Guerre de Résistance, notre Parti ne s’est pas suffisamment préoccupé de persuader les ouvriers et les intellectuels de venir dans les bases d’appui, les organisations du Parti dans le Nord-Est, tout en portant leur attention sur le travail clandestin dans les régions contrôlées par le Kuomintang, doivent maintenant faire leur possible pour amener ouvriers et intellectuels à s’engager dans notre armée et à prendre part, dans les différents domaines, au travail d’édification dans nos bases.

 

  1. Directive rédigée par le camarade Mao Zedong pour le Comité central du Parti communiste chinois et adressée à son Bureau du Nord-Est. Dès que l’Union soviétique eut déclaré la guerre au Japon et que l’Armée rouge soviétique eut pénétré dans le Nord-Est, le Comité central du Parti communiste chinois et l’Armée populaire de Libération de Chine envoyèrent dans le Nord-Est des cadres et des troupes en grand nombre pour que le peuple procède, sous la direction de ces derniers, à l’anéantissement des forces restantes des envahisseurs japonais et du régime fantoche du “Mandchoukouo”, à la liquidation des traîtres, à la suppression du banditisme et à l’établissement des gouvernements locaux démocratiques aux différents échelons. Mais au même moment les réactionnaires du Kuomintang, qui tenaient absolument à s’arroger le contrôle exclusif de tout le Nord-Est, y transportèrent par terre, par mer et par air, avec l’aide de l’impérialisme américain, d’importants contingents de troupes ; ils s’emparèrent de positions-clés telles que Chanhaikouan et Kintcheou, qui avaient déjà été libérées par l’Armée populaire de Libération. Une lutte sévère était dès lors inévitable dans le Nord-Est et elle allait évidemment revêtir une importance toute particulière pour le développement de la situation dans tout le pays. Dans cette directive, le camarade Mao Zedong prévoyait que la lutte dans le Nord-Est serait dure et il indiqua en temps utile que l’accent devait être mis sur le travail dans les villes et les vastes régions rurales relativement éloignées des centres de l’occupation du Kuomintang, c’est-à-dire que nous devions “laisser ouverte la grand-route et occuper les deux côtés”, afin de soulever les masses, d’établir de solides bases d’appui, d’accumuler graduellement des forces et de nous préparer à passer plus tard à la contre-offensive. Cette juste politique déterminée par le Comité central et le camarade Mao Zedong fut appliquée avec succès par le Bureau du Nord-Est, à la tête duquel était le camarade Lin Piao. Ce fut l’origine de la grande victoire qui libéra tout le Nord-Est, trois ans plus tard, en novembre 1948.
  2. La base d’appui de la Mandchourie orientale comprenait notamment les régions de Kirin, Sian, Antou, Yenki et Touenhoua situées à l’est de la section Chenyang-Tchangtchouen du chemin de fer chinois de Tchangtchouen. La base d’appui de la Mandchourie septentrionale comprenait entre autres les régions de Kharbine, Moutankiang, Peian et Kiamouse. La base d’appui de la Mandchourie occidentale comprenait notamment les régions de Tsitsihar, Taoan, Kailou, Fousin, Tchengkiatouen et Fouyu situées à l’ouest de la section Chenyang-Tchangtchouen du chemin de fer chinois de Tchangtchouen. Dans la Mandchourie méridionale, le Parti établit aussi une base d’appui qui comprenait entre autres les régions d’Antong, Tchouangho, Tonghoua, Linkiang, Tsingyuan à l’est de la section Chenyang-Talien du chemin de fer chinois de Tchangtchouen, ainsi que la région de Liaotchong, au sud-ouest de Chenyang. La lutte opiniâtre contre l’ennemi dans la Mandchourie méridionale joua également un rôle important dans l’édification des bases d’appui du Nord-Est.
  3. Il s’agit de la “Directive sur la mobilisation des masses”, émise en décembre 1945 par le Comité de la province du Jéhol du Parti communiste chinois. Elle soulignait que, pour soulever les masses, la tâche centrale était alors de déclencher une campagne d’accusation et de revanche destinée à régler leur compte aux traîtres et aux agents secrets, qu’au moyen de cette campagne il fallait exalter l’enthousiasme des masses, élever leur position sociale, politique et économique, et mettre sur pied des syndicats, des unions paysannes et d’autres organisations de masse, et qu’il fallait se préparer, une fois cette campagne achevée, à procéder à un mouvement de masse pour la réduction des fermages et du taux d’intérêt. Elle indiquait ensuite qu’en soulevant les masses dans les villes il fallait soulever les ouvriers d’abord, de sorte qu’ils puissent être à l’avant-garde et jouer le rôle dirigeant dans la campagne pour régler leur compte aux traîtres et aux agents secrets. Cette directive appelait également à apprendre tout ce qui concerne l’administration des villes, à utiliser la main-d’œuvre avec économie et à tout prévoir pour une longue durée.

Revenir en haut de la page.