Lynn Margulis assume donc l’héritage de Charles Darwin en lui faisant toutefois un grand reproche : la théorie de l’évolution ne permet pas d’expliquer comment la nouveauté apparaît dans l’histoire de la vie sur Terre.
Et, face à ce problème, Lynn Margulis met en avant la symbiose – phénomène décrit par d’autres scientifiques avant elle, mais qui a connu très peu de succès dans les pays capitalistes.
Elle définit la symbiose comme le fait que des organismes de différentes espèces (ou de souches différentes dans le cas des bactéries) vivent ensemble. Et c’est ce processus qui permet de créer de la nouveauté, par le biais de ce qu’elle appelle des « sauts symbiotiques ».
Une série d’expériences scientifiques de Kwang Jeon illustre très bien cela. Kwang Jeon est à l’époque membre du département de Zoologie de l’université du Tennessee et travaille avec des amibes, qui sont des micro-organismes unicellulaires.
Dans les années 1960, alors que Kwang Jeon étudiait les amibes depuis plusieurs années, il reçut un nouveau lot qui transmit à toutes les autres amibes une maladie très grave.
Kwang Jeon observa alors au microscope ce qui était en train de les décimer et découvrit des centaines de milliers de bactéries en forme de bâtonnets.
Toutefois, toutes les amibes ne moururent pas : celles qui avaient survécu vivaient avec des colonies de 60 000 à 150 000 bactéries par cellule. Et Kwang Jeon se rendit compte que ces amibes « bactérisées » avaient profondément changé.
Lorsque de l’antibiotique – produit mortel pour les bactéries – était injecté dans ces nouvelles amibes, elles mourraient, alors que les amibes qui n’avaient pas été infectées par les bactéries ne souffraient aucunement de l’injection d’antibiotiques.
Lynn Margulis explique que :
« Ainsi, d’une confrontation violente a émergé un nouvel organisme symbiotique, une amibe « bactérisée ». […]
Le pacte entre bactéries et amibes est devenu si intime et si fort que la mort d’un membre de l’alliance sonne le glas des deux. »
Lynn Margulis & Dorion Sagan, L’univers bactériel (1986)
Il aura fallu 5 ans, après avoir été contaminées par les bactéries, pour que les amibes retrouvent la santé et recommencent à se reproduire à un rythme normal.
À l’échelle de l’évolution biologique, cela ne représente rien du tout. Cette rapidité de changement fait de la symbiose un phénomène prépondérant dans l’évolution de la vie, un phénomène ne faisant pas intervenir de mutations progressives.
Lynn Margulis affirme que le concept de symbiose constitue une révolution scientifique sur les questions de l’origine de la vie et de la dynamique de l’évolution sur Terre.
En effet, elle généralise l’expérience des amibes symbiotiques de Kwang Jeon à tout le vivant : l’évolution de la vie sur Terre, depuis les premières bactéries jusqu’aux mammifères, a connu de très nombreuses symbioses et c’est grâce à ces symbioses, et non par une quelconque compétition permanente et stérile entre les êtres vivants, qu’ont eu lieu les grands changements de la vie sur la planète Terre.
Ainsi, selon ce point de vue, l’être humain est une formidable assimilation d’un nombre colossal de bactéries. Lynn Margulis explique que Charles Darwin, en 1868 déjà, avait l’intuition de cet état de fait.
Elle le cite :
« [Le] corps [de l’homme] contient une véritable histoire de la vie sur la Terre. Leurs cellules maintiennent un environnement riche en carbone et en hydrogène, comme celui de la planète au début de la vie.
Elles vivent dans un milieu composé d’eau et de sels exactement comme les mers primitives. Les êtres humains sont devenus ce qu’ils sont par la réunion de partenaires bactériens dans un environnement aquatique. […] Chaque créature vivante doit être regardée comme un microcosme, un petit univers, formé d’une légion d’organismes. »
Lynn Margulis & Dorion Sagan, L’univers bactériel (1986)
C’est donc toute l’histoire de la vie qu’il faut repenser depuis le début. Et c’est à cette lourde tâche que va s’atteler Lynn Margulis. Ainsi, en 1967, après plus d’une quinzaine de rejets, elle publie un article récapitulant tout ce qu’elle a pu regrouper sur la symbiose intitulé « Origin of Mitosing Cells » (« L’Origine des cellules mitotiques »).
Dans cet article, elle dit :
« […] les trois organites fondamentaux eux-mêmes, les mitochondries, les plastides photosynthétiques et les corpuscules basaux des flagelles, ont été autrefois des cellules (procaryotes) autonomes. »
Il est donc important d’étudier chacun de ses organites.