De quoi parle la religion ? La religion parle de l’humanité et de la nature. Mais en raison de la situation où sont les humains, ils en parlent de manière voilée, cachée à leurs propres yeux. Ainsi, ils parlent de Dieu, concept qui n’est que le reflet de l’humanité.

La religion n’est ainsi pas qu’un système idéologique visant à justifier une domination, une oppression, une exploitation. C’est le reflet d’un certain niveau de conscience de l’humanité. Une humanité qui n’a pas encore un niveau suffisant de conscience d’elle-même et de la nature utilise « Dieu ».

Naturellement, les fameuses lignes de Karl Marx sur la religion comme opium du peuple puisent directement dans la conception de Ludwig Feuerbach. Dans L’essence du christianisme, Ludwig Feuerbach explique :

« La religion est la division en deux de l’être humain avec lui-même ; il se pose Dieu comme un être posé face à lui. Dieu n’est pas ce qu’est l’être humain, et l’être humain n’est pas ce qu’est Dieu.

Dieu est l’être infini, l’être humain l’être fini ; Dieu est complet, l’être humain incomplet ; Dieu est éternel, l’être humain est dans le temps ; Dieu est tout-puissant, l’être humain est impuissant ; Dieu est saint, l’être humain est pêcheur.

Dieu et l’être humain sont des extrêmes : Dieu est de fait le positif, la quintessence de toutes les réalités, l’être humain est tout simplement le négatif, la quintessence de tous les riens.

Mais l’être humain rend objectif dans la religion sa propre nature secrète. Donc, il doit être démontré que cette opposition, cette dichotomie entre Dieu et l’être humain, sur laquelle s’affirme la religion, est une dichotomie de l’être humain avec son propre être. »
L’essence du christianisme

feuerbach-18.jpgPour un matérialiste vulgaire, cela ne veut rien dire, car le matérialisme vulgaire ne consiste qu’en la rationalité cartésienne s’appropriant la réalité, mais ne lui accordant pas de valeur en soi.

Chez Ludwig Feuerbach, par contre, l’être humain fait partie de la nature. Il ne peut donc même pas s’appuyer sur un Dieu lointain pour s’inventer des droits – Ludwig Feuerbach n’est pas un déiste, il ne fait pas comme René Descartes, etc.

Ludwig Feuerbach veut l’être humain ayant conscience de sa réalité naturelle. Et il pense même que l’être humain le veut forcément, la preuve étant qu’il pose un Dieu comme une sorte de miroir.

Une telle perspective change tout par rapport à la religion : le matérialiste vulgaire, le pseudo libre penseur du XXe siècle, le laïc, rejette la religion comme institution et ne voit rien d’autre en elle. Le matérialisme authentique, lui, voit comment la religion représente également une conscience aliénée.

Karl Marx ajoute aussi un élément à Ludwig Feuerbach, car ce dernier ne liait pas l’émergence des religions à un développement des forces productives, et donc il n’a pas compris que les religions dépendent de comment les humains travaillent, modifient la réalité et eux-mêmes.

Voici ce que dit Karl Marx, dans une œuvre de jeunesse de 1843, Critique de la philosophie du droit de Hegel. La partie commençant avec « certes » désigne la démarche de Ludwig Feuerbach, que Karl Marx reconnaît, en allant plus loin et en disant : la conscience de l’être humain n’est pas à côté de la réalité, elle ne peut pas se contempler ; elle est dans la réalité aussi.

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme.

Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu.

Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société.

Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers.

La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »

Voyons maintenant pourquoi c’est le concept de « Dieu » qui est utilisé par la conscience divisée en deux, par rapport aux questions du fini et de l’infini.


Revenir en haut de la page.