Éloignée géographiquement des pays européens, des démocraties populaires et même du centre névralgique de l’URSS, profondément arriérée, non reconnue par l’ONU, la Chine populaire fit un effort approfondi en direction des pays afro-asiatiques, en faisant de la dénonciation du colonialisme la clef de voûte de ses relations.
À partir des années 1950, elle envisage la coexistence pacifique entre États à partir de cinq aspects : respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, égalité et avantages réciproques, coexistence pacifique.
Un épisode extrêmement célèbre est la première conférence afro-asiatique du 18 au 24 avril 1955, à Bandung, en Indonésie. Cette conférence est souvent présentée, de manière entièrement erronée, comme celle de « non-alignés » du tiers-monde. C’est là strictement inexact, puisqu’à l’arrière-plan on retrouve bien l’orientation vers les États-Unis ou l’URSS. On a par exemple la Turquie et le Japon qui sont présents.
C’était en réalité l’émergence de nouveaux pays sur la scène internationale, après une mainmise totale des pays occidentaux sur les rapports internationaux. C’était l’expression de l’affirmation de diplomaties nationales nouvelles et l’initiative de la conférence revient d’ailleurs à l’Inde, Ceylan, le Pakistan, la Birmanie et l’Indonésie.
Ces pays nouvellement indépendants (respectivement 1947, 1948, 1947, 1948, 1945) reconnaissaient d’ailleurs la Chine populaire, qui était pour eux un moyen de faire pencher la balance.
On lit dans le communiqué final commun :
« Une Conférence des Nations Afro-Asiatiques convoquée par les gouvernements de Birmanie, de Ceylan, de l’Inde, d’Indonésie et du Pakistan s’est réunie à Bandoeng du 18 au 24 avril 1955. Outre les pays promoteurs, les États suivants ont participé à la Conférence : Afghanistan, Cambodge, République populaire de Chine, Égypte, Éthiopie, Côte-de-l’Or, Iran, Irak, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Liberia, Libye, Népal, Philippines, Arabie saoudite, Soudan, Syrie, Siam, Turquie, République populaire du Vietnam (Vietminh), État du Vietnam et Yémen.
La Conférence afro-asiatique a étudié le rôle de l’Asie et de l’Afrique et a examiné les moyens grâce auxquels les peuples des pays représentés peuvent réaliser la coopération économique, culturelle et politique la plus étroite (…).
Libérées de la méfiance, de la crainte, faisant preuve de bonne volonté mutuelle, les Nations devraient pratiquer la tolérance, vivre en paix dans un esprit de bon voisinage et développer une coopération amicale sur la base des principes suivants :
1) Respect des droits humains fondamentaux en conformité avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ;
2) Respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de toutes les Nations ;
3) Reconnaissance de l’égalité de toutes les races et de l’égalité de toutes les Nations, petites et grandes ;
4) Non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ;
5) Respect du droit de chaque Nation de se défendre individuellement ou collectivement conformément à la Charte des Nations Unies ;
6) a) Refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes Puissances quelles qu’elles soient;
b) Refus par une Puissance quelle qu’elle soit d’exercer une pression sur d’autres ;
7) Abstention d’actes ou de menaces d’agression ou de l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un pays ;
8) Règlement de tous les conflits internationaux par des moyens pacifiques, tels que négociation ou conciliation, arbitrage ou règlement devant des tribunaux, ainsi que d’autres moyens pacifiques que pourront choisir les pays intéressés, conformément à la Charte des Nations Unies ;
9) Encouragement des intérêts mutuels et coopération ;
10) Respect de la justice et des obligations internationales. »
La Chine populaire multiplia les contacts et fut alors vue très favorablement ; à l’occasion de Bandung elle fut en mesure de réaliser une interaction avec l’Égypte, l’Éthiopie, le Liberia, la Libye, le Soudan (non encore indépendant alors) et le Ghana. Cela amena des échanges ainsi que des livraisons d’armes chinoises.
Il n’y eut toutefois pas de seconde conférence afro-asiatique, celle devant se tenir en 1965 à Alger étant torpillé par l’Algérie et l’URSS.
La Chine populaire invita également, à l’occasion de la première Conférence panafricaine des peuples en décembre 1958 à Accra au Ghana, des délégations d’Angola, du Ghana, du Nigeria, du Sénégal, de Somalie et d’Ouganda. Elle-même eut une délégation observatrice et entra en rapport avec Patrice Lumumba dirigeant alors le Mouvement National Congolais, Holden Roberto de l’Union du Peuple Angolais, Félix-Roland Moumié de l’Union des Populations du Cameroun.
Ce dernier avait déjà visité la Chine populaire en 1953, la même année que Walter Sisulu, secrétaire général de l’ANC sud-africaine. Les visites étaient de fait intenses et nombreuses ; en 1959 vint une délégation de l’Union nationale des forces populaires du Maroc (où Mehdi Ben Barka était actif), en 1960 vint une délégation du MPLA angolais.
Entre 1958 et 1964, la Chine populaire envoya 144 missions dans des pays africains et reçut de ceux-ci 405 délégations.
La Chine populaire avait bien sûr aussi de bons rapports concrets avec les organisations révolutionnaires des pays ayant des régimes racistes (Rhodésie, Namibie, Afrique du Sud), ainsi que celles sous colonisation portugaise (Cap Vert, Guinée-Bissau, Sao Tomé, Angola, Mozambique) ; elles étaient soutenues matériellement, avec également, pour celles sous domination portugaise, des formations militaires réalisées en Tanzanie, au Ghana et au Congo-Brazzaville.
Des combattants du Frente de Libertação de Moçambique (FRELIMO) furent également formés en Chine populaire même, tout comme de nombreuses autres organisations sans que cela ait été rendu public : Gonzalo était venu du Pérou et avait été formé militairement également.
En 1958, elle avait reconnu le Gouvernement Provisoire de la République algérienne et par ailleurs entraîné des cadres militaires du FLN en Chine même, tout en lui livrant des armes. Un peu plus tôt, en 1957, elle avait eu une délégation à la première conférence de l’Organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques au Caire en 1957. Elle fut également présente à la seconde conférence à Conakry en Guinée, où elle appela à un front uni international contre l’impérialisme.
Cependant, l’URSS s’invita dans cette organisation et la Chine populaire s’y opposa, ce qui provoqua d’autant plus de troubles que l’URSS avait soutenu l’Inde en 1962 pour la dispute frontalière, ce qui rendit intenable la troisième conférence à Moshi, au pied du Kilimandjaro en Tanzanie. La quatrième conférence, à Winneba au Ghana, fut la dernière alors que la polémique sino-soviétique emportait tout avec elle.