La domination du centrisme dans la seconde Internationale fut puissamment ébranlée par un nouveau phénomène : l’émergence et le renforcement immédiat de la social-démocratie russe.

En décembre 1900 sortit en Russie un nouveau journal, l’Iskra (l’Étincelle). Étaient à l’origine de sa fondation les principales figures social-démocrates russes alors : Georgi Plékhanov, Pavel Axelrod, Julius Martov, Véra Zassoulitch, Alexandre Potressov et Lénine, ce dernier étant la plaque tournante de cette initiative.

Le premier numéro de l’Iskra

Le premier numéro de l’Iskra

L’Iskra était imprimée les premières années à Munich (du numéro 2 au numéro 21), puis finalement à Londres (de 22 à 38) et Genève, pour être acheminées clandestinement en Russie, par différents points : la Prusse, la Scandinavie, la Galicie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Iran, par mer vers Arkangelsk ou par l’intermédiaire d’Alexandrie vers Cherson ou encore de Marseille à Batum.

Le journal fut un très puissant vecteur de la social-démocratie et tira à boulets rouges sur l’opportunisme, qu’il soit allemand, français, italien ou belge.

Les contacts internationaux furent d’ailleurs puissants, un Écho de la Russie étant publié en France grâce au courant guesdiste, alors que le tsar Nicolas II abandonna l’idée de venir à Paris et à Vienne en raison des vastes campagnes contre lui menées en France et en Autriche-Hongrie. Dans ce dernier pays, la police dut également abandonner les poursuites contre les passeurs de l’Iskra.

Georgi Plékhanov, figure de la social-démocratie russe

Georgi Plékhanov, figure de la social-démocratie russe

On a ici un moment clef dans l’affirmation de la social-démocratie russe. Dès 1903 il y a des imprimeries clandestines de l’Iskra à Kichinev (l’actuelle Chișinău moldave), Bakou et Nijni Novgorod.

Cela impliquait une organisation très approfondie en Russie même, avec notamment Ivan Babouchkine (tué par un escadron de la mort en 1906), Yakov Sverdlov (une des principales figures de la révolution russe, mort en 1919), Nikolaï Bauman (tué par un monarchiste en 1905 et pour qui 100 000 personnes participèrent de manière disciplinée à l’enterrement).

Yakov Sverdlov en 1919

Yakov Sverdlov en 1919

Seulement, la même année, au mois d’août, eut lieu une scission dans la social-démocratie russe. Les « bolcheviks » (« majoritaires ») exigeaient que le Parti repose sur des cadres éprouvés, suivant les thèses formulées par Lénine dans son ouvrage Que faire ? en 1902.

Les « menchéviks » (« minoritaires ») étaient pour ouvrir la base du Parti de manière large et ils s’approprièrent l’Iskra durant la scission.

Lénine, Que faire ?, 1902

Lénine, Que faire ?, 1902

Cette scission fut cependant historique de par la naissance du bolchevisme comme courant au sein de la social-démocratie internationale. La gauche n’était pas représentée que par des courants seulement ; on avait ici une cassure nette sur le plan organisationnel également.

Les bolcheviks levaient le drapeau de la primauté du Comité Central dans l’organisation, organisation devant s’appuyer sur des membres jouant le rôle de cadres ou du moins d’éléments parfaitement intégrés dans l’appareil, celui-ci étant centralisé.

Karl Kautsky réagit en centriste à cette scission et fit tout pour valoriser les menchéviks au nom de la « démocratie » dans le Parti, et cela alors que ceux-ci agissaient en sous-main pour réaliser un putsch intérieur. Rosa Luxembourg reprocha également aux bolcheviks des méthodes jacobinistes et une perspective blanquiste.

Lénine

Lénine

La gauche du parti bulgare soutint résolument les bolcheviks, y compris matériellement notamment avec des passeports bulgares, alors que la droite soutenait ouvertement les menchéviks. Un affrontement similaire eut lieu dans la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie (deux pays annexés par la Russie), la grande figure de la gauche étant Félix Dzerjinski (le futur fondateur de la Tchéka).

Cependant, même pour ces rares cas, la contradiction entre menchéviks et bolcheviks ne fut pas bien comprise et la social-démocratie allemande pesa de tout son poids pour l’unification sous hégémonie menchevique. La révolution russe de 1905 lança alors un processus nouveau, ébranlant le pays et le mouvement en Russie s’unifia de lui-même, en avril 1906 à Stockholm.

Initialement, les mencheviks étaient majoritaires (62 contre 46 délégués aux bolcheviks), profitant de la désorganisation provoquée par la répression. Mais au congrès de mai 1907 à Londres, les bolcheviks reprirent la direction, alors que l’ensemble de la seconde Internationale considérait que la Russie tsariste allait bientôt tomber et que cela provoquerait une onde de choc.


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