Conférence de la province de Moscou du PC(b)R, 21 novembre 1920

lenine-102.jpg(Applaudissements) Camarades !

Pour traiter de la situation internationale de la République soviétiste, il faut naturellement parler avant tout de la guerre polonaise et de la liquidation de Wrangel. Je pense que dans une assemblée de militants du Parti qui ont suivi notre presse et ont entendu maints rapports sur la question, je n’ai pas besoin et je serais malvenu à répéter les détails de toute cette histoire et à revenir sur chaque phase particulière de la guerre polonaise, sur le caractère de nos offensives, ou sur l’importance de notre échec sous Varsovie. Je suppose que la question, sous cet aspect, est déjà assez connue de la plupart des camarades pour que je n’aie pas besoin d’y revenir. Aussi laisserai-je de côté l’exposé des divers épisodes de nos campagnes pour ne m’arrêter que sur le résultat actuel.

Après les brillantes victoires remportées par l’Armée Rouge pendant cet été et après notre lourde défaite de Varsovie, après la conclusion de la paix préliminaire avec la Pologne, en train de se changer aujourd’hui à Riga en paix définitive, les chances que cette paix préliminaire deviendra réellement une paix définitive ont considérablement augmenté grâce à l’écrasement de Wrangel. Aujourd’hui que cet écrasement est un fait indéniable, la presse impérialiste de l’Entente commence à découvrir son jeu et à reconnaître les vérités que jusqu’à ce jour elle cachait le mieux.

Je ne sais si vous avez fait attention à une petite remarque insérée dans les journaux d’aujourd’hui ou de ces jours derniers, disant que le principal organe de la bourgeoisie impérialiste française, Le Temps, parle maintenant de la paix polonaise conclue en dépit des conseils de la France. Sans aucun doute, les représentants de la bourgeoisie laissent là échapper une vérité qu’ils auraient bien voulu cacher et que pendant bien longtemps ils ont essayé de dissimuler.

Nous avons réussi, malgré les conditions désavantageuses de la paix de Riga, — plus avantageuses cependant que celles que nous proposions nous-mêmes en avril dernier aux aristocrates polonais afin d’éviter toute guerre, mais désavantageuses relativement à ce que nous aurions pu obtenir sans notre échec extraordinairement lourd de Varsovie, — nous avons réussi à obtenir des conditions qui font s’écrouler la plus grande partie du plan impérialiste. La bourgeoisie française reconnaît aujourd’hui qu’elle a insisté pour que la Pologne continue la guerre, qu’elle s’est prononcée contre la conclusion de la paix, afin de sauver Wrangel et de soutenir une nouvelle intervention et une nouvelle campagne contre la République soviétiste. L’impérialisme polonais était poussé et est encore poussé par sa nature même à combattre la Russie : malgré cela le plan des impérialistes français a échoué, et en fin de compte nous avons aujourd’hui quelque chose de plus substantiel déjà qu’un simple répit.

Pendant les trois dernières années, la Pologne a été de tous les petits États ayant fait partie de l’Empire de Russie celui qui a montré le plus d’hostilité contre la nationalité grand-russienne et a réclamé la plus grande part de territoires non habités par des Polonais. Les traités avec la Finlande, l’Estonie et la Lettonie ont été conclus eux aussi en dépit de l’Entente impérialiste, mais là la tâche était plus facile, parce que les bourgeoisies finlandaise, estonienne et lettone n’avaient point de buts impérialistes propres leur faisant apparaître comme nécessaire la lutte contre la république soviétique. Au contraire les ambitions de la bourgeoisie polonaise visaient non seulement la Lituanie et la Biélorussie, mais aussi l’Ukraine. En outre, elle est poussée dans le même sens par la vieille inimitié séculaire d’un pays qui a jadis été une grande puissance et qui se pose aujourd’hui en antagoniste de la grande puissance russe.

Même aujourd’hui, la Pologne ne peut renoncer à cette antique hostilité. Voilà pourquoi elle a montré infiniment plus d’esprit belliqueux et d’acharnement dans ses plans militaires contre notre République. Voilà pourquoi aujourd’hui notre succès consistant à conclure la paix malgré l’Entente est chose plus sérieuse. S’il est quelque puissance limitrophe de la Russie et ayant conservé le régime bourgeois sur lequel puisse compter l’Entente pour un plan d’intervention militaire, c’est bien la Pologne. Aussi aujourd’hui, dans leur haine générale contre le pouvoir des Soviets, les États bourgeois voient un intérêt immédiat à donner aux aristocrates polonais la Galicie orientale.

De plus, la Pologne prétend aussi à l’Ukraine et à la Lituanie. Voilà qui donne à la campagne un caractère d’acuité et d’acharnement particulier. L’approvisionnement militaire de la Pologne a constitué comme de juste le principal souci de la France et des autres puissances et la quantité des sommes dépensées à cet effet dépasse toute évaluation. C’est ce qui fait l’importance extrême de la victoire remportée finalement par notre Armée Rouge, malgré l’échec de Varsovie, car elle a placé la Pologne dans une situation telle qu’elle n’avait plus littéralement la force de continuer la guerre. La Pologne a été obligée d’accepter une paix lui donnant moins que ce que nous lui proposions nous-mêmes en avril 1920, avant l’offensive, alors que, dans notre désir de ne pas abandonner notre labeur économique, nous lui offrions des frontières hautement avantageuses.

À ce moment, la presse des patriotes petits-bourgeois, dont sont aussi nos Socialistes-Révolutionnaires et nos mencheviks, accusa les bolcheviks d’opportunisme et presque de tolstoïsme. Elle traitait de tolstoïen le pouvoir des Soviets parce que nous consentions à faire la paix sur la ligne dite de Piłsudski, d’après laquelle Minsk restait à la Pologne, La frontière passait 50 verstes, et même parfois 100 verstes plus à l’Est qu’aujourd’hui. Je n’ai naturellement pas besoin d’insister devant une assemblée de militants du Parti sur les raisons pour lesquelles nous avons accepté, et aurions dû accepter des conditions pires encore, si réellement notre travail économique ne devait pas être interrompu. Il arriva finalement que la Pologne, conservant le régime bourgeois, fut réduite par la guerre à une crise économique qui suscita un mécontentement extrême, et causa une terreur bourgeoise qui sévit non seulement contre le prolétariat industriel mais encore contre les ouvriers agricoles. L’état de choses bourgeois est devenu à un tel point vacillant en Pologne qu’il n’a pas pu être seulement question de continuer la guerre.

Les succès obtenus par le pouvoir des Soviets sont colossaux. Lorsqu’il y a trois ans nous posions la question du rôle et des conditions de la victoire de la révolution prolétarienne en Russie, nous disions toujours nettement que cette victoire ne pouvait être solide qu’à condition d’être soutenue par une révolution prolétarienne en Occident, et que notre Révolution ne pouvait être justement appréciée que du point de vue international. Afin d’obtenir que notre victoire soit solide nous devons obtenir la victoire de la révolution prolétarienne dans tous les pays, ou du moins dans quelques-uns des principaux pays capitalistes. Après trois ans de lutte acharnée, nous voyons dans quelle mesure nos prédictions se sont vérifiées et dans quelle mesure elles ne se sont pas vérifiées.

Elles ne se sont pas vérifiées en ce sens que la question n’a pas reçu de solution rapide et simple. Bien sûr, aucun de nous ne s’attendait à voir durer trois ans une lutte aussi inégale que celle de la Russie contre toutes les puissances capitalistes du monde. Si nos prédictions ne se sont pas vérifiées purement et simplement, rapidement et directement, elles se sont vérifiées cependant dans la mesure où nous avons reçu l’essentiel, car l’essentiel était de conserver au pouvoir du prolétariat et à la république soviétiste la possibilité d’exister, même dans le cas où se ferait attendre la révolution socialiste dans le reste de l’univers. Et, à ce point de vue, il faut dire que notre situation internationale actuelle donne la meilleure et la plus exacte confirmation de tous nos calculs et de toute notre politique.

Inutile de prouver qu’aucune comparaison n’était à établir entre les forces militaires de la RSFSR et celles de toutes les puissances capitalistes. Nous étions bien des dizaines et des centaines de fois plus faibles qu’elles : néanmoins, après trois ans de guerre, nous avons forcé presque tous ces États à renoncer à toute idée d’intervention. C’est-à-dire que ce qui, il y a trois ans, la guerre impérialiste n’étant pas encore finie, nous sembla possible, à savoir la prolongation durable d’une situation sans décision définitive de part ou d’autre, s’est produit. Mais pour quelle cause ? Ce n’est point que nous ayons été militairement plus forts et l’Entente plus faible. C’est seulement que pendant tout ce temps la dislocation intérieure n’a fait que croître dans les États de l’Entente, tandis que croissait chez nous l’affermissement intérieur, et la guerre sert de confirmation et de preuve à cette vérité. L’Entente n’a pas pu nous combattre avec ses propres troupes. Les ouvriers et les paysans des pays capitalistes n’ont pas pu être forcés de marcher contre nous. De la guerre impérialiste, les États bourgeois ont réussi à sortir bourgeois. Ils ont réussi à remettre et à reculer la crise qui les menaçait immédiatement, mais ils ont ruiné leur situation dans sa racine à un tel point que, malgré leurs forces armées gigantesques, ils ont dû reconnaître, après trois ans, leur impuissance à étrangler la Russie soviétiste, presque dénuée de forces militaires. Ainsi s’est trouvée confirmée dans sa base notre politique avec nos prévisions, et nous avons eu pour alliés réels les masses opprimées de tous les États capitalistes, puisque ces masses ont fait échouer la guerre. Sans obtenir la victoire universelle, la seule solide pour nous, nous avons conquis une situation dans laquelle nous pouvons exister côte à côte avec les puissances impérialistes, obligées aujourd’hui d’entrer en relations commerciales avec nous. Au cours de cette lutte, nous avons conquis le droit à l’existence indépendante.

Ainsi, lorsque nous jetons un regard sur l’ensemble de notre situation internationale, nous voyons que nous avons obtenu des succès énormes, nous avons non seulement un répit mais quelque chose de beaucoup plus sérieux. Un répit, c’était pour nous un court espace de temps pendant lequel les puissances impérialistes avaient maintes occasions de reprendre plus violemment encore la guerre. Aujourd’hui, nous ne nous permettons certes point de nier la possibilité d’une intervention militaire des États capitalistes. Nous devons absolument maintenir notre capacité de défense. Mais si nous considérons les conditions dans lesquelles nous avons brisé toutes les tentatives de la contre-révolution russe et obtenu la conclusion formelle de la paix avec tous les États de l’Ouest, il est clair que nous n’avons pas seulement un répit ; nous avons une période nouvelle où nous avons conquis notre droit à l’existence internationale parmi les États capitalistes. La situation intérieure des États capitalistes les plus puissants n’a permis à aucun d’eux de lancer contre la Russie son armée ; c’est la preuve qu’à l’intérieur de ces États la Révolution mûrit et ne leur permet plus de triompher de nous aussi vite qu’ils pourraient le faire. Pendant ces trois ans, le sol russe a vu des armées anglaises, françaises, japonaises. Pas de doute que le moindre effort de ces trois puissances aurait largement suffi pour nous vaincre en l’espace de quelques mois, sinon de quelques semaines. Si nous avons résisté à cette attaque, c’est grâce à la démobilisation des troupes françaises, et à la fermentation commençante des Anglais et des Japonais. Nous avons bénéficié tout le temps de l’antagonisme des intérêts impérialistes. Si nous avons triomphé de l’intervention, c’est que nos ennemis étaient divisés entre eux, tandis que grandissait notre cohésion. Par là encore nous avons conquis un répit et rendu impossible une complète victoire de l’impérialisme allemand à l’époque de la paix de Brest.

Dans ces jours derniers, les dissensions entre impérialistes n’ont fait que croître, en particulier à propos du projet de concessions négocié avec un groupe de requins capitalistes parmi les plus acharnés d’Amérique, dirigé par un milliardaire qui compte rassembler autour de lui toute une société de milliardaires. Il n’est presque pas une nouvelle d’Extrême-Orient qui ne témoigne de l’irritation extrême causée au Japon par l’idée de ce traité, bien qu’il n’existe encore qu’en projet. Mais l’opinion publique japonaise a déjà pris feu, et j’ai lu aujourd’hui que le Japon accuse la Russie soviétiste de vouloir la brouiller avec l’Amérique.

Nous avons eu raison de prévoir cette concurrence intense entre les impérialismes et de nous dire que nous devions utiliser systématiquement ces dissensions entre nos ennemis pour entraver leurs entreprises contre nous. La mésentente politique est déjà un fait entre l’Angleterre et la France. Aujourd’hui, nous pouvons parler non plus d’un répit, mais d’une chance sérieuse de travail pacifique pendant un temps plus prolongé. À vrai dire, nous n’avions jusqu’à présent aucune base dans la politique internationale. Aujourd’hui, nous possédons cette base, et la cause en est l’attitude des petites puissances, entièrement placées dans la dépendance des grandes aux points de vue militaire et économique. Il apparaît aujourd’hui que la Pologne a conclu la paix avec nous en dépit de la pression de la France. La haine des capitalistes polonais contre le pouvoir des Soviets est très forte ; ils répriment avec une sauvagerie féroce les grèves les plus simples. Leur envie de combattre la Russie soviétiste est extrême ; néanmoins, ils préfèrent la paix avec nous à l’accomplissement des conditions de l’Entente. Les puissances impérialistes règnent sur tout le monde, mais elles ne sont qu’une infime partie de la population du globe. Le fait qu’un pays a paru qui, depuis trois ans, tient tête à l’impérialisme universel, a considérablement changé la situation internationale dans le monde entier, et voilà pourquoi toutes les petites puissances, qui comprennent la majorité de la population du globe, tendent à faire la paix avec nous.

Le facteur colossal qui nous permet d’exister dans cette situation complexe et absolument exceptionnelle, c’est que le pays socialiste entre en relations commerciales avec les pays capitalistes.

Il m’est arrivé de lire un social-chauvin d’Amérique, du genre de nos socialistes-révolutionnaires de droite ou de nos mencheviks, un militant de la 2e Internationale, le membre du Parti Socialiste américain Spargo, quelque chose comme un Alexinsky d’Amérique, qui écrit toute une pile de livres contre les bolcheviks, et qui nous fait le reproche (prouvant soi-disant la faillite du communisme) de parler de compromis avec les puissances capitalistes. Il a écrit : je ne puis me représenter de meilleure preuve de la complète faillite du communisme et de l’écroulement de son programme. Il me semble que tous ceux qui réfléchiront diront le contraire. Il n’est pas de meilleure preuve de la victoire matérielle et morale de la République soviétiste de Russie sur les capitalistes du monde entier, si les puissances qui nous ont combattus par les armes pour notre terreur et pour tout notre régime sont obligées, malgré elles, d’entrer dans la voie des relations commerciales, tout en sachant que par là elles nous fortifient. Tirer de là une preuve de la faillite du communisme, ce serait possible si nous avions promis ou rêvé de refaire le monde avec nos seules ressources. Mais notre folie n’a jamais été si grande, et nous avons toujours dit que notre révolution triompherait lorsqu’elle serait soutenue par les ouvriers de tous les pays. Il est arrivé qu’ils l’ont soutenue à moitié, puisqu’ils ont affaibli le bras levé contre nous, et que par là ils nous ont porté secours.

Je me m’arrêterai plus sur cette question, je remarquerai seulement qu’il se crée actuellement au Caucase une situation extrêmement complexe, infiniment difficile à débrouiller, et que la guerre peut nous y être imposée, même d’un jour à l’autre. Mais cette guerre, avec la paix presque assurée avec la Pologne et la complète liquidation de Wrangel, ne peut être terrible, et si on nous l’impose, elle nous promet seulement un affermissement et un renforcement plus grand de notre situation. Les informations de presse sur les événements d’Arménie et de Turquie nous en donnent quelque idée. La situation est extrêmement embrouillée, mais je suis complètement convaincu que nous en sortirons. Ce sera peut-être en conservant la paix sur les bases actuelles, qui sont à certains points de vue très avantageuses pour nous, qui nous donnent satisfaction, et rendent possible notre existence économique. Nous ferons tous nos efforts pour cela. Mais il est possible que les circonstances nous imposent directement la guerre ou bien nous y conduisent indirectement. Nous pouvons considérer cette éventualité avec un calme parfait : ce sera une guerre sur une périphérie éloignée, avec un avantage numérique nous assurant un gain plus grand encore que celui que nous avons reçu de la guerre polonaise. La guerre polonaise, elle était faite sur deux fronts à la fois, sous la menace de Wrangel, et elle était loin de n’intéresser que nos frontières, puisque la ligne Piłsudski ne passait pas à très grande distance de Moscou. Je termine par là l’examen de la situation internationale.

Maintenant, je passe à la situation intérieure. En lien avec l’échec des multiples tentatives d’intervention armée, notre situation économique s’améliore sensiblement. La cause fondamentale de l’état désespéré dans lequel nous étions auparavant n’était autre que l’enlèvement à la Russie centrale, à la Russie industrielle, à la Russie prolétarienne, à Petrograd, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, des régions les plus fertiles : la Sibérie, le Sud, le Sud-Est, et d’une des principales sources de combustible, le bassin du Donets. Nous étions coupés aussi des sources de naphte, et finalement il est presque invraisemblable que dans un tel état la République ait pu néanmoins subsister. Vous savez quelles calamités désespérées et quelles privations sans bornes, quelle disette de blé et de chauffage nous assaillirent par suite de cette privation de nos régions les plus riches et les plus importantes économiquement. La cause de l’amélioration qui se fait sentir aujourd’hui est surtout la restitution de ces régions. La campagne alimentaire nous donne maintenant, grâce à la Sibérie, au Caucase, et au changement qui s’accomplit à notre avantage dans la situation sociale de l’Ukraine, l’assurance que, la saison prochaine, non seulement nous nous tirerons d’affaire, mais nous garantirons un ravitaillement convenable aux ouvriers de notre industrie. Pour la première fois, grâce à l’amélioration indubitable des transports, nous pouvons être sûrs d’avoir entre nos mains un fonds alimentaire de 250 à 300 millions de pouds de blé, avec lequel, au lieu de parler d’organisation socialiste sans rien faire ou presque, comme aujourd’hui, nous pourrons opérer réellement avec de véritables armées du travail, et envoyer des centaines de milliers d’ouvriers de toute sorte aux tâches les plus nécessaires. Déjà l’amélioration de notre situation en combustible nous a permis de restaurer l’industrie textile. La province d’Ivanovo-Voznessensk a commencé à remettre ses fabriques en marche. Au début, nous n’avions là qu’un quart de million de broches en activité ; actuellement, nous en avons déjà un demi-million, peut-être 600 000 ; à la fin de l’année, nous comptons atteindre le million, et l’année prochaine 4 millions de broches. Nous commençons seulement maintenant à sortir de l’impasse où nous nous débattions avec toutes les peines du monde, obligés de vivre sur les vieilles réserves, et à entreprendre de restaurer la production détruite. Alors nous pourrons, en prenant au paysan son blé, lui donner en échange du sel, du pétrole, et tant soit peu de tissus. Sans cela, il ne peut être question de régime socialiste.

Si nous avons acquis une base au point de vue international, en triomphant de multiples incursions militaires et en arrachant des traités de paix à toutes sortes d’États, au point de vue économique tous commençons seulement maintenant à avoir la possibilité de recevoir le blé nécessaire aux ouvriers de l’industrie – du pain pour l’industrie, c’est-à-dire du combustible en quantité suffisante pour entreprendre la construction du socialisme. Là est notre but principal, là est le nœud de la question, là est le difficile passage que nous avons déjà plusieurs fois essayé de réussir. Je me rappelle qu’en avril 1918, je disais devant le Comité Central Exécutif que les problèmes militaires semblaient toucher déjà à leur fin, que nous n’avions pas seulement mis de notre côté la Russie arrachée aux exploiteurs dans l’intérêt des travailleurs, mais que nous devions désormais entreprendre de gouverner la Russie en vue de son organisation économique. Le répit que nous eûmes alors fut trop court. La guerre qui nous fut imposée après la mutinerie tchécoslovaque de l’été 1918 fut trop sérieuse. Mais nous avons répété cette tentative une autre fois, dans une plus large mesure, au printemps de cette année, lorsque la question des armées du travail fut placée sur le terrain pratique. Aujourd’hui, nous devons une fois pour toutes mettre la question à l’ordre du jour et faire tous nos efforts pour commencer réellement cette nouvelle période. Là est le problème principal et essentiel de toute révolution socialiste prise du point de vue international, du point de vue de son triomphe sur le capitalisme en général. Pour vaincre le capitalisme en général, il faut premièrement battre les exploiteurs et maintenir contre leurs attaques l’autorité des exploités : c’est l’ère du renversement des exploiteurs par les forces révolutionnaires ; il faut deuxièmement, tâche positive, construire de nouvelles relations économiques, et montrer par l’exemple comment cela doit se faire. Ces deux côtés du problème de la réalisation d’une révolution socialiste sont indissolublement liés, et ils distinguent notre révolution de toutes les précédentes, qui se sont contentées du côté destructeur.

Si nous ne résolvons pas la seconde partie du problème, aucun succès, aucune victoire remportée sur les exploiteurs, aucune défense militaire contre les impérialistes mondiaux ne nous donneront rien et le retour au passé restera inévitable. À ce sujet, il ne saurait y avoir deux avis. La transition est ici extrêmement dure et difficile, elle réclame des procédés différents, une répartition et une utilisation différentes des forces, une direction différente de l’attention, de la psychologie, etc. Au lieu des méthodes propres au renversement par la force des exploiteurs et à la défense contre les attaquants, nous devons employer des méthodes d’organisation et de construction, nous devons nous révéler, nous manifester devant l’univers entier, non seulement comme une puissance capable de résister à son étranglement par les armes, mais comme une force capable de donner l’exemple. Partout, dans tous les ouvrages des plus grands écrivains socialistes, on a pu trouver quelque allusion à ce double problème de la révolution socialiste, qui se rapporte à la fois au monde extérieur, aux États demeurés entre les mains des capitalistes, et aux masses non prolétariennes de l’intérieur de chaque pays. Nous avons convaincu notre classe paysanne que le prolétariat lui fournit des conditions d’existence préférables à celles que lui donnait la bourgeoisie, nous l’avons convaincue par la pratique. Lorsque le paysan, quoique grognant contre le régime bolchevik, l’a comparé en pratique avec les régimes de la Constituante, de Koltchak, ou autres semblables, il est arrivé à cette conclusion que les bolcheviks lui ont assuré une existence meilleure, et au point de vue militaire l’ont défendu contre les attaques des impérialistes de tout l’univers. Et pourtant, la bonne moitié de la classe paysanne vivait dans des conditions bourgeoises, elle ne pouvait pas vivre autrement. Aujourd’hui, le prolétariat doit résoudre son second problème : montrer au paysan qu’il peut lui donner le modèle et l’exemple pratique de conditions économiques supérieures à celles où chaque famille paysanne exploite son champ à sa façon. Jusqu’à ce jour, le paysan ne croit qu’à cet ancien ordre des choses ; jusqu’à ce jour, il l’estime normal. Cela ne fait pas de doute. Se figurer que sous l’influence de notre propagande il changera sa façon de voir sur des questions aussi vitales, c’est pure sottise. Le paysan demeure en situation d’attente ; de la neutralité malveillante à notre égard, il est passé à une neutralité sympathique. Il nous préfère à tout autre gouvernement, en voyant que l’État prolétarien, que la dictature du prolétariat, loin d’être synonymes de grossier arbitraire, d’usurpation, comme il se le figurait, est un meilleur défenseur de la classe paysanne que Koltchak, Denikine et leurs pareils.

Mais cela est trop peu, nous n’avons pas fait le principal : il faut montrer que le prolétariat restaurera la grande production et la prospérité économique du pays, et les restaurera de façon à faire profiter la classe paysanne d’un niveau économique supérieur. Nous devons, après avoir prouvé que notre organisation révolutionnaire est en état de repousser les attaques menaçant les exploités, prouver la même chose dans un autre domaine, en réalisant un exemple qui prouve, non plus par des paroles, mais par des faits, à l’énorme masse des paysans et des éléments petits-bourgeois, et aussi aux autres pays, que le régime, l’ordre de choses communistes, peut être créé par le prolétariat, doublement vainqueur. Ce problème a une importance mondiale. Pour que nous puissions remporter la seconde partie de la victoire, au point de vue international, il nous faut résoudre la seconde moitié du problème, à savoir la construction économique. De cela nous avons parlé à la dernière conférence du parti, de sorte qu’il me semble inutile de traiter ici en détail des différents aspects de la question. Mais ce problème embrasse absolument tout dans le domaine économique. J’ai brièvement indiqué les conditions à réaliser pour garantir l’approvisionnement des ouvriers et l’approvisionnement en combustible de l’industrie. Ces conditions sont les fondations qui permettront d’élever le bâtiment. Je dois ajouter qu’au prochain congrès des Soviets, comme vous l’avez vu par l’ordre du jour publié dans les journaux, cette question de la construction économique sera le centre des débats. Tout l’ordre du jour est construit de telle sorte que toute l’attention et la sollicitude de tous les délégués rassemblés, de toute la masse des militants soviétistes et communistes de toute la république, soient concentrés sur la question économique, sur le rétablissement des transports et de l’industrie, sur ce qui est appelé prudemment « aide à l’économie paysanne » mais cela veut dire beaucoup plus, puisqu’il s’agit de tout un système, toute une série réfléchie de mesures tendant à élever l’économie paysanne, destinée à subsister encore assez longtemps, à la hauteur voulue.

En lien avec ceci, le congrès des Soviets entendra le rapport concernant l’électrification de la Russie, afin que le plan économique unique de rétablissement de notre économie nationale dont nous avons parlé soit solidement assis du côté technique. Sans instaurer en Russie une technique perfectionnée, plus élevée qu’auparavant, il ne saurait être question ni de rétablissement de la vie économique, ni de communisme. Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification de tout le pays, car sans électrification il est impossible de perfectionner l’industrie. C’est là une tâche de longue haleine, qui exige au moins 10 ans, à condition d’y faire participer une masse de ces techniciens qui donneront au congrès des Soviets une série de documents imprimés où tout ce plan est étudié en détail. En moins de 10 ans, nous ne pouvons pas réaliser les fondements de ce plan, ni créer les 30 grandes régions de stations électriques permettant de placer sur le pied moderne toute notre industrie. Il est clair que sans cette transformation de notre industrie pour la mettre à la hauteur de la grande production mécanique contemporaine, le régime socialiste restera un ensemble de décrets, une alliance politique de la classe ouvrière avec le paysan, une défense du paysan contre les Koltchak et les Denikine, un exemple pour toutes les puissances du monde, mais n’aura pas de base propre.

Le communisme suppose le pouvoir des Soviets à titre d’organe politique donnant aux masses opprimées la possibilité de tout prendre en mains. Dans tout l’univers nous en voyons la preuve, puisque l’idée du pouvoir des Soviets et son programme remportent partout une victoire indiscutable. Nous le voyons encore dans chaque épisode de la lutte contre la 2e Internationale, soutenue uniquement par la police, le clergé, et les vieux fonctionnaires bourgeois du mouvement ouvrier. Mais cela, c’est le côté politique. La base économique sera assurée le jour seulement où seront réellement concentrés dans l’État prolétarien de Russie tous les fils de la grande machine industrielle construite conformément à la technique moderne. Cela suppose l’électrification, et dans cela il faut comprendre les conditions fondamentales nécessaires à l’application de l’électricité, et comprendre en conséquence l’industrie et l’agriculture.

La tâche est énorme, le délai qu’elle réclame est infiniment plus long que le temps qu’il nous a fallu pour conquérir contre les incursions armées notre droit à l’existence. Mais nous ne redoutons point ce délai. Nous considérons déjà comme une conquête le fait d’avoir amené des dizaines et des centaines d’ingénieurs et de représentants de la science, pénétrés d’idées bourgeoises, à collaborer à la réorganisation de notre vie économique, de notre industrie et de notre agriculture, d’avoir éveillé en eux un intérêt pour ces réalisations, et d’avoir reçu d’eux une multitude de matériaux, résumés en une série de brochures. Chaque région d’électrification est étudiée dans une brochure spéciale. Le plan d’électrification est déjà terminé pour la région du Nord, ceux qui s’y intéressent peuvent le recevoir. Pour le Congrès des Soviets seront publiées d’autres brochures consacrées à chaque région et donnant tout le plan de réorganisation. Il faut que de tous les côtés, dans chaque groupement communiste, dans chaque administration soviétiste, on travaille sur ce plan unique établi pour une longue suite d’années, afin que dans un avenir prochain nous puissions nous rendre compte concrètement des progrès que nous avons faits et que nous faisons, sans nous tromper nous-mêmes et sans nous dissimuler les difficultés dressées devant nous. Ce plan économique unique et sa réalisation s’imposent à tout prix à toute la République. Le Parti Communiste doit y adapter toute son agitation, toute sa propagande et toute son activité. La chose a maintes fois été dite théoriquement, personne ne la discute, mais à peine a-t-on réalisé la centième partie de ce qu’il fallait. Cela se comprend, nous sommes habitués à la période de guerre politique, nous nous sommes endurcis dans la lutte militaire : et pourtant ce qui a été fait aujourd’hui par le pouvoir des Soviets n’est qu’une préparation à la tâche nouvelle. Il nous faut transporter notre train sur une voie toute différente, et ce train doit entraîner des dizaines de millions d’hommes. Le transfert d’une pareille bagatelle sur d’autres rails, alors que par endroits il n’y a même pas du tout de rails, réclame une attention soutenue, beaucoup de connaissances et encore plus de persévérance.

Du fait que le niveau de culture de notre paysan et de notre masse ouvrière ne correspondait pas à la tâche réclamée, et qu’en même temps nous étions pour les 99 % absorbés par les problèmes militaires et politiques, il s’est produit une renaissance de l’esprit bureaucratique. La chose est reconnue de tous. Le but du pouvoir des Soviets est de détruire entièrement l’antique appareil de l’État, comme il fut détruit en novembre 1917 pour transmettre tout le pouvoir aux Soviets : mais nous avouons déjà dans notre programme cette reconnaissance de la bureaucratie, et nous reconnaissons que les fondements économiques nécessaires à la vraie société socialiste n’existent pas encore. Les conditions de culture, d’instruction, et en général de niveau intellectuel nécessaires à la masse ouvrière et paysanne n’existent pas. La faute en est à ce que les exigences militaires ont accaparé toute l’élite du prolétariat. Le prolétariat a consenti de gigantesques sacrifices pour défendre la Révolution, des dizaines de millions de paysans y ont été sacrifiés, et il a fallu appeler à collaborer avec nous des éléments pénétrés d’esprit bourgeois, parce qu’il n’en restait plus d’autres. Voilà pourquoi nous avons dû déclarer dans notre programme, dans un document aussi important que le programme du parti, que la bureaucrate renaît et qu’il faut la combattre systématiquement. Évidemment, cette bureaucratie dans nos administrations soviétistes n’a pas pu ne pas exercer son influence néfaste au sein même de nos organisations communistes, puisque le sommet de notre parti est en même temps celui de l’administration soviétiste. Si nous avons reconnu le mal, si cette vieille bureaucratie a pu se glisser dans notre organisme communiste, il est clair et naturel que les organes de notre Parti portent tous les symptômes du mal. Et puisqu’il en est ainsi, la question a été mise à l’ordre du jour du congrès des Soviets ; elle occupe une grande partie de l’attention de la présente conférence, et fort justement, car la maladie reconnue dans notre parti par les résolutions de la conférence panrusse n’existe pas seulement à Moscou, mais s’étend à toute la République, elle est due à la nécessité où nous étions de tout donner au labeur militaro-politique, d’entraîner à tout prix les masses paysannes, sans pouvoir exiger un plan plus large, lié au développement de la culture paysanne et à l’élévation du niveau général des masses paysannes.

Je me permettrai en concluant de dire quelques mots de la situation intérieure du Parti, de nos débats intimes et des manifestations d’opposition que connaissent admirablement tous les assistants et qui ont coûté à la Conférence provinciale de Moscou tant d’attention et d’efforts, peut-être même plus qu’il n’eût été désirable pour nous tous. Il est naturel que la difficile transition que nous accomplissons aujourd’hui dans l’épuisement de nos forces vives, que la république a été obligée d’enlever sans cesse au prolétariat et au parti pendant trois années de lutte, nous a placés dans une situation pénible vis-à-vis d’un problème que nous ne sommes pas même en état d’évaluer exactement. Mais cette opposition n’a rien de mauvais. Nous devons reconnaître que nous ne connaissons pas exactement l’étendue de la maladie, nous ne pouvons pas déterminer l’importance et la situation relative des groupements adverses. Le grand mérite de notre conférence aura été de poser la question, de découvrir le mal existant, d’attirer sur lui l’attention du parti et d’inviter tous ses membres à s’efforcer de le guérir. Il est trop clair que du point de vue du Comité Central et aussi, je pense, de l’énorme majorité des camarades (dans la mesure où je connais les opinions, que personne n’a reniées), cette crise de notre parti, cette opposition qui se manifeste non seulement à Moscou mais dans toute la Russie renferme beaucoup d’éléments sains, indispensables et inévitables aux époques de croissance naturelle du parti, à une époque comme la nôtre, où, après avoir eu toute notre attention réclamée par les problèmes politiques et militaires, nous abordons une ère de construction et d’organisation où nous devons embrasser des dizaines d’administrations bureaucratiques et où le niveau de culture de la majorité du prolétariat et des paysans ne correspond plus à la tâche. L’Inspection Ouvrière et Paysanne, on le sait, existe plutôt comme un idéal, il a été impossible de la mettre en marche parce que l’élite des ouvriers était prise par le front et que le niveau de culture des masses paysannes ne leur permettait pas de fournir des militants capables.

Il est clair encore que l’opposition qui se donne comme but de hâter l’évolution, d’appeler le plus grand nombre possible de forces fraîches et jeunes, d’ouvriers des provinces, aux postes les plus élevés, est mue par des désirs, des tendances et un programme extrêmement sains. Ni dans le Comité Central, ni dans les milieux les plus autorisés, autant que j’en ai pu juger, vous ne trouverez deux opinions à ce sujet. Mais il ne fait pas de doute non plus qu’à côté de cette opposition saine, qui s’est unie autour de la plate-forme de réalisation des décisions de la conférence, il existe aussi d’autres éléments. Dans toutes les réunions, y compris les réunions préliminaires, comptant un plus grand nombre de membres que la présente conférence, à ce sujet non plus vous n’avez pu entendre deux avis. Notre programme commun doit être réalisé, cela ne fait pas de doute, et c’est là la tâche difficile qui nous incombe. Il ne s’agit pas de triompher d’un adversaire ni de le repousser. Nous nous heurtons là à cet élément petit-bourgeois qui est légion et qui nous entoure : nous sommes moins nombreux, nous sommes infiniment peu, en comparaison de cette masse de petite-bourgeoisie. Nous devons éduquer cette masse, la préparer, et par malheur nous avons été obligés de jeter nos forces d’organisation et de préparation sur un autre travail, très peu intéressant, pénible et plein de risques, réclamant d’énormes sacrifices : la guerre. Telle est la nature des choses guerrières, impossible d’y échapper. Et maintenant, à la lueur de cette situation, nous devons nous demander seulement si nous sommes en présence d’un assainissement total du parti, d’une pleine victoire sur la bureaucratie nous permettant de commencer l’édification économique sur un terrain plus juste et de réaliser l’Inspection Ouvrière et Paysanne non plus seulement en décrets, mais en y attirant réellement les masses ouvrières. C’est là chose difficile, et notre tâche principale, dès que nous parlons du rôle du parti, est de liquider aussi rapidement que possible cette soi-disant ligne d’opposition. S’il est question de points de vues différents, de façons différentes de comprendre les événements de divergences de vues sur le programme, même pour l’avenir, le Comité Central doit étudier la question avec la plus grande attention dans toutes les séances de son bureau politique et dans ses séances plénières, où diverses nuances sont représentées. Ce sera le travail harmonieux de tout notre parti qui assurera le succès.

Cette harmonie, nous la considérons comme essentielle. Nous avons maintenant devant nous une tâche économique plus difficile que la tâche militaire que nous avons accomplie avec l’enthousiasme des paysans, dû à ce que sans aucun doute les paysans préféraient le gouvernement ouvrier à celui de Koltchak. Aujourd’hui, il en va tout autrement, car il faut faire passer les masses paysannes à une activité positive qui leur est étrangère, qu’elles ne comprennent pas et à laquelle elles ne peuvent pas croire. Cette tâche réclame plus de système, plus d’acharnement, plus de capacités d’organisation. Or il me semble que les capacités d’organisation ne sont pas le fort du Russe. C’est là notre côté faible. Et aussi, dès qu’un obstacle gêne notre travail, il nous faut bien vite le faire disparaître. L’opposition qui se rend compte de la difficulté du problème qui s’impose à nous porte en elle quelque chose de sain. Mais quand elle devient une opposition pour l’opposition, il faut absolument y mettre un frein. Nous avons perdu trop de temps à des disputes, à des échanges de gros mots et à de stériles dissensions : il faut dire : « Assez ! » et tout faire pour assainir à quelque condition que ce soit l’atmosphère. Faisons des concessions, plutôt trop grandes que trop petites, à ceux qui sont mécontents, à ceux qui se nomment l’opposition, mais obtenons à tout prix l’accord dans le travail, car autrement il nous est impossible d’exister, entourés que nous sommes d’ennemis intérieurs et extérieurs.

Le vieil élément petit-bourgeois, les petits patrons, sont infiniment plus nombreux que nous. Ils sont plus forts que toute la production économique socialiste groupée pour les besoins des ouvriers. Tous ceux qui ont eu affaire avec la campagne et qui ont vu la spéculation dans les villes comprennent trop bien que cette société, fondée sur la petite production capitaliste, est plus forte que nous, et voilà pourquoi il nous faut absolument travailler tous d’accord, il nous faut à tout prix en arriver là. Toutes les fois qu’il m’a été donné d’observer ces disputes et cette lutte intérieure dans nos organisations moscovites, j’ai pu voir bien des débats, bien des accusations mutuelles, bien des tiraillements, et j’ai conclu qu’il était temps d’en finir et de nous unir tous sur le programme de la conférence. Il faut dire que cela nous a déjà coûté trop cher. Il est triste de voir par exemple dans les assemblées du parti les heures s’écouler en vaines discussions pour savoir si tel ou tel est arrivé en retard à la réunion, s’il s’est conduit de telle façon ou de telle autre. Est-ce pour cela que nous nous rassemblons ? Pour cela, il existe une commission spéciale qui examine la conduite des candidats présentés sur les listes. Mais les assemblées ont un autre programme. Prenez par exemple un camarade expérimenté du parti comme Boubnov. J’ai entendu un discours de lui sur le programme de la conférence. Ce programme se réduit à proposer une plus grande liberté de critique. Mais la conférence avait lieu en septembre, et nous sommes en novembre. La liberté de critique est une belle chose, mais une fois qu’elle est admise de nous tous, il faudrait s’occuper de savoir en quoi doit consister cette critique. La liberté de critique a longtemps été l’épouvantail agité contre nous par les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires et autres gens, mais nous ne l’avons pas craint. Si liberté de critique signifie liberté de défendre le capitalisme, alors nous écraserons cette liberté. Mais nous n’en sommes plus là. La liberté de critique est proclamée, il faut penser maintenant au contenu de la critique.

Et là il faut reconnaître quelque chose de triste, ce contenu n’existe pas. Vous arrivez dans une réunion, et vous vous demandez quel est donc le fond de la critique ? Exemple : les organes du parti n’y pourront rien si vous prétendez triompher de l’analphabétisme avec les vieux procédés bureaucratiques. Et comment changer ces procédés sinon en faisant agir les ouvriers et les paysans ? Malheureusement, dans nos réunions, le contenu de la critique ne touche que des détails, et de l’Inspection Ouvrière et Paysanne je n’ai pas entendu un traître mot. Je n’ai pas entendu dire que tel quartier ou tel autre appelle à cette tâche les ouvriers ou les paysans. La vraie application de la critique, son vrai contenu, ce doit être le travail d’édification qui s’impose actuellement. À Moscou, il n’est pas de maison, il n’est pas de fabrique ou d’usine qui ne doive apporter son expérience. Si nous voulons lutter contre la bureaucratie, nous devons appeler à nous les masses. Nous devons connaître l’expérience accumulée par telle ou telle usine, savoir ce qui a été fait par elle pour chasser tel ou tel bureaucrate, profiter de l’expérience de chaque pâté de maisons, de chaque société de consommation. Il nous faut mettre en mouvement avec le maximum de vitesse tout le mécanisme économique. Or, de cela, vous n’entendez pas un mot, tandis que des criailleries et des disputes vous en aurez tout votre soûl. Il est trop clair qu’une aussi gigantesque Révolution ne peut manquer de soulever de la poussière, et de produire une écume qui n’est pas toujours propre. Il est temps de parler, non plus de la liberté de critique, mais du contenu de cette critique. Il est temps d’affirmer que sur la base de notre expérience nous devons faire une série de concessions, mais que nous ne permettrons plus à l’avenir aucune déviation aboutissant à de vaines disputes. Il nous faut faire une croix sur notre passé et nous mettre délibérément à l’œuvre économique. Il nous faut transformer toute l’activité du parti afin qu’il devienne le guide économique de la république et que les succès pratiques deviennent sa meilleure propagande. Aujourd’hui, les mots ne suffisant plus à convaincre l’ouvrier ou le paysan, il leur faut l’exemple. Il faut les convaincre qu’ils pourront améliorer leur exploitation en se passant de capitalistes, que les spécialistes sont là pour leur service, que les conflits peuvent être résolus sans un bâton de policier, sans la famine capitaliste, mais qu’il faut la direction des gens du parti. Voilà le point de vue que nous devons adopter, et alors nous obtiendrons dans notre construction économique un succès qui donnera à notre victoire dans le domaine international son achèvement définitif.


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