Un mouvement est, dans sa définition limitée, un transport, un déplacement, un changement de situation dans l’espace. Le résultat du mouvement est une modification de l’endroit entre la période avant le mouvement et celle après le dit mouvement.
Le mouvement est, dans cette perspective, l’expression d’un déplacement dans l’espace, ayant pris un certain temps.
Le matérialisme dialectique donne au concept de mouvement une ampleur bien plus grande. Il ne limite pas le mouvement à un phénomène dans l’espace, mesurable par le temps.
Le temps n’existe, en effet, selon le matérialisme dialectique, que comme rapport de l’espace à l’espace, car l’espace est composé de matière et la matière est en rapport avec elle-même. Ce rapport, fondé sur la loi de la contradiction, consiste précisément en le mouvement.
C’est le mouvement qui donne naissance à la fois à l’espace et au temps, car le mouvement est le changement de la matière, dans l’espace, le temps n’étant que la réalité de ce changement.
Il ne s’agit donc pas que de déplacement ou bien il faudrait dire que la matière se déplace en elle-même, avec elle-même.
A ce sujet, dans des notes philosophiques, Lénine cite notamment un passage de Hegel, où il note « exact ! » dans la marge. Voici ce passage :
« L’essence du temps et de l’espace est le mouvement, parce c’est l’universel. »
Ce qui est particulier se transforme ; le principe de transformation est universel et fait face aux particuliers. Le particulier se situe dans l’espace et le temps, de manière déterminée, mais l’universel est l’espace et le temps c’est-à-dire le principe de transformation de chaque chose.
Cependant, dire cela n’est que partiellement vrai car le particulier contient en lui-même l’universel et la matière forme l’espace. Il y a ici une contradiction, ce qui fait écrire Lénine de nouveau l’expression « exact ! » dans la marge d’un autre passage de Hegel :
« Se mouvoir signifie cependant : être à tel endroit et en même temps ne pas y être ; c’est la continuité de l’espace et du temps – et c’est elle qui est ce qui rend tout d’abord le mouvement possible. »
S’il n’y avait pas de continuité du temps et de l’espace, alors tant l’un que l’autre ne consisterait qu’en une infinité de points séparés, que rien ne viendrait relier. La problématique d’un monde sans continuité avait déjà été soulignée dans l’Antiquité grecque par Zénon.
Le matérialisme dialectique s’oppose à cette division en éléments de l’espace et du temps, posant de manière relative leur continuité. Et en même temps, le matérialisme dialectique accepte la division en éléments de l’espace et du temps, lui donnant toutefois une fin déterminée par la transformation.
Lénine explique ainsi dans ses notes philosophiques :
« Le mouvement est l’essence du temps et de l’espace. Deux concepts fondamentaux expriment cette essence : la continuité (infinie) et la « composition en points » ( = la négation de la continuité, la discontinuité).
Le mouvement est l’unité de la continuité (du temps et de l’espace) et de la discontinuité (du temps et de l’espace). Le mouvement est une contradiction, une unité de contradictions… »
Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’au lieu de s’imaginer une chose de manière statique se situant dans l’espace et le temps, il faut la concevoir comme en mouvement et cela avec l’espace et le temps.
L’espace et le temps ne sont pas des « cadres » qui préexistent aux choses, mais le produit de ces choses qui sont nécessairement en mouvement.
De plus, il faut saisir que le mouvement est déplacement au sens le plus large, c’est-à-dire transformation : non seulement un être humain assis sur une chaise est en déplacement, car la planète Terre est en déplacement, mais en plus il se transforme, notamment en vieillissant.
Cette transformation – fondée sur la loi de la contradiction – est le mouvement lui-même. C’est parce que la matière se transforme que l’espace existe, comme matière se transformant. Si elle ne se transformait pas, alors tout serait statique et il n’y aurait pas d’espace, avec ses contradictions, mais un bloc.
C’est pour cette raison qu’Aristote, ne pouvant à son époque saisir le principe du mouvement de la matière, a réutilisé le principe de l’Antiquité grecque comme quoi il aurait existé une matière statique qui aurait été « mise en forme » et mis en mouvement, de l’extérieur.
Le matérialisme dialectique place le rapport du mouvement à l’espace et au temps comme un rapport de production, la matière existant et se transformant, déplaçant l’espace, le plaçant en contradiction avec lui-même, donnant naissance au temps.
Il y a la fois continuité – pas de séparation des éléments – et en même temps discontinuité, car la transformation modifie la réalité et par conséquent ferme le temps infini, en raison du changement de l’espace infini lui-même modifié par la transformation.
Le principe du saut qualitatif tient justement à cette contradiction, où l’infini est comme « fermé », car porté à un niveau supérieur.