John Locke est le véritable fondateur du libéralisme en politique. Puisqu’en effet chaque individu a ses propres sens, alors il faut le laisser libre. Lui-même ne doit admettre une structure politique que dans la mesure où elle lui permet de s’épanouir comme acteur libre, c’est-dire comme capitaliste.
Ce qui relève de la morale, des valeurs, tout cela relève des individus, dont les contrats sont à la base de tout, tant des affaires que de l’état. Le pouvoir politique ne vient pas de Dieu, mais des hommes propriétaires, et il consiste en une délégation pour que la société soit coordonnée de la manière la meilleure possible.
Chez John Locke, cela revient à dire que l’État consiste en :
« (le) droit de faire des lois, sous peine de mort, ou par voie de conséquence sous toute peine moins sévère, afin de réglementer et de préserver la propriété, ainsi que d’employer la force de la communauté pour l’exécution de telles lois et la défense de la république contre les déprédations de l’étranger, tout cela uniquement en vue du bien public. »
Bien entendu, dans l’esprit de l’empirisme anglais, on a encore et toujours besoin de Dieu, qui est le garant de « l’ordre », c’est-à-dire de la formation « naturelle » d’une société de propriétaires. John Locke a besoin de Dieu pour justifier que l’ordre public ait un sens, et il rejette ainsi autant l’athéisme que les religions liées à des puissances étrangères (c’est-à-dire l’Église catholique).
Il est évident qu’il y a ici une contradiction entre le fait qu’on apprenne que par les sens, et qu’en même temps il existe un ordre naturel issu de Dieu fondé sur la propriétés, et dont John Locke dit qu’il s’agit d’un « décret de la volonté divine, accessible grâce à la lumière naturelle, révélatrice de ce qui est conforme ou non à la nature rationnelle, et par là même, elle ordonne ou proscrit ».
John Locke dit qu’il n’y a rien d’inné… mais que l’ordre fondé sur la propriété est naturelle car décidée par Dieu. On reconnaît facilement l’idéologie de classe à la base de cette contradiction intellectuelle complète.
Dieu est prétexte au droit « naturel » à la propriété ; voici ce que dit John Locke :
« Dieu qui a donné le monde aux hommes, leur a donné aussi la raison, pour qu’ils s’en servent au mieux des intérêts de leur vie et de leur commodité. La terre et tout ce qu’elle contient sont un don fait aux hommes pour l’entretien et le réconfort de leur être.
Tous les fruits qu’elle produit naturellement et toutes les bêtes qu’elle nourrit appartiennent en commun à l’humanité, en tant que production spontanée de la nature ; nul n’en possède privativement une partie quelconque, à l’exclusion du reste de l’humanité, quand ces biens se présentent dans leur état naturel ; cependant, comme ils sont dispensés par l’usage des hommes, il doit nécessairement exister quelque moyen de se les approprier, pour que des individus déterminés, quels qu’ils soient, puissent s’en servir ou en tirer profit. »
On reconnaît également très facilement ici l’idéologie des États-Unis d’Amérique à son origine. Cependant, il faut voir que la dimension du petit capitaliste y est extrêmement présente, et on n’est pas loin du proudhonisme lorsque John Locke explique :
« Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, chacun garde la propriété de sa propre personne. Sur celle-ci, nul n’a de droit que lui-même. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains sont vraiment à lui.
Toutes les fois qu’il fait sortir un objet de l’état où la Nature l’a mis et l’a laissé, il y mêle son travail. Il y joint quelque chose qui lui appartient et, par là, il fait de lui sa propriété.
Cet objet, soustrait par lui à l’état commun dans lequel la Nature l’avait placé, se voit adjoindre par ce travail quelque chose qui exclut le droit commun des autres hommes. Sans aucun doute, ce travail appartient à l’ouvrier ; nul autre que l’ouvrier ne saurait avoir de droit sur ce à quoi le travail s’attache, dès lors que ce qui reste commun suffit aux autres, en quantité et en qualité. »
John Locke était en fait surtout le vrai théoricien de la monarchie constitutionnelle anglaise : le roi légitimait l’Eglise anglicane, qui elle-même légitimait la propriété dans un cadre national, cette même propriété justifiant l’irruption d’une nouvelle figure sociale, économique et politique : le « travailleur » accumulant des richesses, c’est-dire le capitaliste.
Inversement, la position de John Locke justifiait le régime : en s’opposant à l’absolutisme, Locke trouvait dans la monarchie constitutionnelle un allié plus qu’utile.