L’opposition à l’occupation prit en Grèce rapidement un large aspect populaire, comme en témoigne la vague de grèves et de rassemblements à Athènes à la fin d’octobre 1941. L’EAM, bien que très faible dans certaines zones, organisait notamment des cuisines populaires pour faire face à la famine ; cela restait embryonnaire, mais une dynamique s’affirmait.
Cela aboutit notamment à la vaste grève à Athènes à l’été 1942, à laquelle participèrent les ouvriers d’une usine de caoutchouc pour l’Armée allemande, ceux du port, ceux des tramways et de la production d’électricité, des assurances, de quelques banques, des postes et télécommunications, etc.
Il y eut de nombreuses condamnations à mort, mais la vague athénienne était irrépressible : 40 000 personnes manifestèrent en décembre 1942, prenant d’assaut le ministère du travail ; en février 1943, 100 000 personnes protestèrent contre la famine, le 3 mars 200 000 contre les déportations de travailleurs vers l’Allemagne, le 25 mars 300 000 pour saluer le jour de l’indépendance nationale.
Une grève générale fut menée en juin 1943 en réponse à l’exécution d’otages par l’Armée allemande ; les cadres de l’EAM prenaient la parole en apparaissant subitement dans les cinémas, au théâtre, les magasins, en tenant des petits meetings improvisés, disparaissant rapidement, couverts par les gens présents.
Le KKE savait que la lutte armée était inévitable s’il assumait sa stratégie et il entama un processus devant aboutir à une vaste formation de guérilla afin d’accompagner la progression de l’EAM.
Celle-ci, une fois réorganisée à l’initiative du KKE, de manière plus centralisée, fut en mesure de généraliser les comités locaux, jusque dans les campagnes; à la fin de 1943, chaque localité avait pratiquement son comité local.
Des expériences armées négatives purent être évaluées : la section de Macédoine, opérant de manière autonome, organisa des brigades de partisans à Nigrita et Kilkis, puis établit une organisation armée, Ελευθερία (Liberté), avec des officiers républicains, mais l’armée allemande fut rapidement en mesure d’écraser cette tentative, tout comme l’armée bulgare à Drama en Macédoine orientale.
Le KKE organisa ainsi tout d’abord un centre militaire de la résistance, pour appeler en février 1942 à la formation de l’ELAS (Ελληνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός – Armée Grecque de Libération Populaire), qui commença effectivement ses opérations en juin 1942.
Il existait différentes formations proches du principe de lutte armée, mais n’osant pas passer le pas de manière autonome. Il y avait ainsi des officiers républicains à Athènes organisés dans l’EDES (Εθνικός Δημοκρατικός Ελληνικός – Ligue Nationale Démocratique Grecque), ainsi qu’une structure similaire, l’EKKA (Εθνική και Κοινωνική Απελευθέρωσις – Libération Nationale et Sociale).
L’EDES ne commença ses opérations qu’à l’été 1942 avec ses OEOA (Εθνικές Ομάδες Ελλήνων Ανταρτών – Groupes Nationaux des Partisans Grecs) et l’EKKA lors de l’hiver 1942, et encore cela fut-il fait sous la pression de l’impérialisme anglais, et en pratique en réponse aux initiatives de l’ELAS.
De ce fait, il y eut véritablement une seule opération commune de l’ELAS et de l’EDES, soutenue par des saboteurs anglais, amenant la destruction du vaste viaduc de chemin de fer sur la rivière Gorgopotamos.
Et encore cette opération fut menée alors que les Anglais ne voulaient en aucun cas travailler avec l’ELAS : ils n’eurent pas le choix, en raison de la faiblesse de l’EDES. A l’opération elle-même participèrent 52 membres de l’EDES et 86 de l’ELAS, dans un terrain d’opération de l’ELAS.
La radio britannique, à l’annonce de l’opération, passa sous silence le rôle de l’ELAS ; fut même établie en Grèce une mission militaire britannique, cherchant à phagocyter la résistance. L’ironie de l’histoire que son dirigeant échappa à son arrestation grâce à l’EAM pourtant.
Très rapidement, l’impérialisme anglais appuya donc l’EDES et l’EKKA contre l’ELAS, alors que celle-ci progressait sans commune mesure. Les campagnes de la zone italienne étaient pratiquement sous contrôle en 1943, et déjà des villes furent en mesure d’être temporairement libérées.
Seule l’ELAS étaient présente dans tout le pays, alors que l’EDES n’agissait qu’en Epire, l’EKKA dans le Parnasse seulement, et désormais le PAO (Organisation pangrecque de libération) en Macédoine.
L’ELAS passa également en 1943 d’une structure décentralisée d’unités de partisans à une hiérarchie régulière, avec des brigades, compagnies, régiments, divisions, avec un quartier-général dans le petit village montagnard de Pertouli.
La sub-division de la direction du quartier-général fut reproduite à tous les échelles, avec à chaque fois un responsable militaire, un responsable politique de l’EAM, un responsable de l’approvisionnement et de la formation de la base.
A l’automne 1943, l’ELAS est composée de 35 000 membres armés, plus une réserve de 30 000 personnes en attente en raison du manque de matériel.
Dans toute une série de villages, un nouveau pouvoir est organisé, sur une base populaire, sur le modèle de l’expérience faite dans la région de l’Eurytanie, avec toute une codification juridique s’approfondissant toujours plus au moyen de commissions juridiques, à Athènes de l’EAM et issue d’Eurytanie, visant à renforcer l’organisation de la justice populaire.
Même l’EDES et l’EKKA furent obligés de céder devant cette tendance, uniquement verbalement pour la première formation toutefois.
Ce qui est frappant dans tout ce processus, c’est que le KKE n’a, à ce stade, toujours pas établi de lien avec l’URSS : il défend la même ligne, mais l’a établie seul et sait défendre son autonomie face à la mission militaire britannique tentant d’en prendre le contrôle, arrachant à celle-ci un accord militaire, ainsi qu’une réunion à la centrale générale anglaise au Proche-Orient, au Caire.
Néanmoins, l’appui américain à l’impérialisme britannique fit échouer toute tentative de conciliation : pour ces deux forces, il s’agissait de rétablir la monarchie et de gagner du temps pour briser l’EAM et l’ELAS.
L’ELAS dut affronter par ailleurs deux nouvelles forces à partir de 1943 : d’un côté, les bataillons de sécurité (Τάγματα Ασφαλείας) composés de 22 000 collaborateurs grecs servant l’Allemagne nazie qui enrôla ces forces pour faire face à l’abandon de la part de l’Italie, mais également des unités militaires royalistes tolérées par les forces d’occupation et attaquant exclusivement l’ELAS.
De plus, l’EDES – qui initialement avait été porté par des sections socialistes, même si opposées au KKE – était rejointe massivement par des monarchistes à la même période, qui parvinrent même à contrôler la direction athénienne et établirent des rapports avec l’occupant nazi.
La conséquence en fut des affrontements EDES/ELAS et la décision, de la part de l’ELAS, de liquider l’EDES. L’ELAS profita du départ des troupes italiennes, présentes notamment dans les territoires où elle était active, pour récupérer du matériel et redisposer ses forces.
L’offensive anti-ELAS commença le 9 octobre 1943, interrompue à la fin du mois par une contre-offensive allemande de trois semaines. Toutefois, début décembre l’EDES avait été pratiquement anéantie, et le 14 décembre 1943, l’EAM appela à la formation d’un gouvernement d’union nationale.