paul-eluard-grece_1949.jpgL’ensemble du mouvement communiste international apporta son soutien à la DSE. Le quotidien du Parti Communiste français, L’Humanité, envoya Simone Téry comme reporter dans la Grèce libre, dans le nord du pays, en octobtre 1947, ses reportages étant publiées dans une série intitulée Les hommes de cœur sont plus forts que les dollars, publiée dans le quotidien du 19 décembre 1947 au 14 janvier 1948.

Par la suite, un événement marquant fut la venue en Grèce, en 1949, du poète et résistant français Paul Eluard.

Il fut accompagné notamment de gens issus de la gauche socialiste se rapprochant du PCF par leur parcours dans la Résistance : le journaliste et homme politique Yves Farge, à l’origine de la dénonciation d’un grand scandale de corruption en 1946, l’ancien journaliste du journal socialiste Le Populaire Jean Maurice Herman, fondateur du Syndicat National des Journalistes CGT, ainsi que l’instituteur Henri Bassis.

Il eut un programme complet de discours et de conférences, notamment à plusieurs reprises à l’institut français, mais également avec le regroupement intellectuel « la solidarité nationale », à l’union franco-héllénique des jeunes, au cinéma-théâtre Attikon.

Il se déplaça également en Grèce libre, tenant à Grammos un discours répercuté par 200 hauts-parleurs, dirigé vers les armées ennemies.

eluard-grammos-1949.jpg« Fils de Grèce, je m’adresse à vous, paysans, ouvriers, intellectuels, embrigadés dans l’armée d’un gouvernement qui ne vous représente pas.

J’ai voulu avant tout être ici un témoin et je n’ai été animé que de l’unique souci de la vérité, que de ma passion pour la paix.

Une guerre fratricide comme la vôtre est la plus horrible des guerres et ceux qui vous y conduisent peuvent seuls en tirer profit. Ce que j’ai vu en Grèce libre, c’est l’invincible armée du peuple, où les officiers et les soldats sont fraternellement unis par l’amour de leur patrie et de la liberté.

Aucun étranger dans leurs rangs, leur dessein n’étant que l’indépendance et la grandeur de leur pays dans le bonheur et dans la paix.

Je les ai vu au grand jour de leur cœur innocent, de leurs yeux francs et de leur ciel serein, danser et chanter comme des enfants. J’ai vu aussi leur front s’assombrir à l’idée que ce sont leurs frères, leurs fils et leurs pères qu’ils ont en face d’eux dans le combat.

Mais trop de territoires sont encore à libérer, trop de ruines à relever, trop de champs à défricher et surtout trop de martyrs à délivrer. Je vous conjure de penser, vous qui vous trouvez du côté des geôliers et des bourreaux, à tous ces innocents qui, chaque jour, paient de leur sang votre propre avenir.

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Je vous conjure de penser à l’horreur de Makronissos et de vos prisons où des milliers de patriotes, sûrs de leur victoire, attendent chaque jour les tortures et la mort.

J’ai vu partout d’ici, sur le front comme à l’intérieur, vos prisonniers traités avec le plus grand respect de la personne humaine et nourris comme les andartès [les rebelles], j’ai vu vos blessés soignés avec les mêmes attentions et la même bienveillance que ceux de l’armée démocratique.

Beaucoup choisissent cette dernière solution. C’est bien la première fois dans l’Histoire moderne qu’une armée se sent forte, assez sûre de la victoire pour pouvoir montrer pareille confiance en l’homme.

C’est aussi la première fois qu’une armée offre d’autant plus la paix qu’elle voit grandir ses forces. La seule victoire qu’elle souhaite est l’union de tout son peuple et la fin des misères d’une guerre imposée par les impérialistes anglo-saxons.

Dans le monde entier, les gens simples luttent pour la paix. Le bon peuple de Grèce, en se couvrant de gloire, est à leur avant-garde. »

A la suite de son voyage, Paul Eluard publia un recueil de poésie intitulé Grèce ma rose de raison, contenant des poèmes écrits pour l’occasion, mis en parallèle avec des poèmes de deux membres de la DSE condamnés à mort.

Voici le poème de Paul Eluard Le Mont Grammos, où le lyrisme sensible du poète qui s’est malheureusement surtout dispersé dans la confusion surréaliste, est mis au service de la réalité.

Le Mont Grammos

Le mont Grammos est un peu rude
Mais les hommes l’adoucissent

Les barbes nous les tuons
Nous abrégeons notre nuit

Plus bêtes que poudre à canon
Nos ennemis nous ignorent

Ils ne savent rien de l’homme
Ni de son pouvoir insigne

Notre coeur polit ma pierre

Voici un autre poème du recueil, intitulé Prière des veuves et des mères par Paul Eluard.

Prière des veuves et des mères

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Nous avions accordé nos mains
Et nos yeux riaient sans raison

Par les armes et par le sang
délivrez-nous du fascisme

Nous bercions toute la lumière
Et nos seins se gonflaient de lait

Laissez-nous tenir un fusil
Pour tirer sur les fascistes

Nous étions la source et le fleuve
Nous rêvions d’être l’océan

Donnez-nous juste le moyen
de ne pas gracier les fascistes

Ils sont moins nombreux que nos morts
nos morts n’avaient tué personne

Nous nous aimions sans y penser
Sans rien comprendre que la vie

laissez-nous tenir un fusil
Et nous mourrons contre la mort.

Voici un Épigramme de F. Asteris, également dans le recueil.

aux 23 de la prison d’Averof.

Honneur à vous, aigles captif, étoiles enchaînées !
C’est à vous d’allumer, à la flamme de votre cœur,
Le flambeau immortel, le flambeau jeune et sans pareil
De la liberté, dans le ciel de l’homme.

C’est là votre destin glorieux.

Voici le poème d’Eluard intitulé Pour ne plus être seuls.

Pour ne plus être seuls

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Comme un flot d’oiseaux noirs ils dansaient dans la nuit
Et leur cœur était pur on ne voyait plus bien
Quels étaient les garçons quelles étaient les filles

Tous avaient leur fusil au dos

Se tenant par la main ils dansaient ils chantaient
Un air ancien nouveau un air de liberté
L’ombre en était illuminée elle flambait

L’ennemi s’était endormi

Et l’écho répétait leur amour de la vie
Et leur jeunesse était comme une plage immense
Où la mer vient offrir tous les baisers du monde

Peu d’entre eux avaient vu la mer

Pourtant bien vivre est un voyage sans frontières
Ils vivaient bien vivant entre eux et pour leurs frères
Leurs frères de partout ils en rêvaient tout haut

Et la montagne allait vers la plaine et la plage
Reproduisant leur rêve et leur folle conquête
La main allant aux mains comme source à la mer.

Voici un Épigramme du résistant Alcibiade Yannopoulos, placé dans le recueil.

Épigramme

Quand nous avons été consumés par la flamme
Toutes nos peines se sont éteintes
Et c’est avec cette mort même
Que nous avons vaincu la mort.

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Grèce ! l’aurore sur la terre
Déjà présage la lumière !
Que la nuit parte sans retour !
La Reine, ce sera le jour,
Le Roi, ce sera le soleil
De février, soleil vermeil.
Il a enlacé la jeunesse
Et la jeunesse l’enlaça.

Ils vont vers les monts de la Grèce.
Là-bas, l’on chante, l’on combat !
Là-bas, de jeunes ouvriers
Pactisent avec les chevreaux.
Là-bas, la danse déliée
Gronde et la foudre fait écho.

La Liberté est dans leurs rangs
Et ses yeux lancent des éclairs
Elle est là pour bénir leur sang
Elle est là pour gagner sa guerre.

Voici un autre poème de Yannopoulos, Le dernier chant.

Le dernier chant

C’est le matin, petit matin, premier message:
Voilà le coq vient de pousser son cri fatal!
Notre cœur s’éclaire et la nuit s’en va.
La lumière n’est pas encore à l’horizon, mais elle apparaîtra.
Nous, frères, ne verrons pas plus avant que l’aurore grise
Nous ne pourrons pas jouir de la lumière du soleil.

Écoute…Loin, très loin,comme s’il surgissait des entrailles de la lumière
Le clairon du matin retentit.
Il t’appelle à la lutte sur l’autel du sacrifice.
La vie éveille en toi des mondes magnifiques.
C’est l’heure : mon esprit et mon cœurse lèvent,tout s’éveille en moi.
Je me sens farouche et léger, je flambe et je m’élance dans le feu,
Je communie avec la vie la plus profonde.

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Pour la dernière fois nous avons bu le vin, le bon vin, le vin fort,
Comme les chevaux qui hument le sang dans les ruisseaux
Et qui se dressent superbement pour la bataille.
Des ailes poussent à nos cœurs et nous nous lançons en avant,
En poussant un grand cri, un cri terrible contre la mort,
Un cri pareil au mugissement de l’ouragan
Et qui embrasse notre terre.

En avant! En avant! Frères, joyeusement,
Entrez tous dans la danse.
Ce sont les filles de Zalongo
Qui, les premières, l’ont dansée.
Le temps a passé, mais j’entends leurs pas,
Tout en résonne encore.

Jeunesse, prends ton vol et porte-nous au ciel,
Car on n’a jamais vu sur terre un ciel si vaste.
Ah! Nous ne sommes plus les infirmes, les faibles!
Nul entre nous ne sent son cœur se contracter,
Nul de nous n’est courbé, nul n’est lâche.
Le front haut, nous toisons les bastions de la mort
Et, simplement, nous les démolissons.

Quand nous avons été consumés par la flamme
Toutes nos peines se sont éteintes.
Et c’est avec cette mort même
Que nous avons vaincu la mort.

Voici Dans la montagne vierge de Paul Eluard :

Dans la montagne vierge

Les herbes et les fleurs, ne m’abandonne pas,
Leur odeur suit le vent

Les chevreaux jouent de leur jeunesse,
Un aigle fait le point dans le ciel sans secrets.

Le soleil est vivant, ses pieds sont sur la terre,
Ses couleurs font les joues rougissantes d’amour,
Et la lumière humaine se dilate d’aise.

L’homme en grandeur au cœur d’un monde impérissable
Inscrit son ombre au ciel et son feu sur la terre.

Voici, enfin, une poésie typique de Paul Eluard, avec une mélancolie très forte constatant l’absence de bienveillance du monde, avec un appel indirect à le changer en ce sens malgré toutes les difficultés. Cela reflète bien l’approche de ce poète et son intention à l’origine de la publication du recueil.

Des yeux qui ont vraiment trop souffert de voir

Plus beau visage ne peut pas se plaindre
Plus violemment des horreurs de la guerre

Plus beaux yeux noirs ne peuvent se couvrir
Plus doucement d’un voile mortuaire

Et tout vivants le chagrin les enterre.


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