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L’élan de la révolution allemande fut très profond et, malgré la mort de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, le Parti Communiste d’Allemagne (KPD) se construisit de manière très rapide.
Toutefois, il y avait deux axes possibles qui en découlaient. Soit il fallait se tourner vers tout un ensemble de structures dispersées liées directement à la perspective de l’insurrection, dans l’idée d’aller le plus rapidement possible, en mettant l’idéologie et l’organisation de côté.
Soit il fallait, au contraire, se tourner vers la base de la social-démocratie, notamment l’USPD (Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands – Parti Social-Démocrate Indépendant d’Allemagne).
L’USPD est né en 1917 de son exclusion de la social-démocratie, en raison de son opposition à la guerre ; il rassemblait alors les principales figures historiques de la social-démocratie : Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg, Karl Kautsky et Rudolf Hilferding, ainsi qu’Eduard Bernstein.
Le KPD est issu de la tendance de Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg considérant qu’il fallait précipiter les choses, mais l’USPD se maintenait encore sur une ligne tout à fait social-démocrate de gauche.
Dès sa fondation, il parvient à rassembler 120 000 membres, puis pas moins de 893 000 membres en septembre 1920.
Naturellement, le KPD eut comme consigne de chercher à gagner la base de l’USPD, ce qu’il parvint. L’aile gauche de l’USPD et le KPD formèrent, en décembre 1920, le KPD unifié (VKPD), avec pas moins de 448 500 membres.
Cette évolution fut largement décriée par les secteurs « insurrectionnalistes » tenant une ligne gauchiste et considérant qu’il fallait une rupture complète avec la social-démocratie historique.
Cela fait que pour rejoindre l’USPD, le KPD a été obligé de rompre avec une partie significative de ses membres.
L’exclusion se produisit au congrès dit de Heidelberg (le KPD étant illégal, le congrès eut lieu dans plusieurs endroits autour de cette ville), en octobre 1919. La tendance exclue, d’orientation syndicaliste-révolutionnaire et d’optique insurrectionnaliste, donna alors naissance en avril 1920 au Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands (Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne).
Pour le KAPD, la révolution est imminente et par conséquent il faut tabler sur une prise de conscience rapide et décentralisée du prolétariat. Toute tentative de faire de la politique – par les élections ou la participation aux syndicats, notamment – retarde l’échéance.
La tentative de coup d’Etat par l’extrême-droite en mars 1920 – brisé par une grève générale historique et des masses en armes – forme l’arrière-plan culturel et idéologique expliquant l’impact du KAPD, qui dispose dès le départ d’environ 38 000 membres.
Le KPD, avant son unité avec l’USPD peu après, avait alors environ 66 000 membres.
Le KAPD profitait également de l’impact de son syndicat nouvellement formé, l’AAUD (« Union PanOuvrière d’Allemagne »), s’appuyant sur environ 200 000 membres.
L’organe de presse de l’AAUD, Der Kampfruf c’est-à-dire L’appel à la lutte, suivait la même ligne d’insultes (« reptiles », « putes », etc.) envers les réformistes, ainsi qu’envers les communistes liés à l’URSS, et de propagande pour la révolution prétendument immédiate et complète.
Voici un exemple de comment l’AAUD, à sa fondation prétendait trouver une voie « pure » :
« La croissance de l’organisation dans cette direction repoussera de plus en plus à l’arrière-plan la lutte entre ce que l’on appelle le centralisme et le fédéralisme.
Du point de vue de l’AAU, la polémique autour de ces deux principes, de ces deux formes d’organisation, deviendra une querelle de mots vides. Il faut évidemment comprendre ces termes d’après la signification qu’ils ont eu jusqu’à présent et ne leur donner aucun sens nouveau.
Nous entendons par centralisme la forme qui, par la volonté de quelques-unes, tient les masses en laisse et les asservit. Pour l’AAU il s’agit du démon qui doit être exterminé.
Il est anti-social. Le fédéralisme est sont antagoniste, mais son antagoniste sur la base du même système économique. C’est la souveraineté, l’entêtement obstiné de l’individu (ou de l’entreprise, ou de la région, ou de la nation) pris en soi-même. Il est également antisocial et on doit le combattre tout autant.
Ces deux formes se développèrent progressivement dans les siècles passés. Le fédéralisme l’emporta au Moyen Âge, le centralisme pendant la période du capitalisme avancé.
La sympathie pour le fédéralisme repose tout simplement sur le fait que voyant en lui la négation du centralisme, on suppose qu’il apporterait la libération et le aradis. Ce désir de fédéralisme conduit à une caricature d’autonomie (droit d’auto-détermination). On croit agir de façon sociale et prolétarienne quand on attribue à chaque région, chaque lieu (on devrait même le faire pour chaque personne) l’autonomie dans tous les domaines.
En fait, on ne fait qu’abolir l’empire pour le remplacer par une quantité de petites principautés. De partout surgissent des roitelets (fonctionnaires), qui régissent de leur côté de façon « centralisée » une fraction des adhérents comme si c’était leur propriété: il s’ensuit une dislocation et une ruine générale.
Le centralisme et le fédéralisme sont tous deux des formes d’expression bourgeoises. Le centralisme étant plus de caractère grand-bourgeois, le fédéralisme petit-bourgeois. Tous deux sont anti-prolétariens et entravent la pureté de la lutte de classe. »
Ce positionnement « ultra » fit que, dès 1922, il existait déjà deux KAPD (dite de Berlin et d’Essen), l’une formant en quelque sorte le « canal habituel » et l’autre le « canal historique », conservant chacun le nom de KAPD, alors que parallèlement l’AAUD se divisa elle-même rapidement en cinq structures différentes.
Le canal habituel disposait de 400 personnes dans son KAPD, 600 dans son AAUD ; sa ligne était que rien n’était possible à part la réfutation des syndicats et l’appel à la préparation pour la nouvelle vague révolutionnaire.
Le canal historique, quant à lui, était plus solide, disposant de 2000 membres dans son KAPD, de 12000 dans son AAUD, se fondant sur une ligne de type syndicaliste-révolutionnaire. Une scission se produira également lors de l’intégration dans ce KAPD canal historique de gauchistes exclus du KPD, Ernst Schwarz mettant son salaire de député et sa possibilité de transports gratuits au service du KAPD, ce qui fut considéré comme inacceptable par une fraction fondant alors un KAPD Opposition.
Du côté de l’AAUD, une des cinq tendances, d’orientation anti-organisation, disparut dès 1923, alors que la même année une autre de ces tendances rejoignit l’anarcho-syndicalisme.
Une autre se maintint sur une ligne anarchiste violemment anti-intellectuelle, une autre suivit une ligne conseilliste tout en disparaissant en 1932, alors que la dernière fondée avec Otto Rühle basculait dans le syndicalisme-révolutionnaire, aboutissant finalement en 1931 à un rassemblement avec d’autres factions gauchistes pour fonder la Kommunistische Arbeiter-Union (Revolutionäre Betriebs-Organisationen), c’est-à-dire l’Union Ouvrière Communiste (Organisations Révolutionaires d’Entreprises), avec 343 membres.
De fait, l’échec du KAPD tenait à sa nature finalement contradictoire, puisque la démarche « conseilliste » revenait à du syndicalisme-révolutionnaire. Le KAPD rejetait le centralisme démocratique et prônait le parti comme simple regroupement conscient. Il n’y avait aucune base idéologique à part le fait de ne pas en vouloir, au nom de la spontanéité : l’effondrement était programmé dans la matrice même du KAPD.
Ne restèrent plus qu’aux gauchistes à masquer cet échec complet derrière un « reflux » de la révolution, le rôle « contre-révolutionnaire » du KPD, etc. C’est Anton Panekoek qui s’en chargea, aux côtés d’Otto Rühle.