Le régime soviétique présenta la liquidation des fondements idéologiques comme la fin des obstacles bureaucratiques à la construction du socialisme et même à l’arrivée à court terme au communisme.

Le terme employé pour désigner cette période est celui de « dégel », depuis le roman Le dégel d’Ilya Ehrenbourg paru en 1954, qui se déroule dans des territoires éloignés des centres urbains pour se présenter comme un « portrait » social.

L’approche est caractéristique de la critique faite alors sous l’égide de Nikita Khrouchtchev : les gens authentiquement créatifs sont mis de côté par des fonctionnaires ne cherchant qu’à se faire bien voir du régime. L’artiste qui fait des œuvres sans y croire mais favorables au régime est soutenu, pas celui qui est créatif, il en va de même pour les ingénieurs, etc.

Le dégel d’Ilya Ehrenbourg, 1954

L’Homme ne vit pas seulement de pain, de Vladimir Doudintsev en 1956, connut pareillement une grande valorisation pour son histoire d’ingénieur inventeur faisant face au complot de la bureaucratie.

Voici comment Le Monde parle de cet ouvrage, en avril 1957 :

« Doudintsev n’est pas un grand écrivain. Ce n’est certainement pas par un talent littéraire exceptionnel qu’il a conquis rapidement la célébrité dans son pays et hors de ses frontières, c’est par le courage avec lequel il a dénoncé certaines plaies de la société soviétique.

Nous avons parlé ici à deux reprises de son livre (le Monde des 8 décembre 1956 et 30 janvier 1957), et cela nous dispensera d’en faire l’analyse aujourd’hui.

Nous nous bornerons à en recommander vivement la lecture, car il apporte un témoignage vivant et véridique sur une société que l’on dit sans classes, mais où sont apparues des castes qui défendent avec âpreté leurs privilèges.

Dans les milieux administratifs et scientifiques existent des bureaucrates routiniers, des arrivistes cyniques, imbus de leur fausse supériorité, groupés en chapelles, et qui se défendent contre tous les novateurs enthousiastes en dressant toutes sortes d’obstacles sur leur route. »

L’œuvre de science-fiction de 1957 La Nébuleuse d’Andromède, du paléontologue et géologue Ivan Efremov, valorise pareillement un scientifique ayant mené une expérience catastrophique, mais ayant pris des risques ayant fait avancer la science, dans un cadre technico-futuriste de colonisation spatiale.

Une journée d’Ivan Denissovitch, d’Alexandre Soljenitsyne en 1962, marqua le point culminant du dégel, avec sa présentation caricaturale d’une journée dans un camp de travail.

La publication de cette œuvre à quasiment 100 000 exemplaires fut soutenue par le Bureau Politique du Parti Communiste d’Union Soviétique lui-même ; dès 1963 la revue Roman-Gazeta le republia, avec un tirage de 700 000 exemplaires, une édition séparée de 100 000 exemplaires étant menée par les éditions Sovietski Pissatel.

Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne, 1962

Ce soutien à Alexandre Soljenitsyne n’est pas un fait isolé.

Nikita Khrouchtchev réhabilita par exemple Evsey Shirvindt et le nomma chercheur principal au Bureau spécial des camps de travail. Celui-ci avait notamment été le dirigeant de la Direction Générale des Lieux de Détention de 1922 à 1931 et le principal assistant du Procureur de l’URSS pour la surveillance des prisons et des camps de travail de 1933 à 1938, avant d’être lui-même condamné en camp de travail en 1938 puis à l’exil intérieur en 1949.

Il fit de même avec Olga Shatunovskaya, condamnée en 1937 et devenant désormais une dirigeante des recherches pour les réhabilitations des condamnés des années 1930, ainsi qu’avec Alexandre Todorsky, un militaire condamné en 1938 et désormais réhabilité et nommé à la tête d’une commission pour connaître les « victimes » dans l’armée lors de la répression des années 1930.

Le militaire Alexandre Snegov, condamné en 1938, fut même invité par Nikita Khrouchtchev au 20e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, puis réhabilité et mis à la tête du département politique de l’administration principale des camps du ministère des Affaires intérieures de l’URSS, qui exista jusqu’en 1960.

De manière fort logique, la notion juridique d’ennemi du peuple fut supprimé du code pénal, en décembre 1958.

Moscou, 1960

Le « dégel » se développa également dans le rapport avec les pays capitalistes, avec le principe de la « coexistence pacifique ». Nikita Khrouchtchev devint d’ailleurs une véritable figure médiatique dans les pays capitalistes, avec son voyage aux États-Unis en septembre 1969, donnant une image de sympathique rondouillard proposant une compétition pacifique pour le meilleur niveau de vie.

De la même manière, les Partis Communistes des pays capitalistes durent adopter la ligne du passage pacifique au socialisme, une révolution n’étant plus nécessaire. La notion de dictature du prolétariat disparut d’ailleurs en URSS, le 22e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, en 1961, présenta celui-ci comme le « parti du peuple tout entier » dans le cadre d’un « État du peuple tout entier ».


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