Suivant le matérialisme dialectique, les systèmes vivants, c’est-à-dire les systèmes biologiques, sont directement issus des systèmes chimiques, et ils sont toujours des systèmes chimiques. Leur mouvement correspond au mouvement de la matière – et ainsi, la question est la suivante : pourquoi est-ce que ce type de mouvement existe ?
En tant que matérialistes dialectiques, la question « Pourquoi est-ce que cela existe ? » est la même que « Comment est-ce que cela existe ? », parce que suivant la loi de la transformation, ce qui existe est une conclusion logique d’un processus ; ainsi il n’y a pas de matière qui se transforme elle-même « par hasard. »
Si la vie et la mort des éléments biologiques existe, cela est dû à la transformation des systèmes chimiques en éléments biologiques elle-même ; une preuve de cela est que les composants chimiques continuent d’exister, en transformation.
Lorsqu’un système biologique meurt, les composés hydrogène-carbone du corps retournent directement au système global.
Ainsi, les systèmes biologiques sont une forme spéciale des éléments chimiques, une forme spéciale de la matière. L’aspect principal est la matière, non pas l’élément biologique, parce que les éléments biologiques sont une forme spéciale qui, logiquement, existe dans le système global général de la matière.
Bien entendu, ce n’est pas ce qui apparaît en premier lorsqu’on regarde directement la vie. Les formes de vie apparaissent comme isolés, uniques, elles semblent être des entités distinctes, séparées de leur environnement.
Néanmoins, une telle vision n’est pas vraie, vu qu’il y a toujours un processus de transformation matière – énergie ; il n’y a pas d’éléments qui peuvent vivre séparés de leur environnement.
En fait, même les systèmes biologiques sont un assemblage de bactéries, une synthèse de différentes fusions. Non seulement les bactéries ont façonné le monde – mais elles se sont aussi combinées, prenant différentes formes, toujours plus complexes.
Les premiers éléments de ce processus sont tout de prime abord les bactéries qui ont commencé à utiliser le processus de la photosynthèse.
Dans ce processus, un électron dans une molécule de chlorophylle est excité par un photon de la lumière du soleil. Il y a un excès d’énergie, qui va à une molécule d’ATP (Adénosine-5′-triphosphate) qui est la première voie de transport d’énergie dans les cellules.
La vie est ainsi faite que tous les êtres vivants sont les enfants du soleil.
C’est le soleil qui apporte l’énergie – une énergie permettant à la matière d’être en mouvement. La vie dans la biosphère ne peut exister que par un apport équivalent d’énergie, et ce sont les radiations solaires.
La couleur verte est ainsi un symbole de vie, parce que c’est la manière basique de faire la conversion de l’énergie solaire. En ne comprenant pas cela et en prenant l’énergie de la Terre elle-même, l’humanité modifie la biosphère qui l’a amené à exister.
Lynn Margulis, dans « Qu’est-ce que la vie ? » ; exprime ici cette conception, expliquant ce que Vernadsky avait compris :
« Le géologiste autrichien Eduard Suess (1831-1914) avait trouvé [au sens d’inventer] le mot « biosphère », mais Vernadsky l’a amené à être utilisé. Tout comme une sphère de roche est une lithosphère, et celle d’air une atmosphère, la sphère où la vie existe est ainsi une « biosphère. »
Dans son ouvrage de 1926, La Biosphère, Vernadsky a montré comment la surface de la Terre consistait une transformation ordonnée des énergies du soleil.
« La biosphère », écrit Vernadsky, « est au moins autant une création du soleil que le résultat de processus terrestres. Les anciennes intuitions religieuses qui considéraient que les créatures terrestres, particulièrement l’homme, étaient des enfants du soleil, étaient bien plus proches de la vérité qu’était pensé parce ceux qui voient les êtres vivants sur la Terre comme étant simplement des créations éphémères découlant de l’interaction aveugle et accidentelle de matière et de forces…
La matière vivante dans son ensemble… est ainsi un système unique, qui accumule de l’énergie chimique libre dans la biosphère par la transformation des radiations solaire. »
De manière remarquable, Vernadsky a démonté la frontière rigide entre les organismes vivants et un environnement non vivant, représentant la vie globalement avant que le premier satellite n’ait retourné des photographies de la Terre depuis l’espace.
De fait, Vernadsky a fait pour l’espace ce que Darwin avait fait pour le temps: tout comme Darwin a montré que toute vie descendait d’un ancêtre éloigné, Vernadsky a ainsi montré que toute la vie habitait un lieu unifié matériellement, la biosphère.
La vie était une entité unique, transformant en matière terrestre les énergies cosmiques du soleil. Vernadsky a dépeint la vie comme un phénomène global dans lequel l’énergie du soleil est transformé.
Soulignant la croissance photosynthétique des bactéries rouges et vertes, des algues et des plantes, il a vu ces expressions de la matière vivante comme le « feu vert » dont l’expansion, alimentée par le soleil, a exercé une pression sur d’autres êtres pour devenir plus complexe et plus dispersé.
Vernadsky a énoncé deux lois.
Au fil du temps, selon lui, de plus en plus d’éléments chimiques se sont trouvés impliqués dans les cycles de la vie.
Deuxièmement, le taux de migration des atomes dans l’environnement a augmenté avec le temps. Un troupeau d’oies en migration était aux yeux de Vernadsky un système de transport biosphérique d’azote.
Les essaims de criquets, rapportés dans la Bible, attestaient des changements massifs dans la distribution du carbone, du phosphore, du soufre, et d’autres produits chimiques biologiquement importants il y a deux mille ans.
Alors que sont apparus les barrages, les usines, les mines, la construction mécanique, les services publics, les trains, les avions, les communications mondiales, et les systèmes de divertissement, de plus en plus d’éléments chimiques, plus que jamais, sont devenus organisés en parties fonctionnelles des systèmes autopoïétiques.
La technologie, depuis une perspective vernadskienne, est tout à fait une partie de la nature. Le muscle du veau coupé en cubes de brochettes et le tronc de l’arbre de pin devenu du bois d’oeuvre en passant par les mains des travailleurs, et les chutes des machines, émergent transformés en shish kebab et en planchers.
Les plastiques et les métaux incorporés dans l’industrie appartiennent à un ancien processus de vie cooptant de nouveaux matériaux pour un flux de surface géologique qui devient encore plus rapide.
Et, avec la synthèse éphémère dans les laboratoires de physiciens des isotopes radioactifs, la noosphère commence à diriger et à organiser des atomes qui n’ont jamais existé sur Terre. »
Lynn Margulis exprime ici une vérité, avec seulement un aspect erroné: les travailleurs ne décident pas encore ce qui est à faire sur Terre, et ils ne veulent pas nécessairement transformer un veau en cubes à brochettes, comme le Capital le veut, tout comme il veut façonner totalement la Terre suivant le besoin d’accumulation du capital.
Sans nul doute, la classe ouvrière se souviendra ici des mots du matérialiste Lucrèce, dans De rerum natura :
« Les animaux se connaissent aussi bien que les hommes.
Devant les temples magnifiques, au pied des autels
où fume l’encens, souvent un taurillon tombe immolé,
exhalant de sa poitrine un flot sanglant et chaud. Cependant la mère désolée parcourt le bocage,
cherche à reconnaître au sol l’empreinte des sabots,
scrute tous les endroits où d’aventure elle pourrait
retrouver son petit, soudain s’immobilise
à l’orée du bois touffu qu’elle emplit de ses plaintes
et sans cesse revient visiter l’étable,
le cœur transpercé du regret de son petit. Ni les tendres saules ni l’herbe avivée de rosée
ni les fleuves familiers coulant à pleines rives
ne sauraient la réjouir, la détourner de sa peine. »