Le minéralogiste et chimiste russo-ukrainien Vladimir Vernadsky est une grande figure de notre temps. Il a le premier donné naissance au principe de l’écologie.
Il a le premier affirmé que sur la planète Terre, tous les phénomènes existant étaient reliés, et dans son ouvrage La Biosphère publié en 1926, il aborde l’ensemble des questions écologiques qui nous intéressent aujourd’hui.
Connaître les thèses de Vernadsky est donc essentiel pour comprendre l’écologie et ce qui se passe sur notre planète.
Voyons ici quelles sont les thèses de celui qui écrivait dans ses carnets, juste avant sa mort le 6 janvier 1945 :
« Je suis préparé à quitter cette vie, je n’ai pas peur. Je me désintégrerai juste dans des molécules et des atomes. Ceux-ci seront probablement transformés dans une autre forme de matière vivante. »
Cela renvoie à ce qu’il écrivait déjà en 1926, dans son ouvrage La Biosphère :
« Lors de la mort, de sa vie et de sa destruction, l’organisme restitue à la biosphère ses atomes et les lui reprend incessamment, mais la matière vivante pénétrée de vie puise toujours sa genèse au sein de la vie elle-même. »
Et pour comprendre les thèses de Vernadsky, étudions les par rapport à des phénomènes concrets que nous connaissons bien aujourd’hui, afin de mieux les comprendre mais également de vérifier leur caractère scientifique.
On connaît le problème causé à l’eau par les nitrates produits par l’élevage intensif d’animaux ainsi que les engrais. C’est un sujet très important concernant la Bretagne étant donné qu’on trouve dans cette zone géographique, qui ne représente que 7 % de la surface agricole française, 50 % des élevages de porcs, 50 % des élevages de volailles et 30 % des bovins.
Une réalité connue depuis 40 ans et contre laquelle lutte, durant toute cette période, l’association Eau et rivières de Bretagne.
Le matérialisme apporte une compréhension très profonde de ce phénomène. En effet, à partir du moment où l’on considère que la planète Terre est une biosphère, on comprend bien que les êtres vivants sont en relation avec leur environnement.
Les capitalistes ont considéré les animaux comme de la matière première. Or ce sont des êtres vivants, et en tant que tels, il y a une interaction entre eux et la planète. Les êtres vivants sont en effet des organismes consommant des matières existant sur la Terre, afin de survivre. Ils n’existent pas de manière statique et de manière « brute » comme on considère par exemple des « cailloux ».
Même les roches ont des propriétés chimiques et sont liées à leur environnement, font partie de leur environnement.
Ainsi, de la même manière que les conditions objectives ont permis à la vie de se développer, la vie n’existe qu’en s’appuyant sur ces conditions objectives et ont, dialectiquement, un impact sur elles. Sans environnement propice, la vie n’existe pas. Il y a un rapport étroit, adapté, entre les êtres vivants et leur environnement.
En construisant de gigantesques fermes sur un territoire donné, les capitalistes ont donc eu une démarche idéaliste, consistant à nier que les animaux sont en interaction avec les matières premières de la planète (ce qui implique un échange dialectique avec elle) et qu’il y aurait donc un impact sur la planète.
Voilà pourquoi Vernadsky, qui a développé le concept de géochimie, affirme que :
« La vie est ainsi un perturbateur puissant, permanent et continu de l’inertie chimique sur la surface de notre planète (…). Il n’est pas de grand équilibre chimique sur l’écorce terrestre où l’influence de la vie ne se manifeste, marquant toute la chimie de son sceau ineffaçable. »
Vernadsky a compris le fonctionnement même de la planète, en saisissant les interactions dans la « biosphère », c’est-à-dire « la région unique de l’écorce terrestre occupée par la vie ».
Mais comment formule-t-il précisément ce rapport entre les êtres vivants et la planète ?
Vernadsky rejette la conception religieuse comme quoi l’humanité serait apparue « d’un coup ». Mais il rejette autant la conception fausse selon lui affirmant que la vie serait née « par hasard ».
Il considère en effet qu’il faut être matérialiste et que la vie n’est pas apparue « par hasard » mais comme fruit d’un long processus relevant de la matière. Et comme la matière est celle sur la planète Terre, alors il y a nécessairement un lien, que Vernadsky tente justement de comprendre.
« La vie n’est pas un phénomène extérieur ou accidentel à la surface terrestre. Elle est liée d’un lien étroit à la structure de l’écorce terrestre, fait partie de son mécanisme et y remplit des fonctions de première importance, nécessaires à l’existence même de ce mécanisme. Toute la vie, toute la matière vivante peut être envisagée comme un ensemble indivisible dans le mécanisme de la biosphère. »
Le point de départ de la vie, selon Vernadsky, réside dans l’influence du soleil.
Ce dernier fournit une énergie essentielle à la vie, ce que nous savons bien aujourd’hui. Vernadsky constate ce qui nous apparaît comme une évidence à notre époque : la végétation verte, qui utilise les rayons du soleil et porte la chlorophylle, est l’élément de base de la vie.
Cette végétation absorbe la lumière. Cela répond au phénomène aujourd’hui bien connu de l’albédo.
On utilise pour l’évaluer une échelle graduée de 0 à 1, avec 0 correspondant au noir, pour un corps sans aucune réflexion, et 1 au miroir parfait. L’albédo est une grandeur sans dimension, rapport de l’énergie solaire réfléchie par une surface à l’énergie solaire incidente.
La surface terrestre connaît des zones plus sombres (végétation et océans) et des zones plus claires (déserts et régions montagneuses enneigées). Ainsi un lac connaît un albédo de 0,04 en moyenne, des cultures un albédo de 0,025 et une neige fraîche un albédo pouvant aller jusqu’à 0,90. Plus un objet semble blanc, plus il réfléchit la source lumineuse qui l’éclaire. Ainsi les nuages réfléchissent 80 % de la source lumineuse. A l’inverse, plus un objet semble noir, moins il réfléchit de lumière. Le noir profond correspond à une réflexion de moins de 3% de la source lumineuse.
Plus une végétation est dense et verte, plus elle puisse de l’énergie du soleil. Si les végétaux sont de couleur verte (à nos yeux), c’est en raison du spectre d’absorption du rayonnement lumineux.
Vernadsky dira que, comme l’indiquaient déjà des superstitions religieuses, nous sommes les « enfants du soleil ».
Là où l’idéalisme a besoin d’un Dieu, le matérialisme affirme l’importance historique du soleil comme producteur de vie, d’une vie adaptée au soleil justement.
Vernadsky explique donc que :
« L’étude de la morphologie et de l’écologie des organismes verts a démontré de longue date que l’organisme vert tout entier, par ses associations comme son mouvement, était en premier lieu adapté à l’exécution de sa fonction cosmique – l’accaparement du rayon solaire et sa transformation. »
Cette thèse sera confirmée bien plus tard dans les années 1970 par Lovelock dans son modèle de simulation Daisyworld. La biosphère de Daisyworld contient uniquement des pâquerettes claires (blanches) et des pâquerettes sombres (noires ou colorées). Ces fleurs influencent uniquement la température de surface à travers leur pouvoir réfléchissant. Dès lors elles influent sur le milieu ambiant et ses conditions (nous y reviendrons ultérieurement).
On a également retrouvé des micro-fossiles d’organismes similaires à des bactéries, vieux de 3,5 milliards d’années, capables de réaliser la photosynthèse (sédiments de Barberton en Afrique du Sud et du Pilbara en Australie).
D’autres sédiments, datant de 3,8 milliards d’années, ont également été trouvés dans le sud-ouest du Groënland et sont en cours d’étude. Mais le grand problème est que le caractère très ancien de ces micro-fossiles font qu’ils sont très difficilement analysables, notamment en raison du rôle corrosif de l’oxygène.
Vernadsky lui-même est conscient de la difficulté du problème et le met de côté, arguant qu’il faut pour l’instant comprendre la nature et la signification du phénomène, la science décidera plus tard, quand elle pourra, si ce sont les bactéries qui ont su s’adapter aux rayons du soleil, ou si ceux-ci ont été le facteur principal.
Ce qui compte, c’est la négation de la religion, tout comme du principe de « hasard », qui remet en cause le principe comme quoi l’univers est régi par des lois, qui sont compréhensibles scientifiquement.
Le hasard n’est pas de mise : Vernadsky constate que dans les périodes géologiques qu’il a lui-même longtemps étudiées, il n’existe ni traces d’abiogénèse (c’est-à-dire de création d’un organisme à partir de matière inerte, voire à partir de rien du tout – ce sont les tenants du hasard qui soutiennent que la vie est apparue ainsi –), ni traces de périodes géologiques dites « azoïques » c’est-à-dire dénuées de vie.
Donc pour lui, la matière vivante d’aujourd’hui possède un lien fort avec celle d’hier, il se trouve ainsi que les conditions globales du milieu terrestre ont toujours été favorable à l’existence de la vie.
Vernadsky rejette l’idéalisme et ses formes (la religion notamment) et également le scepticisme qui prétend que l’on ne peut connaître le monde. Dès lors Vernadsky fait œuvre de matérialisme pour comprendre le monde et son fonctionnement (nous sommes en 1926) tout en imaginant la beauté du globe vue du cosmos, ses interactions et sa fragilité.
Vernadsky a donc constaté l’importance de la végétation pour la vie. Il affirme également – ce qui est terrible pour nous aujourd’hui, au 21ème siècle, avec la déforestation massive qui se produit en Amazonie depuis longtemps ou, plus récemment, en Tasmanie – :
« Toute la Terre ferme est recouverte de végétation verte. Les places dénudées y font exception et se perdent dans l’ensemble. La Terre ferme doit paraître verte, perçue des espaces cosmiques. L’appareil vert qui capte et transforme le rayon se répand sur toute la surface de la Terre ferme et de l’Océan de manière aussi continue que le courant de lumière solaire qui tombe sur la Terre. » (§24)
Vernadsky constate donc que la vie envahit tout.
« (…) chaque place vide de la nature vivante… se remplit nécessaire au cours du temps »
Si jamais un espace n’était pas occupé par la vie, celle-ci envahirait cet espace, à moins qu’on ne l’en empêche.
Nous connaissons cela avec l’expression « envahie par les mauvaises herbes » ou encore l’image de l’herbe réussissant malgré tout à pousser à travers un univers bétonné. Comme le dit Vernadsky, « la vie reprend ses droits ».
Il souligne :
« dès que l’homme cesse de dépenser des forces et des ressources pour défendre ses édifices… Ceux-ci sont aussitôt étouffés par une masse d’organisme verts » (§52).
Malheureusement, il faut bien constater que, depuis Vernadsky, la vie perd en fait du terrain en raison de l’activité humaine. Cela ne veut pas dire que l’activité humaine soit négative en soi. Elle pourrait avoir d’autres résultats. C’est une question de choix, de choix d’activité, car, en fait, la vie en général exerce une activité, activité qui a un impact chimique.
« La diffusion de la matière vivante à la surface de la planète est aussi la manifestation de son énergie : c’est un mouvement inévitable, déterminé par les nouveaux organismes provenant de la multiplication, qui occupent des places nouvelles dans la biosphère.
Cette diffusion est, en premier lieu, la manifestation de l’énergie autonome de la vie dans la biosphère, énergie qui se fait connaître par le travail que la vie effectue, transportant les éléments chimiques et créant de nouveaux corps de ces éléments. » (§ 25)
Cette thèse est essentielle. Lénine, Staline et Mao font des références innombrables au triomphe de la vie, au chemin de la vie, etc.
Vernadsky, dans cette même orientation, considère également que ce mouvement « se produit dans la biosphère de manière ininterrompue ».
Tout cela tient son origine dans l’analyse matérialiste. Staline rappelle que « le monde, par sa nature, est matériel » et que par conséquent « les multiples phénomènes de l’univers sont les différents aspects de la matière en mouvement », « le monde se développe suivant les lois du mouvement de la matière ».
La nature obéit aux lois de la dialectique. La nature est à comprendre « comme un état de mouvement et de changements perpétuels », où « toujours quelque chose naît et se développe, où (toujours) quelque chose se désagrège et disparaît ».
Le communisme est l’aboutissement nécessaire de la transformation ininterrompue de la matière éternelle. C’est la vie en elle-même qui tend au communisme : telle est la thèse marxiste léniniste maoïste.
Mais comment se présente le développement de la vie sur la Terre ? Vernadsky répond aisément à cette question : la preuve de la vie, c’est la respiration, mais aussi la multiplication des individus, qui dépend de la capacité à respirer bien entendu.
Théoriquement, cette multiplication pourrait être sans limite mais, en pratique, les conditions concrètes (dont les gaz nécessaires à la vie) font que chaque espèce atteint une dimension maximale.
Cet aspect est très important car si le capitalisme refuse le principe de « biosphère », c’est également pour cette raison. Selon l’idéologie capitaliste, les individus sont en concurrence, les espèces sont en concurrence. Il n’y a pas harmonie mais conflits.
La haine contre certains animaux (les rats notamment), tout comme la chasse et la vivisection, sont justifiées par cette idéologie faisant des êtres vivants non humains non pas des partenaires mais des ennemis dans la bataille pour la suprématie.
On retrouve bien ce principe de domination dans l’expression « envahie par la végétation », comme si la végétation était une ennemie, ou évidemment dans les « jardins à la française » où la végétation est taillée de telle manière à avoir des formes géométriques, symbole de la « supériorité » humaine.
Pourtant ce combat de ce que la philosophie bourgeoisie nomme la « culture », en opposition à la « nature », est bien entendu perdu par avance.
Si l’on ne comprend pas cela, on ne peut pas assumer l’écologie. La destruction de la forêt amazonienne afin de produire des aliments pour des animaux qui seront « transformés » en burgers a un impact écologique catastrophique, justement en raison de cette idéologie de domination.
Ou bien l’on comprend le principe de la biosphère, et on agit de manière matérialiste, ou bien on dérègle les principes harmonieux de la planète et on amène la catastrophe. C’est un aspect essentiel de la contradiction entre l’ancien, le mode de production capitaliste, et le nouveau, le communisme comme mouvement abolissant l’ordre des choses existant en résolvant les contradictions.
Les capitalistes ne voient les plantes vertes au mieux que comme quelque chose d’utilitaire. Ils sont incapables de leur attribuer une valeur en soi, en tant que source de la vie. En fait, tant qu’il n’y a pas de crise, « tout va bien » selon eux, et ils ne sauraient résoudre aucun problème écologique puisqu’ils ne voient la réalité que comme quelque chose à soumettre, à transformer pour la réalisation de marchandises, celles-ci étant source de profits.
Ils ne comprennent pas la planète comme une biosphère, comme un tout interdépendant. Vernadsky explique au contraire qu’un lien étroit rattache tous les phénomènes de la vie à l’échelle de la biosphère.
Ou comme l’a expliqué Friedrich Engels :
« Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences.
Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation et de conservation de l’humidité (…).
En fait, nous apprenons chaque jour à comprendre plus correctement ces lois et à connaître les conséquences plus proches ou plus lointaines de nos interventions dans le cours normal des choses de la nature.
Depuis les énormes progrès des sciences de la nature au cours de ce siècle, nous sommes de plus en plus à même de connaître les conséquences naturelles lointaines, tout au moins de nos actions les plus courantes dans le domaine de la production, et, par suite, d’apprendre à les maîtriser.
Mais plus il en sera ainsi, plus les êtres humains non seulement sentiront, mais sauront à nouveau qu’ils ne font qu’un avec la nature et plus deviendra impossible cette idée absurde et contre nature d’une opposition entre l’esprit et la matière, l’être humain et la nature, l’âme et le corps, idée qui s’est répandue en Europe depuis le déclin de l’antiquité classique et qui a connu avec le christianisme son développement le plus élevé. » (Le rôle du travail dans la transformation du singe en être humain)
Les matérialistes considèrent que les êtres vivants sont de la matière pensante, ou plutôt de la « matière vivante » puisqu’il faut intégrer les végétaux, les rivières, fleuves, etc.
Voilà pourquoi, puisque sur la planète tout est matière, forcément, en tant que matière, nous avons un impact dans l’équilibre écologique de la biosphère.
Vernadsky explique au sujet de la matière vivante :
« Cette masse de matière est toujours à l’état de mouvement : elle se décompose et se forme à nouveau, principalement, non par sa croissance, mais par sa multiplication. Des générations naissent dans des intervalles qui varient entre des dizaines de minutes et des centaines d’années. Elles renouvellent la matière englobée par la vie.
La matière, qui existe de fait à chaque moment donné, ne constitue qu’une part insignifiante de celle créée en un an, car des quantités énormes se créent et se décomposent, même en l’espace de 24 heures. »
Prenons un exemple concret pour montrer cela clairement.
Au début du mois de novembre 2009, la revue Journal of Ecology a publié un article intitulé Wolves modulate soil nutrient heterogeneity and foliar nitrogen by configuring the distribution of ungulate carcasses.
Il s’agit d’une étude menée sur 50 ans dans le parc national de l’Isle Royale, dans la région des grands lacs, à la frontière canado-américaine. Il a été constaté en 3600 endroits que les cadavres des élans (tués par les loups) fournissent à la terre énormément de matières nutritives.
Des décennies après, ces endroits sont reconnaissables. Une étude similaire existe au sujet des boeufs musqués (Effect of Muskox Carcasses on Nitrogen Concentration in Tundra Vegetation).
Cela montre l’interaction chimique ininterrompue existant sur notre planète.
Vernadsky constate que l’océan occupe la majeure partie de la planète. Il constate également que les plantes vertes existent naturellement dans l’océan, sous des formes adaptées aux conditions concrètes bien évidemment.
Les cyanobactéries – appelées aussi « algues bleues » – sont apparues il y a environ 3,8 milliards d’années et ont joué un grand rôle dans le développement de l’oxygène sur terre (les bactéries fixant le CO2 et libérant de l’O2), lors de la période appelée la « Grande Oxydation » il y a 2,4 milliards d’années.
Cette période a permis à l’oxygène de se développer dans l’atmosphère. Aujourd’hui encore, 80% de l’oxygène est fourni par le phytoplancton.
Le phytoplancton ne représente que 1 % de la biomasse d’organismes photosynthétiques sur la planète, mais assure environ 45 % de la production primaire (fixation du carbone minéral – CO2 – en carbone organique) !
Cette importance de l’océan, nous ne faisons que la redécouvrir. La Terre est une planète bleue, mais jusqu’à présent l’humanité n’a eu de considération que pour les continents, n’accordant qu’une valeur « utilitaire » à l’océan.
Une erreur énorme, comme on peut le voir avec le réchauffement climatique.
Perte du plancton, acidification de la mer, destruction d’espèces, catastrophes naturelles : l’océan qui était un système harmonieux se retrouve désorganisé et c’est la crise.
Ainsi, un tiers de la production de CO2 créée par les activités humaines est absorbé par l’océan, créant un déséquilibre du rapport entre l’océan et l’atmosphère et amenant l’océan à être plus acide, ce qui a des conséquences très graves pour la vie qui a besoin de conditions très particulières pour exister.
Pareillement, si la « surpêche » est en cause dans la disparition de nombreuses espèces de poissons, c’est également la disparition du plancton qui est en cause.
Constatant ces deux phénomènes, un rapport de 2006 de l’Union Européenne – Marine and Coastal Dimension of Climate Change in Europe – A report to the European Water Directors – note que les zones côtières sont particulièrement touchées, et s’inquiètent (de manière utilitaire bien entendu) de l’impact sur les mers européennes (celles-ci absorbant 23% du CO2 issu des activités humaines).
Mais le problème est global. Pour avancer réellement, il faut comprendre que la vie n’existe qu’avec le bleu de l’océan et le vert de la végétation.
L’humanité n’existe pas en tant que rupture avec la biosphère, mais en tant que son prolongement !
Maintenant que nous avons déjà avancé dans la pensée de Vernadsky, faisons une pause afin de souligner deux aspects très importants pour comprendre celle-ci de la manière la meilleure qui soit. Tout d’abord, il faut bien voir que Vernadsky a développé son point de vue en URSS, et qu’il n’aurait pas été possible de le développer ailleurs. Ensuite, et cette question est reliée à la précédente, il faut souligner l’importance que Vernadsky accorde au travail et à la lutte comme fondateurs de l’identité humaine.
Vernadsky n’a pas fait partie des rangs bolcheviks avant 1917, et pourtant, il a soutenu la jeune URSS et est devenu un scientifique de la plus haute importance, jusqu’à obtenir le Prix Staline en 1943.
En tant que scientifique de renommée mondiale, il aurait pu rejoindre un autre pays, mais il a choisi le camp de la révolution russe. Pourquoi cela ? Justement parce que sa pensée est directement liée au mouvement de fond de la révolution russe.
Ce mouvement révolutionnaire est profond et touche toutes les dimensions humaines. Il ne s’agit pas que de « politique », au sens étroit du terme. La révolution russe ne consiste pas seulement en les événements de 1917, elle est une lame de fond et on ne peut la comprendre qu’à la lumière de la construction du socialisme en URSS, sous la direction de Lénine puis de Staline.
La pensée de Vernadsky s’insère en effet dans la pensée matérialiste utilisant l’outil de la planification. Si l’on ne voit pas cela, on ne pourra pas comprendre la suite de la présentation de Vernadsky.
Cette quête de la planification, de l’être humain vivant en harmonie avec la réalité, n’est pas propre à Vernadsky bien entendu. Dans les arts, suite à la révolution russe, on trouve la même démarche, que l’on pense au photographe Rodtchenko, au poète Maïakovsky ou bien à la figure de la littérature mondiale qu’est Gorki.
Staline a justement formulé, à partir de l’analyse de Gorki, un point de vue essentiel sur la littérature : « L’écrivain est un ingénieur des âmes. » En fait, cette définition est valable pour le photographe, et c’est très visible quand on voit les photos de Rodtchenko, qui se définissait d’ailleurs comme un « constructeur », un « constructiviste ».
Et, naturellement, elle est valable pour Vernadsky. La pensée de Vernadsky n’est pas contemplative, elle est ancrée dans la réalité, elle vise l’action, la pratique. Ele n’est pas une étude bourgeoise. Elle relève de la science et, pour cela, ne peut être comprise aujourd’hui qu’à la lumière du marxisme-léninisme-maoïsme. Les autres idéologies, prisonnières d’une manière ou d’une autre de la bourgeoisie, sont incapables de comprendre Vernadsky, de synthétiser sa pensée.
8. La démarche de Vernadsky
Quand on lit Vernadsky, il est donc impossible de ne pas voir que sa démarche a comme principe d’attribuer toute sa valeur au réel. Il existe une citation de Lénine, mise en avant par Mao Zedong, qui explique cette démarche :
« La pratique est supérieure à la connaissance (théorique), car elle a la dignité non seulement du général, mais du réel immédiat. » (Notes sur « La Science de la logique » de Hegel, livre trois, troisième section : L’idée, in Résumé de « La Science de la logique » de Hegel)
La démarche de Vernadsky n’est ainsi pas seulement matérialiste, elle est également dialectique. Vernadsky part du principe que l’être humain doit aller de l’avant, que son identité est pour ainsi dire « incomplète ».
Lorsque Hegel a mis en avant la dialectique, il partait du même principe : l’être humain travaille, car en travaillant il fonde son identité, et tant que celle-ci ne le satisfait pas, il continue. On voit donc très bien que Vernadsky part du principe que l’être humain ne sera lui-même que lorsqu’il aura compris ce qu’est la biosphère. Ce n’est que quand son identité sera intégrée au processus de la vie et assumant sa position dans la biosphère, que l’être humain pourra être vraiment lui-même.
La pensée de Vernadsky n’est donc pas « abstraite » mais a bien une signification matérielle, et correspond bien à l’avancée vers le communisme. Elle est une démarche de fond, elle repose sur la réalité elle-même. Par le travail en tant qu’activité dans le monde, en tant que lutte contre ce monde dans ce qu’il a d’insuffisant, l’être humain transforme le monde et se transforme lui-même.
En fait, nous pouvons dire que lorsque l’être humain aura compris au 21ème siècle les dégâts qu’il a causés à la biosphère, il saisira alors qu’il s’est automutilé, et alors il sera lui-même, choisissant une vie adaptée à son existence de prolongement de la biosphère. Nous verrons plus tard comment justement Vernadsky traite de cette question de la conscience de l’être humain en tant que composante de la biosphère.
Mais pour l’instant, soulignons ce point : Vernadsky est un penseur soviétique. Sa pensée est un élément de la construction du socialisme sous la direction de Lénine et Staline.
De tout ce que nous avons présenté, il découle nécessairement que Vernadsky propose un nouveau rapport à la biosphère. En fait, dans sa perspective, ce nouveau rapport s’exprime de lui-même, nécessairement, car il est conditionné par la nature de l’existence humaine elle-même.
En effet, tout comme Hegel considérait que « tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel », Vernadsky considère que le hasard n’existe pas et que si l’humanité s’est développée, ce n’est donc pas pour rien.
L’existence de l’humanité est forcément en rapport avec l’équilibre de la biosphère elle-même. Vernadsky affirme ainsi clairement que (rappelons que la paléontologie est l’étude des fossiles) :
« La forme nouvelle quantitative de la migration biogène correspondant à la civilisation a été préparée par toute l’histoire paléontologique. On aurait pu retrouver ses premiers vestiges, si nous connaissions les lois de la nature dès les premières pages des annales de la paléontologie. »
Cette affirmation est d’un tel matérialisme qu’elle ne peut clairement être assumée que par les communistes, par la classe ouvrière qui porte le drapeau de la science. Le capitalisme, s’effondrant, tente d’emmener la science avec lui dans la tombe. L’irrationnel l’emporte.
Et justement, alors que le fascisme explosait en Europe au lendemain de l’effroyable barbarie qu’a été la première guerre mondiale impérialiste, Vernadsky affirmait en URSS la possibilité pour la science de comprendre tout le processus aboutissant à l’être humain et à la civilisation elle-même.
C’est là qu’on voit la nature de Vernadsky. Celui-ci était un bourgeois, mais un authentique scientifique, assumant le meilleur qui historiquement a été apporté par la bourgeoisie en tant que classe bouleversant l’ordre du monde.
Et il n’a pas voulu abandonner le terrain du matérialisme. Étudiant la chimie et l’histoire géologique, il a compris les équilibres existants et n’a pas voulu quitter cette compréhension. Voilà pourquoi il a choisi l’URSS.
Si donc Vernadsky en arrive à de telles conclusions (comme quoi l’humanité est le fruit rationnel de l’évolution), c’est en raison des équilibres chimiques, de la nature des éléments matériels existant sur notre planète.
Les os des vertébrés sont ainsi le fruit de l’utilisation par la vie du calcium, qui est un minéral, dans la biosphère.
Les êtres vivants sont de la matière et la source de leur existence est la matière et l’énergie. C’est sa grande thèse et c’est cela qu’il propose aux scientifiques du monde entier avec son oeuvre La biosphère.
« La recherche du rapport qui existe certainement entre l’évolution des espèces et les phénomènes biogéochimiques est par elle-même d’un grand intérêt. Ce rapport de l’évolution des espèces avec le mécanisme de la biosphère, avec la marche des processus biogéochimiques n’est pas douteuse.
Le fait que les nombres essentiels qui caractérisent ces processus sont des propriétés de l’espèce qui se modifient au cours de l’évolution suffirait à le prouver, et c’est précisément l’étude de ce rapport qui permettra de déterminer ceux qui existent entre l’immutabilité des lois de la vie, considérée dans son ensemble, en géochimie, et son évolution, toujours considérée dans son ensemble, en biologie. »
La vie est conquérante, elle se développe de manière ininterrompue, allant jusque dans les endroits sans lumière, cherchant à s’adapter. Bref, à évoluer. Cette évolution passe par la matière présente sur la planète. Tout est ainsi lié.
Voilà pourquoi Vernadsky parle de la naissance de la « noosphère ». Le terme de « noos » (ou plutôt noûs) en grec a été introduit par le philosophe Anaxagore de Clazomènes.
Qui connaît ce philosophe ? Et pourtant dans les siècles à venir il sera célébré comme un des plus grands penseurs de l’humanité.
Anaxagore avait compris la thèse dialectique, dont l’autre grande figure est Héraclite, comme quoi
« Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau. »
Il faudra attendre le 18ème siècle et Lavoisier (« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ») pour redécouvrir cette vérité scientifique.
Anaxagore considérait également les astres comme des masses incandescentes et il voyait le monde comme composé d’atomes, qui seraient organisés par l’intelligence organisatrice et directrice du monde, qu’il a justement appelé « noûs ».
Là est la clef : lorsque Vernadsky dit que l’humanité arrive au niveau de la noosphère, il veut dire qu’elle est capable d’influer, de donner une direction. Elle ne se contente pas d’être poussée par la matière et l’énergie, elle peut choisir.
Mais choisir quoi ? Dans cette perspective, aujourd’hui, au 21ème siècle, il est facile de voir qu’il n’y a que deux possibilités. Soit l’humanité est une maladie mortelle, un problème génétique de la biosphère et provoquant sa perte par la destruction complète. Il faut alors, au mieux pour ainsi dire, détruire la civilisation (ce qui est la thèse notamment du « primitivisme »). Soit l’humanité a une responsabilité, en tant que forme de vie capable de construire, ce qui passe alors par le dépassement dialectique de la destruction. Cela signifie que l’humanité doit assumer les valeurs communistes, une nouvelle éthique, un nouveau mode de production, une nouvelle identité.
C’est évidemment là-dessus que se fonde nécessairement l’identité communiste du Parti Communiste Marxiste Léniniste Maoïste.