Dans leur substance, les constitutions soviétiques de 1924 et de 1936 sont à la fois similaires et différentes.
On a toujours une division en deux de l’organe suprême, qui ne s’appelle plus Congrès des Soviets, mais Soviet suprême, avec donc encore un Soviet de l’Union et un Soviet des nationalités, deux organes parallèles qui doivent nécessairement valider toute décision tous les deux.
Cependant, il n’est plus voté par l’intermédiaire de la pyramide des soviets – qui forment par ailleurs l’État – mais directement, au nom d’une citoyenneté générale. L’idée par contre d’une multiplicité des candidatures échoua toutefois et il fallut mettre en place pour les élections une sorte de Front.
C’est un point très problématique. La constitution de 1936 est sur ce point plus démocratique que celle de 1924, mais sa réalisation est imparfaite.
A cela s’ajoute la question de la direction générale du pays. Le présidium du Soviet Suprême, élu par celui-ci, est l’organe dirigeant lorsque le Soviet Suprême n’est pas réuni. Or, il ne l’est que deux fois par an, alors que son présidium est un organe agissant de manière quotidienne et il n’y a pas de compte-rendu public de ses actions.
Ce n’est pas nécessairement un problème en soi, mais il est considéré comme un « président collectif », au sens où son rôle est l’équivalent d’un président de la république dans un État présidentiel ou semi-présidentiel.
Il ne peut pas dissoudre le Soviet suprême. Il peut par contre annuler des lois décidées par le gouvernement. C’est lui qui décide des personnes en poste au plus haut niveau de l’armée rouge. C’est lui qui ratifie les traités internationaux et assume les fonctions diplomatiques.
Or, cette notion de collectivité renforce la dimension administrative de la constitution, et cela d’autant plus que le Parti n’est quasiment pas mentionné, à part comme regroupement des éléments les plus conscients.
On retrouve, dans cette approche, la conception de Staline que l’on peut résumer par la thèse du socialisme sur les rails. Il n’y a qu’à avoir une bonne locomotive et tout coule de source. C’est là une perspective linéaire incorrecte.
Cette lecture amène à considérer qu’il n’y a plus en URSS de forces sociales intérieures opposées au développement du socialisme ; il existerait seulement, au pire, des éléments arriérés, anti-sociaux, des gens à la solde de l’espionnage des pays impérialiste, etc..
C’est là sous-estimer la possibilité d’une restauration alors qu’une large base paysanne, même socialisée, est encore présente. Tant que la paysannerie n’était pas transformée en classe ouvrière agricole, le problème restait entier.
L’existence de ce problème exigeait une analyse concrète de la situation, une Pensée exprimant une synthèse de la situation, mais son émergence était rendue impossible de toutes façons, au-delà de l’absence du concept alors, de par la démocratisation unilatérale.
Staline avait tout à fait raison de formuler alors, dans son rapport au 8e Congrès des Soviets, la thèse suivante :
« Ils proposent un ajout à l’article 48 du projet de Constitution, selon lequel le président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS doit être élu non par le Soviet suprême de l’URSS, mais par l’ensemble de la population du pays.
Je pense que ce supplément est faux, car il ne correspond pas à l’esprit de notre Constitution.
Selon le système de notre Constitution, l’URSS ne devrait pas avoir un président unique élu par l’ensemble de la population sur un pied d’égalité avec le Conseil suprême et capable de s’opposer au Conseil suprême. »
Cependant, ce qui se joue à l’arrière-plan, c’est la question de la direction, que la constitution ne formule pas.
Cette erreur se lit dans la formulation de l’article 12, qui voit en le travail comme un devoir et un honneur, sous-estimant ici la question de la nécessité.
Article 12.
Le travail, en URSS, est pour chaque citoyen apte au travail un devoir et une question d’honneur selon le principe : « Qui ne travaille pas ne mange pas ». En URSS se réalise le principe du socialisme : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ».
Concrètement, on peut dire que la constitution a surestimé la capacité de la société soviétique à développer un niveau démocratique suffisant pour qu’il y ait une bataille pour les postes administratifs à responsabilités comme celui de député du Soviet suprême.
Elle a cherché à résoudre de manière administrative ce qui exigeait une mobilisation de masses sur la base du tournant exigeant un saut qualitatif – une révolution culturelle.