Lénine a été victime en 1918 d’un attentat organisé par les populistes « socialistes révolutionnaires », et les séquelles seront terribles, Lénine souffrant terriblement, depuis, de migraines et d’insomnies jusqu’aux alertes cardiaques en passant par un AVC, la paralysie, etc. Il mourra en 1924, après deux années finales d’une vie terriblement douloureuse.
Toutefois, il a laissé deux choses qui vont après sa mort façonner la Russie et avec elle toute l’Union soviétique.
La première, c’est tout son corpus idéologique, qui va être résumé principalement de deux manières : d’un côté sous le terme de « marxisme-léninisme » par Staline, qui va être suivi par l’ensemble des bolchéviks, et de l’autre par Trotsky qui considérera que Lénine a rejoint ses propres positions sur la « révolution permanente ».
La seconde, ce sont les notes philosophiques de Lénine, qui viennent s’ajouter à Matérialisme et empirio-criticisme et forment la base pour l’étude du matérialisme dialectique. Ces notes sont publiées en 1929-1930 en URSS, puis republiées dans un seul ouvrage, par ailleurs directement traduit et publié en allemand en 1932.
C’est dire l’importance de l’ouvrage s’il va directement être transmis au Parti Communiste d’Allemagne, alors le plus puissant Parti après le PC d’Union Soviétique (bolchévik). On notera d’ailleurs que c’est précisément l’ouvrage que Mao Zedong va citer dans son grand classique De la contradiction.
C’est dire l’importance historique de cette œuvre pour le matérialisme dialectique.
Les notes de Lénine consistent en deux choses : soit en des remarques sur des ouvrages, soit en des extraits d’ouvrages qui sont commentés dans la marge.
On retrouve, parmi les œuvres étudiées, des œuvres de Hegel : La Science de la logique, ses conférences sur l’histoire de la philosophie, un ouvrage sur Hegel (La logique de Hegel, de l’idéaliste Georges Noël).
A côté de cela, on trouve des remarques sur la Métaphysique d’Aristote, sur les conférences de Feuerbach sur l’essence de la religion, sur l’étude de Leibniz faite par Feuerbach encore, sur l’étude de Héraclite faite par Lassalle.
On trouve également un petit texte intitulé « Sur la question de la dialectique ».
Voici ce que Mao Zedong cite des notes de Lénine, dans son propre ouvrage De la contradiction.
Mao Zedong commence directement son ouvrage en posant la loi de la contradiction et en citant Lénine :
« La loi de la contradiction inhérente aux choses, aux phénomènes, ou loi de l’unité des contraires, est la loi fondamentale de la dialectique matérialiste. Lénine dit : « Au sens propre, la dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses… » Cette loi, Lénine dit souvent qu’elle est le fond de la dialectique, il dit aussi qu’elle est le noyau de la dialectique. »
Voici d’autres passages où Mao se réfère directement aux notes de Lénine :
« La définition, donnée par Lénine, de la loi de l’unité des contraires, dit qu’elle « reconnaît (découvre) des tendances contradictoires, opposées et s’excluant mutuellement dans tous les phénomènes et processus de la nature (et de l’esprit et de la société dans ce nombre) ». »
« Lénine illustrait à son tour l’universalité de la contradiction par les exemples suivants : « En mathématiques, le + et le -. Différentielle et intégrale. En mécanique, action et réaction. En physique, électricité positive et négative. En chimie, union et dissociation des atomes. Dans la science sociale, lutte de classe ». »
« Lénine dit : « La dialectique est la théorie qui montre comment les contraires peuvent être et sont habituellement (et deviennent) identiques – dans quelles conditions ils sont identiques en se convertissant l’un en l’autre -, pourquoi l’entendement humain ne doit pas prendre ces contraires pour morts, pétrifiés, mais pour vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre ». »
« Lénine dit : « L’unité (coïncidence, identité, équipollence) des contraires est conditionnée, temporaire, passagère, relative. La lutte des contraires qui s’excluent mutuellement est absolue, de même que l’évolution, de même que le mouvement ». »
« Nous autres, Chinois, nous disons souvent : « Les choses s’opposent l’une à l’autre et se complètent l’une l’autre. » Cela signifie qu’il y a identité entre les choses qui s’opposent. Ces paroles contiennent la dialectique ; elles contredisent la métaphysique.
« Les choses s’opposent l’une à l’autre », cela signifie que les deux aspects contradictoires s’excluent l’un l’autre ou qu’ils luttent l’un contre l’autre ; elles « se complètent l’une l’autre », cela signifie que dans des conditions déterminées les deux aspects contradictoires s’unissent et réalisent l’identité. Et il y a lutte dans l’identité ; sans lutte, il n’y a pas d’identité. Dans l’identité, il y a la lutte, dans le spécifique, l’universel, et dans le particulier, le général. Pour reprendre la parole de Lénine, « il y a de l’absolu dans le relatif ». »
Voici d’autres citations des notes de Lénine faites par Mao Zedong dans De la contradiction :
« Les deux concepts fondamentaux (ou les deux possibles ? ou les deux concepts donnés par l’histoire ?) du développement (de l’évolution) sont : le développement en tant que diminution et augmentation, en tant que répétition, et le développement en tant qu’unité des contraires (dédoublement de ce qui est un, en contraires qui s’excluent mutuellement, et rapports entre eux).»
« Le dédoublement de ce qui est un et la connaissance de ses parties contradictoires (voir, dans l’Héraclite de Lassalle, la citation de Philon sur Héraclite au début de la IIIe partie, De la Connaissance) constituent le fond (une des ’essences’, une des particularités ou traits principaux, sinon le principal) de la dialectique. »
« Et également les notes sur « La Science de la logique de Hegel », livre trois, troisième section : « L’idée » dans « Résumé de La Science de la logique de Hegel » (septembre- décembre 1914), où Lénine dit : « On peut brièvement définir la dialectique comme la théorie de l’unité des contraires. Par là on saisira le noyau de la dialectique, mais cela exige des explications et un développement.» »
On sait également que les communistes de Chine populaire ont souvent mentionné la « spirale » pour décrire le processus de connaissance. Or, voici ce qu’on lit également dans les notes de Lénine :
« La connaissance humaine n’est pas (ou ne décrit pas) une ligne droite, mais une ligne courbe qui se rapproche indéfiniment d’une série de cercles, d’une spirale. Tout segment, tronçon, morceau de cette courbe peut être changé (changé unilatéralement) en une ligne droite indépendante, entière, qui (si on ne voit pas la forêt derrière les arbres) conduit alors dans le marais, à la bondieuserie (où elle est fixée par l’intérêt de classe des classes dominantes).
Démarche rectiligne et unilatéralité, raideur de bois et ossification, subjectivisme et cécité subjective, voilà les racines gnoséologiques de l’idéalisme.
Et la bondieuserie (=idéalisme philosophique) a, naturellement, des racines gnoséologiques, elle n’est pas dépourvue de fondement ; c’est une fleur stérile, c’est incontestable, mais une fleur stérile qui pousse sur l’arbre vivant de la vivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissance humaine. »
Ce dernier passage est une allusion directe à Feuerbach, qui a réussi à déchiffrer les religions comme étant non pas une aberration, mais une tentative insuffisante de retranscrire le monde.
Et le monde est éternel, se développant éternellement de manière dialectique ; voici ce que dit encore Lénine dans ses notes :
« Élasticité tous azimuts, universelle, des concepts, élasticité qui va jusqu’à l’identité des contraires – c’est là que réside l’essentiel.
Cette flexibilité, utilisée subjectivement = éclectique et sophistique.
Si cette élasticité est utilisée objectivement, c’est-à-dire si elle reflète le caractère tous azimuts du processus matériel et de son unité, alors elle est dialectique, elle est le reflet correct du développement éternel du monde. »
Les notes de Lénine ont été directement utilisées pour le développement du matérialisme dialectique ; Staline a préservé ce patrimoine, permettant aux communistes d’y avoir accès, et c’est sur ce terreau que Mao Zedong pourra lui-même développer le marxisme-léninisme.
Dans le contexte de la révolution russe, cela signifie qu’alors que Lénine meurt en 1924, ses apports théoriques et idéologiques sont sauvés et servent directement le nouveau régime.