La base de la philosophie bourgeoise du capitalisme élancé, c’est le Cogito ergo sum de Descartes. Le « je pense donc je suis » suffit pour la bourgeoisie qui, comme Descartes, pense que l’homme est « comme maître et possesseur de la nature ».
Au départ, lorsqu’il était progressiste, le capitalisme portait la lecture protestante de la conscience, avec une éthique du travail, un élan de la conscience dans les avancées morales-sociales.
Une fois lancé, le capitalisme abandonna toutefois toute vision du monde générale, pour ne plus que se focaliser sur l’individu faisant des choix en toute conscience, sans armature morale comme dans le protestantisme.
Avec le cogito de Descartes, le capitalisme assumait une lecture pragmatique-productive, en reprenant l’idéalisme de Pythagore et Platon comme quoi le monde est mathématique et comme quoi on peut donc se l’approprier en développant les connaissances à ce niveau.
Il y avait toutefois un problème théorique de fond dans le dispositif idéologique. En effet, le Cogito ergo sum entraîne une réduction à l’infini. Si l’on dit « Je pense donc je suis », il faut avoir conscience qu’on le pense. Or, pour penser qu’on le pense, il faut penser qu’on le pense. Et pour penser qu’on pense qu’on le pense, il faut encore penser et ainsi de suite à l’infini.
Tout l’idéalisme de la démarche anti-matérialiste, anti-Aristote, anti-Avicenne, anti-Averroès, anti-Spinoza, anti-Feuerbach anti-Marx apparaît ici crûment.
Edmund Husserl vient réparer ici le dispositif, y réussissant bien mieux que Henri Bergson, qui tenta de son côté de pareillement moderniser le système de pensée bourgeois. En fait, la version de Henri Bergson a été accepté en France, jusqu’à être intégré dans l’idéologie dominante, pour le reste de la bourgeoisie dans le monde, c’est Edmund Husserl qui a joué ce rôle de complément / correction.
Son système est d’ailleurs bien plus élaboré que celui de Henri Bergson. Ce dernier a cherché à combiner matérialisme et idéalisme, reconnaissant les flux de la conscience mais les plaçant dans un cadre où spiritualité et matérialisme se mélange. Le tout est inspirant, mais c’est techniquement intenable pour une vision du monde à l’échelle d’une classe.
Edmund Husserl a lui produit un système extrêmement développé et qui, à défaut d’être correct de par son idéalisme, est bien plus avancé et colmate les brèches.
Pour résumer le plus simplement possible, on peut formuler l’opposition ainsi :
Descartes / Husserl
Je pense donc je suis / Je pense quelque chose donc je suis
Le problème de fond de Descartes est en effet qu’il a besoin de Dieu comme support justifiant l’existence de la conscience. L’être humain n’est ici pas un animal, car Dieu lui a donné une âme et lui a accordé de ce fait le libre-arbitre.
Mais de ce fait, la valeur de l’être humain penche vers Dieu et par définition la réalité est considérée comme secondaire. Elle est mise à l’écart, car la conscience lui est extérieure.
Or, le mode de production capitaliste s’étant élancé, systématisé, il ne s’agit pas seulement de soumettre la réalité dans une perspective transformatrice – utilitaire. Il faut la définir en tant que tel selon les perspectives du capitalisme lui-même.
Il faut que la réalité soit définie non plus seulement par le capitaliste s’appropriant le monde, mais par les gens vivant dans le capitalisme. La réalité doit être défini de manière subjectiviste – consommatrice.
Husserl se débarrasse par conséquent de tout support métaphysique – religieux. Il prend comme support, non pas la réalité – car il est idéaliste – mais le mouvement de la conscience, son activité. Chez lui, la conscience est le présent vivant de ses contenus présents.
C’est de fait l’idéologie du consommateur – producteur.
La conscience est conscience de quelque chose, la conscience est tournée vers quelque chose, elle est choix de se tourner, elle est intention.
On peut, dans les faits, remplacer le mot de « phénoménologie » par « intentionnalisme ». La philosophie de Husserl est une philosophie de l’intentionnalité de la conscience, qui par là même prouve son existence.
C’est l’idéologie de toute personne dans le capitalisme, qui consomme intentionnellement, qui produit intentionnellement, qui s’identifie à cette activité, qui se résume à cette activité elle-même.